Les lombriciens des organismes ingénieurs des (agro)écosystèmes

Les lombriciens : des organismes ingénieurs des (agro)écosystèmes

Le concept d’ingénieur de l’écosystème (défini par Jones et al. en 1994), s’applique particulièrement bien aux lombriciens qui modifient les composantes physiques (via leurs effets sur la porosité et l’agrégation du sol) et organiques (via leurs effets sur la minéralisation) dans un sens qui améliore les conditions d’alimentation des cultures. Cependant, ces fonctions ne sont pas réalisées de la même manière suivant le type de ver que l’on considère ; cela a conduit Bouché (1972) à définir trois groupes écologiques (annexe 1), en fonction (entre autres) de leur action sur la porosité et de leurs habitudes alimentaires, deux éléments déterminants dans leur capacité à agir sur la structure du sol et la minéralisation de la matière organique. Ces trois groupes écologiques, désormais classiquement considérés dans les études sur les lombriciens, sont ceux des espèces épigées, anéciques et endogées. Dans les parcelles cultivées, les deux groupes qui dominent la communauté des lombriciens sont ceux des espèces anéciques et endogées. Ce dernier groupe domine d’autant plus que le travail du sol est intense, et, surtout, que la parcelle est labourée.

Effets des espèces endogées sur la composante physique du sol

Il convient dans ce domaine de considérer deux aspects : la création de galeries et l’effet sur l’agrégation du sol. La création de galeries permet l’oxygénation du sol et favorise l’infiltration de l’eau et des éléments minéraux qu’elle contient, améliorant les conditions de fonctionnement des racines et, dans certaines conditions, limitant l’érosion (Shuster et al., 2002). La fabrication de déjections (déposées à la surface du sol ou à l’intérieur des galeries) participe au maintien la microporosité, la rugosité et l’agrégation du sol. La littérature montre que la présence de l’espèce endogée Aporrectodea caliginosa entrainait une augmentation de l’infiltration et du drainage plus importante qu’avec d’autres espèces. Ceci a été attribué au fait que les endogés reconstruisent continuellement leurs galeries dans le sol. En revanche, cet entretien de la porosité peut aussi entrainer une plus forte évaporation de l’eau accélérant le dessèchement du sol (Ernst et al., 2008). Il a également été montré que certaines espèces endogées pouvaient, à travers la production de turricules fragiles et de petite taille, favoriser la fermeture de la surface du sol et, partant, le ruissellement (Blanchart et al., 1999). Mais d’autres espèces, produisant des turricules plus stables, améliorent la résistance du sol à la battance (Le Bayon et al., 2002). Malheureusement ces espèces peuvent également limiter l’infiltration en accroissant la densité apparente du sol (Reddell et Spain, 1991b ; Blanchart et al., 1999 ; Chauvel et al., 1999).
Ainsi, l’étude bibliographique révèle des effets sur le fonctionnement physique du sol qui peuvent paraître contradictoires. En fait, ces effets sur la structure du sol et leurs conséquences sur l’infiltration et le ruissellement sont difficiles à mettre en évidence et, surtout, à quantifier car ils dépendent de la composition spécifique de la communauté, de la densité des populations, de la quantité de matière organique présente, du type de sol et de climat (principalement la température et l’humidité).

Effets sur le cycle de la matière organique

Quatre niveaux auxquels les vers agissent sur la matière organique peuvent être distingués (Lavelle et Martin, 1992 ; Marinissen et de Ruiter, 1993) :
ils fragmentent puis enfouissent les débris végétaux, ce qui facilite leur décomposition. Cet effet ne concerne que les espèces anéciques et épigées ;
les espèces endogées quant à elles ingèrent le sol et assimilent une fraction de la matière organique qu’il contient ;
la fraction de la matière organique qui traverse le tube digestif et qui n’est pas assimilée et fragmentée durant le processus (tout type d’espèce) ;
enfin, la fraction de la matière organique qui n’est pas digérée durant le trajet dans le tractus intestinal, retourne au sol au sein des turricules de vers, dans lesquels les bactéries minéralisatrices sont particulièrement actives. Là encore, ce processus concerne tous les vers. Comme pour la structure du sol, les effets ne sont pas faciles à caractériser au champ. Il importe de considérer la quantité de sol qui est ingérée ; elle dépend de la densité des populations et de leur activité. Il faut aussi intégrer les relations entre les vers et la microflore du sol, l’effet des vers sur le cycle de la matière organique n’étant pas direct, mais passant par l’action des microorganismes du sol, eux-mêmes affectés par la présence des vers.

