Y a-t-il une théorie génétique de la maladie ?

La phénylcétonurie, dont les symptômes ont été décrits dès 1934 par le médecin norvégien Asbjørn Følling, est une maladie métabolique liée au déficit d’une enzyme hépatique, la phénylalanine hydroxylase. La phénylalanine hydroxylase permet de transformer la phénylalanine, un acide aminé que l’on trouve dans l’alimentation, en un autre acide aminé, la tyrosine. Lorsque cette enzyme est mutée, la phénylalanine ne peut être transformée en tyrosine et s’accumule dans le sang, exerçant alors un effet toxique sur le système nerveux central. Non traitée, la phénylcétonurie est donc responsable d’un retard mental. Cependant, un simple régime sans phénylalanine, s’il est bien conduit dès la naissance, prévient l’apparition des symptômes de la maladie. Lorsqu’en 1963, Robert Guthrie met au point un test biochimique permettant de détecter cette maladie sur simple prise de sang, un dépistage systématique de la phénylcétonurie chez les nouveau­nés est rapidement mis en place dans de nombreux pays occidentaux, dont les États­Unis et la France. La phénylcétonurie est une maladie héréditaire, qui a une explication moléculaire, un test de dépistage et un traitement : elle devient une maladie­star de la génétique humaine. La phénylcétonurie incarne alors un exemple paradigmatique du concept de maladie génétique tel qu’il est pensé dans les années 1960 : une maladie rare, héréditaire, mendélienne et monogénique. En effet, la phénylcétonurie est une maladie rare dont la prévalence varie de 1/4 000 à 1/40 000. C’est une maladie héréditaire, c’est­à­dire transmise par les parents. C’est une maladie mendélienne, transmise sur le mode autosomique récessif, ce qui signifie qu’il faut deux allèles mutés pour que la maladie apparaisse. C’est une maladie monogénique, c’est­à­dire qui est causée par la mutation d’un seul gène, le gène PAH qui sera cloné dans les années 1980 et qui code l’enzyme phénylalanine hydroxylase. Le modèle de la phénylcétonurie est donc celui d’une mutation héréditaire et mendélienne d’un gène, entraînant une protéine mutée déficiente, qui cause à son tour la maladie. Cette définition de la maladie génétique s’accorde parfaitement avec le dogme central de la biologie moléculaire et avec le concept moléculaire du gène, qui se développent à la même époque. Le dogme central de la biologie moléculaire est l’idée selon laquelle il existe une correspondance linéaire et spécifique entre une séquence de nucléotides et les acides aminés qu’ils codent. Le concept moléculaire du gène identifie la structure d’un gène à sa fonction, le codage de la séquence d’acides aminés constituant une protéine .

Cependant, depuis l’établissement de la phénylcétonurie comme exemple paradigmatique de la maladie génétique, un double mouvement s’est opéré au sein de la génétique médicale.

D’une part, le concept de maladie génétique s’est étendu, bien au­delà du concept de maladie monogénique, dont il était jusqu’ici synonyme. Plusieurs découvertes ont contribué à cet élargissement du concept de maladie génétique. La découverte des gènes de susceptibilité dans les années 1970, (gènes qui sont associés à l’apparition d’une maladie mais qui ne suffisent pas à la causer), et la mise en évidence des oncogènes et des anti­oncogènes dans les années 1980 (gènes dont l’activation ou l’inactivation est décisive dans le développement du cancer), ont attiré l’attention sur la génétique de maladies polygéniques communes. L’essor des techniques de séquençage de l’ADN, et plus généralement des techniques de génie génétique, a permis de mettre au point des méthodes d’identification des variants alléliques. Dans la littérature biomédicale contemporaine, toute maladie dont l’apparition est statistiquement associée à un variant allélique, c’est­à­dire à une variation d’un ou plusieurs nucléotides dans un gène, tend à être considérée comme génétique. Le concept de maladie génétique s’applique donc aujourd’hui à des maladies communes. Ces maladies ne sont pas héréditaires, mais dues à des mutations de novo (apparues au moment de la formation du zygote) ou à des mutations acquises (sous l’effet de perturbations environnementales, par exemple). Leur transmission ne suit pas les lois de Mendel, et elles sont dites polygéniques ou complexes, parce que leur physiopathologie implique l’action conjointe de plusieurs gènes et de facteurs environnementaux. Ainsi, le cancer, le diabète, l’hypertension artérielle, et même la tuberculose – maladie environnementale par excellence puisque causée par un agent infectieux –, ont progressivement été considérées comme des maladies génétiques.

