Hybridation des pratiques paternelles et premiers pas vers la co-parentalité

Concepts théoriques

Cette première partie vise à définir le cadre théorique de la réflexion qui sera menée tout au long de l’analyse du corpus. Le point de départ de cette pensée s’inscrit dans une approche à la fois historique et sociologique afin d’aborder la «modernité » paternelle dans une perspective généalogique avec l’étude de la figure du « nouveau père » des années 1970. La notion de stéréotype apporte une perspective critique de la dénomination du « nouveau père » touten offrant une clé de lecture plus générale pour aborder les représentations, plus ou moins conscientes, qui sont mobilisées pour penser la paternité aujourd’hui. L’objectif sera de mettre en lumière ou de contester la filiation des stéréotypes à travers l’usage symbolique que les pères font d’Instagram. Enfin, l’étude des spécificités d’Instagram et de ses différents usages par les pères tâchera de saisir cet espace de communication et les dynamiques de stéréotypages qui sont à l’œuvre, à savoir la production ou la contestation de stéréotypes, selon les auteurs et leurs intentions.
Les trois concepts sont intrinsèquement liés : le « nouveau père » incarne une forme de stéréotype de la paternité dont le contenu se trouve aujourd’hui à la fois prolongé et remis en cause par les pères sur Instagram.

La « nouvelle paternité » des années 1970

Dans l’analyse des transformations des pratiques et des figures de la paternité, l’approche généalogique vise à mettre en perspective l’étude des pères aujourd’hui sur Instagram et à analyser l’historicisation du terme «instadads » employé par différents acteurs qui seront explicités par la suite. La notion d’instadads, en parallèle à d’autres dénominations,pourrait s’inscrire dans la lignée d’une nouvelle appellation, née dans les années 1970, pour décrire les pères de ces années- là : « le nouveau père ». Ainsi, on pourrait se demander dans quellemesure l’émergence de la figure du «nouveau père », plus ou moins idéalisée et imaginée, incarne un point de repère pour l’analyse de la paternité aujourd’hui représentée sur Instagram à travers la mise en relief des logiques de ruptures et de continuité avec les figures précédentes.

Le « nouveau père » : un nouvel idéal et ancêtre des « instadads » ?

Dans les années 1970, certains sociologues comme Julia Brannen, professeur de sociologie de la famille à l’institut de l’éducation à l’Université de Londres, ont annoncé « une crise du père nourricier » , autrement dit « une période de transition pour les pères ». Ce changement s’inscrit dans un contexte socio-économique particulier. Les pères connaissent une période de chômage, l’égalité homme-femme progresse et les conceptions de la masculinité changent. En effet, le marché économique se restructure et évolue vers des métiers non manuels dont les femmes bénéficient principalement, ce qui fragilise la domination économique des pères au sein de la famille. Ce changement entraine une crise de la virilité avec une première remise en cause de la figure du « breadwinner ». Par ailleurs, les hommes deviennent pères de plus en plus tard et affirment leur volonté de se départir des modèles paternels précédents dans leur propre pratique de la paternité. Ce renouveau de la structure familiale s’accompagne donc d’une recomposition permanente des frontières entre la féminité et la masculinité et d’une différenciation volontaire avec les configurations passées. Enfin, l’éducation traditionnelle basée sur la coercition est progressivement évacuée au profit de l’épanouissement des enfants comme modèle légitime.
Ainsi, les années 1970 marquent une rupture paradigmatique de la paternité à différents niveaux. L’ancien «mythe du bon père » laisse progressivement place au « mythe du nouveau père » avec un autre système de valeurs paternelles. Le mythe du « bon père » représentait la figure du « père gagne-pain » : un père autoritaire, absent et distant qui rapporterait l’argent à la maison. Désormais, la figure du « nouveau père », à savoir le modèle du père aimant et affectueux, s’incarne à travers trois nouvelles valeurs positives : «le care », « le faire » et « l’expression de son individualité propre».
Tout d’abord, «le care ». Prendre soin de ses enfants revêt une autre signification portée par un ensemble de gestes et de paroles témoignant de l’investissement du père dans les soins et l’éducation de l’enfant. En effet, «prendre soin de » ne signifie plus seulement subvenir aux besoins alimentaires et financiers du foyer mais implique de répartir les tâches domestiques avec la mère et d’accorder du temps et de l’attention aux enfants au quotidien. Cette paternité est redéfinie comme une relation intersubjective, caractérisée par une forme particulière d’échange entre père et enfant, une « intimité » nouvelle faite de proximité physique, d’attachement affectif et de complicité. Il s’opère alors un partage de l’univers symbolique de la maternité avec la paternité. En effet, l’imaginaire du «care » traditionnellement incarné par la mère se trouve désormais aussi rattaché à la figure du père. La responsabilité paternelle endosse alors un autre sens dans la vie familiale.
De fait, être père n’est pas un fait naturel qui va de soi mais un processus dans lequel le père doit pratiquer sa paternité, la construire au quotidien et en fournir les preuves auprès du reste de la famille et de la société. En ce sens, être père revient à « faire » son rôle car il n’est pas défini à l’avance: le père doit l’investir et en dessiner les contours. La pensée de la paternité passe alors d’une vision essentialiste à une vision constructiviste où le père ne nait pas père mais il le devient.
Cette rupture paradigmatique s’accompagne pour la première fois d’une posture réflexive des pères vis-à-vis de leur propre rôle. Ils mettent à distance ce qu’ils font et donc ce qu’ils sont, au sens brechtien du terme. La paternité devient alors plurielle selon l’expression des individualités de chacun. A ce sujet, Stephen Williams, professeur de sociologie à l’Université USWau Pays de Galles, développe « the theory of reflexive modernization » pour mettre en avant les phénomènes d’individualisation et de « détraditionnalisation » qui sont à l’œuvre dans la construction de la paternité à cette époque. Chaque forme de paternité dépend de la façon dont les pères s’approprient leur propre rôle, dans un contexte à la fois personnel et socio-économique particulier. Glenda Wall , sociologue à l’Université Wilfried Laurier de l’Ontario auCanada, parle d’une imbrication entre l’«agency » de la société, la « structure » de la famille et l’«ideology » de l’époque où les pères négocient leur identité au quotidien avec ces entités. Cette réflexion sur la paternité témoigne d’un nouvel âge dela structure familiale à travers un fonctionnement de plus en plus démocratique : le père n’est plus placé en haut de la pyramide familiale, les interactions entre les individus s’horizontalisent et le père concilie en permanence ses intérêts propres avec son rôle dans la famille.

