Caméras grand capteur vers un nouveau standard ?

Le premier standard

   Tout d’abord, il faut savoir que le « grand format » n’est pas quelque chose de « révolutionnaire ». Depuis ses débuts, le cinéma a vu de nombreux formats se succéder et se faire concurrence, les Frères Lumière par exemple ont utilisé une pellicule 70 mm dès 1900 lors de l’Exposition Universelle. Le grand format est né de l’envie de gagner en qualité pour les projections. À plusieurs reprises dans l’histoire des techniques cinématographiques, le format 65/70 mm tente de percer par exemple. Cette double appellation vient de la différence de taille entre la pellicule négative utilisée à la prise de vues qui est de 65 mm et la pellicule positive qui servait de support de projection en 70 mm pour cause de l’ajout de six pistes sonores magnétiques. En parallèle du 35 mm, format rapidement normalisé comme standard mondial, d’autres dimensions naissent. Le premier format couramment utilisé au cinéma fut le 35 mm au ratio 1.33, le format du cinéma muet. On le doit surtout à Thomas Edison qui, dans les années 1910, fit réduire la pellicule 70 mm de George Eastman (Kodak) à 35 mm. Jusqu’en 1927, il s’agissait du format standard. Avec la naissance du cinéma parlant, on voit arriver d’autres ratios. Au cours des années 50, on assiste à une multiplication des écrans avec l’arrivée de la télévision, le cinéma subit alors la concurrence de la télévision, qui s’impose au sein des foyers avec son ratio 1.33 idéal pour les écrans de TV. Les Majors décident alors de proposer au public une nouvelle façon de voir les images au cinéma avec des formats d’image panoramiques. À cette époque, il s’agissait essentiellement de se démarquer dans la compétition entre les grands studios. La Fox fut l’un des premiers à amorcer cette évolution en 1953 avec le CinémaScope. Le principe est simple, lors du tournage, une lentille anamorphique (l’Hypergonar) est utilisée pour comprimer l’image dans sa largeur afin de faire tenir une image panoramique sur une pellicule standard 35mm. Lors de la projection du film en salle, on utilise un projecteur doté d’une lentille anamorphique au même coefficient d’anamorphose qui effectue l’opération inverse en restituant l’image dans ses proportions réelles. Le système séduit énormément, mais est encore perfectible, notamment à cause de la qualité des lentilles dédiées à l’anamorphose. Les déformations de l’image sont encore trop visibles lors des projections. Cette faiblesse du système va permettre à la concurrence de proposer d’autres solutions pour essayer de se démarquer.

Le standard numérique

   Le Super 35 mm est un format de prise de vues uniquement dont l’intérêt est de gagner en largeur en supprimant l’espace dédié au son sur la pellicule 35mm standard. On utilise alors une surface plus importante sur le négatif pour améliorer la qualité de l’image, surtout pour du Scope en 2.35 sphérique. Le son sera associé à l’image sur le positif 35mm pour la projection. Au moment de standardiser la taille et le ratio des capteurs de cinéma numérique, c’est le 16/9e (soit 1,77 :1) qui a été choisi, avec une dimension sur la largeur identique, donc, au Super 35mm. Les capteurs Super 35 mm ou « S35 » qu’on qualifiera de format standard, sont majoritairement utilisés aujourd’hui. Ce choix de taille permet l’utilisation d’une large gamme d’optiques, dont les plus anciennes, réputées auprès des directeurs de la photographie. Il existe de nombreux formats que l’on peut qualifier de « larges ». Comme nous l’avons vu précédemment, de nombreux systèmes se sont succédés à l’ère de la pellicule avec des formats très variés. En numérique, les constructeurs se sont appuyés sur les connaissances du passé afin de proposer une renaissance plus réfléchie de ces surfaces plus grandes. On retrouve couramment le « full frame » (FF) ou plein format lorsqu’on parle de grand capteur. Il s’agit d’un format de la photographie ayant unetaille de 24x36mm. Il s’est démocratisé dans le monde de la vidéo avec l’arrivée du 5D mark III. Pour la suite de ce mémoire nous allons définir les grands formats par tout format plus grand que le super 35mm.

