USAGES DES SERVICES EDUCATIFS ET STRATEGIES DE SCOLARISATION AU NIVEAU FAMILIAL

USAGES DES SERVICES EDUCATIFS ET STRATEGIES DE SCOLARISATION AU NIVEAU FAMILIAL

Le mandat et la Global Review on Refugee Education

En 2010, le Service du développement et de l’évaluation des politiques (PDES) du HCR décide, en collaboration avec l’Unité Éducation, de commissionner une étude globale sur l’éducation des réfugiés (Terms of reference). Sarah Dryden-Peterson (Université de Boston) est contractée pour rédiger le rapport final et une collaboration est établie avec l’Université de Neuchâtel : il est ainsi décidé que trois étudiants – encadrés par la prof. Marion Fresia – mèneront des études de cas qui serviront à nourrir le rapport d’exemples concrets. Les destinations sont choisies parmi les pays prioritaires en matière d’éducation : Kuala Lumpur en Malaisie pour explorer la situation des réfugiés urbains (Rahman 2011) ; l’Ouganda pour la situation des camps de réfugiés (Wettstein 2011) ; et le Sud mauritanien comme contexte de rapatriement2. Des « contrats de collaboration » sont signés, nous donnant droit à un remboursement des frais de base. Une méthodologie assez détaillée est rédigée avant le départ et des grilles d’entretien communes (à adapter selon les contextes) sont pensées par l’équipe. Malgré la réticence de certains membres du HCR – plus familiarisés aux méthodes quantitatives – nous avons insisté sur la pertinence d’une approche anthropologique basée sur la recherche intensive dans peu de sites et sur des méthodes exclusivement qualitatives issues des sciences sociales.

Le cahier des charges était pourtant vaste : il s’agissait de collecter des données relatives à des questions d’accès, de qualité et de protection, catégories utilisées par le HCR en matière d’éducation et qui peuvent inclure un bon nombre de thématiques. Outre une revue de littérature et des observations dans les classes, des entretiens avec tous les acteurs impliqués dans l’éducation des réfugiés/rapatriés étaient prévus. Les premières analyses après la rentrée du terrain ont débouché sur un rapport (Rezzonico 2011) rendu au HCR en mai 2011. Ce rapport contenait non seulement une analyse de la situation, mais aussi des « recommandations » pratiques issues de mes conclusions. Contrairement à mes deux collègues, je n’ai jamais reçu de retour du bureau de Nouakchott ni de celui de Boghé3, ce qui ne m’a pas permis de me confronter à leur point de vue. Néanmoins, certains des résultats ont été repris dans le Global Review on Refugee Education (UNHCR 2011), pour illustrer les défis rencontrés dans l’éducation des enfants et jeunes placés sous le mandat du HCR.

L’accès au terrain

L’accès au terrain m’a été facilité par la « double casquette » que je portais en Mauritanie : collaboratrice du HCR pour les autorités et les membres d’organisations onusiennes et nongouvernementales, j’étais étudiante chercheuse parmi les rapatriés. Lors de mes conversations, j’essayais de ne jamais cacher l’une ou l’autre casquette par souci d’honnêteté. Si ma collaboration avec le HCR a probablement influencé le discours de certains de mes interlocuteurs, la présence de mon interprète Papis, ancien réfugié, a contribué au fait que je ne sois pas exclusivement associée au HCR par les personnes rapatriées. Parfois aussi, mon lien avec le HCR a permis de mieux analyser les rapports qu’entretiennent les rapatriés avec cette institution. Pendant mes trois mois de terrain, j’ai toujours habité « chez les gens », que ce soit à Nouakchott ou à Boghé, une situation qui était la plupart du temps appréciée par les personnes rencontrées, et en particulier par le staff local des organisations ainsi que par certaines autorités.

À Boghé, je logeais chez une famille haalpulaar4 qui avait des parents rapatriés. Cela m’a permis de m’intégrer parmi la population locale. Malgré le bon accueil qui m’a été réservé par certaines autorités locales, accéder aux autorités a été une tâche difficile. Parfois méfiantes des liens que j’entretenais avec le HCR ainsi qu’avec les rapatriés, certaines autorités étaient réticentes à l’idée que je mène ma recherche de manière indépendante. Il faut souligner que mon sujet de recherche était doublement sensible, en raison des réserves que certains Mauritaniens gardent vis-à-vis du rapatriement, et de la politisation extrême dont l’éducation fait l’objet depuis l’indépendance. Ma demande d’accès aux écoles a ainsi rencontré des oppositions, et j’ai dû faire face à des comportement hostiles de la part de certaines personnes rencontrées, qui voulaient garder un contrôle sur ma démarche et toujours être avisés de mes visites aux écoles. La militarisation des axes routiers ne rendait pas les choses plus simples parce que j’étais censée aviser les chefs de police et de gendarmerie de chaque déplacement que j’entreprenais, cela « pour ma propre sécurité ». Finalement, grâce à l’aide du HCR, j’ai pu obtenir une autorisation d’accès aux écoles que j’avais choisie. Cette autorisation m’a été révoquée vers la fin de mon séjour, suite à une incompréhension interne au sein de la Direction régionale du ministère.