Stéréotypes : entre représentation sociale et construction d’une minorité

Le concept de stéréotype est une clé de compréhension des représentations paternelles et de leur impact sur la vie réelle des pères. Il invite à penser les modes de relation avec les autres membres de la société, la façon dont ils sont perçus mais aussi dont ils se pensent. Les nombreux stéréotypes de la paternité enferment les pères dans un statut qui délégitimise leur « nouveau » rôle au sein de la famille et conduit à les définir, dans le champ de la parentalité, comme une forme de minorité stigmatisée. Ainsi, l’objectif sera de définir en quoi le stéréotype incarne un filtre pour penser la paternité tout influant indirectement sur les pratiques et les constructions sociales réelles.

Le stéréotype : une clé de compréhension commune pour appréhender la paternité

Selon, Ruth Amossy , « la bivalence est constitutive de la notion de stéréotype dans la pensée contemporaine ». En effet, un stéréotype est négatif pour les personnes qui en font l’objet mais aussi un moyen de compréhension à la fois social et culturel indispensablepour ceux qui y recourent. Il constitue une communauté avec des références communes : le stéréotype filtre et modifie la perception du réel tout en façonnant la vision de l’autre. La bivalence se lit également entre la fixité et la mouvance de la nature du stéréotype. En effet, le stéréotype peine à se renouveler au cours des années mais reste en même temps dépendant d’un contexte socio-économique et culturel particulier. Dans le cas des pères sur Instagram, il existe trois sortes de stéréotypes : les stéréotypes extérieurs aux pères construits par la société et ses différents acteurs, les stéréotypes que les pères ont d’eux-mêmes, souvent directement incorporés de la société et les stéréotypes qu’ils produisent à travers leur mise en scène de soi sur Instagram.
Les stéréotypes sociaux sont construits par différents acteurs qui possèdent un fort pouvoir de visibilité et de promotion d’un problème public qui est selon Erik Neveu « un fait social auquel des acteurs donnent de l’importance et qui reçoit des réponses en termes d’actions publiques ». Les médias d’information, la littérature, les arts et la publicité occupent un rôle central dans la construction des grands stéréotypes collectifs grâce à leur capacité à toucher un large public en martelant certaines représentations. La publicité, selon Éric Macé, plus qu’un message est un « massage qui fait exister les différences hiérarchisées entre le masculin et le féminin en reproduisant et en répétant sans cesse les marques de cette différence de sorte qu’elles apparaissent comme naturelles et presque invisibles aux yeux du public, légitimant ainsi l’idée qu’il est normal qu’ils n’aient pas les mêmes rôles et les mêmes statuts sociaux ».
Face à ces acteurs, les pères peinent à faire valoir leur vision de la paternité et à faire la promotion d’un nouveau problème public qui n’est pas considéré comme tel aujourd’huipour mettre en lumière la position « défavorisée » des pères dans la société et dans la pensée de leur rôle au sein de la famille.

