LES ASSOCIATIONS DU DUNKERQUOIS DANS LE REGARD DES EXILES

Dans la peau des exilés : quelles préoccupations, quels besoins

Se mettre dans la peau des exilés est impossible. Cependant, tenter d’aller au plus proche de leurs préoccupations est un exercice qui peut apporter une dimension nouvelle à la conception de l’aide associative.
A partir des entretiens et de l’observation participante, je souhaite comprendre les préoccupations des migrants et la manière dont ils perçoivent à la fois leur trajet et l’action associative.

L’Angleterre avant tout ?

Pierre Belmant, chargé de mission à la FNARS (Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale), décrit à quel point les « étrangers » portent en eux à la fois les difficultés de leur passé dans le pays, le désenchantement de leur arrivée en Europe, et « l’angoisse de l’avenir » . Il parle alors des étrangers arrivés en France et demandeurs d’asile, ce qui n’est pas le cas pour la majorité des exilés du Dunkerquois. Eux ont encore un bout du trajet à faire, à la fois incertain et porteur d’espoir. Leurs préoccupations principales lorsqu’ils sont sur les camps sont nombreuses, partagés entre les difficultés de leur trajet, un espoir pour l’avenir, et la fatigue de l’exil.

Le Dunkerquois, étape décisive d’un trajet semé d’embûches

La plupart du temps, Dunkerque est la dernière étape du trajet des exilés vers l’Angleterre. Elle est précédée d’un long trajet suite à une décision de partir de leur pays.
Sur les camps, les exilés parlent peu de leur passé, les yeux rivés sur l’avenir.
Cependant, lorsque l’envie leur venait de raconter des parcelles de leur vie, nous sortions des cartes de leur pays et d’Europe, et chacun montrait son lieu d’origine et le trajet qu’il avait parcouru. Les trajets étaient divers, mais restaient proches par nationalité. Voici quelques éléments que j’ai pu recueillir.

Un trajet souvent semé d’embûche

De leur pays à la France, il y a autant de lignes tracées que d’exilés qui partent, fuient une vie qu’ils ne veulent ou ne peuvent plus mener.

Des raisons de départ et des débuts de trajets différents selon les nationalités

D’après les récits de vie que j’ai pu entendre, les afghans et iraniens ont parcouru à peu près les mêmes trajets en partant de chez eux . Les pays de passage semblent être l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France. Leur trajet a été ponctué d’arrestations par la police, de moments d’attente, et pour certains, plusieurs renvois dans leur pays (en Iran notamment).
Les moyens de transport sont tour à tour les camions, voitures et bateaux. Les plus riches prennent l’avion. Les irakiens et syriens parcourent à peu près le même trajet à la différence près qu’ils passent directement par la Turquie sans passer par l’Iran. Il est difficile cependant de généraliser les distances parcourues par les exilés. En effet, certaines personnes avaient plus d’argent et ont ainsi pu prendre l’avion avec de faux papiers, en passant par la Turquie, Grèce ou encore l’Espagne. D’autres encore sont passés par les pays d’Europe de l’Est.
Plus rarement, des personnes originaires du Pakistan, de la Palestine, du Maroc, ou d’Egypte étaient présentes sur les camps. Toutes disent être attachées à leur pays : « life was good there » . Plusieurs personnes insistent sur le fait qu’ils étaient financièrement à l’aise auparavant « J’avais une maison et deux voitures, crois moi ! Tu me crois ? ». C’était important pour eux de signaler cette identité, cette vie antérieure où ils avaient un vrai statut.
Concernant les raisons de leur départ, une partie des exilés rencontrés déclarent être partis de leur pays pour des raisons politiques (conflits ou opposition politique), ou pour des raisons de conflits interpersonnels d’ordre privé . Mohamed, kurde iranien de 30 ans, fait parti de ceux qui sont partis pour des raisons politiques.
Tous les mineurs rencontrés sur le camp étaient afghans. Souvent, comme Smaïn Laacher en témoigne , les familles prennent la décision d’envoyer les jeunes en bonne santé physique afin de leur donner l’opportunité d’avoir une meilleure vie et d’aider la famille financièrement. En mars 2012, un jeune mineur afghan a hésité à rester en France, car il n’arrivait pas à passer en Angleterre et son état de fatigue empirait. Cependant, la pression de sa famille étant plus forte que sa fatigue, il a continué à tenter le passage jusqu’à réussir quelques semaines plus tard.
Tout le long de leur trajet, ils ont été guidés par des passeurs payés plusieurs milliers d’Euros (le trajet jusqu’en France tourne autour de 8 000 euros par personne). Les familles et les femmes paient souvent plus cher, comme l’illustre le témoignage d’un père de famille iranien de 37 ans, parti avec sa femme et ses deux enfants de 7 ans et de 4 mois , le 12 mai 2012:
« J’ai vendu tout ce que j’avais en Iran pour payer 48 000 euros et pouvoir partir en Espagne avec toute ma famille, car la situation était trop difficile dans mon pays. »
On voit donc que les raisons du trajet sont multiples, chaque individu a sa propre histoire et ses propres raisons. Dans tous les cas, les personnes entreprennent un trajet long, coûteux et très dangereux, entre les montagnes à traverser le plus souvent à pied de l’Iran à la Turquie, ou encore le bateau surpeuplé à prendre de la Turquie à la Grèce ou de la Grèce à l’Italie. En arrivant en Europe, souvent les exilés espèrent être au bout de leur peine, pourtant ce n’est pas fini, bien au contraire.