Les lombriciens : plus que des ingénieurs de l’écosystème

Trois mécanismes sont invoqués pour expliquer cet effet sur les plantes :
des travaux ont montré que la présence de lombriciens avait un effet sur le contrôle biologique de certains bioagresseurs (Dash et al., 1980 ; Yeates, 1981 ; Senapati, 1992 ; Stephens et al., 1994a,b; Clapperton et al., 2001 ; Lavelle et al., 2004) ; ainsi, deux espèces endogées de vers de terre (Aporrectodea rosea et A. trapezoides) ont réduit la sévérité du piétin-échaudage, une maladie des céréales due à un champignon tellurique (Stephens et Davoren, 1997). Par ailleurs, Blouin et al., (2005) ont montré que la présence de Millsonia anomala réduisait la sévérité des attaques de nématodes phytophages (Heterodea sacchari) sur des pieds de riz ;
la présence de vers endogés stimulerait les symbioses entre les plantes et certains microorganismes (Reddell et Spain, 1991a,b ; Gange, 1993 ; Pedersen et Hendriksen, 1993). Cependant, ce processus est très peu documenté ; le mécanisme passerait par la contribution des vers à la dissémination des spores de mycorhizes (Gange, 1993) ou la stimulation de la nodulation par des bactéries du genre Rhizobium (Doube et al., 1994) ;
enfin, l’interaction entre les vers et les bactéries pourraient entrainer une stimulation de la production de régulateurs de croissance par les plantes (Muscolo et al., 1998 ; Canellas et al., 2002).
Au champ, l’influence des vers sur la croissance des plantes est probablement le plus souvent une combinaison de ces différents mécanismes. Là encore, ces effets dépendent largement de la densité de vers et de la structure des communautés. La plupart des auteurs suggèrent également que ces effets sont très variables au cours du temps. En effet, les lombriciens sont des organismes très sensibles aux variations des conditions de température et d’humidité dans le sol.

Le cycle des lombriciens et l’influence des facteurs du milieu et des pratiques culturales en Agriculture Biologique

Le cycle de vie des lombriciens comprend plusieurs phases (Bouché, 1972). Nous reviendrons plus précisement sur la description du cycle de vie de l’espèce endogée A. caliginosa. Il y a deux grandes périodes de reproduction et de production de cocons : le printemps et l’automne. En hiver, avec l’apparition du froid, l’activité des individus baisse et ils migrent vers des couches plus profondes. En été, le dessèchement du sol pousse les individus à réduire leur activité voire même à entrer dans des phases d’arrêt complet de celle-ci. Ces phases de repos, également appelées éthargies, peuvent être immédiatement réversibles lorsque le facteur inducteur du stress disparaît. On parle alors de quiescence ou de diapause facultative. Les vers cessent de se nourrir et rentrent simplement dans un état de torpeur. En revanche, lorsqu’il s’agit de diapause obligatoire, les vers se replient en boule dans des logettes creusées dans le sol, ralentissant leur métabolisme et cessant toute activité. Les vers restent alors dans cet état même après le retour de conditions favorables et ce jusqu’à ce que le processus soit terminé. Ces périodes sont d’avantage sous la dépendance de facteurs environnementaux (stress comme sécheresse ou blessure importante dans le cas de la diapause obligatoire) que de la saison elle-même.
Lorsqu’on cherche à décrire l’abondance des vers de terre dans les premiers décimètres de sol, on s’attend donc à obtenir des courbes qui présentent alternativement des phases de diminution et des phases de reprise des abondances. Au début du printemps une augmentation progressive des abondances amène les populations à un pic avant l’été, dû aux éclosions de cocons. Puis une diminution estivale des abondances fait diminuer les effectifs présents en surface, les vers émigrant
vers des couches plus profondes du sol et s’immobilisant dans des logettes. Ce comportement toutefois, ne touche pas trop les espèces endogées, qui migrent peu. A l’automne, une reprise des abondances entraîne l’apparition d’un nouveau pic d’abondance, puis à l’entrée de l’hiver, le froid fait disparaître un grand nombre d’individus, entrainant une baisse des populations. Ainsi une chute des abondances observée à partir d’une série d’échantillonnages sur le terrain ne signifie pas systématiquement une mortalité des vers mais peut résulter d’une migration ou une entrée en léthargie.