Les stéréotypes en réseaux

Les stéréotypes autour de la paternité ne sont pas isolés. Ils fonctionnent en réseaux avec d’autres stéréotypes liés au genre à savoir à la fois le sexe biologique, l’identité de genre soit le sexe auquel la personne se sent profondément appartenir et l’expression du genre exprimée dans le comportement ou les vêtements par exemple. Dans la représentation de la pratique de la paternité sur Instagram, nous nous concentrerons sur le troisième niveau du genre à savoir l’expression de genre construite à travers différents signes. Les stéréotypes du genre et de la parentalité sont en interaction constante : la paternité est directement liée à la masculinité et souvent pensée en opposition avec la maternité et la féminité. Le contenu des stéréotypes de la virilité comme la force, le courage, la froideur et la fermeté ont imprégné la figure du père distant et autoritaire. Mais l’image de la virilité a évolué au cours des siècles au rythme de l’évolution de la paternité. D’après Jean Jacques Courtine, professeur d’anthropologie à la Sorbonne Paris III, un motif récurrent existerait au cours de l’histoire: « l’idée que les hommes d’aujourd’hui ne seraient plus des vrais hommes ». La virilité des hommes s’est construite dans des contextes de guerre où l’homme guerrier s’est imposé par sa force et dans sa confrontation avec la mort. Or, plusieurs crises ont mis à mal la traditionnelle conception de la virilité : l’homme a en partie été remplacé par la technologie, la Grande Dépression, venue des EtatsUnis, avec le chômage a mis à mal, pour la première fois, la figure du père « gagne-pain » et la dénaturalisation de la virilité a permis aux femmes de s’emparer à leur tour du concept. « L’affrontement», « le courage », « la puissance sexuelle », « le travail » et « l’argent» sont autant de notions qui ont été évacuées progressivement de la masculinité ou du moins, l’a privée de son monopole. L’usage et la construction sociale de la virilité aurait pour but, en partie, de légitimer la domination des hommes sur les femmes. Afin de perpétuer la « hiérarchie des genres », Jean Jacques Courtin parle de « dispositif de fabrique de la virilité » à savoir une transmission historique des codes de la virilité de père en fils dans des lieux de l’entre soi comme les anciens fumoirs et aujourd’hui, par exemple, le sport. Ce motif de la filiationde pères en fils sera abordé dans l’analyse du corpus pour étudier les nouvelles fabriques des stéréotypes de la virilité sur Instagram dans le cadre d’une résurgence récente de la conception originelle de celle-ci selon l’auteur.
Mais les différents stéréotypes de ce réseau peuvent entrer en conflit. Paradoxalement, les stéréotypes de la virilité ont décrédibilisé les pères dans la conception actuelle de l’exercice légitime de la paternité. L’image du père présent au quotidien, sensible et qui prend soin de ses enfants entre en contradiction avec une virilité froide reposant sur la « force » et la « puissance masculine » qui s’inscrit dans la continuité de la figure du «breadwinner ». Par ailleurs, l’exercice de « stéréotypage » est profondément humain et inévitable pour créer une vie en société. L’enjeu sera de comprendre pourquoi, selon un contexte précis, les hommes se confortent parfois dans une pensée simplifiée et stéréotypée ou au contraire, adoptent une démarche de contestation de ces stéréotypes. Instagram offre alors une tribune d’expression et de contestation des stéréotypes singuliers selon les codes du réseau social.

Construction des identités sociales sur Instagram

Face aux nombreux stéréotypes peu favorables à l’exercice de nouvelles formes de paternités plus individualisées, Instagram offre la possibilité aux pères de mettre en récit et en représentation leur vision et leur pratique de la paternité au quotidien. La plateforme est un outil qui prolonge le processus d’auto-réflexion des pères sur leur propre rôle amorcé dans les années 1970. L’enjeu sera de saisir les spécificités de la plateforme qui conduisent, dans une négociation avec les utilisateurs, à des modes d’écriture de soi singuliers. Dans l’analyse, nous évacuons volontairement la potentialité des « stories » puisqu’elles ne figurent pas dans le corpus.

