Intimité filmée, le corps féminin face à la caméra

Personnage féminin et clichés : étude du « droit au corps »

   La construction d’un personnage féminin ne se déroule vraisemblablement pas de la même manière que celle de son homologue masculin, car elle doit passer l’épreuve du corps bien plus durement que celui-ci. En effet, le corps féminin est un objet de désir plus souvent dévoilé que celui de l’homme. Dans l’émission Stupéfiant, « Désir de femmes », la photographe de nu Sonia Sieff soulignait la double injustice de cette idée : d’une part, le personnage féminin est plus scruté et attendu, davantage perçu comme un objet. Le sexe féminin, par exemple, serait en effet une forme montrable, habituelle et exposable. D’autre part, le sexe masculin est pornographique, outrancier et choquant, cette dernière idée interdisant donc au personnage masculin de se dévoiler à l’instar du personnage féminin qui, lui, aurait presque une obligation artistique de se montrer. Il y a donc une idée de variation entre la « mise en chair » du personnage féminin et celle du personnage masculin. Par le terme de « mise en chair », j’entends le passage du format papier (le personnage est écrit et présent sur le scénario, mais n’a pas de dimension) à la chair : le personnage a trouvé l’acteur qui l’incarnera et possède désormais un corps, un physique et plus globalement, quelque chose à filmer. Pourtant,si tous les personnages féminins atteingnent éventuellement cette mise en chair, leur « droit au corps » n’est pas similaire. Selon les stéréotypes sur lesquels sont basés les personnages féminins, leur droit au corps est nié de deux façons :
– Soit la femme se voit ôter tout droits à une sensualité (voire même à évoquer la dite sensualité). Elle est alors simplement écrite de manière à ne jamais s’intéresser ou se désintéresser des plaisirs de la chair, cette dimension ne l’effleure pas.
– Soit son droit au corps est bafoué, car on s’empare de sesformes par intérêt esthétique plutôt que scénaristique. Le film ne lui permet pas d’habiter son corps, car il est objet de beauté plutôt que vaisseau de chair et de sang.
Les personnages féminins sont donc souvent rattachés à des carcans de rôles prédéfinis par une vision dite « classique » de la place de la femme dans la société. Là où les personnages masculins se retrouvent avec un rôle décisionnel, où ils ont des responsabilités professionnelles et où leur force et leur courage reste la mesure de leur valeur ; leurs homologues se retrouvent accolées à des thèmes « féminins » et leur réussite ne dépend pas des mêmes tenants et aboutissants. De nouvelles pistes de réflexion sur l’égalité des genres offrent pourtant d’autres possibilités sur ce que pourrait être la femme au cinéma. Bien qu’il soit évident que des questions de procréation, d’amour et de famille aient un intérêt, elles prennent place dans une majorité écrasante de films dont le personnage principal est une femme. Les aspirations féminines tournent alors autour de l’amour et la famille, des notions qui sont malmenées par des conflits scénaristiques variés (notamment par tout ce qui concerne d’autres ambitions que la femme pourrait avoir).

La corporalité interdite : étude de la figure maternelle

   Ce concept de « corporalité interdite » vient d’un type de personnages dont la dimension corporelle n’est jamais représentée. Ces personnages n’ont pas d’envies physiques romantiques ou n’en exprime que peu et on ne les voit quasiment jamais dans des situations d’intimité. C’est souvent le cas des figures maternelles auxquelles on aurait ôté les désirs physiques pour les remplacer par d’autres préoccupations. Par exemple, dans les films de comédie où des thèmes de désir et d’intimité sont abordés, les personnages de mères ne sont quasiment jamais développés avec une dimension sensuelle ou érotique. Il arrive parfois qu’un autre personnage projette sur la mère son propre désir (quelques fois à dessein humoristique) mais il est très rare que ce désir soit réciproque ou que le personnage désiré s’en rende seulement compte tant ses propres préoccupations en sont éloignées. Les personnages féminins ont certes toujours des actrices pour les incarner mais leur chair en elle-même n’est pas travaillée. Ils sont lissés, à la manière de personnages de roman bidimensionnel. On leur offre un corps, mais scénaristiquement il ne leur est pas donné d’en faire un réel usage alors même que d’autres personnages au sein du même film peuvent s’interroger sur des problématiques physiques, sensuelles voire érotiques. Pourquoi créer des personnages sans leur donner corps ? De la même manière que les emplois de théâtre subsistent à travers le temps et sont parfois perçus dans le théâtre moderne comme une manière dépassée de « coincer » les comédiens dans des rôles analogues, les personnages types (pour ne pas dire stéréotypes) possèdent eux aussi une forme de norme que le cinéma brise rarement.
Incarnation de l’amour familial, la figure maternelle est, le plus souvent, construite en fonction de ces normes. Deux principales formes de construction de la mère existent. Dans la première, elle vit généralement pour le bien de ses enfants, et parfois pour celui de son mari. Il est rare que l’on représente son désir charnel ou une dimension sensuelle chez elle. En un sens, l’acte de donner la vie lui a ôté son érotisme, elle apparaît comblée par sa progéniture et l’acte sexuel ou romantique ne l’intéresse plus. Si ses enfants sont adultes ou s’approchent de l’âge adulte, elle vit à travers eux leurs potentielles romances. Il n’est pas rare que le personnage de mère se montre intrusif et se mêle de la vie privée de ceux qui l’entourent. Il lui arrive fréquemment de questionner les choix amoureux ou les relations des autres, quand bien même elle ne cultiverait pas ces aspects dans sa vie personnelle. D’une certaine manière, il apparaît que la figure maternelle peut devenir dépendante de ses enfants et tenter de vivre à travers eux. C’est le cas du rôle de Frédérique Tirmont dans Jamais le premier soir (réalisé par Mélissa Drigeard en 2014). Mère du personnage principal, elle est uniquement présente dans les moments de faiblesse de sa fille. Au cours de ceux-ci, elle lui prodigue des conseils sans jamais évoquer sa propre vie intime. Elle profite également de ces moments pour se plaindre de son ex-mari, exprimant par ailleurs son besoin viscéral de le faire lorsqu’elle demande à Julie (sa fille, jouée par Alexandra Lamy) si elle sera de nouveau autorisée à s’en plaindre lors de leur prochaine rencontre. Les mères encouragent fréquemment leurs enfants adultes à trouver l’amour le plus rapidement possible, semblant vivre par procuration l’épanouissement de leur progéniture. Le couple parental est rarement épanoui sensuellement, dans Au bout du conte (réalisé par Agnès Jaoui en 2013), Marianne (Agnès Jaoui) s’est récemment séparée de son mari auquel elle fait appel pour résoudre les problèmes techniques dans sa maison (réparation de la chaudière, fonctionnement de l’ordinateur…), mais avec lequel elle semble n’avoir aucun lien autre que des préoccupations pour leur fille. Bien qu’elle parle de sexualité et de problèmes de couple avec sa nièce, ses propres préoccupations à ce sujet ne sont jamais explorées (bien qu’elles soient superficiellement évoquées).

