Violence terroriste, violence politique, violence quotidienne: jeux d’entrecroisements traumatiques

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Nairobi, un terrain à la croisée des imaginaires

Pourquoi, au juste, avoir choisi Nairobi comme terrain de recherche ? Ou plus exactement, l’heure des recherches multi-situées et des terrains transnationaux, pourquoi seulement Nairobi ? Ce choix, j’en conviens, laisse planer le spectre doucement suranné de la monographie… En faisant le pari d’un regard ethnographique porté sur le quotidien et le micro-local, cette orientation vers un terrain relativement restreint m’a paru nécessaire. Nécessaire, aussi, au regard ce que je suis lorsque j’arrive en février 2015 pour mon premier terrain de recherche : un jeune chercheur occidental ignorant presque tout du « mode d’emploi » de la ville : comment on s’y déplace de façon intelligente, comment on s’y fait comprendre, ce que signifie telle ou telle situation, telle ou telle salutation, etc. De sorte que pour acquérir une certaine « densité » ethnographique (Geertz 1998) de ce qui se joue de façon discrète autour de moi, il faut du temps… et une certaine immobilité. A fortiori auprès d’une population – les veilleurs – elle-même aux prises avec une immobilité quotidienne. Aussi, pour parvenir à effleurer les différents niveaux de salutation (les salutations sincères, les salutations suspicieuses, les salutations moqueuses…), les uniformes qui subrepticement circulent de main en main, les petites tactiques quotidiennes, les noms des membres des youthgroups variant d’une année sur l’autre, en bref, toutes ces petites choses qui bougent quand rien ne semble bouger, il faut apprendre, soi-même, à rester immobile. De même pour la méthode de création poétique, qui exige « qu’on y revienne » : tisser avec mon interlocuteur un lien sur le temps long afin de procéder par petits ajustements.
J’ai choisi Nairobi parce que je suis attaché à cette ville. Sans doute l’ai-je découverte, il y huit ans maintenant, lors d’un stage de terrain organisé par l’IFRA Nairobi (février 2010), comme une part d’exotisme, une forme d’excitation, un petit morceau d’aventure. Ce sont probablement de mauvaises raisons pour choisir son terrain, mais ce sont des raisons sincères. Et ceci ne signifie pas que l’on n’en revient pas. Aujourd’hui, de façon rétrospective, Nairobi me semble être un choix intéressant pour deux raisons : d’une part, c’est une grande métropole qui apparaît comme une « tête de pont » de l’ensemble régional est-africain, d’autre part, c’est une société urbaine qui paradoxalement présente des signes symptomatiques d’une sorte d’inquiétude collective.
Capitale de la seconde puissance économique d’Afrique de l’Est8, régulièrement citée par la presse comme un hub de l’innovation, métropole régionale parmi les plus prisées des investisseurs internationaux (Ernst & Young 2017), Nairobi s’auréole d’un certain optimisme – du moins du point de vue des représentations médiatiques. Des paysages de grands buildings en centre-ville, des classes moyennes émergentes à qui l’on prédit un destin prometteur, des malls9 qui fleurissent en périphérie, des projets titanesques financés par les investissements chinois (à l’image de la nouvelle ligne ferroviaire Nairobi-Mombasa, inaugurée en mai 2017), l’émergence rapide de nouveaux services urbains : ces signes visibles semblent esquisser les contours d’une métropole innovante, créatrice de richesses et synonyme d’accession à une vie meilleure. Cette représentation d’une ville chargée de promesses bat assurément son plein, y compris pour ceux qui n’ont pas les moyens d’y accéder. Aussi Nairobi est-elle parallèlement un réceptacle majeur des migrations régionales et la métropole des bidonvilles parmi les plus grands d’Afrique subsaharienne ; une réalité tout aussi médiatisée, mais selon d’autres canaux : les différents rapports des ONGs et des grandes institutions internationales, les reportages télévisés et… les travaux universitaires. Les différents mondes urbains de Nairobi ne sont pas simplement ceux de n’importe quelle ville fragmentée : du fait de leur hypermédiatisation, ils sont particulièrement iconiques en termes d’imaginaire. Cette dernière caractéristique – la friction des clichés – m’a semblé intéressante pour nourrir une réflexion à propos d’une population précisément située sur le fil de la coupure entre plusieurs mondes.
Nairobi s’ancre dans une histoire récente particulière – celle du Kenya postcolonial – qui présente certains signes tangibles d’une histoire inquiète : tout à la fois tendue vers un imaginaire de progrès et sans cesse ramenée aux spectres du passé. Inquiète, d’abord, parce qu’elle n’a jamais tout à fait résolue les ambiguïtés de l’héritage Mau Mau10 et du processus d’indépendance (D. M. Anderson 2005) : la question du choix d’un régionalisme fédéral (majimboism) aussitôt étouffée par l’idéologie nationaliste du parti unique KANU11, avec elle, la question de l’équilibre politique entre les différentes communautés ethniques, la question, enfin, de la justice foncière entre ces communautés. Sous le régime du président Daniel arap Moi (1978-2002), successeur du père fondateur Jomo Kenyatta, s’ouvre le temps d’une sorte de « désillusion postcoloniale » (Varma 2012) : une forme d’autoritarisme au service d’un État prédateur, consolidant toute une palette de pratiques encore présentes à des degrés variables dans la vie politique contemporaine (clientélisme, corporatisme, arrestation ou élimination d’opposants politiques, trafics occultes) (Maupeu 2012). Aujourd’hui, cette histoire politique encore marquée par la violence – les violences post-électorales de 2007-2008 demeurent un épisode profondément traumatique – semble, à défaut de se répéter, bel et bien « bégayer » (Thibon 2013). Certes, des changements socio-politiques augurent de nouvelles pratiques : l’hypothèse, par exemple, d’une classe moyenne émergente moins encline au vote ethnique, ou le soft power des nouvelles Églises (Maupeu 2013). À l’image du terrorisme islamiste, des menaces émergentes concourent à rebattre les cartes de l’identité kenyane. Pourtant, le même sursaut de pratiques historiquement ancrées se fait jour de manière régulière (fraudes, clientélisme, intimidation, comportements prédateurs de la classe dirigeante, etc.). Aussi faut-il comprendre la société urbaine de Nairobi à la lumière de ce contexte. Si son histoire n’est pas strictement superposable à l’histoire du pays, la capitale kenyane demeure néanmoins ce creuset où s’observent des inquiétudes croisées : celle de la possibilité de la violence politique (les zones urbaines et en particulier Nairobi ont constitué une partie notable des théâtres de violence en 2007-2008, voir Calas 2008), celle de la persistance des fraudes et des pratiques prédatrices (accaparement de terres publiques par la classe dirigeante, déguerpissement des pauvres), celle enfin de la menace terroriste, inscrite au cœur d’une ville encore traumatisée par l’attentat du centre commercial West Gate en septembre 201312.
Cette histoire inquiète est également à comprendre au regard des contradictions socio-culturelles qui animent une société urbaine en contexte postcolonial. Celles-ci s’étendent à plusieurs domaines de la vie sociale : parmi d’autres exemples, la jeunesse et l’insertion dans la vie professionnelle, la construction des identités de genre, ou encore l’expérience de la violence en ville. À la jeunesse, la métropole postcoloniale propose d’emblée un certain imaginaire de la modernité occidentale, de la réussite et de l’argent facile (Comaroff et Comaroff 2010). Nourrie de cet imaginaire, la jeunesse de Nairobi se heurte néanmoins à la vie chère, à la hausse continue des prix du foncier (contrariant les projets d’acquisition d’un logement ou d’un terrain à soi) et à la faiblesse des offres d’emploi, y compris pour ceux qui ont un diplôme. Aussi, une partie de cette jeunesse se trouve plongée dans le désœuvrement, soumise à une vie de petites combines érigée en culture urbaine singulière (la “hustler life”, voir Thieme 2016), voire criminalisée par l’imaginaire public. Cette situation a bien évidemment des conséquences sur la construction des identités de genre. La métropole postcoloniale produit une jeunesse masculine angoissée, dans un contexte où il devient de plus en plus difficile de s’affirmer en tant que “provider” (celui qui survient aux besoins de sa famille), figure stéréotypée de la masculinité au Kenya. En réponse à cette angoisse, des réactions violentes envers la construction d’un genre féminin « occidentalisé » se font jour. En témoigne, par exemple, l’agression d’une jeune femme en minijupe par un groupe d’hommes à la descente d’un bus en novembre 2014, à l’origine de la campagne emblématique “My Dress, My Choice”, vaste mobilisation nationale en faveur de l’émancipation des femmes. L’expérience de la violence en ville, enfin, fournit un autre angle d’approche des contradictions de la société urbaine postcoloniale. Depuis les années 1990, un important travail, mené par plusieurs acteurs issus de la société civile (ONG militantes en faveur des droits de l’homme, Églises évangéliques), a contribué à forger une population mieux informée, tant à propos de ses droits que de l’importance de la paix intercommunautaire. Ce travail se heurte néanmoins à la persistance de certaines formes de violence depuis des décennies : la violence policière extrajudiciaire à l’encontre des jeunes hommes issus des quartiers pauvres (Stapele 2016) ou l’instrumentalisation régulière de milices de jeunes en période électorale (Anderson 2002 ; Maupeu 2002, 2012).
Ainsi Nairobi se présente, en tant que métropole, en tant que société urbaine, comme un terrain jouant sur des registres contraires : les clichés renvoyés dos à dos des buildings et des bidonvilles, un optimisme moderniste et une inquiétude postcoloniale, des classes moyennes émergentes et une jeunesse plongée dans un immobilisme précaire, des identités de genre brandies proportion qu’elles sont menacées. C’est sur ce terrain aux imaginaires puissants que j’ai choisi de m’intéresser aux veilleurs : des hommes et des femmes souvent jeunes, auxquels on impose tout à la fois un paraître viril (« être soldat ») et une forme de désœuvrement, circulant entre plusieurs mondes, et eux aussi soumis à l’incertitude de leurs identités et de leurs projets.

