Les trente six échafaudages : une ballade à Paris le 6 février 2017

L’instinct de série

Comme je l’ai déjà évoqué dans l’introduction je m’intéresse à toutes les petites choses qui font la ville et l’échafaudage prend place pour moi dans l’ensemble de ces éléments : plaques d’égout, trous dans le trottoir, barrières, grilles d’arbres, grues, poubelles… — on en trouvera un exemple sur les sols dans l’annexe 1 — cahier 10 — p. 259. Je mène donc depuis de nombreuses années un inventaire photographique de toutes ces apparitions urbaines souvent banales, parfois surprenantes.
Précisons tout de suite que je n’ai pas de prétentions dans ce domaine, j’utilise simplement un appareil numérique compact de bonne qualité pour sa capacité à enregistrer le réel, comme une prise de note photographique. Mes images n’ont donc pas de qualités photographiques particulières. D’autant plus qu’en ce qui concerne les échafaudages, la prise de vue se révèle souvent complexe et pose divers problèmes : des problèmes de cadrage parce qu’on a généralement pas assez de recul — ce qui oblige à se demander ce qu’on souhaite enregistrer comme image — et des problèmes de lumière, insuffisante dès que le temps est un peu gris, créant des contre-jours ou des surexpositions quand le soleil apparaît. J’ai décidé de faire avec parce que mon idée est de photographier chaque échafaudage que je croise sur ma route. Pour cela j’utilise donc les conditions de lumière qui me sont données et un appareil qui tient dans ma poche.
On l’aura compris, le principe fondamental de cette collecte est celui de la série. C’est une forme de collection et comme dans une collection je classe ensuite ces images en utilisant différents critères d’espace, de temps ou de forme. Mais dans tous les cas c’est la notion de série qui organise le travail. Ces éléments isolés et ordinaires deviennent littéralement extra-ordinaires quand on les envisage dans leur répétition. On peut alors les collectionner, c’est à dire les réunir et les rassembler, en établir le catalogue, la liste classée, ou l’inventaire, le dénombrement ordonné, pour établir une série, un enchaînement d’éléments.

Un classement temporel

Rassembler des images selon un critère temporel est le classement le plus simple à réaliser. Il suffit de choisir un intervalle de temps pendant lequel je décide de consigner tous les échafaudages que je rencontre sans forcément les chercher. Une ballade de trois heures effectuée à Paris le 6 février 2017 m’a ainsi permis de récolter trente six échafaudages au hasard d’un trajet qui menait de la Gare du Nord à la rue Barrault dans le treizième arrondissement — voir la récolte en annexe 1 — cahier 10 — pp. 263. Cela donne une moyenne d’un échafaudage croisé toute les cinq minutes. Si l’on sait que ce trajet peut être fait en une heure et demi — je marchais lentement — j’aurais pu croiser un échafaudage toutes les deux ou trois minutes. Il faut prendre en compte aussi le fait que Paris est une grande ville plus susceptible d’offrir des travaux de rénovation même si Londres la supplante largement sur ce terrain. En systématisant cette expérience, on pourrait définir ce qu’on pourrait appeler un « coefficient d’échafaudage » selon les lieux. C’est une idée à poursuivre. Quoiqu’il en soit, cette expérience met tout de suite en évidence un fait très simple : les échafaudages sont omniprésents en ville, il suffit de leur prêter attention.
Ce classement temporel peut également prendre une dimension géographique si l’on décide de faire une carte qui montre les emplacements de ces échafaudages à un instant T.
Une autre expérience temporelle que j’ai menée consiste à photographier régulièrement le même échafaudage tout au long de son existence. L’idéal est de pouvoir assister à son montage et à son démontage ce qui n’est pas forcement facile, l’échafaudage surgissant toujours de manière inattendue. On pourrait cependant interroger les services de la Ville pour obtenir les dates prévues pour les installations d’échafaudage. Cette technique permet d’obtenir des séries d’images de la durée de vie des échafaudages. Cette durée peut parfois être très longue et parfois tellement courte qu’on n’a même pas le temps de faire deux photos. Ce qui est plus facile à faire en revanche, c’est de retourner sur les lieux après le démontage pour photographier le résultat des travaux à la condition toutefois de le retrouver. Le résultat des rénovations est parfois tellement assez discret. Quand l’immeuble n’est plus mis en avant derrière son échafaudage, si j’ose dire, il  se fond souvent dans l’alignement urbain.