Un renouveau à travers le numérique

   Depuis quelques années on assiste à un nouvel intérêt pour les grands formats. On peut citer la marque Red avec ses derniers grands capteurs portant la mention « VV » qui est l’abréviation de « VistaVision ». De même chez Arri, constructeur incontournable dans l’industrie cinématographique, qui a passé le cap avec l’Alexa 65. Les grands formats ont eu du mal à s’imposer à l’époque de l’argentique à cause du surcoût important pour la production, mais semblent trouver leur place avec le numérique. On retrouve principalement la Sony Venice, l’Alexa LF / mini LF et la Red Monstro sur les tournages les plus récents. Au-delà du capteur plus grand, ces caméras sont les dernières caméras sorties par leur constructeur. Ainsi, de nombreux opérateurs font le passage assez naturellement d’un tournage en Alexa mini S35 à l’Alexa mini LF par exemple, car elle représente les dernières avancées en terme de technologie. Les constructeurs ont su se démarquer sur leurs modèles aux capteurs plus grands. En effet, après des discussions sur le choix de tourner en large format avec de nombreux directeurs de la photographie on peut observer une tendance. Certaines de ces caméras présentent des caractéristiques parfois assez singulières. À ce propos, Matias Boucard nous explique le choix de la Venice sur son dernier tournage : « J’utilise la Venice car on peut la mettre sur un gimbal, j’ai besoin de résolution, d’être en minimum en 4K à 60 images et la Mini LF ne me permet pas de le faire. […] C’est vraiment un rapport technique, je tourne très peu en Sony Venice d’habitude, mais l’Alexa 65 est énorme, on ne peut pas la mettre sur un gimbal et la Venice propose son module « Rialto » qui permet de déporter le capteur. » Autrement, pour la plupart des caméras qui se démarquent du Super 35 mm disponibles actuellement, on retrouve une taille de capteur assez proche du VistaVision ou du Full frame 24x36mm. Ce qui oriente ensuite le choix d’une de ces caméras reste l’appréciation des professionnels.

Ergonomie de tournage

   Une des raisons qui a contribué à l’échec de l’utilisation des grands formats à l’époque est le poids et l’encombrement du dispositif. Avec le numérique, les constructeurs ont orienté leurs modèles de caméras vers des formes toujours plus petites ou adaptables. On peut citer les modèles « Mini » de chez Arri très utilisés qui prennent une forme de cube que l’on agence à sa convenance en fonction des besoins. C’est Red qui a lancé cette particularité avec leur caméra que l’on peut rapprocher d’une « unité centrale » autour de laquelle il faudra venir greffer un écran, une poignée, etc. C’est dans cette optique que Red a développé son programme « Obsolescence obsolète » qui permet aux utilisateurs de conserver le « corps » caméra et de remplacer uniquement le capteur par exemple pour bénéficier des nouvelles avancées technologiques. On peut donc conserver une compacité de la caméra tout en ayant un capteur plus grand. Dans une logique similaire, Sony a mis en place un nouveau système sur sa caméra Venice pour éviter les contraintes ergonomiques qui pourraient se poser en tournage. Désormais, on peut séparer le corps caméra et le capteur à l’aide du système de déport VENICE (CBK-3610XS) composé d’un câble allant jusqu’à 5,5 mètres. Ainsi, avec le Rialto, de nombreuses possibilités existent. La configuration la plus courante est la « backpack », on place le corps caméra au dos du cadreur et il garde la partie avec l’objectif à la main. Sinon, pour des plans plus difficiles, un machiniste peut prendre en charge le corps caméra pour alléger le cadreur. Avec ce système, la partie avec le capteur conservé par le cadreur est semblable en matière d’ergonomie à un appareil photo équipé et peut ainsi être montée sur des systèmes de stabilisation plus petits. Généralement, l’évolution ergonomique des caméras entraîne également une évolution esthétique. La possibilité de prendre la caméra à l’épaule par exemple grâce aux caméras légères (Éclair Cameflex) a participé à l’émergence de la Nouvelle Vague en France. Le numérique permet d’outrepasser bon nombre des problèmes induits par les tournages en pellicule grands formats. C’est d’ailleurs pour ces raisons ergonomiques que Christopher Nolan n’a pas pu tourner intégralement en IMAX 70 mm pour The Dark knight (2008). Fervent défenseur de la pellicule et amoureux des grands formats, tout comme Quentin Tarantino, le film est d’une qualité visuelle inégale. L’encombrement et le poids très élevés de la technologie IMAX ne convient aux nombreuses scènes d’action présentes dans le film. Les dernières innovations techniques permettent-elles au grand format de devenir le standard à l’avenir ?