Le plan de la thèse

J’ai évoqué un peu plus haut les trois segments de l’arc qui soutient mon travail : une entrée par la sécurité comme mode de gouvernement de la ville, une attention aux figures urbaines particulières – les veilleurs – que ce mode de gouvernement contribue à produire, enfin, une réflexion sur les conditions d’intelligibilité et de parole de ces figures.
Les sept chapitres qui structurent ce travail tentent chacun d’intégrer, à des degrés divers, ces trois segments de ma réflexion. Ils convoquent de façon nécessaire des références théoriques empruntant à une grande diversité de champs disciplinaires : la géographie, bien sûr, mais aussi l’histoire, la philosophie, les sciences politiques, la sociologie, l’anthropologie et la théorie littéraire. Chacun de ces sept chapitres convoquent une ou deux notions majeures, longuement développées : la fragmentation urbaine (chapitre I), la sécurité et l’abandon (chapitre II), les mondes en miroir (chapitre III), la poésie et le mineur (chapitre IV), le jeu quotidien (chapitre V), l’attente et la place (chapitre VI), le signe et la violence (chapitre VII). Ainsi, mon effort théorique se prolonge tout au long de ma réflexion, par une volonté d’ajuster de façon inductive mon cadre d’analyse aux différents objets et échelles de mon observation ethnographique. À ces références majeures s’articulent des références mineures (par l’utilisation que j’en fais), ad hoc, souvent éclectiques, parfois surprenantes. Celles-ci ne revêtent pas la même importance au sein de mon canevas théorique, mais sont néanmoins utiles par leur puissance d’évocation ou leur capacité à préciser ponctuellement tel ou tel mécanisme de l’argumentation.
Les deux premiers chapitres de ce travail peuvent être inclus au sein d’un même mouvement de construction théorique et empirique de mon objet de recherche : les veilleurs de Nairobi, comme figures urbaines abandonnées. Le premier chapitre, intitulé « Nairobi, où les coupures passent au milieu des vies », s’attache à décrire le contexte socio-historique de la ville où j’ancre ma réflexion. Il s’agit notamment de préciser ce que l’on peut entendre aujourd’hui par le qualificatif de « ville inquiète » à propos de la capitale kenyane, en recontextualisant cette inquiétude dans son histoire coloniale et postcoloniale. Nairobi n’est pas simplement une ville fragmentée, au sens où elle se donnerait sous la forme d’une collection de mondes urbains disparates et déconnectés. Cette fragmentation opère – et c’est l’argument principal de ce premier chapitre – jusqu’au cœur des vies citadines. À l’échelle des individus ou des groupes, cette « coupure » des vies s’expérimente travers la fragilisation d’un triple lien : spatial (éclatement des lieux de référence identitaire), social (sentiment angoissant d’être livré à soi-même), et intellectuel (difficulté de se rendre intelligible sa propre navigation entre des mondes urbains discontinus). Cette fragilisation du triple lien est à l’origine d’un sentiment d’inquiétude propre à l’expérience urbaine de Nairobi. Elle appelle une réaction : la rigidification à différentes échelles des contours entre les figures du « Familier » et de l’« Étranger ». Cet appel sourd en faveur d’une telle mise en silhouette est l’un des soubassements, sinon le principal, de la forte demande sécuritaire dans tous les quartiers de la ville. Partant de ce constat empirique – une demande sécuritaire omniprésente à Nairobi –, le deuxième chapitre, intitulé « Sécuriser la ville, ou la production de l’abandon », a pour ambition d’expliciter le passage théorique de la sécurité comme mode de gouvernement de la ville à la nécessaire production de figures urbaines abandonnées, les veilleurs. À partir d’une assise empruntant à l’histoire philosophique du concept de sécurité, je fais le choix de définir la sécurité comme une puissance de gouvernement permettant de générer des figures de fiction antagonistes : le Familier et l’Étranger, le Territoire sanctuaire et l’Espace-sauvage, la Norme et le Hors-norme, le Rassurant et le l’Inquiétant. L’apport de ma réflexion consiste à formuler l’hypothèse suivante : pour que ces figures de fiction puissent être performatives, elles nécessitent une figure-tierce, une sorte de « clé de voûte » qui ne soit proprement ni tout à fait familière ni tout à fait étrangère. Cette figure qui incarne la démarcation, c’est celle du veilleur : tout à la fois saisie dans un « dedans » et dessaisie dans un « dehors », soumise à des représentations contraires (« le soldat fidèle qui garde » vs. le « rôdeur pauvre qui guette »), et abandonnée à cette condition incertaine.
Les troisième et quatrième chapitres présentent tous deux une coloration méthodologique, mais ne peuvent se réduire à cette seule dimension. De manière générale, ils proposent chacun une manière de saisir de façon oblique la condition des veilleurs. Le troisième chapitre, intitulé « Des mondes en miroir », situe ce caractère oblique sur le plan de l’observation ethnographique. Il me permet d’introduire mes deux populations principales de veilleurs : les gardiens de sécurité privée (askaris) aux portes des résidences de la ville planifiée, et les jeunes vigilants (youthgroups) dans le bidonville de Kibera. Ces deux populations évoluent au quotidien dans des mondes urbains distincts, qui ne se révèlent qu’en miroir : à la lumière l’un de l’autre. Afin de saisir le filigrane d’un monde particulier (son sous-texte, ses trous, ses présupposés, ses imaginaires), il faut paradoxalement orienter son regard à l’oblique, vers le monde d’à côté. À ces deux populations s’y ajoute une troisième – un groupe de femmes à Kibera – qui n’a pas exactement le même statut que les précédents. Ce dernier groupe vise à être davantage éclairant que lui-même éclairé, me permettant d’acquérir un regard oblique sur les deux premiers, essentiellement masculins dans leur composition et leurs représentations. Le quatrième chapitre prolonge cette réflexion en situant l’oblique non plus sur le plan de l’observation, mais sur celui de la parole. Constatant les faiblesses de la méthode « par récits de vie » auprès des veilleurs, il entreprend de contourner dans la langue ce caractère linéaire, cohérent, continu, chronologique que semble imposer le récit à la vie. Dès lors, afin de faire procéder une parole, l’enjeu consiste à penser les conditions d’une langue oblique, permettant de lier de façon plus fluide les temps, les lieux, les plans distincts de l’expérience immédiate et de l’imagination. Cette langue oblique, qui dit sans nécessairement raconter, c’est la poésie. En présentant une méthodologie de création poétique expérimentée avec les veilleurs, ce chapitre ne s’inscrit pas simplement dans le registre des moyens, mais présente déjà des résultats de recherche, en ce qu’il questionne directement nos façons de faire et d’écrire en sciences sociales.
Les cinquième, sixième et septième chapitres, enfin, peuvent être compris comme les étapes successives d’un cheminement vers la compréhension de la place complexe en ville ; autrement dit, le tissage signifiant des temps et des lieux par lequel les veilleurs se rendent leur condition intelligible. Ce cheminement constitue l’aboutissement logique des deux premiers mouvements : l’identification d’une population singulière (les veilleurs) (1), et la précision des formes ethnographiques et narratives par lesquelles celle-ci se laisse approcher (2). Le cinquième chapitre s’attache à analyser le quotidien des veilleurs, notamment sur le plan de la vie pratique. S’il n’évoque pas encore directement la notion de « place », il en pose néanmoins les jalons. Analysant les diverses sphères de la vie quotidienne – la vie professionnelle, les moments de sociabilité amicale, les trajets quotidiens, la gestion d’un budget, la vie dans la sphère domestique – il introduit la notion de « jeu » afin d’exprimer trois niveaux d’aménagement du quotidien : un aménagement de type tactique (s’offrir un jeu de latitude entre deux sphères de contraintes), un aménagement social (jouer un rôle), un aménagement de l’incertitude (jouer pour sémiotiser l’incertain). Le sixième chapitre, intitulé « Logiques de l’attente et construction de la place », change d’échelle d’observation : non plus celle du quotidien, mais celle de la vie entière. Si au chapitre précédent la notion de « jeu » a permis de saisir un premier niveau de mise en signification de l’incertitude, l’échelle de la vie, celle-ci semble moins pertinente. Les vies des veilleurs sont fondamentalement des vies en attente, dans la mesure où elles se projettent dans d’autres lieux que ceux du quotidien, selon d’autres conditions que celles du temps présent, sans toutefois être certaines de pouvoir y accéder un jour. Ce sixième chapitre part de l’hypothèse que l’attente – une des caractéristiques de l’abandon – ne constitue pas simplement du temps en suspens, à même de paralyser les individus. Cette condition de l’attente, les veilleurs s’en emparent de façon productive
travers l’ élaboration, à l’échelle de la vie, d’une place complexe : un récit signifiant qui lie ensemble les temps et les lieux. Le septième chapitre, enfin, cherche à penser cette notion de « place complexe » non plus simplement au regard du temps ordinaire, mais au prisme du moment-acmé, en l’occurrence, l’expérience de la violence. Comment, lorsque l’on est veilleur, accueille-t-on de façon signifiante dans sa vie un épisode traumatique ? Ce prisme de la violence me conduit préciser la notion de place complexe en y introduisant une distinction interne entre le signe et le sens. Cette distinction interroge non pas simplement « ce qui arrive à » ou « ce qui touche » l’individu en ville, mais les conditions de possibilité selon lesquelles il parvient – ou non – à en extraire une intelligibilité, au fondement de sa place.

