Vers une définition patient-spécifique du taux cible de facteur anti-hémophilique à partir de la génération de thrombine

Contexte général de la thèse

L’hémostase est un procédé complexe dont le but est d’arrêter le saignement survenu lors de la lésion d’un vaisseau. Au cours de l’hémostase se forme un caillot composé de plaquettes et d’un maillage de fibrine qui permet d’obstruer la lésion (Figure 1.1). Une partie importante de ce procédé est la coagulation plasmatique dont le principal acteur est une enzyme, la thrombine, qui a notamment pour fonction d’activer les plaquettes et de transformer le fibrinogène en fibrine. La thrombine générée lors de la coagulation est le résultat de nombreuses réactions d’activations enzymatiques ; celles-ci seront décrites en détail dans le paragraphe 1.2.1. Les enzymes intervenant au cours de la coagulation sont appelées facteurs de la coagulation. Du fait de son rôle central lors de la coagulation, il est nécessaire que la quantité de thrombine générée soit régulée. Trop peu de thrombine activée résulte en un caillot peu dense et fragile, ce qui est synonyme de saignements spontanés. Trop de thrombine activée résulte en un caillot pouvant se former spontanément et obstruant le vaisseau, ce qui est synonyme de thrombose. Ainsi, un dysfonctionnement de la coagulation peut entraîner de sérieuses complications et provoquer soit une tendance hémorragique, soit une tendance thrombotique.

L’un des exemples les plus connus de dysfonctionnements de la coagulation est l’hémophilie. L’hémophilie est une maladie génétique se traduisant par une insuffisance en un des facteurs de la coagulation. Il s’agit du facteur VIII chez les hémophiles A et du facteur IX chez les hémophiles B. Le gène concerné est porté par le chromosome X, l’hémophilie ne touche donc que les hommes. La prévalence de l’hémophilie A est d’environ 0.1 ‰ [Stonebraker 10] et celle de l’hémophilie B est d’environ 0.02 ‰ de la population masculine [Stonebraker 11]. La coagulation d’un individu hémophile est diminuée à cause du déficit en facteur VIII ou IX, ce qui conduit à l’occurrence d’hémorragies spontanées en particulier au niveau des articulations et des muscles. Ces saignements sont généralement proportionnels au déficit du facteur. Par conséquent, le degré de sévérité de l’hémophilie est défini par le taux de facteur déficitaire. Le taux de facteur de la coagulation est généralement exprimé en pourcentage de l’activité de référence de ce facteur. Il est équivalent à la concentration plasmatique du facteur. L’hémophilie est dite sévère lorsque le taux de facteur déficient est inférieur à 1% de celui d’un individu normal, elle est modérée lorsque le taux de facteur déficient est compris entre 1% et 5%, elle est enfin mineure lorsque le taux de facteur déficient est compris entre 5% et 40%. Le traitement actuel de l’hémophilie est substitutif et correspond à l’administration au patient du facteur manquant. La dose de facteur manquant à administrer au patient est déterminée en fonction du taux de facteur VIII ou IX à atteindre selon le contexte clinique (par exemple une chirurgie). Bien que la mesure du taux de facteur déficient soit pertinente pour qualifier la sévérité de l’hémophilie, celle-ci ne tient pas compte des nombreuses interactions entre les facteurs de la coagulation et n’est donc pas si bien corrélée au risque hémorragique du patient. De ce fait, certains patients hémophiles peuvent encore continuer à avoir des saignements spontanés alors que leur taux de facteur déficient est proche du taux normal et d’autres patients hémophiles peuvent récupérer une coagulation normale avec un taux de facteur déficient assez faible. Il serait donc intéressant de trouver une variable mieux corrélée au saignement et de la relier au taux de facteur déficient à atteindre, cela permettrait une meilleure individualisation du traitement. Parmi les tests couramment pratiqués en clinique, il a été montré que la génération de thrombine (GT) est une variable mieux corrélée au phénotype de saignement que le taux du facteur déficient [Dargaud 05a, Trossaërt 08].

Coagulation et rôle de la thrombine

La relation entre la génération de thrombine et les taux de facteurs de la coagulation n’est cependant pas évidente. Ci-dessous nous introduisons les notions de physiologie nécessaires à la compréhension des mécanismes de la génération de thrombine.

