Vieillissement cognitif et sensori-moteur : Une approche quantitative

De manière générale, les recherches sur le vieillissement ont pour objectif de comprendre comment évoluent les performances cognitives et/ou sensori-motrices avec l’âge et quels sont les mécanismes responsables de cette évolution. Deux grandes approches, non exclusives, sont généralement utilisées pour étudier la diminution ou le maintien des performances au cours du vieillissement. Selon l’approche quantitative, le déclin des performances avec l’âge résulterait d’une diminution des ressources de traitement telles que la vitesse de traitement de l’information (Salthouse, 1996), les ressources attentionnelles (Anderson & Craik, 2000; Craik, 1986) ou les fonctions exécutives (West, 1996), comme l’inhibition (Hasher & Zacks, 1988). Selon l’approche qualitative, l’évolution avec l’âge des performances cognitives résulterait de, ou à tout le moins serait associée à des, variations stratégiques. Ainsi, les participants jeunes et âgés n’utilisent pas toujours les mêmes stratégies (ou le même nombre de stratégies) pour accomplir une tâche, n’exécutent pas et ne sélectionnent pas les stratégies disponibles aussi efficacement. Quelle que soit la perspective adoptée, quantitative ou qualitative, de nombreux travaux montrent que le vieillissement est le plus souvent associé à un déclin global des fonctions cognitives (Lemaire & Bherer, 2005) et sensori-motrices (Shumway-Cook & Woollacott, 2007). Par ailleurs, le vieillissement cognitif et sensori-moteur sont généralement étudiés séparément. Pourtant, au cours des vingt dernières années, de nombreuses études ont montré que les interactions entre les processus cognitifs et sensori-moteurs étaient de plus en plus fortes au cours du vieillissement (voir Schäfer, Huxhold, & Lindenberger, 2006, pour une revue), suggérant que des mécanismes communs seraient responsables du déclin avec l’âge des performances cognitives et sensori-motrices (Baltes & Lindenberger, 1997; Lindenberger & Baltes, 1994). Il existe des travaux qui confirment cette hypothèse. Par exemple, les travaux de Sleimen-Malkoun, Temprado, & Berton (2013), qui ont adopté une approche quantitative, montrent dans quelles mesures la diminution avec l’âge de la vitesse de traitement de l’information peut être considérée comme une cause commune au ralentissement des processus cognitifs et sensori-moteurs. Au cours de cette thèse, nous avons choisi d’adopter une approche qualitative pour caractériser les interactions entre les processus cognitifs et sensori-moteurs et leur évolution au cours du vieillissement. La question était de savoir si les modifications qualitatives au cours du vieillissement pouvaient avoir une ou des causes communes. Depuis plus de vingt ans, les recherches menées dans le domaine de la cognition ont permis de montrer comment l’approche qualitative permet d’expliquer à la fois la diminution mais également la stabilité des performances cognitives au cours du vieillissement. Selon cette approche, les effets de l’âge observés dans les tâches cognitives seraient caractérisés, au moins en partie, par l’utilisation de stratégies différentes au cours du vieillissement. Le cadre conceptuel de Lemaire & Siegler (1995) qui distingue quatre dimensions, permet de comprendre comment les adultes jeunes et âgés diffèrent (a) dans le nombre de stratégies utilisées, (b) dans la fréquence d’utilisation, (c) dans l’exécution, et (d) dans la sélection des stratégies. Dans le domaine de la sensori-motricité, certaines études montrent que différentes stratégies peuvent être utilisées pour réaliser des tâches sensori-motrices (e.g., Bennett, Elliott, & Rodacki, 2012; Dounskaia, Wisleder, & Johnson, 2005; Elliott, Hansen, Mendoza, & Tremblay, 2004; Fradet, Lee, & Dounskaia, 2008; Ketcham, Seidler, Van Gemmert, & Stelmach, 2002; Lyons, Hansen, Hurding, & Elliott, 2006). Par exemple, pour réaliser un mouvement de pointage vers une cible, les individus peuvent choisir de surestimer la distance de la cible (ou bien de la sous-estimer) et ensuite réaliser différents mouvements de correction permettant de l’atteindre.