D’autre part, une série de découvertes scientifiques a bouleversé notre compréhension de la maladie monogénique et a contribué à dissoudre la distinction forte établie entre maladie monogénique simple et maladie polygénique complexe. Ainsi, la physiopathologie de la phénylcétonurie a révélé plusieurs surprises. Des phénomènes d’hétérogénéité allélique (plus de 500 mutations du gènes PAH peuvent causer la phénylcétonurie), d’hétérogénéité génétique (en l’absence de mutation du gène PAH, une mutation du gène BH4 qui code son récepteur peut suffire à causer la maladie) et l’existence de gènes modificateurs (le gène BH4 influence l’expression du gène PAH et les conséquences des mutations de ce gène sur la sévérité et la forme des symptômes) ont remis en cause la correspondance linéaire entre l’existence d’une mutation dans le gène PAH, la production d’une protéine PAH mutée et l’apparition des symptômes de la maladie. Ces phénomènes d’hétérogénéité allélique, d’hétérogénéité génétique et de gènes modificateurs ont remis en cause l’idée selon laquelle les maladies monogéniques étaient des maladies simples. En parallèle, la découverte de l’épissage alternatif (un même ARN messager peut donner lieu à plusieurs ARN transcrits matures), de l’existence d’éléments transposables dans le génome, de séquences d’ADN régulatrices situées à plusieurs milliers de base de la séquence d’ADN qu’elles contrôlent, bouleversent le concept moléculaire du gène et le dogme central de la biologie moléculaire. Ce concept de gène morcelé qui donne une image plus complexe de la relation entre génotype et phénotype, ne fait que renforcer la remise en cause du concept de maladie monogénique.

La génétique médicale est donc aujourd’hui au cœur d’un paradoxe. D’une part, le concept de maladie génétique s’est étendu bien au­delà du modèle de la maladie monogénique, au point de pouvoir concerner toute maladie. D’autre part, le modèle de la maladie monogénique simple a volé en éclats et la distinction entre maladies monogéniques et maladies polygéniques est devenue de plus en plus difficile à établir, au point qu’il n’y a pas de consensus sur la définition du concept de maladie génétique. L’enjeu de ce paradoxe est double, à la fois épistémologique et éthique.

Sur le plan épistémologique, il s’agit à la fois d’interroger la légitimité d’une distinction entre maladie génétique et non génétique et de savoir s’il est possible de parvenir à unifier l’ensemble des connaissances disparates de la génétique des maladies. Cette question est d’autant plus pressante que depuis l’achèvement du Projet Génome Humain, les dix dernières années, aussi appelées « ère postgénomique », ont constitué une période de développement exponentiel du nombre et de la diversité de données acquises en génétique humaine. Ainsi, si le séquençage du premier génome humain a pris plus de dix ans et coûté trois milliards de dollars, la compagnie Illumina a annoncé en janvier 2014 que sa dernière technologie permettait de séquencer un génome entier, chaque paire de bases étant lue trente fois par la machine, en trois jours, pour un prix de mille dollars. De nouvelles méthodes d’identification des variants alléliques dans les maladies complexes ont été mises au point comme les études d’association pangénomiques, qui permettent de comparer les génomes de plusieurs milliers d’individus. Les données ne concernent plus seulement la génomique (l’étude fonctionnelle du génome), mais aussi les interactions entre le génome, le transcriptome (ensemble des différents types d’ARN transcrits à partir d’un génome), le protéome (ensemble des protéines traduites à partir d’un génome). Interpréter ce déluge de données de l’ère post­génomique et leur donner un sens dans le domaine de la génétique médicale est devenue une tâche de plus en plus difficile.

Sur le plan éthique, il s’agit de déterminer à quel point l’exceptionnalisme génétique est justifié et quel serait l’impact éthique, juridique et social d’une extension du concept de maladie génétique. L’exceptionnalisme génétique consiste à considérer que les maladies génétiques doivent faire l’objet d’un traitement éthique particulier, parce qu’elles posent des problèmes éthiques spécifiques et distincts des maladies non génétiques.

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Table des matières

Introduction
Partie 1 : Du concept de maladie génétique à la généticisation des maladies
Chapitre 1 : Problèmes scientifiques soulevés par le concept de maladie génétique
Chapitre 2 : Problèmes philosophiques soulevés par le concept de maladie génétique : généticisation, génocentrisme et problème de la sélection causale
Partie 2 : De la généticisation des maladies aux conditions de possibilité et aux critères d’une théorie génétique de la maladie
Chapitre 3 : Comprendre la généticisation au sein d’une explication interactionniste de la maladie
Chapitre 4 : Établir des critères opérationnels pour identifier une théorie génétique209
Partie 3 : Deux exemples contemporains de théorie génétique
Chapitre 5 : La théorie génétique des maladies infectieuses, un exemple de théorie génétique régionale
Chapitre 6 : La médecine des réseaux, un cadre pour une théorie génétique de la maladie ?
Conclusion

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