Vers une nouvelle littérature japonaise post-catastrophe au Japon

Enjeux de la littérature post-catastrophe au Japon

Le 11 mars 2011, la côte Pacifique de la région du Tôhoku (Nord-Est) au Japon a été dévastée par une triple catastrophe : séisme, tsunami et accident nucléaire. C’est le plus grand cataclysme dans le pays depuis 1945 et le plus grave incident nucléaire au monde depuis 1986. Toute catastrophe, on le sait, excède le langage et exige en même temps une expression juste. La littérature japonaise a été confrontée à de nombreux désastres naturels, à des guerres, aux bombes atomiques. Pourtant, il n’y a pas de références comparables à la catastrophe de 2011 qui est inédite par sa complexité. Or, la réaction littéraire fut immédiate, marquant un tournant dans la production contemporaine . Il existe aujourd’hui des œuvres que nous pouvons qualifier de « littérature post-catastrophe » (shinsaigo bungaku), suivant la terminologie proposée par Kimura Saeko , critique pionnière dans ce champ d’études en cours de construction . Qu’est-ce qui se joue dans cette littérature ? Nous pouvons relever trois enjeux principaux dans une perspective à la fois locale (japonaise) et mondiale.

En premier lieu, le discours littéraire est interrogé dans sa dimension éthique, sociale et politique. En mars 2011, le langage a été en quelque sorte mis à mal, comme paralysé devant le déferlement des images réelles, puis discrédité concernant l’accident nucléaire dont la gravité est constamment niée par le discours officiel. Quelle place pour le langage littéraire face à la pléthore d’images et d’informations ? Ne permet-il pas, au moins, d’éclairer le monde en crise, s’opposant en cela au discours factuel comme médiateur de la réalité ? À cette mise à mal du langage s’ajoutent deux autres contraintes. L’une concerne la légitimité de la parole, liée à ce que l’on appelle le problème des tôjisha (personnes directement concernées par l’événement) . L’autre renvoie à la censure et à l’autocensure, la liberté d’expression étant limitée par l’obligation de discrétion et de bienséance par rapport aux victimes. Dans son ouvrage de 2013, Kimura Saeko inscrit la littérature post-catastrophe dans des œuvres « écrites en résistance à une pression comparable au contrôle de la liberté d’expression » . En 2021, elle souligne le thème de la censure dans plusieurs romans récents .

En deuxième lieu, l’imagination et, corrélativement, le discours critique se retrouvent également remis en cause. On peut rappeler qu’Ôe Kenzaburô dans sa célèbre conférence de 1968, Kaku jidai no sôzôryoku (L’imagination à l’âge atomique), insiste sur la nécessité de « savoir de façon certaine imaginer l’arme nucléaire », comme condition sine qua non d’une « approche vraiment humaine » du nucléaire civil . Si les œuvres cherchant à élaborer cette imagination n’ont pas manqué depuis, la critique n’aurait pas été à la hauteur . Or, il semble que la littérature post-catastrophe relance ce travail. La fiction y est prédominante. Devant la question de la légitimité de la parole, la quantité d’images réelles et la censure, la majorité des écrivains recourent à l’allusion, à l’allégorie, à la métaphore, etc., plutôt que d’aborder directement l’événement dans sa réalité. Ces contournements exigent de la critique un engagement renforcé dans une lecture interprétative – qui serait actualisante .

En troisième lieu, la littérature post-catastrophe s’inscrit dans une perspective à la fois locale et globale. Par rapport au séisme-tsunami daté et localisé, la pollution nucléaire ignore les limites dans le temps et dans l’espace, en interrogeant la responsabilité de l’homme devant les générations futures et les autres formes de vie sur la planète. Pour ceux qui écrivent après le désastre nucléaire, la « dette » à l’égard des morts du passé serait redoublée par la dette vis-à-vis des vivants du futur. Kimura Saeko dans son ouvrage de 2018 envisage la littérature contemporaine comme l’« ensemble des situations littéraires après la catastrophe », un « point de vue », une « méthode pour interpréter la catastrophe » en général. Plus récemment, elle souligne le développement international des études, servant de « pierre de touche pour reconsidérer les recherches littéraires ». Au niveau des œuvres, la reconnaissance peut être internationale, comme en témoignent les romans de Tawada Yôko et de Yû Miri , récompensés par la National Book Award for Translated Literature en 2018 et en 2020. La littérature post-catastrophe ainsi tournée vers le passé et le futur, vers la région sinistrée et le monde, paraît constituer un terrain d’investigation qui échappe au cadre national en même temps qu’au nivellement par la mondialisation.