Différents modèles simulant l’évolution des populations de lombriciens

Plusieurs modèles ayant pour objet les lombriciens ont été développés dans la littérature, avec des approches différentes, intégrant ou non le cycle de vie, et applicables à différents milieux, cultivés ou non.
Klock et ses collaborateurs, ont construit un modèle pour déterminer les conséquences toxicologiques de l’augmentation de la concentration du cuivre dans le milieu sur la dynamique de la population de L. rubellus en prenant comme variable de réponse la croissance et la reproduction individuelle (Klock et De Roos 1996 ; Klock et al. 1997 ; Klock, 2007 ; Klock et al., 2007). La paramétrisation du modèle a été réalisée à partir de données de laboratoire sur la reproduction et la croissance des individus soumis à différentes conditions sub-létales de stress dû au cuivre. Dans cette expérimentation, les auteurs ont en particulier étudié les effets de la densité de population (2 à 9 individus par container) sur les paramètres de traits de vie. Le suivi, sur 6 mois, a porté sur les taux de survie, les croissances pondérales, les stades de développement et les productions de cocons de L. rubellus.
Dans leur modèle, la croissance, le développement et la reproduction des individus ont été représentés en se basant sur un modèle de flux d’énergie (DEB, Dynamic Energy Budget) qui traduit l’assimilation des ressources trophiques en croissance, en prenant en compte la fabrication des structures corporelles, leur entretien et la constitution de réserves. Les changements de comportement des individus sont intégrés à travers des variations des valeurs de paramètres dans le modèle DEB.
Jensen et Holmstrup (1997) ont conçu un modèle à base d’équations déterministes pour estimer le temps de développement des cocons in situ. Ce modèle est utilisé pour déterminer la distribution des temps d’éclosion d’un échantillon de cocons produits sur une semaine. Ces résultats ont été comparés aux valeurs observées d’éclosion de cocons obtenus lors d’une expérimentation ayant mis en culture trois espèces de lombriciens (A. caliginosa, A. chlorotica, D. octaedra). Ce modèle fait des simulations pour des valeurs de températures fluctuant comme dans des conditions environnementales réelles, et permet par inversion d’estimer des taux de reproduction à partir des taux d’éclosion. Ces résultats se sont avérés particulièrement précieux dans notre recherche de valeurs de taux de survie et d’éclosion des cocons et, surtout, sur leur sensibilité aux conditions environnementales.
Jager et al. (2006) ont utilisé un modèle basé sur les processus physiologiques (croissance et reproduction) pour analyser le cycle de vie des vers. Ce modèle a été employé pour analyser un jeu de données disponible sur le cycle de vie de l’espèce Eisenia veneta. Le jeu de données était constitué d’un suivi des tailles d’individus et de la production de cocons sur 200 jours selon deux niveaux de température (15 et 25°C) et deux niveaux de densités (5 et 10 individus par containers). Le modèle était composé d’un jeu simple d’équations dérivées de la théorie DEB. Dans ce modèle, les auteurs ont utilisé une relation liant la température à la croissance des vers. Le modèle reproduit sur une durée de 200 jours la croissance en taille des individus pour différents niveaux de température et de densité et retrace la production de cocons.
Barot et al. (2007) ont établi un modèle de simulation spatialement explicite afin de déterminer dans quelle mesure des phénomènes d’auto-organisation pouvaient se développer dans un système simple consommateur-ressource, en prenant l’exemple des lombriciens. Leur modèle a été calibré dans une savane humide (Lamto, Côte d’Ivoire) pour une espèce résidente de cet écosystème, Millsonia anomala. Le modèle considère un espace divisé en cellules de 1 m² et prend comme variable d’entrée la densité de vers. Le modèle repose sur l’hypothèse que les fins agrégats du sol, ingérés par ces vers, constituent, dans ces conditions climatiques très favorables, le seul facteur limitant susceptible d’affecter les valeurs des paramètres du cycle de vie (mortalité, fécondité ou dispersion) et que cette ressource se renouvèle à un taux constant, indépendant de la dynamique des vers. Le modèle considère dans le sol deux tailles d’agrégats (fins <5mm et grossiers ≥5mm). Le cycle de vie des vers est modélisé en utilisant un taux de reproduction et un taux minimum de mortalité qui correspond à un taux de survie des individus dans des conditions environnementales optimales (humidité appropriée, faible degré de tassement du sol, teneur élevée en matière organique). Les paramètres du cycle de vie sont obtenus à partir des résultats de Lavelle (1978).