Définition de la cascade de la coagulation

Ainsi que nous l’avons introduit dans le premier paragraphe, la coagulation plasmatique, ou cascade de la coagulation, correspond à un ensemble de réactions en série d’activations et d’inhibitions des facteurs de la coagulation (voir Tables 1.1 et 1.2 pour une définition de ces facteurs) et conduit à la transformation du fibrinogène soluble en fibrine insoluble (Figure 1.2). Les facteurs de la coagulation sont généralement des enzymes de la classe des sérines protéases, à l’exception des facteurs V et VIII qui sont des glycoprotéines. Les facteurs de coagulation circulent dans le plasma sous formes de zymogènes (ou proenzymes) inactifs. Un zymogène est la forme non-active d’une enzyme : une fois le facteur de la coagulation activé et transformé en enzyme, celui-ci devient actif dans la cascade de la coagulation. Les facteurs de la coagulation sont normalement identifiés par des chiffres romains, avec un ’a’ minuscule pour indiquer la forme active. La cascade de la coagulation peut se décomposer en trois étapes : initiation, amplification et terminaison. La cascade de coagulation est aussi classiquement divisée en deux voies qui correspondent chacune à un mécanisme d’initiation de celle-ci, suivi d’une série de réactions dans lesquelles un zymogène est activé en sérine protéase qui catalyse la réaction suivante.

Phase d’initiation : voies extrinsèque et intrinsèque

Les deux voies d’initiation de la coagulation sont la voie extrinsèque et la voie intrinsèque, qui aboutissent ensuite sur la voie commune finale du facteur X, de la thrombine et de la fibrine. L’initiation de la coagulation par la voie extrinsèque débute par l’activation du facteur VII en facteur VIIa par le facteur tissulaire (TF) exposé par le sous-endothélium vasculaire (Figure 1.2, zone jaune). Les premières molécules de TF-VIIa activent (en présence d’ions calcium) le facteur X en Xa d’une part, et le facteur IX en IXa d’autre part. Le facteur Xa et le facteur IXa vont se fixer sur les plaquettes les plus proches qui viennent d’être activées après contact avec le sous endothélium. Le Xa transforme ensuite la prothrombine (facteur II) en thrombine (IIa). L’initiation de la voie intrinsèque fait intervenir le kininogène de haut poids moléculaire (HMWK), la prékallicréine et le facteur XII (Figure 1.2, zone rose). Ceux ci sont activés par l’exposition du collagène lors de la lésion du vaisseau. Le facteur XIIa active alors le facteur XI en présence d’ions calcium. Le facteur XIa active à son tour le facteur IX. Le facteur IXa active des premières traces de facteur X qui activera à son tour la prothrombine en thrombine.

Phase d’amplification

Après l’activation des premières molécules de thrombine, s’en suit la phase d’amplification où celles-ci vont activer les facteurs V, VIII et XI (Figure 1.2, zone verte). Le facteur IXa se lie alors à son cofacteur, le facteur VIIIa, sur la surface plaquettaire, ce qui conduit à la formation d’un complexe enzymatique (IXaVIIIa), appelé intrinsèque-tenase. Ce complexe enzymatique a pour mission d’activer le facteur X et est 1000 fois plus performant que le facteur IXa seul. De même, le facteur Xa se lie à son cofacteur, le facteur Va sur la surface plaquettaire, ce qui conduit à la formation d’un complexe enzymatique (XaVa), appelé prothrombinase. Ce complexe enzymatique a pour but d’activer la prothrombine en thrombine et est aussi 1000 fois plus efficace que le facteur Xa pour réaliser cette activation. La thrombine libère les fibrinopeptides A et B du fibrinogène, le transformant en monomère de fibrine. Les monomères de fibrine polymérisent spontanément pour former des fibres dont les liaisons sont renforcées par l’action du facteur XIII.

Phase de terminaison 

Des inhibiteurs physiologiques de la coagulation interviennent pour limiter quantitativement la génération de thrombine et la localiser au site de la lésion vasculaire. Lors de la phase d’initiation, le Tissue Factor Pathway Inhibitor (TFPI), avec la protéine S (PS) comme cofacteur, inhibent le Xa et le complexe TFPI-Xa inhibe le complexe TF-VIIa en formant un complexe quaternaire inactif avec ces protéines. La protéine C activée par la thrombine (elle-même fixée sur la thrombomoduline) inhibe, en présence de son cofacteur la PS, les facteurs Va et VIIIa. Le principal inhibiteur de la coagulation est l’antithrombine (AT) qui forme un complexe inactif avec les facteurs IIa et Xa, principalement (Figure 1.2, zone bleue). Lors de la phase de terminaison, le rôle de l’antithrombine devient prépondérant sur les réactions d’activation [Abgrall ,Mercier , de Moerloose 05].

La coagulation plasmatique est donc un système complexe faisant intervenir un nombre important de facteurs dont certains peuvent fortement influencer la balance hémostatique et conduire à des cas pathologiques graves. Lorsque la balance penche en faveur de la coagulation, une tendance à la thrombose peut se manifester. Lorsque la balance penche en défaveur de la coagulation, une tendance hémorragique peut se manifester. Les hémophilies A et B illustrent parfaitement ce dernier cas.