Un classement géographique

Le critère de classement géographique consiste à rassemble toutes les images qui correspondent à une entité spatiale, une ville par
exemple. Il peut être croisé avec un critère temporel si c’est une ville visitée une seule fois mais il peut aussi s’étaler sur des années s’il s’agit d’un endroit familier. En privilégiant un cadrage resserré, on obtient ainsi une image inhabituelle de la ville parce que les échafaudages en masquant plus ou moins partiellement les façades gomment leurs traits d’architecture distinctifs. Il devient ainsi difficile de différencier
une ville d’une autre si l’on reste dans la même aire géographique parce que les échafaudages sont des types de structures très homogènes à l’échelle d’un pays et même d’un continent.

Un classement typologique

Enfin on peut opérer un tri par typologie avec toutes sortes d’entrées différentes : présence ou absence de bâche, imprimée ou pas, goulottes, tubes colorés, structure nue… Les possibilités d’associations formelles et colorées sont nombreuses. On en trouvera quelques exemples en annexe 1 — cahier 10 — p. 269. On peut également ajouter un critère fondé sur le type de cadrage. L’image peut être une vue d’ensemble frontale ou de côté ou se concentrer seulement sur l’effet de couloir pour le passant depuis le trottoir.

Mon musée imaginaire de l’échafaudage

Collecter des images est une activité amusante et le classement donne des résultats parfois surprenants. Cette façon d’inventorier les choses en les considérant comme une collection m’a amené à envisager leur regroupement comme celui qui pourrait être fait dans un musée. Ce musée aurait des collections de différentes natures, historiques, géographiques, techniques…. Ces collections pourraient être mises en relation selon les besoins. Il proposerait aussi un département de plein-air qui serait la ville entière dans laquelle on peut voir la plus grande collection d’échafaudages qui soit. Ce musée jouerait donc un rôle d’opérateur pour ouvrir le regard vers les événements de la ville.
Qui dit musée dit objets dérivés dont j’ai entamé la réalisation en suivant le principe de ceux qu’on trouve dans toutes les boutiques de musée. Les miens ne déclinent pas l’image de Mona Lisa mais des images d’échafaudages. Pour l’instant, j’ai réalisé des badges, des Flip book et un jeu de Memory — voir annexe 1 — cahier 10 — p. 281. J’ai également en projet un jeu des goulottes et des échelles inspiré par le jeu des serpents et des échelles, des panneaux détournés, des magnets et des cartes postales. Tous ces projets participent d’une même idée qui consiste à mettre en évidence le décalage qui se crée entre des objets qui sont habituellement le support d’images universellement appréciées et une image pas toujours très valorisée qu’on n’a pas l’habitude de voir sur ce type de support. Ce système d’objets fonctionne lui aussi sur le principe de la série.

Organiser l’accumulation

Dans un premier temps, l’accumulation a été plus rapide que la construction qui permettait de l’organiser. Cette accumulation a donc rapidement posé problème en devenant très complexe à organiser. Le principe mis en place, celui de la série, nécessite de pouvoir envisager la globalité des éléments. Concrètement, j’ai procédé avec des fiches dans une organisation visuelle du corpus. La limite a donc été atteinte au moment où, matériellement, je n’arrivais plus à étaler mes fiches pour pouvoir les voir toutes en même temps, c’est-à-dire le moment où je perdais la série. Je me suis donc trouvé devant un problème dont voici les termes :
D’une part ce corpus n’était bien évidemment pas exhaustif parce qu’il n’est pas possible de trouver toutes les œuvres qui existent ou qui ont existé et certainement pas en quelques mois.

Les architectes et l’échafaudage

« Superbes les échafaudages… On dirait du Kenzo Kuma ! »