Le straddler et la prostituée. Un récit du lien social en danger

Le second récit de la précarité citadine, enchevêtré au premier, est celui des liens familiaux et communautaires. Évoquant la vie urbaine dans le Kenya colonial, John Lonsdale part de ce constat : « Pour beaucoup de leurs habitants, ces villes étaient seulement des demi-sociétés. » (Lonsdale 2006, 25). De fait, la citadinité africaine a souvent été perçue comme un processus d’altération du lien familial et social. Ici, les méfiances se rejoignent. Pour la doctrine coloniale, la vie urbaine de l’indigène doit être transitoire afin de ne pas rompre avec son identité rurale, condition de son épanouissement (Gervais-Lambony 2003). Du monde rural, la ville est perçue comme le symbole de la perte d’identité et du désapprentissage des liens fondamentaux qu’entretient l’individu avec sa communauté morale (Lonsdale 2006). Ce récit de la mise en péril du lien (social et familial), moins rythmée par les faits, est assurément complexe à tracer. Sans doute peut-il s’approcher par le biais de ses stéréotypes, que John Lonsdale prend le temps de détailler. Deux figures urbaines typiques – l’une (plutôt) masculine, l’autre (plutôt) féminine – se dégagent. La première est celle du straddler. L’expression est de Michael Cowen et signifie littéralement : « avoir un pied de chaque côté » – équivalent anglophone du « un pied dedans, un pied dehors » proposé par Jean-Louis Chaléard et Alain Dubresson (1989) pour qualifier les attaches ambivalentes des citadins en Côte d’Ivoire. Le straddler désigne un travailleur urbain africain dont la famille est restée au village et qui, grâce à une partie du salaire versée chaque mois, espère préserver ses terres et se ménager ainsi la possibilité d’un retour à la vie paysanne. De fait, le straddler est sous la coupe d’une double menace : ici, en ville, où sa présence est menacée par les autorités urbaines ; là-bas, au village où son absence prolongée affaiblit son statut patriarcal et la garantie de ses possessions foncières. John Lonsdale note toutefois une évolution de cette figure vers les années 1950. A cette époque, les autorités coloniales envisagent pour la première fois l’installation des familles africaines en ville, à travers la construction de lotissements à destination des « salariés en cols blancs », employés administratifs ou ouvriers du train. Cette inflexion ne doit pas masquer une réalité sociale historique : pour un grand nombre de citadins, encore aujourd’hui, Nairobi est une expérience du partage de soi (entre deux espaces, entre deux sociabilités), souvent vécue sur un mode précaire. J’y reviendrai longuement par la suite. La seconde figure est celle de la prostituée. Les trajectoires des malaya14 de Nairobi offrent un regard divergent sur ce que peut représenter la distanciation des lieux et des liens en contexte urbain. Janet Bujra évoque ces femmes venues seules en ville, apparues dès les premières années du XXème siècle à Nairobi, et parvenues à former progressivement une « petty-petty bourgeoisie » (Bujra 1975, 213, ses italiques). Dans leur cas, l’arrivée en ville est une opportunité d’affranchissement du contrôle familial et communautaire. La plupart louent des chambres individuelles dans les premiers quartiers africains et accèdent peu à peu à la propriété. Dans les années 1970, 70 % des femmes propriétaires à Pumwani, le plus ancien quartier africain de Nairobi, ont acquis leur bien en travaillant comme prostituées. Bujra insiste sur la respectabilité que parviennent à acquérir les malaya auprès des citadins africains, n’étant pas astreintes aux mêmes impératifs moraux que les femmes du village. Elles accèdent à la propriété, forment des foyers matriarcaux et transmettent leurs biens selon des lignées féminines. La coupure des liens communautaires, dans ce cas, constitue un acte d’émancipation.