En Europe, l’histoire n’est pas terminée

Plusieurs personnes m’ont exprimé leur déception face aux conditions de vie en Europe. Les personnes ayant les moyens de partir sont souvent des personnes ayant fait des études plus poussées que la moyenne avec un certain statut social dans leur pays . Ces personnes vivent très mal leurs conditions de vie et le statut qui leur est imposé en Europe.
Le pays d’Europe dont les exilés parlent de la manière la plus négative est la Grèce, où ils ont été victime de racisme, et de violence, notamment de la part de la police. Beaucoup disent avoir été emprisonnés, les plus riches sortant plus vite moyennant un paiement, tandis que les plus pauvres restaient parfois plus d’un mois. Ils comparent souvent la police française à la police grecque, disant qu’elle est bien plus clémente avec eux. Hameed, afghan de 23 ans, témoigne.
Sahid, syrien de 40 ans, lorsque je le questionne sur la Grèce me répond « ça n’est pas la peine de parler de la Grèce parce que c’est une pourriture, on a été tabassé là -bas ». Luimême est resté 2 mois en Grèce, tandis que d’autres comme Ahmed, iranien kurde de 30 ans, y sont restés un an.
L’Italie est un pays que les exilés ont aussi beaucoup critiqué durant ces six mois. En effet, c’est un pays moins dur envers eux que la Grèce, mais où souvent leur empreinte est relevée, ce qui les enjoint à demander l’asile dans le pays, conformément au règlement de Dublin II. Je n’ai rencontré que des afghans qui se trouvaient dans ce cas de figure, et ont ainsi obtenu le statut de réfugié en Italie. Ils y avaient donc une carte de séjour, leur permettant entre autres de voyager légalement en Europe. Cependant, selon eux, le pays ne leur offre aucune protection sociale – ni hébergement, ni possibilité de travail ou d’études. Ils disent souvent : « en Italie, ce n’est pas une vie pour nous ». Voici un extrait du témoignage de cette réalité par Hameed, Afghan de 23 ans B) Dunkerque, dernier obstacle avant l’Angleterre mais pas le moindre Pour beaucoup d’exilés, Dunkerque est censée être la dernière étape avant l’objectif, l’Angleterre. Cependant, cette étape décisive est une des plus compliquées, l’Angleterre se situant hors de l’espace Schengen : il faut jouer de toutes les astuces pour franchir les nombreux obstacles qu’ils rencontrent.