Cependant, dans ce type de tâche, un cadre conceptuel permettant d’étudier ces variations stratégiques au cours du vieillissement n’a jamais été proposé. Nous avons donc fait l’hypothèse selon laquelle les variations stratégiques pourraient se généraliser au domaine sensori-moteur. En effet, d’un point de vue quantitatif, l’évolution commune des performances cognitives et sensorimotrices au cours du vieillissement semble appuyer cette hypothèse. Par ailleurs, d’un point de vue qualitatif, des études récentes réalisées dans le domaine cognitif, ont établi que des mécanismes généraux pourraient être responsables de l’évolution des performances stratégiques au cours du vieillissement. Selon ces travaux, parmi ces mécanismes généraux, les fonctions exécutives (mémoire de travail, flexibilité attentionnelle et inhibition) occuperaient une place centrale. Compte tenu de l’altération des fonctions exécutives avec l’âge (Collette & Salmon, 2014; McCabe, Roediger, McDaniel, Balota, & Hambrick, 2010; West, 1996), ces fonctions médiatiseraient également l’évolution des variations stratégiques au cours du vieillissement (voir Hinault & Lemaire, 2016; Taconnat & Lemaire, 2013, pour des revues). De plus, d’autres études réalisées dans le domaine de la sensori-motricité, suggèrent que les fonctions exécutives seraient fortement impliquées dans les tâches sensori-motrices complexes telles que la marche (e.g., Verghese, Mahoney, Ambrose, Wang, & Holtzer, 2010) ou la posture (e.g., Woollacott & Shumway-Cook, 2002), et particulièrement dans les tâches de pointage (ReyRobert, Temprado, Lemaire, & Berton, 2012; Temprado et al., 2013).

Vieillissement cognitif et sensori-moteur : Une approche quantitative

Selon l’approche quantitative, la diminution des performances cognitives, depuis les niveaux les plus élémentaires (e.g., la perception) jusqu’aux niveaux les plus intégrés (e.g., le raisonnement), résulterait d’une diminution des ressources de traitement. La différence de performances entre les jeunes et les âgés pourrait être due à la diminution au cours du vieillissement de la vitesse de traitement de l’information (Salthouse, 1996), des ressources attentionnelles disponibles pour initier les opérations cognitives ou motrices (Anderson & Craik, 2000; Craik, 1986) ou des fonctions exécutives (West, 1996). Dans la première partie de ce chapitre, nous faisons une synthèse de la littérature sur les variations quantitatives avec l’âge dans les domaines de la cognition et de la sensori-motricité. Puis, dans une deuxième partie, nous rapportons les résultats des travaux empiriques qui montrent une évolution commune de la cognition et de la sensori-motricité avec l’avancée en âge.

Variations quantitatives au cours du vieillissement cognitif

Les recherches sur le vieillissement cognitif ont permis de décrire avec précision les changements cognitifs qui apparaissent avec l’avancée en âge (Craik & Salthouse, 2008; Patrick. Lemaire & Bherer, 2005; Park & Schwarz, 2000; Salthouse, 2010). Ces recherches ont été menées dans des domaines cognitifs variés et ont permis de mettre en évidence une diminution avec l’âge de l’efficacité des processus mis en œuvre. Dans cette partie, nous décrivons l’impact du vieillissement sur plusieurs grandes fonctions cognitives telles que la mémoire, l’attention, ou la résolution de problèmes. Nous verrons que les effets du vieillissement ne sont pas les mêmes selon les fonctions cognitives étudiées.