Une ville qui suce le sang ? La citadinité comme mise à épreuve de l’intelligible

Les prostituées de Nairobi permettent de faire le lien avec le troisième récit que je voudrais évoquer ici, celui des imaginaires urbains. Dans son ouvrage Speaking with Vampires (2000), Luise White s’attache à un travail très fin d’analyse des rumeurs africaines apparaissant dans le contexte des villes coloniales est-africaines, dans la première moitié du XXème siècle. Elle identifie notamment un genre à part : les histoires de vampires. Dans plusieurs villes est-africaines (Kampala, Nairobi, Mombasa, Dar es Salam notamment), on raconte, suivant les versions, que les pompiers, les policiers, les médecins coloniaux ou les inspecteurs sanitaires sont littéralement des vampires qui tuent (ou font tuer) leurs victimes, prélèvent leur sang et se chargent de faire disparaître leur corps. Détail intéressant : les prostituées africaines, en attirant les clients dans leurs chambres de passe, aident les prédateurs à piéger leurs proies. Pour White, une chose est tout à fait certaine : ces histoires de vampires sont nouvelles. Elles ne peuvent être assimilées, comme le prétend le discours colonial, au registre de la sorcellerie. Le terme de « vampire » (wazimamoto) est lui-même une invention des sociétés urbaines est-africaines au début du XXème siècle. C’est ici que l’analyse de White est particulièrement clairvoyante : les imaginaires de « vampires », dit-elle en substance, fonctionnent comme des tentatives de fabrication de sens face à des situations sociales inédites. En contexte urbain, la création d’ « idiomes »15 imaginaires par les premiers citadins africains est une réponse à une certaine précarité de l’intelligible. De fait, l’arrivée en ville constitue une expérience intellectuelle bouleversante. Pour ces premiers citadins comme pour leurs familles restées au village, il faut désormais expliquer l’éloignement et l’absence prolongée (les corps disparus des victimes ?), de nouveaux rapports d’autorité (avec le corps policier, les membres de l’administration coloniale, les médecins), des entreprises inédites de monétarisation du corps (les prostituées indépendantes, nouvelles figures urbaines, apportent leur concours au métier de vampire »), une pénétration de l’intime par la médecine occidentale (d’où la focale autour du sang). La fabrication imaginaire d’une ville parasitaire, « qui suce le sang », trouve un écho important au sein de la littérature kenyane. Rashmi Varma (2012) identifie deux métaphores dominantes au sein des représentations littéraires de Nairobi : la prostituée et le parasite. Dans le Voices in the Dark de Leonard Kibera (1970), l’intrigue principale se situe à Etisarap Road, un anagramme pour « Parasite ». Chez Meja Mwangi, les espaces marginaux de la ville sont considérés comme des cafards, par lesquels s’expérimente la dégradation morale de soi (les “coakraches”, dans Going down River Road, 1976, notamment). Dans Petals of Blood (1977), Ngugi wa Thiong’o développe, à travers le personnage féminin de Wanja, le thème de la prostitution associée à une forme moderne et respectable de travail salarié. Wanja, comme d’autres femmes de son entourage, cherche à consolider des relations affectives avec des hommes afin d’assurer sa mobilité sociale. Ces imaginaires semblent procéder d’un syncrétisme original entre la souillure et la modernité. La ville est inconstablement le lieu de la découverte, du tâtonnement, de la vie moderne, où de nouveaux types de rapports humains s’engagent. Pourtant, ces nouveaux rapports se jouent sur un mode dégradé – celui de la domination, du profit, du parasitisme, de la violence – y compris en engageant l’enveloppe la plus intime du soi, son propre corps. Le vampire comme la prostituée – métaphores de la vie urbaine –, présentent un rapport inquiétant à l’autre : un rapport de contact, de proximité inédite, dont la menace n’est jamais exempte.
Les trois récits que je viens brièvement de développer, bien que situés à des niveaux très différents, se recoupent en un point. Tous trois disent quelque chose de la fragilité du lien. Les ambiguïtés de la planification coloniale et postcoloniale soulignent l’incertitude de l’attache spatiale pour le citadin africain. Sur un plan familial et communautaire, le processus d’altération du lien (réel ou imaginé) peut être vécu, selon les situations, comme un péril ou une chance. La fragilité du lien est aussi celle de l’intelligibilité. L’arrivée en ville est une expérience de l’imagination. Elle exige du nouveau citadin qu’il engage un travail de rupture avec son propre référentiel de connaissance. Celui-ci se trouve alors confronté à une triple incertitude : spatiale, sociale, et intellectuelle.
Ces trois récits, tirés de l’histoire coloniale et postcoloniale de Nairobi, montrent cependant leurs limites sitôt qu’on tente de les déployer au sein de la vie urbaine contemporaine. Tous trois tendent en effet à rigidifier une relation à deux termes : la vie rurale et la vie urbaine. La vie urbaine, sorte de parasite univoque et essentialisé, représenterait le “constitutive outside” (A. Roy 2011)16 de la vie rurale. C’est un autre récit de la précarité que j’aimerais proposer à présent. Le citadin ne se projette plus simplement en miroir du lieu contraire (s’est-il jamais projeté ainsi ?), mais doit composer avec une somme incertaine de lieux fragmentés, kaléiodoscopiques, qui constituent son expérience urbaine. La coupure, en même temps qu’elle s’est déplacée, s’est multipliée. Désormais, la fragilité du lien (spatial, social, intellectuel) s’observe au sein même des différents espaces urbains. Il ne s’agit plus, pour reprendre l’image du straddler, d’avoir « un pied de chaque côté », mais de penser une vie urbaine chorégraphique (Calas 2002), où l’existence se tisse – et du même coup se fragilise – à partir d’une multiplicité de lieux, de codes, d’ambiances, et d’imaginaires.

Enquête entre les fragments : où passe la coupure ?

Nairobi est aujourd’hui une métropole de 3,5 millions d’habitants (Nairobi City County, estimation 201717) et la quatorzième ville d’Afrique en termes de population (voir Carte 2 ci-dessous). Sa région métropolitaine, la Greater Nairobi Metropolitan Region, comprend 4 comtés (counties) parmi les 47 composant le Kenya (Nairobi, Kiambu, Machakos, Kajiado) et représentait en 2009 une population de 6,5 millions d’individus, soit 16,5 % de la population kenyane. Son image est fondamentalement ambivalente et s’appréhende d’emblée par la diversité de ses paysages (Hake 1977 ; Charton-Bigot et Rodriguez-Torres 2006). D’une part, la capitale économique de l’Afrique de l’Est fait figure de métropole résolument moderne, permettant de nourrir l’espoir d’un mode de vie libéré. Son CBD18 « à l’américaine », composé de tours de bureaux et de commerces branchés (coffee houses, bars, boîtes de nuit, magasins de high tech…), donnent des gages à l’imaginaire globalisé de la modernité urbaine (Robinson 2006, voir aussi Figure 4 et Figure 5 ci-dessous). Dans les zones résidentielles, le mall (centre commercial et de loisirs) constitue le haut-lieu de la vie moderne. Pensé pour la mobilité automobile, ancré dans le mode de vie des couches moyennes et aisées, il constitue tout à la fois un centre d’activités, un nœud de sociabilités et un monument structurant sur le plan identitaire et paysager.