Le plus pesant et présent dans les discours : l’activité policière

Ce qui pèse le plus durant cette étape semble être la police qui bloque non seulement le passage, mais qui les contrôle sans arrêt sur les camps et dans la rue, entraînant une fatigue et un découragement. Ils en parlent souvent, mi-ironiques mi-sérieux « on ne veut pas rester de toute manière, pourquoi ne nous laissez-vous pas passer ? ». Indésirables, en France, ils ne comprennent pas toujours pourquoi le pays met autant de barrières à leur passage . D’autant plus que depuis septembre 2011, la police les emmène systématiquement à Calais pour les contrôles, sans leur proposer de moyens de retour sur les camps. Souvent, ils considèrent la police comme un problème de sécurité. Pensant questionner sur les problèmes entre exilés et notamment avec les passeurs, lorsque je posais la question « vous sentez-vous en sécurité sur les camps », 4 personnes sur 5 m’ont répondu directement sur la police, à l’exemple de Nasser, Kurde irakien de 28 ans.

Les risques physiques : un décalage entre les faits et les témoignages

Autre problème du trajet : les risques induits par le passage. On peut dire que le trajet des exilés est plutôt risqué puisqu’au fil des années, les associations ont eu connaissance de plusieurs accidents, voire des décès.
Les exilés n’évoquent pas souvent les dangers de la route, qui pourtant semblent bien réels au vu du nombre d’incident qui ont été portés à ma connaissance – laissant imaginer que le nombre d’incidents réels sont plus nombreux. Premièrement, nous avons vu un grand nombre de personnes dans l’ambulance de MdM dont les pathologies étaient en lien avec leur passage : chutes de camion, chutes en courant, plaies suite à des coupures etc. Statistiquement, le nombre de pathologies dues au risque du passage allaient de 5% à 20% des pathologies observées tous les mois, sans avoir de chiffres exactes du fait de la mise en place récente du recueil de cette donnée . Dans tous les cas, il arrivait souvent que l’on voie des entorses, des fractures, des tendinites, douleurs musculaires ou autres pathologies relevant de la traumatologie ou de l’ostéo-articulaire, lié directement à leur passage en Angleterre.
Parfois, le danger est plus grand : il est arrivé plusieurs fois que des exilés reviennent en ayant passé un ou deux jours sans boire ni manger ni aller aux toilettes, dans un camion qui finalement ne partait pas, ou partait dans la mauvaise direction. Le 27 avril 2012, sept afghans coincés dans un camion réfrigéré m’appellent car ils ont peur d’y mourir de froid. Mais le pire est arrivé dans la nuit du 12 au 13 août, lorsqu’un jeune turc kurde de 16 ans tentant de traverser l’autoroute pour rejoindre son camion, s’est fait percuter par un bus transportant des touristes. Ce jeune, voyageant avec six amis turcs dont plusieurs mineurs, est décédé sur le coup. L’histoire du jeune kurde turc n’est pas la seule ayant finie de cette manière, cela est déjà arrivé plusieurs fois depuis plusieurs années. MdM a proposé de mettre en place une cellule de crise avec psychologue afin d’être à l’écoute de ceux qui pouvaient être traumatisés par cet évènement, notamment les amis du jeune turc. Cela n’a pas été fait car ils sont rapidement partis du camp.