Ainsi parle un architecte anonyme en commentant cette photo du chantier de la gare de Strasbourg en avril 2007 (fig. 3-1 et 3-2). Voilà une remarque emblématique de la fascination que l’échafaudage exerce sur bon nombre d’architectes. Ils sont à peu près les seuls à s’exclamer de plaisir quand je leur parle de ce sujet de recherche, les autres restant au mieux poliment perplexes.
L’échafaudage commence à séduire les architectes dès leurs années de formation — et peut-être même avant. J’ai même trouvé deux mémoires de diplôme qui lui sont entièrement consacrés dans les archives des écoles d’architectures. Je n’ai pas mené le travail de recherche qui consisterait à ausculter plus systématiquement les productions des étudiants mais on peut formuler l’hypothèse que l’échafaudage apparaît probablement très souvent dans les travaux réalisés dans les écoles comme, par exemple, la proposition de Quentin Plé , dans le cadre d’un atelier de master encadré par Éric Monin à l’École d’Architecture et de Paysage de Lille en 2013 sur le thème du chantier. Il a imaginé une structure en échafaudage qui agrandirait le bar-tabac local en le dotant d’une terrasse pendant la durée du chantier. Là où, souvent, le chantier restreint l’accès et complique la vie quotidienne des habitants, l’échafaudage est ainsi utilisé pour offrir une possibilité supplémentaire aux usagers de ce lieu.
Il retournait ainsi à leur avantage une situation perçue au départ comme une nuisance. Dans leur mémoire de fin d’étude à Nantes, Boris Nauleau et Camille Vassor proposent d’agrandir les logements en construisant des échafaudages au dessus des rues, une idée qui relève de la même logique. Ces propositions sont très utopiques parce qu’elles ne semblent pas considérer les problèmes que cela peut soulever notamment en terme de lumière mais elles sont intéressantes dans cette façon qu’elles ont de s’approprier un élément habituellement classé dans les nuisances pour le transformer en atout supplémentaire.
L’architecte Carlotta Daró dans l’article qu’elle a publié dans les Cahiers du MNAM a retracé brièvement l’histoire de l’échafaudage autour de son principe de base : « un minimum de matériel pour le maximum d’extension de surface de travail ». Elle montre comment, à la suite de Viollet-Le-Duc (1814-1879) qui « renverse [sa] position d’instrument subordonné à la construction en le considérant comme un modèle de qualification de l’ouvrage architectural » , l’échafaudage change de statut en changeant de nature à partir de 1914 quand de bois il devient métallique. Il est ainsi plus léger et moins coûteux et commence à intéresser les architectes en tant que structure. « [D]’éphémère, l’échafaudage devient durable en se changeant en architecture » . Elle n’en parle pas mais, en réalité, il avait déjà commencé sa mue à la fin du XIXème avec la Tour Eiffel. Ce bâtiment sans enveloppe ressemble fort à un immense échafaudage. C’est très apparent dans les photos prises sur le chantier par Louis-Émile Durandelle (fig 3-3). Les échafaudages y sont difficiles à distinguer de la tour elle-même. Plus tard c’est la version de la structure extérieure qui forme une peau à la fois épaisse et transparente qui prendra le dessus avec l’exemple emblématique du Centre Pompidou qui semble perpétuellement entouré d’un immense échafaudage (fig 3-4).
Aujourd’hui les bâtiments qui suivent cette inspiration sont très nombreux. Carlotta Daró, elle, analyse la poursuite de la transformation de l’échafaudage grâce à « de nombreux architectes visionnaires à la recherche de solutions urbaines en phase avec les nouveaux acquis technologiques contemporains » qui cherchent à « conserver à leur projets la plus grande simplicité conceptuelle » jusqu’à devenir l’application concrète des « structures tubulaires hyperstatiques » (ou « treillis ») produites aujourd’hui via un logiciel informatique. La structure de l’échafaudage devient donc une forme d’assemblage pour l’architecture. Paradoxalement, c’est au moment où il se fond dans l’architecture que l’échafaudage, remplacé par la grue, quitte partiellement les  chantiers. Quand on traque les échafaudages, on se rend compte assez vite qu’ils sont rares sur les chantiers. On les trouve abondamment dans les rues en revanche et autour des monuments historiques c’est à dire pour la rénovation plutôt que pour la construction.

Une construction simple et lisible

L’échafaudage est en premier lieu la possibilité d’une construction simple et immédiatement compréhensible pour l’œil : on voit tout de suite comment ça marche. C’est dans cet esprit qu’a été conçu l’atelier structure à l’échelle 1 de l’École d’Architecture de Marne-la-Vallée dont « l’objectif est d’aborder la notion d’économie de moyens » en construisant la plus grande structure possible avec le moins de matière possible (fig 3-5). On pourrait parler ici de plus petit dénominateur commun des forces structurelles qui s’exercent dans une construction.
Cette lisibilité de la structure le place dans la position de squelette de la construction, il représente un bâtiment mis à nu, déshabillé comme on l’a évoqué à propos de la Tour Eiffel. C’est vrai aussi sous une autre forme pour le Centre Pompidou. Toutes les circulations sont apparentes, on voit les paliers, la ventilation, les ascenseurs ; comme l’écrivait Jean d’Ormesson en 1977, c’est « une espèce d’écorché […] avec ses tripes à l’air ». L’échafaudage esquisse les grandes lignes d’une future construction qui ne serait pas encore habillée.

