Les plantes font partie intégrante de l’ univers de l’ Homme qui les utilise notamment pour ses besoins alimentaires, médicaux et cosmétiques. Une attention particulière est accordée aux plantes médicinales depuis plusieurs décennies puisque l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que la majorité des populations des pays en voie de développement ont recours à la médecine traditionnelle pour leurs soins de santé primaires (OMS, 2002).
Il n’en demeure pas moins que leur utilisation n’est pas toujours sans danger (Hammiche et al., 2013) car plusieurs accidents ont été signalés (Bruneton, 2005). Parmi eux, des problèmes rénaux survenus lors de l’ utilisation d’ « herbes chinoises» pour la préparation d’un amaigrissant, où Aristolochia fangchi a été confondu avec Stephania tetrandra (Hammiche et al., 2013) et des intoxications rapportées avec Atractylis glummifera et Blighia sapida (Bruneton, 2005). Au Gabon, plusieurs intoxications ont été signalées à l’issue de la consommation de racines de Tabernanthe iboga.
La flore gabonaise est riche en plantes aux vertus diverses, cependant la consommation et l’exposition à certaines espèces peut représenter un risque pour les populations. Notre travail est donc consacré à l’ étude des plantes toxiques du Gabon et à celle d’une d’ entre elles à savoir: Chromolaena odorat a (Asteraceae ). Cette espèce, collectée en Afrique et en Asie ( N ‘Guessan et al., 2009, Hong Hanh et al. , 2011) , a fait l’objet de plusieurs travaux biologiques et pharmacologiques mais pas l’échantillon récolté au Gabon. Des études antérieures ont été réalisées sur les feuilles, les fleurs, les parties aériennes et l’écorce de racines de C. odorata, toutefois à notre connaissance, il ne semble pas exister d’étude sur les tiges. D’où l’intérêt de ce travail, sur l’étude des feuilles et des tiges de Chromolaena odorata du Gabon.
GENERALITES
PLANTES TOXIQUES
Depuis des siècles, l’Homme a toujours été soumis aux dangers de son environnement qu ‘ ils soient d’ origine chimique (arsenic), animale (venin) ou végétale (plante toxique ou plante contaminée par un champignon). Une plante toxique est une espèce végétale qui contient dans certains de ses organes ou tous, des substances toxiques capables de perturber le fonctionnement normal d’ un organisme vivant humain ou animal (Lapointe, 2004 ; Bruneton, 2005). La plante toxique peut être un arbre, un arbuste, une herbe ou une liane.
Elle est médicinale (Chenopodium ambrosioides L., ambrosine) ou abortive (Alchornea cordifolia (Schumach. &Thann.) Müll. Arg.). Elle est ichtyotoxique (Eriosema glomeratum (Guill. & Perr.) Hook. f.), ou utilisée comme poison de chasse et de guerre (Strophantus sp), poison d’ ordalie ou raticide. Elle peut être utilisée lors de rites traditionnels (Wagner, 1986; Akendengué et Louis, 1994; Raponda-Walker et Sillans, 1995). Elle est alimentaire: c’ est le cas de Manihot esculenta Crantz ou manioc (Kuete, 2014). Elle est ornementale telle que Catharanthus roseus (L.) G. Don., pervenche de Madagascar ou Nerium oleander L., laurier rose (Fennell et al. , 2004). Nous pouvons également signaler la toxicité de certaines autres Euphorbiaceae africaines telles que : Antidesma venosum E. Mey. Ex Tut., Croton sylvaticus Hochst., Spirostachys africana Sand., Flueggea virosa (Roxb. ex Willd.) Yoigt. (Ndhlala et al. , 2013) et Ricinus communis L. (Fennell et al., 2004; Kuete, 2014).
CAUSES DES lNTOXlCATlONS
Les plantes constituent une importante cause d’ intoxications. Les intoxications résultent généralement de la consommation ou du contact avec une plante toxique, une espèce mal identifiée, une plante contaminée par une espèce toxique, une plante contenant des toxines secrétées par des champignons microscopiques ou un mélange de plantes. L’intoxication peut aussi être le résultat de l’ignorance du consommateur de la toxicité de la plante (Bruneton, 2005). En Afrique, l’automédication par un mélange de plantes médicinales ou la consommation des médicaments traditionnels, dont la composition n’ est souvent pas annoncée ou ne figure sur l’emballage, sont aussi une source d’ intoxication. Les organes impliqués sont les fruits, graines, racines, feuilles, tiges et sève mais rarement les fleurs. Les fougères (Ptéridophytes) sont rarement impliquées dans les intoxications, même si les animaux herbivores sont beaucoup plus exposés que l’Homme à leur danger. On signale l’intoxication chez l’Homme par la fougère-aigle Pteridium aquilinum (L.) Kuhn (cancer de l’œsophage) et chez les bovins par la fougère male Dryopteris ji/ix-mas (L.) Schott (Bruneton, 2005).