Dans les discussions que j’ai eues avec les exilés, ces risques sont leur quotidien : ils ne les mentionnent que peu ou pas. Lorsque je leur demandais s’ils n’avaient pas peur de ces risques, ils me répondaient que cela allait avec le passage : s’ils veulent tenter leur chance, ils n’ont pas le choix. Un jeune iranien s’étant fait battre par le chauffeur du camion dans lequel il était, est revenu les habits déchirés avec des égratignures sur tout le corps, en regrettant surtout d’avoir perdu la montre que son père lui avait offert : « ce que le chauffeur a fait, c’est un risque normal que l’on prend tous les jours, qui va avec le passage en Angleterre. Mais ma montre, je ne la récupèrerais jamais. ». Le lendemain de la mort du jeune kurde turc, un kurde irakien m’a regardé et m’a dit : « demain, ça peut être toi, ou moi. Ce sont des choses qui arrivent ».
Concernant les risques que représentent les passeurs ou la « loi de la jungle », nous avons déjà vu que peu de personnes en parlent. En général, les exilés ne semblent pas avoir peur des passeurs ou alors préfèrent taire leurs problèmes, privilégiant leur chance de passage qui est leur priorité. Mis à part le jeune iranien que nous avons évoqué plus haut (p. 26) personne ne m’a confié ou parlé de danger ou de peur concernant les passeurs. Pourtant, dès mon arrivée sur ma mission, l’équipe MdM m’a conseillé d’être précautionneuse sur les camps du fait du contrôle qu’exercent les passeurs sur les exilés. Il s’agissait ne pas parler trop du passage, ne pas évoquer les passeurs, ne pas s’immiscer dans les affaires internes du camp tant que la vie et la santé des personnes n’était pas en danger. Par ailleurs, pour parler de la situation d’une personne fatiguée ou intéressée par l’asile, il était recommandé de trouver un moyen de lui parler sans personne autour, dans l’ambulance ou ailleurs. C’est peut être du fait de ces précautions que je n’ai pas eu affaire aux problèmes de passeurs. On ne le saura sans doute jamais. J’ai eu l’impression que le campement pouvait passer rapidement de l’ambiance bonne enfant à une ambiance plus tendue et parfois dangereuse. Il est arrivé deux fois en 6 mois que j’ai affaire à une situation dangereuse, impliquant de manière quasicertaine les passeurs.
La première fois, c’était le 23 avril 2012 . Le soir, un exilé du camp de GrandeSynthe m’a appelé et expliqué que plusieurs personnes du camp ont été menacées avec des armes blanches. Il s’agirait d’un racket par trois passeurs kurdes irakiens alcoolisés. Tous les jours ils passeraient pour vendre des drogues, de l’alimentation et autre, en demandant de l’argent. Les exilés ayant refusé de payer ce jour-là, les passeurs sont devenus agressifs du fait de l’alcool. Trois semaines plus tôt, des iraniens de Grande-Synthe étaient déjà partis pour les mêmes raisons. J’ai entendu parler plusieurs fois de bagarres concernant le camp de Grande Synthe, sans vraiment savoir si cela était en lien avec les passeurs. Je n’ai aucune certitude concernant le lien entre le faible nombre de personnes à Grande-Synthe et les incidents qui ont eu lieu le 23 avril 2012.
La seconde fois où j’ai été confrontée à un incident impliquant des passeurs, c’était dans la nuit du 9 au 10 juillet 2012, lorsque deux personnes ont été blessées en une soirée, l’une au couteau, l’autre par balle . J’avais déjà été prévenue que les passeurs pouvaient être armés. Tous les exilés sur le camp parlaient d’un règlement de compte entre passeurs.