Rôle de la thrombine

Il est important de remarquer le rôle central de la thrombine dans le système hémostatique (Figure 1.3). En effet, la thrombine générée lors de la cascade de la coagulation
— active les plaquettes,
— transforme le fibrinogène en fibrine,
— amplifie sa propre formation par activation des facteurs V, VIII et XI,
— limite également sa propre formation par activation de la protéine C.

La quantité de thrombine générée lors de la coagulation doit être suffisante mais pas trop importante. Si celle-ci n’est pas suffisante, le caillot formé n’est pas assez solide et le vaisseau n’arrive pas à se réparer. Il s’en suit une tendance hémorragique. Si la génération de thrombine est excessive, le caillot se forme de manière incontrôlée, ce qui conduit à un risque élevé de thrombose. Ainsi, la génération de thrombine doit être finement régulée, elle est le résultat de mécanismes d’activation et d’amplification et de mécanismes d’inhibition. Le rôle de la thrombine dans la balance hémostatique en fait un très bon marqueur de l’état d’activation de la coagulation.

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Table des matières

1 Introduction générale
1.1 Contexte général de la thèse
1.2 Coagulation et rôle de la thrombine
1.2.1 Définition de la cascade de la coagulation
1.2.2 Rôle de la thrombine
1.3 Tests cliniques pour évaluer le phénotype de la coagulation
1.3.1 Aperçu des tests utilisés en routine
1.3.2 Définition de la génération de thrombine
1.3.3 Génération de thrombine et phénotype de coagulation
1.4 Vers un traitement patient-spécifique de l’hémophilie
1.4.1 Problématique clinique sous-tendant la thèse
1.5 Aspects biologiques et cliniques de la génération de thrombine
1.6 État de l’art sur la modélisation de la coagulation
1.6.1 Modèles de cinétique de la coagulation
1.6.2 Prédictions de l’évolution de la coagulation par les modèles suite à la variation du taux d’une protéine
1.6.3 Analyse de sensibilité des modèles
1.7 Objectifs de la thèse
1.8 Approches réalisées pour répondre aux objectifs de la thèse et annonce du plan de la thèse
2 Déterminants de la génération de thrombine chez les hémophiles et individus sains
2.1 Introduction
2.2 Materials and methods
2.2.1 Study population
2.2.2 Blood collection and plasma preparation
2.2.3 Plasma factor assay
2.2.4 Thrombin generation measurements
2.2.5 Statistical analysis
2.3 Results
2.3.1 Coagulation factors and inhibitors levels
2.3.2 Thrombin generation parameters
2.3.3 Effect of factor level on the thrombin generation parameters
2.4 Discussion
2.5 Conclusion
3 Détermination patient-spécifique du taux de facteurs VIII/IX pour normaliser la génération de thrombine de patients hémophiles
3.1 Introduction
3.2 Materials and methods
3.2.1 Study population
3.2.2 Blood collection and plasma preparation
3.2.3 Factors VIII and IX
3.2.4 Thrombin generation measurements
3.2.5 Statistical analysis
3.3 Results
3.3.1 Study population
3.3.2 Effect of spiking
3.3.3 Factor levels providing a normal thrombin generation
3.4 Discussion
3.5 Conclusion
4 Évaluation de modèles numériques de la génération de thrombine au moyen de données expérimentales provenant de sujets sains et hémophiles
4.1 Introduction
4.2 Materials and methods
4.2.1 Model selection
4.2.2 Experimental database
4.2.3 Evaluation of the performance of the models
4.2.4 Calibration of the kinetic parameters
4.3 Results
4.3.1 Evaluation of the predictions of the original models
4.3.2 Evaluation of the models after calibration of their kinetic parameters
4.4 Discussion
4.5 Conclusions and outlook
5 Identification sujet-spécifique des paramètres cinétiques d’un modèle de génération de thrombine
5.1 Introduction
5.2 Materials and methods
5.2.1 The Hockin model of coagulation kinetics
5.2.2 Experimental database
5.2.3 Sensitivity analysis
5.2.4 Lowest number of subject specific parameters leading to the correct estimations of the thrombin generation curve
5.2.5 Model evaluations
5.3 Results
5.3.1 Reactions influencing the most the thrombin generation
5.3.2 Lowest number of subject specific parameters leading to the correct estimation of the thrombin generation curve
5.3.3 Model evaluations
5.4 Discussion
5.5 Conclusions and outlook
6 Conclusion générale

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