VOIES D’INTOXICATION ET EFFETS TOXIQUES
Le toxique peut intégrer l’organisme vivant par plusieurs votes: orale (principale voie), cutanée et respiratoire. L’effet peut être local ou systémique (Lapointe, 2004). Les effets toxiques des plantes peuvent s’observer immédiatement ou à court terme (minutes à jours) :c’est la toxicité aigüe (Tabernanthe iboga (L.) Nutt.). La toxicité chronique s’observe à long terme, notamment avec des plantes telles que le tabac (Nicotiana tabacum L.), le chanvre indien (Cannabis indica Lam.) ou le cocaïer (Erythroxylum coca Lam.) (Champy, 2018). Les composés responsables de la toxicité des plantes sont généralement des: alcaloïdes (atropine, colchicine), hétérosides stéroïdiques et cyanogéniques (scillarènes A et B), lactones sesquiterpéniques (thapsigargine et thapsigargicine) et saponosides (phytolaccosides) (Hammiche et al., 2013). La toxicité peut se manifester au niveau des différents organes : cerveau, cœur, foie, peau et rein (Brun eton, 2005; Brown, 2017). Parmi les plantes toxiques sur le système nerveux central, on retrouve les Solanaceae contenant l’atropine et la scopolamine (Atropa belladona L., Datura stramonium L., Hyoscyamus niger L.) et les Apocynaceae (Tabernanthe iboga) (Akendengué, 2005; Bruneton, 2005). A. belladona, D. stramonium et T iboga provoquent des hallucinations, délires et troubles du comportement. Nerium oleander et H. niger entraînent des perturbations neurologiques. Des atteintes musculaires et visuelles ont aussi été notées avec A. belladona et D. stramonium (Bruneton, 2005). Les plantes à hétérosides cardiotoniques sont cardiotoxiques. Convallaria majalis L., Helleborus niger L. et Nerium oleander provoquent des bradycardies et des arythmies. Des diarrhées et vomissements ont aussi été signalés avec N. oleander. Thevetia peruviana (Pers.) K. Schum. (Apocynaceae) cause des troubles gastro intestinaux tandis que les alcaloïdes stéroïdiques des Solanaceae seraient responsables de gastro-entérites mortelles (Bruneton, 2005). Brenyia o.fficinalis Hemsl. (Euphorbiaceae), Cassia angustifolia Vahl, Crotalaria sessiflora L. (Fabaceae), Lycopodium serratum Thunb (Lycopodiaceae), Piper methysticum G. Forst. (Kava, Piperaceae) et Senecio vulgaris L. (Asteraceae) sont réputées hépatotoxiques (Bruneton, 2005 ; Brown, 20 17). Plusieurs plantes sont néphrotoxiques, notamment, Callilepsis !aureola DC. (Asteraceae), Hypericum perfàratum L. (Hypericaceae), Taxus celebica (Warb.) H. L. Li (Taxaceae) et Aristolochia spp (Aristolochiaceae) (Brown, 20 17). La toxicité des Aristolochia, plantes largement utilisées en médecine traditionnelle, à savoir Aristolochia indica L. (Asie), A. debilis Sieb & Zucch (Chine), A. clematitis L. (Europe) et A. bracteolata Lam. (Afrique) est due aux acides aristolochiques qui sont néphrotoxiques (Heinrich et al., 2009 ; Michl et al., 20 13).
Certaines plantes alimentaires sont également toxiques car elles contiennent des glucosides cyanogéniques. Avena saliva L. (avoine), Sorghum bicolor L. (sorgho), Triticum aestivum L. (blé) (Poaceae), Manihot esculenta Crantz (manioc, Euphorbiaceae), Phaseolus vulgaris L. (haricot, Fabaceae) renferment de la linamarine. M esculenta, P. vulgaris et T. aestivum contiennent aussi de la lotaustraline (Jones, 1998). Certaines Apiaceae (Heraclum sphondylium L.) et Rutaceae sont phototoxiques chez l’Homme avec apparition d’érythèmes et vésicules, après exposition au soleil des zones contaminées. Les Euphorbiaceae contenant des esters diterpéniques sont urticantes et irritantes au niveau de la peau et des muqueuses (Bruneton, 2005).