Le quotidien vécu dans espérance permanente face à l’Angleterre voisine

A Dunkerque, les exilés sont près du but : seule la Manche les sépare de l’Angleterre.
Cela exacerbe les espérances, mais renforce aussi quelque fois leur sensibilité. Coincés parfois pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois sans réussir à passer, les exilés n’attendent qu’une chose : vivre comme des être humains. La phrase que dit Karim, kurde irakien de 21 ans, revient souvent « Je vis dans la Jungle, comme un singe ». Ils parlent beaucoup de leurs conditions de vie, comme l’insalubrité et l’inconfort des camps, qui est la cause de 75 à 90% de leurs pathologies d’après les statistiques de MdM.
Nous avons vu que les migrants ont une mobilité importante des camps vers l’extérieur. Leurs journées sur les camps sont rythmées à la fois par l’aide associative et par les besoins personnels dont ils se chargent : courses au Lidl ou en ville, ils s’organisent entre eux. Tous ont des portables, plusieurs vont au cyber café pour contacter leur famille, etc. Sur le camp, on les voit s’organiser entre eux : certains vont faire la vaisselle, d’autres nettoient, d’autres préparent le thé ou la nourriture. Il semble y avoir une organisation entre eux, souvent séparée par pays d’origine. Une partie des abris appartient aux iraniens et irakiens, l’autre partie aux afghans, et un abri est réservé aux vietnamiens.
L’ambiance sur les camps varie d’un jour à l’autre selon les personnes présentes. Cependant, il résulte de ce mode de vie une forme d’attachement les uns aux autres. Dawood, iranien de 35 ans, me dit en riant « Tout le monde est mon ami ici, tu vois ! ». Il semble d’après les témoignages qu’une sorte de fraternité se développe. Farzad, iranien kurde de 32 ans, me racontais que la nuit, tout le monde se regroupait autour du feu et racontait son histoire personnelle aux autres. Il m’a parlé de beaux moments de partage qui les rapprochaient beaucoup. Il est arrivé plusieurs fois qu’un exilé devant rester hospitalisé refuse de rester, officiellement voulant retrouver les autres sur le camp. Même si l’on se doute que les raisons peuvent être différentes, il est vrai que l’attachement entre les personnes est parfois clairement visible : en arrivant sur les camps on entend souvent des rires, des blagues, des chants. On peut voir que les exilés se serrent les coudes, malgré ce que l’on a pu dire auparavant concernant les vols. Plus tôt, nous avons vu un extrait où Hameed, afghan de 23 ans, disait que la police ne les laissait pas rentrer utilisant le vocabulaire « chez moi », « dans nos chambres ». On ne peut pas parler de la réalité des camps pour les exilés sans réaliser qu’à un moment donné, c’est un « chez eux », ils s’approprient ce lieu : durant le moment de leur présence, il leur appartient II ) Vision d’avenir : l’asile, encore un objectif ?
Sur les camps du Dunkerquois, tous les exilés se destinent à partir en Angleterre.
Seules quelques exceptions m’ont dit avoir changé d’avis et souhaitent aller en Finlande ou dans d’autres pays scandinaves, ou encore en Allemagne.

L’Angleterre comme Eldorado

Il est évident sur les camps que la pensée des exilés est tournée l’Angleterre. Lorsqu’on leur demandait s’ils avaient besoin de quelque chose, il arrivait qu’ils disent, parfois agacés, parfois souriants « oui, d’aller en Angleterre, tu peux m’aider pour ça ? ».
Une question revient dans toutes les bouches, voyant l’ampleur du nombre de personnes en transit vers l’Angleterre : pourquoi choisissent-ils l’Angleterre. Il est important de rappeler que de nombreuses personnes choisissent d’autres pays d’Europe, mais nous ne rencontrons sur les camps que les personnes qui n’ont pas fait ce choix. Par ailleurs, les raisons de ce choix sont multiples, il est impossible de généraliser. Les différentes raisons que j’ai pu entendre durant mon stage étaient la présence de famille ou d’amis en Angleterre, la facilité d’y travailler et de gagner de l’argent même sans être régularisés, ou encore la langue qu’ils connaissent déjà contrairement aux langues d’autres pays européens. Parfois, toute la famille a économisé pour leur trajet en Angleterre : la personne peut porter cette responsabilité du poids de l’attente familiale et de l’entourage dans le pays d’origine.
L’Angleterre (ou l’Europe) est censé être le lieu où la personne trouvera son bonheur et pourra les aider. Ahmed, kurde iranien, explique que son frère est en Angleterre et qu’il est prêt à risquer sa vie pour y aller car pour lui l’important n’est pas le moyen d’y arriver mais l’objectif à atteindre. Les objectifs sont multiples, certains veulent y travailler, d’autres continuer les études. Farzad veut reprendre ses études en relation internationales tandis qu’un jeune afghan de 17 ans m’a confié vouloir devenir diplomate. Ahmed, lui, veut devenir magicien. L’Angleterre est le pays de tous les rêves, où tout sera possible pour certains, tandis que pour d’autre ce sera un moyen de gagner un peu d’argent.
Une partie des exilés avec qui j’ai parlé resteraient en France si le pays leur en offrait possibilités, tandis que l’autre moitié iraient quand même en Angleterre, ayant des raisons autres que la régularisation pour y aller. Nasser, kurde irakien de 28 ans, fait partie de ceux qui, s’ils avaient la possibilité de rester en France, le feraient : « Je choisirais la France bien sur ! Je resterais sans hésiter si je pouvais avoir une situation stable ici ! J’irais là où on m’accepte». Mohsen, iranien de 37 ans et père de famille, fait partie des rares personnes ayant décidé de rester en France avec sa famille. Il m’explique.