Les quatre dimensions de la fragmentation

Comme d’autres grandes métropoles du Sud, Nairobi n’échappe pas à ce discours. Celui-ci se cristallise notamment autour de la question de la fragmentation urbaine. Importée des théories anglophones sur la ville post-fordiste (Dear et Flusty 1998 ; Soja 2000), la notion recouvre aujourd’hui plusieurs ordres de réalité. De manière théorique, elle peut se définir comme la coupure absolue entre des parties de la ville, sur les plans social, économique et politique. » (Gervais-Lambony 2001, 35, cité dans Dupont et Houssay-Holzschuch 2003). Ces « coupures » sont la conséquence d’un processus de dé-solidarisation et d’autonomisation de certains groupes sociaux sur les plans pratiques, administratifs et politiques. Françoise Navez-Bouchanine (2001) y ajoute la mise en péril d’un « système de représentation », l’abandon d’une « construction collective qui rend possible la convivialité » (p. 114). La fragmentation n’est pas seulement une coupure de l’espace (matériel et social), elle recouvre aussi, sur le plan des représentations, le renoncement à un référentiel commun d’appartenance. Parmi les nombreux travaux consacrés à cette notion, un collectif d’auteurs (Bénit et al. 2007) distingue quatre dimensions du phénomène : spatiale, politique, sociale et économique. Pour chacune d’entre elles, Nairobi semble donner des gages de sa fragmentation.

La fragmentation spatiale.

La fragmentation spatiale désigne tout à la fois la coexistence des « fragments » de la ville et la matérialisation des séparations urbaines (murs, grilles, barrières, espaces-tampons, « trous »). Le modèle de Dear et Flusty (1998), conceptualisant une ville en échiquier où se juxtaposent des morceaux de villes cloisonnés (gated communities, quartiers d’affaires sanctuarisés, centres commerciaux et de loisirs, quartiers de guérilla urbaine…), fait régulièrement l’objet de critiques, notamment pour avoir occulté la spécificité et la variété des séparations urbaines (Dorier-Apprill et Gervais-Lambony 2007 ; Houssay-Holzschuch et al. 2018). À Nairobi comme ailleurs, plusieurs critères permettent cependant d’exprimer leur diversité : leurs formes spatiales, leurs objectifs de fermeture, leurs valeurs visuelles, enfin, leurs appropriations par les citadins eux-mêmes. Je n’en donne ici qu’un bref aperçu, pour y revenir plus longuement par la suite.
Les formes spatiales. Les séparations ou « coupures » urbaines de Nairobi prennent des formes variées, notamment en fonction des types d’espaces qu’elles cloisonnent. Dans les beaux quartiers à l’ouest de Nairobi (Kilimani, Kileleswha, Westlands, Lavington) les compounds (îlots d’immeubles résidentiels fermés) sont protégés par des murs « en dur », rehaussés de barbelés et/ou d’une clôture électrique (voir Figure 6 et Figure 7 ci-dessous). Ce type d’équipement se retrouve sur les enceintes des malls prestigieux (centres commerciaux) ou de certains bâtiments publics. Dans les quartiers résidentiels de classe moyenne, au sud du centre-ville (South B, South C), à l’ouest (Ayani, Woodley) ou à l’est (Buruburu, Umoja), les lotissements de maisonnettes (les courts), enserrés dans des réseaux de culs-de-sac privatisés, sont généralement fermés par des murs hérissés de tessons de bouteille et une grille à l’entrée. Ce phénomène de fermeture des îlots urbains est tout aussi présent dans les grands bidonvilles de Nairobi, où des ruelles secondaires sont barrées par des portes ou des palissades en tôle, fermées la nuit (voir Figure 8). Les séparations urbaines ne prennent pas nécessairement la forme d’un mur, d’une grille ou d’une palissade. Elles ont parfois l’apparence d’un « trou », d’un vide dans le tissu urbain (Houssay-Holzschuch et al. 2018). Ces espaces vacants – dont la fonction est à rapprocher des zones-tampons (buffer zones) du modèle urbain de l’apartheid sud-africain – sont diffus dans la ville et revêtent plusieurs formes : terrains vagues, chantiers perpétuellement en cours, zones végétalisées (le rond-point Globe en centre-ville par exemple), parcs à l’abandon… Comme les murs, mais sans nécessairement constituer un obstacle, ces espaces réinsèrent de la distance au sein de la proximité (Amilhat Szary 2012).
Toutes ces séparations ne remplissent pas les mêmes objectifs de fermeture. Une simple observation empirique permet de le vérifier. Les portes des compounds, dans les quartiers aisés de la ville, sont presque systématiquement closes. Le visiteur ne rentre pas s’il n’y est pas invité. Les grilles des courts, dans les lotissements de classe moyenne, ne sont fermées que la nuit. En journée, elles restent ouvertes ou semi-ouvertes – le grincement des gonds attire l’attention du gardien, qui vérifie ainsi l’identité du visiteur. Aux portes des malls, les portiques de sécurité servent moins à refuser l’accès qu’à filtrer les entrées – contrôler les individus et les objets qui rentrent à l’intérieur de l’enceinte. Enfin, certains espaces vacants (les terrains vagues aux entrées des bidonvilles, par exemple), s’ils n’empêchent pas les circulations au sens strict, agissent davantage comme des dispositifs d’invisibilisation de paysages ou de populations indésirables. En un sens métaphorique, ils ferment l’œil, plutôt que l’espace.
Cette dernière remarque permet de souligner la diversité des valeurs visuelles de ces séparations. Certaines séparations urbaines fonctionnent de façon théâtrale : elles donnent les hauts murs des compounds aisés, ultra-équipés, consacrent le prestige du lieu : ils disent quelque chose de sa richesse, de son raffinement, du caractère sélectif de son accès. Sur un plan politique, le mur, par sa puissance visuelle, permet de « montrer l’impalpable » ; en d’autres termes, il « rassure la communauté […] sur son existence même en distinguant le dedans du dehors. » (Amilhat Szary 2012, 77). Dans d’autres cas, la séparation se rend invisible (Houssay-Holzschuch et al. 2018), elle constitue moins-qu’-un-paysage (un Tiers-paysage, rappellent les auteurs), contribuant à banaliser les situations de séparation et de marginalisation. Le terrain vague de D.C. Ground par exemple, aux portes du plus grand bidonville de Nairobi, Kibera, permet de dérober au regard des lotissements chics de Kilimani l’immense cohorte de cahutes qui plonge aussitôt dans la vallée (voir Figure 9).
Enfin, les séparations urbaines ne sont pas des « natures mortes » dans le paysage urbain. Elles sont tour à tour appropriées, ignorées, contestées, détournées par les individus. Certaines – les portiques de sécurité, notamment, ou les portes des compounds – s’inscrivent dans des dispositifs qui requièrent une activité humaine constante (de gardiennage, d’entretien). En conséquence, elles deviennent aussi des lieux de vie. D’autres font l’objet de petits « braconnages » (Certeau 1990) : on peint les murs, les palissades, on s’y exprime, on y monte, on accroche des objets aux barbelés. Ces micro-détournements permettent d’interroger la temporalité de ces séparations physiques et leur propension à glisser d’un usage à l’autre, d’une signification à une autre, dans un champ infini de possibilité. En cela, elles participent de ce qu’Abdumaliq Simone appelle, dans le contexte des villes subsahariennes, un « payage glissant » (“a slippery landscape”, 2011, 380).
Immédiatement perceptible dans le paysage, la dimension spatiale de la fragmentation s’accompagne cependant d’autres formes de coupure, moins tangibles, à l’œuvre au sein de l’espace urbain. La fragmentation politique est l’une d’entre elles.