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Table des matières

CHAPITRE 1  :INTRODUCTION GENERALE
1.1. Les lombriciens : des organismes ingénieurs des (agro)écosystèmes
1.1.1. Effets des espèces endogées sur la composante physique du sol
1.1.2. Effets sur le cycle de la matière organique
1.1.3. Effets sur les communautés microbiennes
1.2. Les lombriciens : plus que des ingénieurs de l’écosystème
1.3. Le cycle des lombriciens et l’influence des facteurs du milieu et des pratiques culturales en Agriculture Biologique
CHAPITRE 2  :VARIABILITE DE LA DYNAMIQUE DES POPULATIONS DE LOMBRICIENS AU CHAMP : ETUDE DE CINQ PARCELLES D’AGRICULTURE BIOLOGIQUE DE LA REGION ILE DE FRANCE
2.1. INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE
2.1.1. Etude bibliographique portant sur la dynamique des populations de lombriciens
2.1.2. Conclusion
2.2. MATERIEL ET METHODES
2.2.1. Description des sites
2.2.2. Méthode d’évaluation du nombre et de la diversité spécifique des lombriciens
2.3. RESULTATS ET DISCUSSION
2.3.1. Analyse de la dynamique des populations des cinq parcelles du suivi
a- Courbes d’évolution de l’abondance totale
b- Analyse de la diversité spécifique de la communauté lombricienne
c- Présentation des résultats d’abondance en valeurs indicées
d- Analyse de la dynamique d’A. caliginosa et d’A. rosea à Villarceaux et à Favrieux
2.3.2. Discussion sur l’origine des faibles effectifs observés à Cernay La Ville
Encadré 1 : description de l’expérimentation menée en serre pour tester l’effet de la nature du sol sur la capacité à supporter une population lombricienne
CHAPITRE 3  :ETUDE DE L’EFFET DU LABOUR D’HIVER AVEC UNE CHARRUE À VERSOIR
INTRODUCTION
Short-term effects of ploughing on the abundance and dynamics of two endogeic earthworm species in organic cropping systems in northern France
Abstract
1. Introduction
2. Materials and Methods
2.1. Location and site characteristics
2.2. Crop management and field trials
2.3. Earthworm sampling
2.4. Laboratory analyses
2.5. Climate
2.6. Statistical analysis
3. Results
3.1. Species diversity 0
3.2. Earthworm abundance and dynamics in the unploughed treatments
3.3. Effect of ploughing on earthworm abundance and dynamics at the two sites
4. Discussion
4.1. Species diversity
4.2. Earthworm abundance and dynamics in the unploughed treatments
4.3. Effect of ploughing on earthworm abundance and dynamics
5. Conclusions
Acknowledgements
Encadré 2 : Principales conclusions de l’expérimentation sur les effets du labour
CHAPITRE 4  :MODELISATION DE LA DYNAMIQUE DES LOMBRICIENS AU CHAMP : AMELIORATION DU MODELE WORMDYN ET ADAPTATION AU GROUPE ECOLOGIQUE DES ENDOGES
4.1. MODELISATION DES LOMBRICIENS: ETAT DE L’ART
4.1.1. Différents modèles simulant l’évolution des populations de lombriciens
4.1.2. Principes généraux de construction du modèle Wormdyn (Pelosi et al., 2008)
4.2. WORMDYN II : MODELE DE DYNAMIQUE DE LA POPULATION D’A. CALIGINOSA
4.2.1. Description de l’espèce A. caliginosa et cycle de vie
4.2.2. Données d’initialisation
4.2.3. Présentation détaillée des équations du modèle
4.3. PARAMETRISATION DE WORMDYN II
4.3.1. Estimation des valeurs seuils de température et d’humidité du sol définissant les quatre classes de conditions environnementales
4.3.2. Estimation des paramètres dans les conditions optimales : i=1
4.3.3. Prise en compte de la quiescence chez A. caliginosa
4.3.4. Détermination des paramètres pour les conditions i= 2, i= 3 et i= 4
4.4. VALIDATION
4.4.1. Données utilisées pour le test
4.4.2. Résultats des simulations sans fonction de densité dépendance, et analyse des écarts
4.5. PRISE EN COMPTE DE LA DENSITE DEPENDANCE CHEZ A. CALIGINOSA
4.5.1. Etat des connaissances
4.5.2. Modes de représentation de la densité dépendance et de ses impacts
4.5.3. Introduction de la densité dépendance dans Wormdyn
4.5.4. Résultats
4.6. ETUDE DE LA SENSIBILITE DU MODELE
4.6.1. Sensibilité à la valeur initiale du nombre d’individus dans chaque stade
4.6.2. Sensibilité à l’abondance totale intiale
4.6.3. Sensibilité aux paramètres du cycle de vie d’A. caliginosa
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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