Condamnés à l’errance ?

Une des premières choses qui m’ont marqué sur les camps du Dunkerquois est l’ancienneté que certains exilés ont en Europe. En réalité, leur trajet n’est pas aussi simple que la formule « départ – transit – arrivée ». Leur situation semble souvent inextricable, certains étant « coincés » dans l’illégalité depuis de nombreuses années, d’autres étant plus « nouveaux » en Europe, mais risquant de ne jamais obtenir de papiers en Europe.
Quelques personnes ont des chances d’obtenir le statut de réfugié en Angleterre après une demande d’asile, car leur empreinte n’a jamais été relevée en Europe et leur récit de vie sont très lourd est les dangers encourus dans leur pays très documentés. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, certains sont en Europe depuis longtemps, soit parce qu’ils ont demandé l’asile ou séjourné dans un autre pays plus longtemps, soit parce qu’ils ont déjà été renvoyé d’Angleterre et retentent le voyage.
Le règlement de Dublin II est la cause de nombreuses déceptions, comme le montre le récit de Hameed, Afghan de 23 ans.
Certains sont en errance en Europe depuis plusieurs années, cela va jusqu’à 10 ans de présence. Ces personnes se retrouvent dans une spirale qui semble sans fin et dont il est difficile de voir une porte de sortie.
Face à cette errance et aux perspectives parfois sans issue des exilés, les réactions sont diverses. Ce qui marque tout d’abord, c’est une volonté de certains de réaffirmer leur identité face à ceux qui les considèrent comme de « sans » (sans-papiers, sans-toit, sans stabilité).
C’est probablement pour cela que les exilés me rappelaient que dans leur pays, ils avaient une bonne situation sociale. Parler de leur qualité de vie est un moyen pour eux de sentir qu’ils existent à nos yeux comme êtres humains. Sans doute se disent-ils que c’est un moyen pour que l’on comprenne leur situation, que l’on se mette à leur place. Ce que Hameed dit devant le public le soir de l’étape du Jungle Tour à Grande-Synthe illustre bien cela « Nous sommes des êtres humains, vous êtes aussi des êtres humains. Vous avez la tristesse et la joie, nous aussi on l’a. ». Ils rajoutent souvent que jamais ils n’auraient jamais imaginé vivre ce qu’ils vivent en Europe. Mais pour la plupart, le retour dans leur pays est impossible, risquant leur vie, ou leur réputation.
Certains décident tout de même de rentrer chez eux : Farid, kurde irakien de 22 ans, explique qu’il est parti 6 mois auparavant d’Irak car sa mère lui avait promis de l’aider s’il voulait une vie meilleure. Il ne pensait pas que ce serait aussi dur : il a vu les conditions de vie en Europe et il s’est dit que cela ne valait pas le coup. Il a donc fait une demande de retour en Irak à l’OFII, Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, qui aide financièrement les exilés qui le souhaitent à rentrer dans leur pays s’ils remplissent certaines conditions. Durant les 6 mois, à ma connaissance, 5 personnes ont fait une demande de retour dans leur pays, tous kurdes irakiens. Seul l’un d’entre eux a véritablement conduit la procédure jusqu’au bout et y est rentré, et deux étaient en début procédure lorsque je suis partie et semblaient déterminés à rentrer chez eux.
Les effets de l’errance sur les personnes varient mais elle semble impacter non seulement leur santé physique et mentale, mais aussi leur hygiène de vie. Selon leurancienneté en Europe et leur parcours, certains dont l’histoire est sans fin perdent espoir et sont embarqués dans une spirale infernale de camp en camp. Ils prennent de nouvelles habitudes, concernant la drogue et l’alcool . Il est connu de tous que la drogue et l’alcool circulent dans les camps : il m’est d’ailleurs souvent arrivé que certains me disent, soucieux de leur image « Ici, beaucoup se droguent et s’alcoolisent, mais moi jamais je ne toucherais à cela, je suis musulman ! ». La foi musulmane, ou chrétienne pour quelques exceptions, est d’ailleurs une aide à laquelle beaucoup s’accrochent.
Au-delà des effets sur la drogue ou l’alcool, cela peut aussi avoir un effet sur les objectifs des personnes. Certains abandonnent la tâche difficile de se stabiliser et rentrent dans les réseaux mafieux, parfois seulement pour un temps limité le temps de se faire un peu d’argent, mais ce temps peut s’allonger et s’éterniser jusqu’à ce que certains n’arrivent plus à en sortir. Je n’ai pas eu de témoignages directs concernant cela, seulement des témoignages indirects de bénévoles et de demandeurs d’asile ayant auparavant vécu sur les camps et racontant leur situation.
D’autres se rattachent à leur objectif qu’est l’Angleterre et disent – même après un renvoi d’Angleterre comme Nasser (kurde iranien) l’a vécu – qu’ils retenteront le passage encore et encore jusqu’à ce qu’ils trouvent une stabilité. Pour toutes ces personnes, très peu de solutions existent au niveau étatique et associatif.
Les personnes ont donc de nombreuses préoccupations sur les camps, concernant leur avenir, le présent et leur passé : leur trajectoire. C’est après ces préoccupations que viennent les côtés pratiques de leur vie quotidienne. Leur journée est rythmée par leurs activités mais aussi par les associations. Voyons la place que celles-ci prennent dans la vie des migrants.