La séduction du voile

La métaphore du vêtement est renforcée par le jeu des bâches qui l’habillent et le déshabillent selon les activités qu’il abrite. Quand il est derrière les bâches, on ne le voit plus, sa séduction se retourne pour devenir celle de ce qui est caché par des voile, de ce qui ne se livre pas.
Les bâtiments emballés par Christo fonctionnent sur ce ressort. En les voilant d’immenses bâches qui donnent le sentiment qu’ils sont en travaux, il aiguise la curiosité au point qu’on ne peut plus regarder autre chose parce qu’on s’interroge soudain sur l’apparence qu’ils avaient avant d’être emballés (fig 3-6). On se rend soudain compte qu’on n’arrive plus à se représenter ce bâtiment que l’on croyait connaître comme dans un jeu de Memory où l’on est pourtant sûr que la carte que l’on cherche est là et, en fait non, elle est ailleurs. La mémoire nous joue des tours. David Bourdon emploi à ce sujet l’expression « révélation par dissimulation » pour désigner la façon dont notre attention se concentre sur ce qui nous est caché. La bâche peut cependant devenir elle-même support de fascination qui fait oublier ce qu’il y a derrière. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre le travail de la photographe Deidi Von Schaewen qui a consacré un livre entier aux échafaudages . Ses photos (fig 3-7) mettent l’accent sur la bâche sous toutes ses formes, de la toile à la tôle ondulée en passant par le bambou et le tissage de palmes. Même quand elle photographie des échafaudages sans bâche, l’enchevêtrement des tubes fabrique une dentelle arachnéenne qui s’apparente plus au tissu qu’à une structure rigide (fig 3-8). Ses images célèbrent la matière, l’épaisseur et les jeux de couleurs dans une vision très organique de l’échafaudage.

Géométrie

À l’opposé de cette vision organique, l’échafaudage peut être vu comme un croquis qui esquisserait les grandes lignes d’une future construction. Ce croquis dans l’espace pourrait être vu comme une matérialisation des principes de géométrie descriptive enseignés dans les écoles d’architecture. La géométrie descriptive est un outil conceptuel qui permet d’apprendre à voir la volumétrie des bâtiments représentés en deux dimensions. Elle nécessite d’effectuer sans cesse un transfert entre la géométrie dans l’espace et la géométrie plane. Ce transfert est un des fondements du travail de l’architecte et on l’observe directement dans l’espace dans le montage d’un échafaudage. C’est comme si on voyait s’opérer matériellement le passage de l’imaginaire au dessin du projet. Cette fusion entre échafaudage et géométrie apparaît lisiblement dans un dessin du dessinateur américain David Macaulay dans lequel les lignes de l’échafaudage et les lignes de fuites de la perspective se confondent (fig 3-10). C’est aussi ce qui a manifestement inspiré le dessin de ce pin’s au couleurs de la société de montage d’échafaudage Entrepose, sous sa forme plane cependant (fig 3-9).
En matière de lignes, les trames informatiques évoquées par Carlotta Daró ne sont pas une innovation formelle, la ligne qui se déplie et qui s’articule dans l’espace est une idée beaucoup plus ancienne et omniprésente comme l’a montré l’anthropologue Tim Ingold dans son ouvrage, Une brève histoire des lignes . Elle est aussi au cœur du travail de l’artiste américain Ben Butler qui construit des structures géométriques en peuplier qui envahissent l’espace. « Je suis fasciné par les phénomènes complexes qui émergent de processus très simples » dit-il. C’est le principe de l’échafaudage qui travaille toujours à partir des mêmes modules très simples, des tubes et des planchers dont le montage s’apparente à ces jeux de construction de type Meccano qui ont occupé bon nombre d’architectes dans leur enfance, et même plus tard. Le travail du photographe Stéphane Couturier utilise lui aussi les possibilités qu’offre la géométrie de l’échafaudage de structurer l’espace par des lignes orthogonale souvent colorées. Certaines de ses photos ressemblent à des tableaux abstraits. Matthieu Poirier s’est ainsi amusé à illustrer cette comparaison en mettant le tableau de Piet Mondrian New York City I en regard avec une photo de Stéphane Couturier, Grand palais, Paris IIIe , prise en 2003 (fig 3-11).
On peut aussi utiliser l’échafaudage pour d’autres propriétés géométriques que la stricte orthogonalité. Dès 1928, Buster Keaton dans le film The Cameraman donnait un autre exemple d’utilisation géométrique de l’échafaudage dans un de ces détournements d’objets chers aux slapstick américains. Armé d’une caméra, il monte sur un échafaudage pour filmer une émeute de rue. Les combattants ayant percuté les pieds de l’échafaudage, celui-ci se déforme, la structure orthogonale se transforme en parallélogramme dans un effet de pliage qui se déploie en un long travelling pendant que Buster Keaton continue de filmer (fig 3-12). Si cette situation est peu vraisemblable dans la réalité parce les échafaudages sont en principe bien contreventés, ils le sont justement pour éviter cette situation. L’échafaudage qui s’effondre n’est pas un entassement de matériaux qui se cassent pour devenir un tas informe mais simplement le démontage, en l’occurrence le pliage, de ce qui a été monté ou déplié précédemment.
Ce n’est pas un hasard si Buster Keaton met en œuvre ce système de pliage géométrique. L’utilisation des propriétés géométriques est récurrente dans ses films. L’exemple le plus célèbre est celui du courtmétrage One Week dans lequel le montage d’une maison en kit devient prétexte à de nombreuses opérations géométriques comme des rotations ou des rabattements de plans (fig 3-13). On ne sera donc pas surpris que les capacités géométriques de l’échafaudage ne lui aient pas échappé.