Négociation des libertés des « instadads » dans un cadre contraint

Pour autant, dans ce cadre contraint, l’utilisateur négocie une forme de liberté qu’il s’octroie naturellement en développant ses propres usages, ce que Bruno Latour appelle les « contre-programmes d’action ». Par exemple, tous les pères n’ont pas décidé de se définir comme tel dans la biographie de leur profil. De fait, les « instadads » gardent la main sur le cœur même de leur identité sociale: se présenter comme un père ou comme un individu déconnecté de son contexte familial.
Par ailleurs, au sein de la standardisation du dispositif Instagram, chaque déclinaison personnelle demeure signifiante : opter pour un profil privé ou public témoigne des intentions de l’utilisateur d’être visibleou non par un plus grand nombre, dans un objectif de popularité ou de préservation de la vie privée. A ce titre, tous les profils des pères sélectionnés du corpus sont des profils dits « ouverts ». Au-delà de la simple promotion personnelle, ce choix symbolique exprime le besoin d’être représenté d’une autre façon, «leur propre façon ».
Avant d’engager l’analyse du corpus, il était donc nécessaire de revenir sur les spécificités propres à la plateforme Instagram qui sont autant de critères qui influencent les fabriques de la paternité.
Ainsi la figure du nouveau père née dans les années 1970 marque un tournant dans la pratique de la paternité mais surtout, pour la première fois, une volonté de penser la paternité en passant d’une approche essentialiste à une approche constructiviste. Pour autant, en prenant le modèle du « nouveau père » comme repère, les figures paternelles antérieures demeurent. En effet, le nouveau père est une figure à la fois hybride et complexe qui conserve les traces des formes de paternités passées tout en contenant des signes de nouveautés. Afin de prolonger cette dynamique réflexive, le stéréotype offre une clé de lecture pour comprendre la représentation des pères dans la société mais aussi la façon dont ils se pensent, entrent en interaction avec les autres membres de la société et influent sur le réel. Enfin, Instagram est un outil qui se co-construit au rythme des usages spécifiques des pères qui se soumettent en même temps à un cadre prédéfini par l’éditeur. Dans une perspective communicationnelle, le réseau social incarne un espace à la fois de construction et de déconstruction des stéréotypes selon les intentions et les usages de chaque père.
La partie suivante se focalisera sur « comment les pères racontent et se racontent la vie » sur Instagram, dans une perspective de mise en lumière d’éventuelles nouvelles pratiques de la paternité, en distinguant la part du narratif et du projectif en chaque père à travers une tension entre une forme de mise en récit à la fois singulière et automatisée.

Pratiques de la paternité et construction des identités paternelles sur Instagram

L’étude de la mise en images de la paternité de vingt-quatre comptes de pères et de 3 profils de mères sur Instagram permettra d’étudier comment le père se montre dans sa relation avec les autres membres de la famille mais aussi se donne à voir lui-même et au reste de sa communauté.
L’enjeu de l’analysesera de saisir la nécessité symbolique qui le pousse à se représenter et les différentes formes de pratiques de la paternité qui se créent afin de valider ou de réfuter les hypothèses suivantes : l’usage d’Instagram par les pères permettrait à la fois l’émergence de nouvelles pratiques de la paternité tout en offrant aux pères la possibilité de penser leur rôle au sein de la famille et leur individualité. Par ailleurs, la fonctionnalité sociale d’Instagram qui rend plus ou moins publique ces formes paternelles, mettrait en lumière une image idéalisée où le père viserait à paraitre le plus irréprochable possible auprès du reste de la communauté. Les logiques de compétitions sociales « dans la réalité » seraient alors renforcées sur le réseau social de l’image conduisant à une recherche effrénée de construction de la perfection.

Le père : l’acteur principal de la famille

L’affirmation de la subjectivité du père ne se limite pas à l’écriture et à la narration de la vie familiale mais aussi au rôle qu’il se donne dans sa troupe, à savoir sa famille. Le père est l’acteur principal qui porte les autres acteurs et soutient les actions. Sur les quatre cents onze photos du compte Instagram de @Father_of_Daugthers, seulement quinze ont été prises sans le père. Il occupe le rôle central d’un point de vue à la fois quantitatif et qualitatif. En effet, le père ne se contente pas d’être toujours présent à l’image avec ses enfants mais il se met également sur le devant de la scène , au premier plan et en gros plan. Il vise aussi à faire ressentir son existence aux autres utilisateurs en « crevant l’écran» et se montrant « sous tous les angles ». Le père se met en avant de multiples façons avec différents points de vue en déconstruisant sa propre figure paternelle afin de prendre connaissance de soi . Enfin, la mise en scène et la reconnaissance de soi par les pères s’effectue dans un va et vient constant entre gros plans et prise de distance, entre identification et distanciation, selon l’expression brechtienne.