La fragmentation politique

La fragmentation politique signifie « une séparation juridique, politique ou institutionnelle entre des territoires marqués par la proximité » (Bénit et al. 2007). Depuis l’indépendance de 1963, et jusqu’à la réforme constitutionnelle de 2010, la gestion politique de Nairobi est marquée par la concurrence de deux systèmes parallèles (Hendriks 2010) : l’administration centrale et l’administration municipale.
L’administration centrale, héritée de la période coloniale, assure la représentation de l’État chaque échelon territorial (de la Province jusqu’à la Sublocation). Elle est notamment en charge de l’administration de la police et du système judiciaire. L’administration municipale, gérée depuis 1963 par le City Council of Nairobi (CCN), est historiquement en charge de la planification, de l’approvisionnement de la ville, de la maintenance des infrastructures, de la politique du logement et des services publics (Kedogo, Sandholz, et Hamhaber 2010). À partir de 1992, le CCN est composé de 74 représentants (councillors), dont 55 sont élus en parallèle des élections nationales20. Progressivement, et jusqu’en 2010 – date de sa dissolution au profit du Nairobi City County – , ses prérogatives sont progressivement mises en concurrence avec celles des administrations parallèles, symptôme d’un climat de défiance de la part du gouvernement central. En 1983, l’administration du président Daniel Arap Moi crée 18 comités indépendants pour orienter l’action de la municipalité. Vingt ans plus tard, en 2003, la création du Nairobi Interim Oversight Board – un organe de lutte contre le déclin économique et la corruption – est perçue par le pouvoir municipal comme une tentative d’interférence de l’État au sein de son champ d’action. Enfin, la création en 2008 du Ministry for Nairobi Development, en charge du lancement de l’agenda Nairobi Metro Vision 2030, crée une troisième chaîne hiérarchique concurrençant à plusieurs échelons l’administration municipale (voir tableau ci-dessus). La coexistence de ces administrations parallèles tend à favoriser les logiques d’intrigue et d’opposition entre élus locaux et représentants de l’administration centrale. Les councillors municipaux, lorsqu’ils sont élus sur un ticket national d’opposition, utilisent notamment leur position comme un levier de mise en échec du pouvoir central, n’hésitant pas à promouvoir des politiques contradictoires (Kedogo, Sandholz, et Hamhaber 2010).
Dans les années 1990-2000, sous l’impulsion des grandes institutions internationales (FMI, Banque mondiale), des initiatives en faveur d’une meilleure gouvernance urbaine sont progressivement mises en place. Entre 1996 et 2002, le Nairobi Informal Settlements Coordination Committee (NISCC) se concentre sur la réduction de la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie au sein des quartiers d’habitat spontanés (bidonvilles). Ce réseau de gouvernance, structuré autour de forums urbains, privilégie le dialogue avec les ONG et les CBO (Community Based Organisation), des organisations considérées comme les représentant légitimes de la population ciblée. Les habitants hors des bidonvilles ne sont pas consultés. Seconde initiative, le LASDAP Nairobi, créé en 2002, constitue la branche métropolitaine du mécanisme étatique LATF (Local Authorities Transfer Fund). Son objectif principal consiste à mettre en œuvre une période consultative d’une durée de trois ans, au cours de laquelle les citoyens sont invités à identifier leurs besoins et définir leur priorités en matière de services urbains. Organisés à l’échelle du ward21, les meetings du LASDAP Nairobi regroupent des représentants du City Council et des associations civiles (groupes de bienfaisance, comités de voisins, associations sportives). Bob Hendriks (2010) note que les couches moyennes et pauvres de la population y sont surreprésentées, tandis que les couches supérieures tendent à s’en désintéresser. En outre, les projets formulés lors des meetings ne se font pas en consultation directe avec les populations issues des wards voisins.
Plus petit échelon administratif. initiative notable, le City Council of Nairobi Stakeholder Forum (CCNSF) est un réseau de gouvernance initié en 2006, rassemblant le City Council, de grandes associations de résidents et les principaux acteurs économiques privés. Se livrant principalement à une activité de lobbying auprès du Ministry for Nairobi Development, il n’intègre ni les organisations civiles locales, ni les couches pauvres de la population. Ces trois initiatives – NISCC, LASDAP, CCNSF – sont symptomatiques de la fragmentation politique à l’œuvre à Nairobi. Cette fragmentation prend ici la forme d’une segmentation des canaux politiques de représentation en fonction des couches sociales de la population. D’une part, des territoires « pauvres » sont identifiés et un schéma de gouvernance spécifique, le plus souvent délégué aux ONG, leur est attribué. Au sein de ces territoires, l’endo-gestion est systématiquement privilégiée, au détriment de projets urbains cohérents à plus petite échelle. D’autre part, les populations les plus aisées, associées aux grands acteurs économiques, entendent infléchir la politique de grands projets à l’échelle métropolitaine (c’est le cas du CCNSF, par exemple). En ce sens, l’autonomisation du politique à l’égard des pauvres et l’entre-soi gestionnaire des couches dominantes constituent les deux versants de la fragmentation politique à Nairobi.
En 2010, suite notamment aux troubles politiques majeurs de 2007-2008, les Kenyans votent pour l’adoption d’une nouvelle constitution, définitivement mise en œuvre lors des élections de 2013. À partir de cette date, 47 counties (comtés) sont créés et dotés d’un regain d’autonomie vis-à-vis du pouvoir central (création de parlements au niveau du county, autorisation de lever des taxes). Le City Council of Nairobi disparaît au profit du Nairobi City County, qui prend la forme institutionnelle d’un county à part entière. La classe politique est relativement unanime sur le bien-fondé de la décentralisation : “[it will] bring services closer to the people”22 (Evans Kidero, Nairobi County Governor). Dans les faits, il est sans doute encore un peu tôt pour évaluer son efficacité.
Ce changement institutionnel ne doit pas masquer, toutefois, la persistance de pratiques politiques menaçant l’intérêt général (Bradshaw 1988 ; Médard 2006 ; Hendriks 2010). D’une part, la très grande porosité entre les élites économiques et politiques encouragent la confiscation du pouvoir au service d’un enrichissement personnel. Le phénomène de land-grabbing – « les pratiques d’accaparement de la terre par des personnes occupant des positions institutionnelles de pouvoir ou leurs proches » (Médard 2006, 94) – constitue la manifestation la plus médiatisée de cette pratique. D’autre part, les logiques clientélistes des élus locaux s’accommodent de la pauvreté de certaines populations urbaines, auxquelles on promet régulièrement, en fonction des échéances électorales, une amélioration de leurs conditions de vie (“no business like slum business”, écrit Florence Dafe, 2009). De nombreux auteurs privilégient une lecture ethnique de ce clientélisme (Bratton et Kimenyi 2008 ; Kiringai 2006 ; Kanyinga 2006) : les partis politiques, structurés autour d’une identité ethnique forte, conservent ainsi des fiefs urbains directement mobilisables en période électorale (les Luos de Kibera, les Kikuyus de Kawangware…). La vulnérabilité de ces populations, leur espoir de changement, conjugués à une forte loyauté ethnique, crée des antagonismes politiques marqués entre les territoires – antagonismes largement instrumentalisés par les élites économiques et politiques de la ville.

La fragmentation sociale.