Cercle de couverture

   Il est important de rappeler ici que pour utiliser un grand capteur, il faut penser à la problématique des objectifs capables de couvrir ce format. On parle alors du cercle de couverture. En effet, l’image donnée par un objectif est circulaire. Pour une qualité d’image maximale, la lumière en sortie de l’objectif doit recouvrir l’intégralité de la surface photosensible avec un éclairement constant, afin d’éviter le phénomène de vignettage. Le cercle de couverture est donc la zone circulaire dans laquelle on peut réaliser une image avec le moins d’aberrations. Il est possible d’observer de la lumière en dehors de ce cercle, mais la qualité optique ne sera pas forcément au rendez-vous. La surface correspondant véritablement au cercle de couverture est nommée le champ de pleine lumière. Autour de ce champ de pleine lumière se dessine un champ de contour dans lequel s’inscrit un champ dit moyen ainsi qu’un champ total. Plus on s’éloigne du cercle de couverture plus la valeur de l’éclairement diminue, faisant ainsi apparaître un vignettage de plus en plus important. La problématique de la couverture des objectifs pour ces formats plus larges est donc primordiale. Pour répondre à la demande, les constructeurs se sont principalement orientés sur la « mise à niveau » d’anciennes séries d’optiques pour correspondre aux exigences des dernières caméras numériques. Pour les très grands formats tels que l’Alexa 65, Arri a d’ailleurs recarrossé des objectifs photos Hasselblad pour créer la série d’optique Prime DNA. Certains objectifs conçus pour le Super 35 standard peuvent également assurer une bonne couverture du capteur, mais c’est souvent au risque de voir apparaître des aberrations plus importantes sur les bords de l’image.