ASTERACEAE
Les Asteraceae constituent la famille la plus importante des Angiospermes avec plus de 1500 genres et plus de 25000 espèces décrites. Elle se divise en 2 sous familles les Cichorioideae et les Asteroideae (Lisowski, 1991 ). Les Asteraceae ont des vertus thérapeutiques diverses : Ageratum conyzoides L. est fébrifuge (Bissa Bi Ekomy, 2005), Artemisia annua L. est antipaludique (Van der Meersch, 2005). Au Gabon, Eclipta prostrata est cicatrisante. Solanecio angulatus (Vahl) C. Jeffrey Syn. Crassocephalum bojeri (DC.) Robyns. traite les maladies infantiles et la schizophrénie, Vernonia conferta Benth. soigne les maux d’estomac. Bidens pi/osa L. est employée comme antihelminthique et cicatrisant. Emilia sagittata (Vahl) DC. syn Emilia coccinea (Sims) G. Don utilisée pour traiter les maladies oculaires, les affections cardiaques et les ulcères (Akendengué et Louis, 1994; RapondaWalker et Sillans, 1995). Au Congo, Bidens pi/osa L. est antidiarrhéique et E. coccinea est administrée en cas de gastralgie (Adjanohoun et al., 1988) . Le genre Pyrethrum est insecticide (Boutaghane, 2013). Lactuva saliva L. (laitue) et Cynara scolymus (L.) Benth. (artichaut) sont des légumes. Parmi les espèces ornementales on trouve Leucanthemum vu/gare Lam. (marguerite) et Dahlia varabilis L. (Boutaghane, 20 13). Cependant, certaines Asteraceae sont toxiques. Les alcaloïdes déhypyrrolizidiniques, rencontrés principalement chez les Boraginaceae et les Asteraceae (Eupatorieae, Senecioneae) sont génotoxiques, mutagènes, responsables de nécroses hépatiques, cancers et anomalies congénitales (Bruneton, 2005 ; Edgar et al., 2015 ; Stegelmeir et al., 20 16). L’Agence Européenne du Médicament (EMA) et l’ Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) ont publié des recommandations relatives aux limites d’ exposition aux alcaloïdes pyrrolizidiniques (AP). L’EMA recommande que l’ apport de ces molécules, via les produits de phytothérapie, soit limité à 0,35 j.lg/j chez l’ adulte (14 jours) et à 0,14 J.tg/j chez l’ enfant. Bien que la génotoxicité des alcaloïdes pyrrolizidiniques ait été décrite, leur risque cancérigène (hémangiosarcome hépatique) chez l’Homme est discuté (Atelier ITEIPMAI, 20 18).
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES
I. PLANTES TOXTQUES
1.1 CAUSES DES TNTOXICATIONS
l.2 VOIES D’INTOXICATION ET EFFETS TOXIQUES
Il. ASTERACEAE
III. GENRE Chromolaena
IV. Chromolaena odorata(L.) R. M. King & H. Robinson
IV.l CLASSIFICATION
IV.2 DESCRIPTION BOTANIQUE
IV.3 NOMS VERNACULAIRES
IV.4 COMPOSITION CHIMIQUE
IV.5 ETUDE PHARMACOLOGIQUE
IV.6 USAGES EN MEDECINE TRADITIONNELLE
IV. 7 TOXICITE
DEUXIEME PARTIE: MATERIEL ET METHODES
I. CADRES D’ETUDE
1.1 ENQUETES
1.1 .1 Enquêtes ethnobotaniques
T.l .2 Enquêtes auprès de structures hospitalières
I.2 CRIBLAGE CHIMIQUE DE C. odorata
1.3 CRIBLAGE BIOLOGIQUE DE C. odorata
1.3 .1 Cytotoxicité
1.3.2 Toxicité sur les microorganismes
I.3 CRIBLAGE CHIMIQUE DE C. odorata
fi. MA TE RIEL
II.1 MATERIEL VEGETAL
II.2 MATERIEL BIOLOGIQUE
11.2.1 Cellules animales
II.2.2 Souches biologiques
II.3 METHODES
11.3.1 ENQUETE ETHNOBOTANIQUE
Il.3.2 PREPARATION DES DROGUES DE Chromolaena odorata
11.3.3 PREPARATION DES FRACTIONS ET EXTRAITS
11.3.3.1 Feuilles
H.3.3.2 Tiges
Il.3.4 CRIBLAGE CHIMIQUE EN SOLUTION DE Chromolaena odorata
11.3.5 EVALUATION DE LA CYTOTOXICITE DE Chromolaena odorata
II.3.6 EVALUATION DE L’ACTIVITE ANTIMICROBIENNE
11.3.6.1 Préparation des milieux de culture
IL3.6.2 Préparation des inocula
IL3.6.3 Détermination de l’ activité des extraits par la méthode de diffusion des disques
TROISIEME PARTIE: RESULTATS
III.1. RESULTATS DE L’ENQUETE ETHNOBOTANIQUE
III.2. RESULTATS DE L’ENQUETE AUPRES DES STRUCTURES HOSPITALIERES
III.3 RESULTATS DE L’ETUDE DE C. odorata
III.3.1 EXTRACTION
III.3.2 RESULTATS DU CRIBLAGE CHIMIQUE EN SOLUTION
Ill.3.3 ETUDE DE LA CYTOTOXICITE DE C. odorata
III.3.4 ETUDE DE L’ ACTIVITE ANTIBACTERIENNE DE C. odorata PAR LA METHODE DE DIFFUSION DES DISQUES
111.3.4.1 Activité antibactérienne des extraits de feuilles de C. odorata
III.3.4.2 Activité antibactérienne des extraits de tiges de C. odorata
IIT.3 .5 ETUDE DE L’ACTIVITE ANTIFONGIQUE DE C. odorata PAR LA METHODE DE DIFFUSTON DES DISQUES
QUATRIEME PARTIE: DISCUSSION
CONCLUSION
REFERENCES