L’anti-monument

Ces principes de montage, démontage amène naturellement à la dimension temporaire de l’échafaudage. Parler de temporaire pourrait nous éloigner de l’architecture dont ce n’est pas la vocation a priori. Ainsi Martine Bouchier dans son analyse des relations entre art et architecture peut écrire que c’est parce qu’elle symbolise « longévité, permanence [et] immutabilité, [que] l’architecture renvoie les arts à l’instabilité. Le renouvellement incessant des formes en art fait de l’architecture un plan de référence, un repère fixe, un cadre trop figé en comparaison desquels par différence, l’art se définit. Se renouvelant sans cesse, l’art est en devenir et son public, de fait, toujours à reconquérir ». Ses propos se placent du point de vue de l’art qui chercherait à se positionner par rapport à l’architecture. Celle-ci est présentée positivement comme stable tandis que l’art est présenté négativement comme instable. L’architecture fait ici figure d’idéal que l’art n’atteindra jamais. Mais, en remplaçant art par échafaudage, on pourrait aussi retourner la question et postuler que du point de vue de l’architecture, l’échafaudage est ce qui apporte une légèreté, une souplesse qui lui fait de plus en plus défaut et à laquelle elle aspire. Gilles Tiberghien donne sa vision du monument figé sous la forme suivante en s’appuyant sur les idées de Tim Ingold.