La mémoire

La mémoire est l’une des fonctions cognitives les plus importantes. Elle permet d’encoder une information, de la stocker, puis de la récupérer, de façon automatique ou volontaire. Les recherches expérimentales ont permis de faire la distinction entre plusieurs systèmes mnésiques. La mémoire à court terme (ou mémoire de travail) est une mémoire de l’instant, c’est-à-dire qu’elle permet de stocker et de traiter des informations pendant une courte durée, comme par exemple, retenir un numéro de téléphone que l’on veut composer ou effectuer un calcul mental. Les autres systèmes mnésiques fonctionnent à plus long terme. La mémoire épisodique permet de stocker et de récupérer des souvenirs personnels sur des événements vécus, alors que la mémoire sémantique est la mémoire des connaissances générales sur le monde, incluant les faits, les concepts et le vocabulaire. Enfin, la mémoire implicite est la mémoire des informations et actions qui ne font pas intervenir directement la conscience. Elle comprend la mémoire procédurale qui permet l’apprentissage, le stockage et la récupération de procédures perceptuelles, sensorimotrices et cognitives, comme faire du vélo ou jouer d’un instrument de musique. Plusieurs études se sont intéressées aux effets du vieillissement sur la mémoire. Ces études ont montré que l’âge n’affecte pas les différents systèmes mnésiques de la même façon.

La mémoire de travail 

La mémoire de travail joue un rôle fondamental dans la cognition et est impliquée dans plusieurs activités cognitives telles que le raisonnement, la résolution de problème, la prise de décision ou le traitement du langage. Selon (Baddeley, 2000), la mémoire de travail comprend quatre composantes : un système central exécutif (ou administrateur central), deux systèmes esclaves (i.e., le calepin visuo-spatial et la boucle phonologique) et une interface avec la mémoire épisodique. L’administrateur central aurait pour fonction de contrôler l’allocation des ressources attentionnelles, de coordonner les deux systèmes esclaves, de transférer les informations en mémoire à long terme et de prendre des décisions. La boucle phonologique serait impliquée dans la compréhension du langage oral et permettrait l’autorépétition mentale dans le but de maintenir l’information. Le calepin visuo spatial coordonnerait les processus impliqués dans les tâches d’imagerie mentale. Enfin, la mémoire tampon épisodique serait une interface avec la mémoire à long terme. Deux types d’empan permettent d’évaluer les différentes composantes de la mémoire de travail. D’une part, l’empan de simple stockage évalue soit les capacités de la boucle phonologique, soit les capacités du calepin visuo-spatial ; d’autre part, l’empan de stockage et de traitement évalue, à la fois, les capacités de l’administrateur central et de l’un des deux soussystèmes esclaves. Pour évaluer l’empan de simple stockage, les chercheurs utilisent des tâches d’empan de chiffres, d’empan de mots ou d’empan visuo-spatial. Ces tâches consistent à présenter des séquences de longueur croissante de chiffres ou de mots (pour la modalité verbale) à des participants qui doivent les retenir et les rappeler immédiatement (pour la modalité visuo-spatiale, les séquences à retenir et à reproduire sont désignées par l’expérimentateur sur une planche de bois qui comporte neuf cubes). Certaines études comparant les empans d’adultes jeunes et âgés n’ont rapporté aucune différence entre les deux groupes d’âge (e.g., Belleville, Peretz, & Malenfant, 1996; Craik, 1977; Gilhooly, Wynn, Phillips, Logie, & Della Sala, 2002; Vecchi & Cornoldi, 1999) tandis que d’autres ont rapporté une diminution de la taille des empans au cours du vieillissement (Jenkins, Myerson, Joerding, & Hale, 2000; Kynette, Kemper, Norman, & Cheung, 1990; Park et al., 2002). Pour évaluer l’empan de stockage et de traitement, les chercheurs demandent aux participants de rappeler les séquences de chiffres ou de mots dans l’ordre inverse. Pour cela, il est également nécessaire de solliciter l’administrateur central pour manipuler mentalement les informations qui sont plus perceptivement présentes. Dans ce type d’évaluation, des tâches d’empan de lecture ou encore d’empan calculatoire peuvent également être utilisées. Les études réalisées dans le cadre du vieillissement montrent que les adultes âgés ont plus de difficultés que les adultes jeunes à manipuler et traiter les informations (e.g., Daneman & Carpenter, 1980; DeDe, Caplan, Kemtes, & Waters, 2004; Park et al., 1996; Salthouse & Babcock, 1991).