L’image cinématographique

   La perception que l’on a d’une image est complexe. L’expérience personnelle de chaque individu ou encore les cultures et traditions différentes influencent cette perception. Cependant, d’un point de vue neurobiologique, notre cerveau se divise en deux hémisphères. La partie gauche traite les informations rationnelles qui se rapportent à ce que l’on sait et ce que l’on comprend. Cela se traduit par une image précise, lumineuse, semblable à la vision que l’on a au quotidien du monde. Représentation simplifiée du traitement d’une image par le cerveau 54 Au contraire, la partie droite traite l’abstraction, à l’opposé d’une image réaliste, elle sera stimulée par une image qui s’éloigne de notre perception quotidienne. Ainsi, le journal sera traité par la moitié gauche du cerveau, tandis qu’un film de cinéma alimente l’hémisphère droit. Dans cette partie du cerveau on accepte « la suspension consentie d’incrédulité ». Il s’agit d’une théorie fondée par Samuel T. Coleridge en 1817 qui signifie que le spectateur accepte de suivre une histoire tout en sachant que ce qu’il regarde est une fiction, et que ce n’est pas réel. Ainsi, dans l’inconscient collectif l’image cinématographique s’apparente à tout un ensemble basé sur des techniques passées qui ont fait la renommée de ce médium au XXème siècle. Visuellement, on peut citer des éléments tels que le grain, les flares, le bokeh, la douceur ou « dureté » de l’image par l’utilisation de filtres diffuseurs (ou de collant), etc. L’image numérique est quant à elle critiquée pour son rendu trop « clinique », son manque « organique ». Avec des capteurs plus grands, le risque d’obtenir ce rendu « trop » réaliste est encore plus important. À ce propos, Nikolaus Summerer, directeur de la photographie allemand sur la série Dark nous donne sa vision sur les dernières évolutions : « En tant que cinéaste pour la fiction, nous ne voulons pas nécessairement raconter la réalité, nous voulons raconter des histoires, des contes, quelque chose de différent. Donc, si vous voulez tourner un documentaire, c’est très bien, mais si vous voulez créer une ambiance particulière, lorsque vous vous asseyez au cinéma, alors je ne pense pas que vous ayez besoin d’avoir l’impression de vous tenir dans un bar à côté de Johnny Depp ou de n’importe quel autre acteur.» L’image cinématographique recherche « l’incarnation ». L’incarnation c’est le rendu « chair » recherché par les étalonneurs, c’est une texture organique sur les visages et les carnations. Dans son mémoire La peau en cinéma numérique, Raphaël Vandenbussche définit le concept « d’incarnat ». Pour les opérateurs, il s’agit d’un fantasme qui permet de donner vie à la peau ; la peau représente le paysage du corps humain, elle est le reflet de nos émotions lorsqu’elle rougit, de nos expériences lorsqu’elle est marquée de cicatrices. C’est précisément pour cela qu’augmenter la taille de la surface photosensible est à double tranchant selon le chef opérateur Yves Angelo : « Le problème du grand capteur c’est que l’image est souvent magnifique. C’est-à-dire que c’est tellement défini qu’on a envie de réduire cette qualité. C’est le problème du numérique en général mais exacerbé encore par la surface d’impression qui permet des définitions de plus en plus grandes. La peau devient difficile à filmer car tous les défauts se voient. Cela nous pousse à éclairer différemment, à diffuser et à utiliser des vieilles optiques qui sont moins performantes optiquement, moins définies, de façon à casser cette ascension qui ne semble pas avoir de limite vers une image de plus en plus parfaite, ce côté papier glacé. »

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Table des matières

Introduction
PREMIÈRE PARTIE : QU’EST-CE QU’UN GRAND CAPTEUR ?
1- Historique des formats
a. Le premier standard
b. Bigger is better
2- De l’argentique au numérique
a. Le standard numérique
b. Le capteur numérique
DEUXIÈME PARTIE : LES CHANGEMENTS INDUITS PAR UN TOURNAGE EN GRAND CAPTEUR
1- Les surfaces sensibles aujourd’hui et les caméras contemporaines
a. Un renouveau à travers le numérique
b. Alexa 65 et nostalgie de l’argentique
c. Ergonomie de tournage
d. Mouvements de caméra
2- Un changement de taille : tests comparatifs
a. Crop factor
b. Profondeur de champ
c. Perspectives et gestion de l’espace
d. Cercle de couverture
e. Sensibilité et dynamique
f. Workflow et post-production
TROISIÈME PARTIE : LE GRAND CAPTEUR, LE NOUVEAU STANDARD ?
1- La perception de l’image
a. L’image cinématographique
b. Une « esthétique moderne »
2- Les objectifs : anamorphique / sphérique
a. Les objectifs en grands capteurs
b. Les objectifs anamorphiques
c. Un retour aux sources
d. Quid des constructeurs ?
3- Projections, texture de l’image
a. Les productions Netflix
b. Projections et salles de cinéma
CONCLUSION
ANNEXES
Bibliographie
Netographie
Filmographie
Liste de contacts
Résumé
Abstract

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