Conséquence directe de la segmentation du politique à l’échelle métropolitaine, la fragmentation sociale est sans doute la plus difficile à qualifier. De manière synthétique, elle signifie la tentative d’affaiblissement, par certains groupes, des liens de sociabilité et de solidarité avec leur environnement immédiat. Deux phénomènes concourent principalement à sa formation : le « décrochage sélectif » (Jaglin 2001, 252) des groupes de citadins les plus aisés et la gestion compartimentée des populations pauvres au sein de dispositifs socio-territoriaux coupés du reste de la ville.
Le décrochage sélectif des populations aisées consiste à réinvestir une capacité à choisir : choisir de payer ce que l’on consomme (et non plus payer pour tous), choisir son voisinage, choisir ses équipements, ses services, son cadre de vie – et de ce fait, se décrocher de la solidarité collective. Cette capacité de choix, facilitée par la propension de ces groupes à mobiliser des acteurs institutionnels puissants, s’opère le plus souvent au détriment des populations les plus vulnérables. Marie-Emmanuelle Pommerolle et Mutuma Ruteere (2003) analysent par exemple la mise en place d’un partenariat public-privé entre la police et une association de “business people” (Nairobi Central Business District Association, NCBDA) dans le centre-ville de Nairobi. Le projet, initié en 1999, consiste à fournir des moyens supplémentaires à la police (formation d’une vingtaine d’agents à l’étranger, installation de postes mobiles dans le centre-ville, fourniture de 44 véhicules Land Rover) afin d’obtenir une meilleure surveillance du centre-ville, nécessaire à la poursuite des intérêts économiques du NCBDA. Les auteurs étudient de façon fine comment ce nouvel ordre policier a lieu au détriment de la sécurité des petits commerçants et travailleurs présents dans ce périmètre (taxis, petits kiosks, vendeurs de rue). De fait, nombre d’entre eux témoignent des agressions quotidiennes, des extorsions et des arrestations arbitraires dans le cadre d’une présence policière renforcée. Le projet du NCBDA a pour conséquence de les exposer directement à la répression policière (“to bring repression closer to them”, 2003, 600). Dans ce cas précis, le « décrochage » d’une certaine catégorie de la population ne se fait pas par auto-retranchement – se retirer de la ville en s’entourant de murs – mais par filtrage d’une catégorie de population considérée comme socialement et économique indésirable. En ce sens, le processus est sélectif et participe d’un phénomène de fragmentation sociale.
La gestion compartimentée ou « encapsulage » (Jaglin 2001, 254) des populations pauvres au sein de dispositifs spécifiques constitue l’envers nécessaire du décrochage sélectif des plus aisés. Pour Sylvy Jaglin, l’ « encapsulage » des pauvres se définit comme un processus de rationalisation urbaine qui consiste à « sérier les clientèles et à compartimenter leurs territoires de gestion » (p. 254). Du point de vue des entreprises gestionnaires publiques, ce processus est sous-tendu par plusieurs logiques : s’adapter aux besoins réels des consommateurs, calibrer l’offre en fonction de leur solvabilité et optimiser les coûts de gestion en s’appuyant sur des associations d’usagers. À Nairobi, pour les populations les moins solvables, il en résulte un désengagement des services publics au profit de solutions alternatives, notamment portées par les ONG. Ce processus de compartimentation des services va de pair avec la segmentation de la représentation politique en fonction des couches sociales de la population, évoquée plus haut. Dans le cas de l’accès à l’eau, Anne Bousquet (2006) décrit le renoncement des autorités municipales à raccorder les foyers individuels des quartiers pauvres au réseau public. En contrepartie, celles-ci font la promotion des kiosques à eau communautaires comme mode principal de desserte. Au sein de ces quartiers, une multiplicité d’acteurs sont susceptibles d’obtenir la gestion des kiosques : ONG, bandes de jeunes, vendeurs privés, association d’usagers, « usuriers » de l’eau. Suivant le contexte local, ces acteurs se livrent une guerre des prix ou au contraire jouissent d’une situation de quasi-monopole, expliquant les très fortes disparités, y compris au sein des quartiers pauvres. Cette juxtaposition de micro-territoires dessine une géographie très fine de la fragmentation de l’accès à l’eau à Nairobi. La carte ci-dessous (Carte 3) représente la part de la population de chaque ward n’ayant pas d’autre choix que de recourir à une source d’eau non-sécurisée (unimproved source). À l’échelle de la ville, elle dessine approximativement la coupure bien connue entre une partie ouest aisée (malgré des poches interstitielles de pauvreté) et une partie est plus populaire. L’analyse à une échelle plus fine des quartiers populaires nord-est de la ville (Pumwani, Eastleigh, Mathare, Dandora, Umoja, Kayole) montre toutefois qu’au sein d’espaces socio-économiques comparables, des inégalités significatives existent. La comparaison des différents wards du bidonville de Mathare par exemple ou celle des quartiers résidentiels de classe moyenne d’Umoja et de Kayole (voir le zoom de la Carte 3) soulignent des différences de proportion pouvant varier selon un rapport de 1 à 10. Dans ce dernier cas, la notion de fragmentation sociale revêt un sens un peu différent. Il ne s’agit plus de la tentative de certains de se retrancher du collectif, mais d’un renoncement par les autorités municipales elles-mêmes à se représenter la ville comme un territoire cohérent et socialement solidaire.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I. La place des veilleurs dans la ville, un objet de recherche oblique
II. Nairobi, un terrain à la croisée des imaginaires
III. Le plan de la thèse
CHAPITRE I. NAIROBI, OU LES COUPURES PASSENT AU MILIEU DES VIES
I. Fragments de ville ou fragments de vie ?
A. Trois récits de la précarité citadine
1. « Déguerpir » ou laisser-faire : les ambiguïtés de la planification coloniale et postcoloniale.
2. Le straddler et la prostituée. Un récit du lien social en danger.
3. Une ville qui suce le sang ? La citadinité comme mise à épreuve de l’intelligibl
B. Enquête entre les fragments : où passe la coupure ?
1. Les quatre dimensions de la fragmentation
a) La fragmentation spatiale.
b) La fragmentation politique
c) La fragmentation sociale.
d) Ségrégation ou fragmentation économique ?
2. Les vies citadines, des « espaces » de la coupure ?
II. Un entrée dans la ville inquiète
A. Le paysage confus de la violence à Nairobi
1. Violence terroriste, violence politique, violence quotidienne: jeux d’entrecroisements traumatiques
a) Le paysage quotidien de la terreur. Une expérience précoce de la violence terroriste
b) Les violences postélectorales de 2007-2008 : un traumatisme de proximité ?
c) La violence urbaine quotidienne.
2. Mesurer, cartographier. La violence à sa place
a) Mesurer la criminalité
b) Cartographier la violence, « un petit rien sécuritaire » ?
B. Les acteurs quotidiens de la sécurité.
1. La police kenyane : les structures changent, les pratiques restent ?
2. Le marché des entreprises privées de sécurité
3. Policer par le public ?
a) La réinvention des pratiques citoyennes de “policing”
b) Main molle de l’État, main forte des citoyens
C. Un paysage de la fermeture