La cabane

C’est aussi la réaction contre la lourdeur que peut représenter l’architecture qui motive très certainement l’engouement pour les très petites maisons, un engouement formalisé dans le Tiny House Movement ou mouvement des micromaisons qui rassemble les adeptes d’un habitat le plus petit possible généralement au milieu de la nature. En fait, c’est même forcement au milieu de la nature parce qu’une micromaison en ville devient très vite un studio ou une chambre de bonne et suscite beaucoup moins de fantasmes. Donc, une micromaison au milieu de la nature, c’est ce qu’on a l’habitude d’appeler une cabane, disons une cabane améliorée. D’ailleurs les propos de Gilles Tiberghien rapportés plus haut sont extraits d’un ouvrage qui s’intitule Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses.
L’échafaudage évoque l’univers de la cabane dans laquelle on grimpe, d’ailleurs on y trouve parfois des baraques de chantier perchées en hauteur (fig 3-14). Et les architectes qui ont joué enfants avec des jeux de construction ont certainement aussi construit quantité de cabanes, dans les arbres ou pas, quand l’occasion s’en présentait. Dans l’atelier structure de Marne-la-Vallée, la structure construite doit pouvoir être présentée portée par un étudiant lors d’un défilé pour démontrer sa légèreté et sa stabilité. Comme une version moderne de l’escargot qui porte sa maison sur son dos, un fantasme d’avoir une vie suffisamment simple et légère pour l’emporter entièrement avec soi.
C’est de cette manière que l’on peut comprendre les premières expériences menées par le collectif Exyzt créé en 2003 par cinq étudiants en architecture tout juste diplômés. Pour leur travail de fin d’étude, ils ont présenté une architecture construite en échafaudage que l’on peut déplacer au gré des possibilités d’occupation des terrains en friche dans les villes (fig 3-15). Un projet d’habitat qu’ils ont réellement réalisé et dans lequel ils ont vécu mettant ainsi à l’épreuve le fantasme. Après l’avoir expérimenté eux-mêmes, ils l’ont organisé à plus grande échelle l’année suivante à La condition Publique à Roubaix pour héberger les quatre cent cinquante étudiants venus participer au rassemblement annuel de l’assemblée européenne des étudiants en architecture avant d’atteindre la consécration en recréant le dispositif pour la dixième biennale d’architecture de Venise en 2006 (fig 3-16 et 3-17). L’expérience roubaisienne a séduit la romancière Joy Sorman qui en fait un récit tendrement fasciné, mais pas dupe pour autant, quand elle écrit, remarquant que l’expérience s’est bien passée, « [ça] n’a pas pété parce que ça n’a pas duré […] ».
Constatant ainsi que l’utopie fonctionne tant qu’elle est temporaire, et de préférence en été, elle y voit le rêve de ceux qui « [veulent] encore habiter perchés dans des cabanes, des cabanes en aluminium galvanisé avec garde-corps et planchers préfabriqués. Des cabanes évidées sans confort, sans intimité, sans rien, des perchoirs à pattes crochues, barres de fer emboîtées sur lesquelles s’arrimer, et le vent qui traverse, la pluie, comme au sommet d’un mat de caravelle ».

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Table des matières
Cahier 1 — Introduction
Définitions
De l’ordinaire invisible à l’intérêt pour les échafaudages
Un enthousiasme peu partagé
Un état de l’art à deux vitesses : l’échafaudage
Un état de l’art à deux vitesses : le chantier
Pistes de réflexion
Cahier 2 —Dans la forêt de l’échafaudage
l’échafaudage comme méthode
L’instinct de série
Classement temporel
Classement géographique
Classement typologique
Mon musée imaginaire de l’échafaudage
La série méthodique, constitution du corpus
Organiser l’accumulation
Cahier 3 — Fascination et appropriation
Les architectes et l’échafaudage
Une construction simple et lisible
La séduction du voile
Géométrie
L’anti-monument
La cabane
Cahier 4 — L’échafaudage en chantier
Le tas de terre
Temporaire et éphémère
Permanence et inachèvement
Work in progress
La mise en scène du travail
Cahier 5 — Porter, soutenir, déplier
Porter les hommes
Derrière l’écran
Soutenir le mur
L’accessoire du quotidien
Occuper l’espace
Voir grand, voir lourd
Plier , déplier
Empiler et superposer
Cahier 6 — La mise en scène dans l’épaisseur
Intérieur ou extérieur ?
Camper
Limite épaisse
Àtravers la fenêtre
Mettre en scène le regard
Le voyeur et le rideau
Le voile devient écran
Dans les coulisses
Le spectateur devient acteur
Voir les choses d’en haut
Cahier 7 — Monter . . . et redescendre
Une aspiration fondamentale
Mont(r)er la ville
Escaliers
Engager son corps
Pélerinage
Échelle transcendance
Redescendre
L’accident et l’imprévu
Cahier 8 — À suivre . . . Conclusion
Le Kung-fu de l’échafaudage
Corps et géométrie
Principe de vie : le « moviment »
Minimum et maximum
Équilibre
À suivre
Cahier 9
Notice bibliographique
Table des illustrations
Cahier 10 — Annexe 1 : l’ivresse de la série
Un exemple de série photographique : les sols
Les trente six échafaudages : une ballade à Paris le 6 février 2017
Classements typologiques
Scaffolding Memory Game
Cahier 11 — Annexe 2 : Organiser l’accumulation: corpus principal

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