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Table des matières

INTRODUCTION 
PARTIE I. L’AIDE HUMANITAIRE DANS UN ESPACE DE TRANSIT COMPLEXE 
CHAPITRE I : ESPACES D’EXIL, ESPACES DE TRANSIT : UNE DEFINITION MALAISEE
CHAPITRE II : LES ASSOCIATIONS DU DUNKERQUOIS : ENTRE AIDE HUMANITAIRE ET ACTIVITES MILITANTES
PARTIE II. DANS LA PEAU DES EXILES : QUELLES PREOCCUPATIONS, QUELS BESOINS 
CHAPITRE I : L’ANGLETERRE AVANT TOUT ?
CHAPITRE II : LES ASSOCIATIONS DU DUNKERQUOIS DANS LE REGARD DES EXILES
PARTIE III. REGARDS CROISES : UN ECHANGE PORTEUR ? 
CHAPITRE I : DIVERGENCES ET CONVERGENCES : QUEL INTERET DU RECUEIL DE LA PAROLE DES EXILES ?
CHAPITRE II : QUELLE PLACE DONNER AUX EXILES EN TRANSIT DANS LE DUNKERQUOIS DANS L’ACTION HUMANITAIRE
CONCLUSION 
TABLE DES MATIERES
BIBLIOGRAPHIE 
LISTE DES SIGLES 
TABLE DES ANNEXES 
ANNEXES 

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