Choix des écoles Pour cette étude, trois écoles ont été sélectionnées, dont une école secondaire et deux écoles primaires. Dans le choix des écoles primaires, trois éléments ont été retenus : les conditions pratiques d’accès aux villages, la diversité des contextes et des populations rapatriées, et les contacts préexistant de mon accompagnateur Papis, qui nous auraient facilité l’accès aux personnes. Ainsi, Houdallaye a été choisi comme lieu principal de mes recherches en raison de son emplacement près de Boghé. Le village possède une école composée de quatre classes (dont deux multigrades). Construites dès le début de l’opération sur initiative des rapatriés, les salles de classe (des hangars5) sont encore provisoires. L’école a un effectif d’environ 250 élèves et elle est fréquentée en très grande majorité par des enfants rapatriés habitant à Houdallaye même, mais aussi par des enfants du village peul adjacent, établis après la crise de 1989, ainsi que par un élève provenant du village maure de Mballadji.

La deuxième école retenue pour cette étude est celle de Tantane, fréquentée par des élèves hassanophones6 du village et, depuis le rapatriement, par des enfants de Boynguel Thillé, village de rapatriés. L’école, créée dans les années 1950, compte aujourd’hui trois classes multigrades qui suivent les cours dans l’établissement principal, ainsi qu’une 3ème année fréquentée exclusivement par des enfants de Boynguel Thillé réunis dans une salle de classe qui se trouve dans ce village et qui a été construite par l’ANAIR. Ces deux écoles ont permis d’explorer des situations diverses. Tout d’abord, leur nature est différente, puisque l’une a été construite exprès pour les rapatriés alors que l’autre a une longue histoire derrière elle. Aussi, l’école de Houdallaye est fréquentée en grande majorité par des enfants rapatriés et en quasi totalité par des enfants pulaarophones, alors que la situation de Tantane permet d’observer les relations qui se tissent entre élèves rapatriés pulaarophones et élèves non-rapatriés hassanophones.