Une posture réflexive des pères par rapport à leur rôle familial sur Instagram

Le père, selon les termes de Ricoeur , est à la fois « le dit » à savoir le contenu des images et « le dire » soit le « comment » du contenu. En tant que narrateur et auteur, le père est le témoin extérieur qui prend de la distance sur la vie familiale à travers une approche réflexive dans la continuité de la figure du nouveau père des années 1970. C’est un moyen de prendre du recul sur chaque moment de vie avec un processus d’introspection où le père décentre le regard, se pose des questions sur sa vie et sa place de père dans la famille, pour continuellement déconstruire son rôle et le reconstruire autrement. Le père fabrique son individualité au-delà de son statut de père dans l’expérience et l’analyse familiale. Le compte de Kordale et Kaleb soit @KordaleNkaleb, un profil de deux pères homosexuels qui élèvent quatre enfants , incarne non seulement le récit d’une famille «en construction » en fonction du changement progressif des normes familiales et amoureuses imposées par la société mais aussi l’affirmation des identités individuelles. Dans une vidéo rétrospective du chemin parcouru par Kaleb, le père retrace le passage successif d’étapes clés de sa vie : de l’affirmation de sa sexualité à la naissance d’une famille homoparentale incarnée par des hashtags qui font respectivement référence à sa vie « d’avant » et « d’après » la venue desenfants : #MyAcneWasTerrible et #LiveFreeBeHappy. En ce sens, les identités paternelles et individuelles des pères sont objectivées et interrogées.
Ainsi, l’usage d’Instagram par les pères est l’occasion de mettre en scène et de construire leur subjectivité de différentes façons selon leurs intentions propres dans le cadre familial.
Devenir maitre de sa représentation, tout du moins en apparence, n’est pas tant un moyen de renforcer son rôle dominant traditionnel au sein de la famille que d’affirmer son importance, au sens d’accompagnateur au quotidien des enfants, pour conquérir leur légitimité qui est remise en cause par les normes sociales.

La construction de la paternité par rapport à la figure de « l’autre» 

Instagram une forme de matérialisation des relations familiales

Le geste symbolique du renvoi par les pères vers le compte de la mère sur Instagram grâce au tag, nous a conduit à penser son rôle dans la construction de la figure paternelle. En effet, elle ne peut se penser indépendamment de la figure de « l’autre» : la mère, le second père ou une figure tierces selon les différentes configurations familiales. Nous nous pencherons sur l’influence et la représentation symbolique – ou non – de la figure de l’autre dans l’affirmation du rôle paternel et de leur individualité. L’enjeu sera également d’analyser, à travers une méthode comparative, les représentations de la maternité et de la paternité selon un même contexte familial et un même espace d’expression afin de saisir ou non une singularité dans les représentations pratiques paternels vis-à-vis de la mère.

Entre fusion, différenciation et évacuation de la figure de l’autre

Sur Instagram, les représentations des pratiques des pères se réalisent dans deux types de mouvements en apparence contradictoires vis-à-vis de la supposée figure « homologue » : entre assimilation et confrontation. Il se dégage deux sortes de stratégies paternelles, en fonction de la configuration familiale et de la mise en scène de la relation avec la conjointe, le conjoint, l’autre ou même l’absent.

De la différentiation à l’évacuation de la figure de « l’autre»

Sur les comptes Instagram des pères, la figure de « l’autre» qui l’accompagne dans l’éducation des enfants est plus ou moins présente et mise en scène de plusieurs manières. La potentialité offerte par Instagram du « tag » a permis de trouver les comptes miroirs de mères et de les analyser en les confrontant avec ceux des pères. Une première typologie de comptes sur Instagram consiste en une volonté de se distinguer. La figure paternelle de @Dad_beets impose son individualité à travers un parti pris distinctif : la nourriture . Elle ne valorise pas seulement sa « face » de père mais aussi une des multiples facettes qui le construisent en tant qu’individu propre: sa passion pour la cuisine.

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