La mémoire épisodique 

La mémoire épisodique est considérée comme le système mnésique le plus altéré au cours du vieillissement (e.g., Isingrini & Taconnat, 1997). Pour étudier les effets de l’âge sur la mémoire épisodique, les chercheurs utilisent le plus souvent des listes de mots ou d’images que les participants doivent mémoriser et rappeler ultérieurement lors d’une tâche de rappel libre (i.e., sans aucun indice), de rappel indicé (i.e., la catégorie sémantique du mot est fournie par l’expérimentateur) ou de reconnaissance (i.e., identifier des stimuli cibles qui font partie de la liste d’apprentissage parmi des stimuli distracteurs). Les études menées (Craik, Byrd, & Swanson, 1987; Isingrini, Hauer, & Fontaine, 1996; Smith, 1977) montrent que, quelle que soit la modalité de rappel, le nombre de mots correctement rappelés diminue avec l’âge. De plus, les données montrent que les effets du vieillissement sont plus importants dans les tâches de rappel libre que dans les tâches de rappel indicé ou de reconnaissance (voir Cansino, 2009, pour une revue). Cette différence proviendrait d’une difficulté plus importante du rappel libre qui requiert la mise en œuvre spontanée de processus auto-initiés de récupération.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE THÉORIQUE
Chapitre 1 – Vieillissement cognitif et sensori-moteur : Une approche quantitative
1. Variations quantitatives au cours du vieillissement cognitif
1.1. La mémoire
1.1.1. La mémoire de travail
1.1.2. La mémoire épisodique
1.1.3. La mémoire sémantique
1.1.4. La mémoire implicite
1.2. L’attention
1.2.1. L’attention sélective
1.2.2. La flexibilité attentionnelle
1.2.3. L’attention soutenue
1.2.4. L’attention partagée
1.2.5. L’attention préparatoire
1.3. La résolution de problèmes
2. Variations quantitatives au cours du vieillissement sensori-moteur
3. Vieillissement cognitif et sensori-moteur : une évolution commune
3.1. Les études corrélationnelles
3.2. Les études en situation double-tâche
3.3. Synthèse et conclusion
Chapitre 2 – Vieillissement cognitif et sensori-moteur : Une approche qualitative
1. Variations qualitatives au cours du vieillissement cognitif
1.1. Vieillissement et variations stratégiques
1.1.1. Vieillissement et répertoire stratégique
1.1.2. Vieillissement et distribution stratégique
1.1.3. Vieillissement et exécution stratégique
1.1.4. Vieillissement et sélection stratégique
1.2. Rôle des fonctions exécutives dans les variations stratégiques
1.2.1. Les études corrélationnelles
1.2.2. Les études expérimentales
1.2.2.1. L’effet de changement stratégique inter-item
1.2.2.2. L’effet de changement stratégique intra-item
1.2.2.3. L’effet de persévérations stratégiques
1.2.2.4. L’effet de difficulté séquentielle stratégique
1.2.2.5. L’effet d’interférence stratégique et ses modulations séquentielles
2. Variations qualitatives au cours du vieillissement sensori-moteur
Chapitre 3 – Synthèse et Objectifs
PARTIE EXPÉRIMENTALE
Expérience 1 – Vieillissement et variations stratégiques dans la tâche de Fitts
Expérience 2 – Variations stratégiques et effets de difficulté séquentielle au cours du vieillissement dans la tâche de Fitts
Expérience 3 – Vieillissement et effets de difficulté séquentielle dans les tâches cognitives et motrices
Expérience 4 – Évolution des variations stratégiques chez des patients âgés présentant des troubles cognitifs légers dans la tâche de Fitts
Expérience 5 – Effet de l’entraînement et évolution des variations stratégiques chez des patients âgés présentant des troubles cognitifs dans la tâche de Fitts
DISCUSSION GÉNÉRALE
1. Résumé des principaux résultats
2. Implications générales
3. Conclusion
CONCLUSION

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