La « corporalité imposée » : étude d’une érotisation du personnage féminin

   Paradoxalement à la figure maternelle, le corps des personnages féminins peut parfois apparaître sans qu’aucun développement narratif ne paraisse le demander. Au lieu d’être caché, et même oublié des scénaristes, il se retrouve exposé à la caméra, bloquant parfois l’accès à une lecture des émotions et sensations du personnage. Il s’agit là de ce que nous appellerons la « corporalité imposée », à savoir la manière dont un personnage se retrouve « affublé » d’un corps, non pas pour son propre développement, mais pour la distraction du spectateur. Les personnages concernés sont généralement incarnés par des actrices choisies pour leur plastique ou leur popularité auprès du public. On ne parle plus ici de « droit à l’intimité » mais d’obligation, dans une idée proche de la définition initiale du male gaze donnée par Laura Mulvey à savoir : le personnage féminin est un « spectacle » qu’observe le spectateur (homme, toujours). Idéalement, tout personnage pourrait être développé comme suit : « Les personnages se constituent geste à geste et mot à mot, à mesure que le film avance, ils se fabriquent eux-mêmes, le tournage agissant sur eux comme un révélateur, chaque progrès du film leur permettant un nouveau développement de leur comportement, leur durée propre coïncidant très exactement avec celle du film» Dans une idée de continuité linéaire de la narration, une horizontalité parfaite de la temporalité qui permettrait au personnage de se développer au fur et à mesure que l’histoire s’étend dans le temps et lui donnerait des occasions de démontrer qui il est, au fond. Cependant, dans une volonté fréquente de « faire du beau » (idée rappelant l’éternel débat entre le fond et la forme), on découvre fréquemment des situations où l’histoire se retrouve coupée au profit d’un moment esthétique ou érotique (parfois les deux). La continuité du film semble parfois interrompue par ces dévoilements « gratuits » du corps du personnage féminin ou de sa sexualité. Dans ces pauses dans la narration, l’histoire cinématographique est découpée en morceaux comme le ferait la publicité à la télévision. Que ces moments de pause existent n’est peut-être pas un problème, l’interrogation est surtout de comprendre comment ils s’intègrent au développement du personnage. Dans Jumbo, Jeanne, le personnage principal, vit une idylle étrange avec une machine : un manège à sensations qu’elle a surnommé Jumbo. Si cette relation a pu permettre de réfléchir à une nouvelle représentation de l’intimité de couple, elle n’échappe pas à la représentation de la nudité féminine. Le couple est original, mais l’expression de leur sexualité se raccroche à une représentation très classique. La séquence de leur échange ne répond pas à la définition du male gaze telle qu’on la connaît, mais ne peut pas forcément être liée au female gaze non plus. Jeanne se retrouve dans un espace totalement blanc et des gouttes noires lui tombe sur le visage. Il pourrait s’agir d’une représentation métaphorique du liquide séminal du manège, c’est en tout cas une personnification de son être dans cet espace immaculé. L’image est très proche de la « grammaire pornographique » telle que nous la connaissons. Nous pourrions en effet la rapprocher des Cum Shot, représentation classique de fin de rapport dans les films pornographiques au cours desquels l’homme éjacule sur le visage de la femme.

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Table des matières

Introduction
I. Le personnage féminin et sa représentation
A. Personnage féminin et clichés : étude du « droit au corps »
B. Représentation en évolution
II. Male gaze et female gaze, des notions à redéfinir
A. Limites et points forts des gazes
B. Reconceptualiser et renommer les notions
III. Travailler la représentation féminine
A. Corps perçu et corps vécu
B. L’intimité en pratique
Conclusion
Bibliographie .

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