1. Trop près ou trop loin de l’autre ? Les contradictions du désir communautaire
2. Compounds, malls, courts, villages. Les formes spatiales de la communauté
Conclusion du chapitre
CHAPITRE II. SECURISER LA VILLE OU LA PRODUCTION DE L’ABANDON
I. Sécuriser, est-ce séparer ? Les dessous de la métaphore sécuritaire
A. Se couper du monde ? La sécurité à l’épreuve des Sages
1. La sérénité antique (ataraxia) : le Sujet contre le Fracas du monde
2. Un état singulier… construit collectivement ?
B. Refouler la violence. L’invention du sanctuaire-sauvage
1. Territoires civilisés, espaces sauvages : projeter la violence à l’extérieur
2. … et l’obscurcir à l’intérieur
C. Et il se pourrait bien que certains meurent… La sécurité foucaldienne au service de la norme
1. Les dispositifs de sécurité, ou comment infiltrer les phénomènes
2. Différencier, abandonner : les deux mécanismes de la métaphore foucaldienne
D. Politiques de l’intime
E. De la sécurité à l’abandon : un glissement
II. Logiques et figures de l’abandon
A. L’abandon comme double sécuritaire
1. Puissance de « ne pas »
2. De la suspension à la forme-de-vie : l’abandon
B. Les veilleurs de Nairobi : à la recherche des figures urbaines de l’abandon
1. Penser l’abandon au quotidien
2. Vivre en tant que « veilleur » : quatre paradoxes
Conclusion du chapitre
CHAPITRE III. DES MONDES EN MIROIR
I. Kilimani/Kileleshwa, Buruburu, Kibera : à la croisée des mondes
A. Des mondes en miroir ?
1. Un détour par Kinshasa
2. Mes terrains comme des « mondes »
3. Le miroir, ou comment regarder « à côté »
B. Au service du standing : les veilleurs aux portes des résidences de Kilimani et Kileleshwa.
1. La vie de compound. Le « double monde » des ensembles résidentiels fermés des quartiers ouest de Nairobi
2. Les security guards des Private Security Companies (PSC).
C. À Buruburu, les veilleurs entre deux mondes
1. Le quartier de Buruburu, à Eastlands : un monde à plusieurs enveloppes
2. Les watchmen de Buru : des gardiens par mimétisme ?
D. À Kibera, le monde du shoro et le monde du jiko
1. Le bidonville de Kibera : un espace saturé de discours
2. “The Chief’s good boys”. Les youthgroups de Kibera et le monde shoro shoro
3. Les femmes du Power Women Group
II. Du mimétisme comme méthode
A. Choisir son camp
1. Le « petit Blanc qui parle aux gardiens »
2. L’ « attente » comme « art-de-faire du terrain » (Buire 2012)
B. Creuser… mais pas trop
1. Une photo et un fiasco
2. La superficialité comme relation de confiance
a) Être gangster comme être sorcier
b) Ni trop sceptique, ni trop crédule
C. “I wake up, I come here, I come back home, I cook, I go to bed” : « enregistrer » le quotidien du Power Women Group
Conclusion du chapitre
CHAPITRE IV. UNE PAROLE « MINEURE » ? PISTES POUR UNE METHODOLOGIE DE CREATION POETIQUE AUPRES DES VEILLEURS
I. “Time doesn’t move when I’m alone.” Les insuffisances du récit de vie
A. Le problème du « Je »
B. Le problème du Temps
II. La poésie comme « expression mineure » ?
A. Ce que la poésie n’est pas
1. Écrire de la poésie en situation postcoloniale
2. Désacraliser la poésie… et resacraliser le poème
a) Désacraliser la poésie : les petites bizarreries
b) Resacraliser le moment…
c) …et faire « œuvre »
B. Un engagement « mineur » ?
1. Des Kafka au Kenya ? Quelques pistes pour une théorie du « mineur »
2. Pour une poésie « mineure » en sciences sociales
a) L’attention aux choses infimes du quotidien
b) Une langue trois fois impossible
III. Poèmes-liste, poèmes-place, poèmes-pommade. Un panorama des écritures poétiques des veilleurs
A. Les poèmes-liste
B. Les poèmes-place
C. Les poèmes-pommade
D. Vers un autre monde : un atelier de création poétique avec les femmes du PWG
Conclusion du chapitre
CHAPITRE V. ÊTRE VEILLEUR AU QUOTIDIEN
I. Apprendre le métier
A. Incarner les valeurs du collectif
1. Être la vitrine de l’entreprise
2. Marqué par le gang
B. Intervenir, ou l’art d’apprendre la bonne distance
1. Neutraliser ses émotions ?
2. “We are over-qualified for love”. Chez les youthgroups, un savoir-faire émotionnel ? .
II. Jouer et déjouer le quotidien
A. Tenir son poste
1. Tenir son poste pour les youthgroups : jeu, parole, évènement
a) Être dans le “game”
b) Parler
c) La parole comme jeu : le salut
d) Créer l’évènement ?
2. En miroir : la disponibilité quotidienne des askaris.
B. “Mostly desperation comes with distance.” Les trajets quotidiens des askaris
1. Rêver dans l’intervalle ?
2. Marcher en groupe… mais pas avec n’importe qui
C. Jouer avec son budget
1. Économiser sur les petits plaisirs
2. Les difficultés d’une économie collective de l’urgence.
D. De l’absent au trop-présent : l’investissement de l’espace domestique
1. Aménager l’absence…
2. Ou se ménager une présence ?
Conclusion du chapitre
CHAPITRE VI. VAINCRE LA « BETE FORMIDABLE DE LA MONOTONIE». LOGIQUES DE L’ATTENTE ET CONSTRUCTION DE LA PLACE.
I. Ce qui dans les limbes se tisse
A. L’attente comme phénomène productif
B. En attendant, le développement d’une poly-activité opportuniste ?
1. Trois formes productives de l’attente
a) Des gribouillis sur un papier de chewing-gum
b) Band of Brothers : les 12 Disciples
c) Bienvenue à Gogo Land
d) Stratégie de lieu, stratégie de niche, stratégie de marque
2. La poly-activité des askaris
a) Un exemple de poly-activité individuelle
b) Se faire passer pour un autre.
C. Du lien filé au lien imaginé : la production des imaginaires de l’attente
1. Cosmogonies du gangster
a) Se faire un nom
b) Figer par l’image
2. Les imaginaires de l’attente des askaris. De l’imaginaire du dédoublement à l’interprétation par la pensée magique
a) De l’imaginaire du dédoublement
b) …à l’interprétation magique
II. Tisser une place complexe
A. Déplier la place.
B. La place des veilleurs ou « l’art de devenir oiseleur »
1. La fabrique d’une présence complexe.
2. Parler aux vivants, aux absents et aux disparus, ou « l’art de devenir oiseleur »
Conclusion du chapitre
CHAPITRE VII. SIGNES DE LA VIOLENCE
I. La violence comme signe
A. La violence à la croisée des conceptions
B. Réduire le champ : la violence comme signe.
II. Violences dramaturgiques, violences non dramaturgiques
A. Un public, des acteurs, une scène, des marqueurs : les ressorts de la violence dramaturgique
1. L’importance du public
2. Bons bourreaux et bonnes victimes. Les acteurs de la violence dramaturgique
3. La scène de la violence
4. Marqueurs de la violence
B. “I did something wrong to my God?” Les violences non dramaturgiques
1. Une violence diffuse
2. Une violence oblique
3. Dramaturgies discordantes
a) Violences entre deux mondes
b) Agresseurs et agressés
Conclusion. « Faire une place à la violence »
CONCLUSION GENERALE
Une approche singulière
L’abandon, l’attente, la place complexe : un triptyque pour penser la condition des
veilleurs
Ouvertures. Vers la ville des miroitements ?
ANNEXES
Annexe 1 : Liste des sigles
Annexe 2 : Brève chronologie de l’histoire politique post- coloniale du Kenya
Annexe 3 : Guide d’entretiens formels
Annexe 4 : Tableau des entretiens menés
Annexe 5 : Résumé du contenu des séances de focus group auprès des femmes du Power
Women Group en 2015 et 2016
Annexe 6 Fac-similés de quelques planches préparatoires réalisées lors d’un atelier avec le Power Women Group
Annexe 7 : Copie verbatim d’une prise de notes d’un security guard lors de son stage de formation (extraits)
BIBLIOGRAPHIE

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