La littérature peut transformer la sidération devant une catastrophe en con-sidération selon Marielle Macé . Nous voudrions avec cette thèse apporter une contribution, quoiqu’infime et très partielle, à une telle transformation en proposant une étude de l’œuvre de Furukawa Hideo, l’un des écrivains majeurs de la scène contemporaine, mais encore peu étudié .

L’auteur : Furukawa Hideo, une œuvre singulière

Notre choix est issu de trois réflexions à la fois biographiques et stylistiques : la position singulière de l’auteur, l’hybridité de son œuvre et l’évolution continue de sa création. Ces éléments semblent le distinguer comme un auteur à la fois exemplaire et exceptionnel dans la littérature post-catastrophe, mais aussi plus largement dans la littérature japonaise contemporaine .

Une position particulière 

Furukawa est né en 1966 à Kôriyama , dans le département de Fukushima, au sein d’une famille de producteurs de champignons shiitakés. Il découvre tôt une passion pour le théâtre. À dix-huit ans, il quitte sa ville natale pour suivre des études littéraires à l’Université Waseda de Tokyo où il finira par s’installer définitivement. Selon lui, quitter sa région natale était comparable à une nouvelle naissance . Il abandonne cependant son cursus sans obtenir de diplôme, et travaille dans le milieu du théâtre avant de se consacrer à l’écriture. En 1998, il publie son premier roman , un récit d’aventures dans un style apparenté au réalisme magique. En 2002, il obtient deux prix consécutifs avec son troisième opus, Arabia no yoru no shuzoku (The Arabian Nightbreeds) . En 2005, Alors Belka, tu n’aboies plus ?  manque le prix Naoki. Mais l’année suivante, LOVE  est lauréat du prix Mishima. En 2016, Onnatachi sanbyakunin no uragiri no sho (Trois cents femmes, le livre de la trahison)  est couronné par deux prix de la « littérature pure » (jun bungaku) . Prolifique, l’auteur a publié plus de quarante livres jusqu’à l’été 2022 : des romans surtout, mais aussi des recueils de nouvelles, des pièces de théâtre, des essais, etc. Il explore toutes sortes de discours littéraires, à l’écrit comme à l’oral, notamment à travers des lectures-performances et des collaborations avec des artistes d’autres domaines. Son œuvre est traduite en six langues .

Si l’on peut situer Furukawa à la fois au centre et à la périphérie dans le champ littéraire, sa position devient singulière après la catastrophe de 2011 – par son caractère ambivalent. Il n’en est pas en effet une victime directe. Il n’y a pas perdu de proches non plus. Étant à Kyoto le 11 mars, il n’a même pas vécu les premières secousses à Tokyo. Sa famille à Kôriyama qui a échappé au tsunami est toutefois touchée par la crise nucléaire. Du point de vue externe, Furukawa fait partie des écrivains considérés comme légitimes à prendre la parole. Pourtant, du point de vue interne à sa région natale, il est avant tout un homme de Tokyo. Sa position oscille donc entre la région sinistrée et la capitale, se trouvant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’événement. La catastrophe aurait ainsi mis en cause l’identité qu’il s’était reconstruite à Tokyo , aussi bien que sa posture d’écrivain , caractérisée au début de sa carrière par un silence relatif concernant sa personne et son origine . Sa position complexe par rapport à la catastrophe paraît sans équivalent parmi les autres écrivains. Mais en même temps, elle peut être considérée comme exemplaire dans la mesure où personne ne peut vraiment se dire indemne de la crise nucléaire.

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Table des matières

INTRODUCTION
Furukawa Hideo, un écrivain emblématique
ÉTAT DE L’ART sur l’auteur et sur la littérature post-catastrophe
CHAPITRE PREMIER – Conditions et potentialités du récit
Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente (2011)
1. Un texte inclassable
2. Le récit de témoignage
3. Une œuvre de reprise
CHAPITRE II – D’autres temps
Dogmother (2012)
1. Au cœur de l’Histoire
2. Des ruptures multiples
3. Questions de style
CHAPITRE III – La force des visions
Aruiwa Shura no jûokunen (Soit un milliard d’années des dieux Ashura) (2016)
1. Visions du futur
2. Le système des images
3. Les morts et les vivants
CONCLUSION
REPERES CHRONOLOGIQUES ET BIOBIBLIOGRAPHIQUES
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
INDEX DES ŒUVRES CITEES DE FURUKAWA HIDEO
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
1. Extraits traduits de la chronique, Shôsetsu no dêmontachi (Les démons du roman) (2013), avec les extraits originaux.
2. Traduction de deux nouvelles : « Pûra » (Poola) (2009) et « Pûra ga modoru » (Retour de Poola) (2011), avec les extraits originaux

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