En dernier lieu, les deux villages de rapatriement – Houdallaye et Boynguel Thillé – sont habités par des populations diverses, appartenant respectivement au clan des SirenaaBe et des WodaaBe Penaka. Si les premiers se dédient principalement à l’élevage, les seconds sont en majorité agriculteurs, comprenant aussi des anciens fonctionnaires. Lors de l’exil, la plupart des personnes rapatriées à Houdallaye ainsi qu’une minorité des rapatriés SirenaaBe étaient réfugiées à Ndioum (la majorité de ces derniers se trouvant à Madina Niathbe, cf. Fresia 2009a). Le collège de Boghé a par contre été sélectionné pour explorer la situation des élèves rapatriés de niveau secondaire. Le choix a été fait en raison de son emplacement, mais aussi parce que c’est le seul établissement de ce niveau qui accueillait des élèves rapatriés dans le Brakna en 2010. Sa particularité concerne aussi sa situation en contexte urbain et le fait d’être fréquenté par des élèves issus de différents groupes ethniques et milieux socio-économiques, qui proviennent de plusieurs quartiers de Boghé mais aussi des villages environnants.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1: ASPECTS METHODOLOGIQUES
1.1. LE MANDAT ET LA GLOBAL REVIEW ON REFUGEE EDUCATION
1.2. L’ACCES AU TERRAIN
1.3. CHOIX DES ECOLES
1.4. LES METHODES DE PRODUCTION DE DONNEES
1.4.1. Observations dans les écoles
1.4.2. Entretiens semi-directifs
1.5. LIMITES ET CONTRAINTES DANS LA COLLECTE DES DONNEES
1.6. L’ANALYSE DES DONNEES
CHAPITRE 2: ASPECTS HISTORIQUES ET CONTEXTUELS : L’EDUCATION AU CENTRE DE L’HISTOIRE MAURITANIENNE
2.1. L’ECOLE ET LA NATION : EVOLUTION DU SYSTEME EDUCATIF MAURITANIEN DEPUIS L’EPOQUE COLONIALE
2.1.1. Le peuplement des territoires mauritaniens
2.1.2. La période coloniale : éduquer pour civiliser et pour séparer
2.1.3. L’éducation au coeur du projet national à l’ère de l’indépendance : réformes du système éducatif et contestations des minorités
2.1.4. La crise de 1989 et l’expulsion des « Négro-Mauritaniens »
2.1.5. La réforme de 1999 et l’unification du système éducatif
2.1.6. Les élections présidentielles : l’apparition du « passif humanitaire» sur la scène publique et l’organisation du rapatriement
2.2. L’EXIL, L’ECOLE ET LE RAPATRIEMENT
2.2.1. L’arrivée des réfugiés au Sénégal et l’organisation des camps
2.2.2. La construction d’écoles de réfugiés et leur rôle dans la transmission de la mémoire des événements de 1989
2.2.3. Les premières vagues de retour et la politisation du rapatriement dans les camps
2.2.4. L’organisation du rapatriement officiel : négociations et déroulement
2.2.5. Le retour : motivations, conditions de vie et décalage d’attentes
PREMIERE PARTIE : L’ECOLE COMME ENJEU POLITIQUE ET SOCIAL EN CONTEXTE DE RAPATRIEMENT
CHAPITRE 3: LA MISE EN PLACE DE SERVICES EDUCATIFS EN CONTEXTE DE
RAPATRIEMENT
3.1. LA GENESE DES SERVICES EDUCATIFS DANS LES VILLAGES DE RAPATRIES
3.1.1. Les acteurs initiateurs de l’opération de rapatriement et réinsertion des réfugiés mauritaniens
3.1.2. L’oubli de la question éducative et la recherche de solutions rapides
3.1.3. L’intervention ciblée et limitée du HCR
3.1.4. La réaction des agences de développement présentes sur le territoire
3.1.5. La situation des niveaux secondaire et supérieur
3.2. DEUX EXEMPLES CONCRETS
3.2.1. Historique de l’école de Houdallaye
3.2.2. L’offre éducative à Boynguel Thillé
3.3. ÉLEMENTS EXPLICATIFS : (CO)OPERER EN CONTEXTE DE RAPATRIEMENT
3.3.1. L’intervention limitée et urgentiste du HCR en contexte de rapatriement
3.3.2. L’ANAIR en recherche de visibilité
3.3.3. Labellisation des « rapatriés » : le débat entre agences de développement et d’aide humanitaire
3.3.4. La coordination difficile entre organisations : l’exemple des cours de rattrapage
3.3.5. La relation asymétrique entre le HCR et ses partenaires exécutifs
3.4. LA PART DES RAPATRIES : REVENDICATIONS ET PARTICIPATION DANS LA CONSTITUTION ET LA GESTION DES SERVICES EDUCATIFS
3.4.1. Revendication d’une école villageoise comme reconnaissance citoyenne
3.4.2. Les Bureaux de Parents d’Élèves comme acteur de la société civile
CHAPITRE 4: USAGES DES SERVICES EDUCATIFS ET STRATEGIES DE SCOLARISATION AU NIVEAU FAMILIAL
4.1. PERCEPTION DES SERVICES ET CONSEQUENCES SUR LES USAGES
4.1.1. « L’enseignement est nul » : idéalisation de l’école sénégalaise et disqualification de l’école mauritanienne
4.1.2. Des écoles d’exception
4.1.3. Un système visant à la domination ?
4.2. PRISE DE DECISION AU SEIN DES FAMILLES
4.2.1. L’accessibilité des écoles dans les zones de rapatriement
4.2.2. Le réseau de relations et la possibilité de choisir une autre école
4.2.3. L’éducation coranique comme complément ou alternative à l’éducation publique
4.2.4. La prise de décision au sein de la famille
4.3. PARCOURS ET CHOIX EDUCATIFS DE QUATRE FAMILLES RAPATRIEES
4.3.1. La famille de Djibi
4.3.2. La famille de Aminata
4.3.3. La famille de Samba
4.3.4. La famille de Pennda
4.4. STRATEGIES DE SCOLARISATION ET LOGIQUES SOUS-JACENTES
4.4.1. Valorisation sociale de l’éducation parmi les rapatriés
4.4.2. Des stratégies éducatives transfrontalières
4.4.3. Le choix de l’enseignement coranique et la diversification des parcours au sein de la famille
4.4.4. Une logique de diversification des savoirs et d’adaptation des parcours
4.4.5. Usages sélectifs des services éducatifs conçus pour les rapatriés
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE : LA PRODUCTION SOCIALE DE L’ECOLE AU QUOTIDIEN
CHAPITRE 5: L’ECOLE MAURITANIENNE EN TANT QUE BUREAUCRATIE ETATIQUE
5.1. ORGANISATION DU MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE : UNE HIERARCHIE MANIFESTE ET VECUE
5.2. LA RHETORIQUE DU CONTROLE : ENRACINEMENT DE LA HIERARCHIE DANS LES PRATIQUES
5.3. L’ENSEIGNANT EN TANT QUE FONCTIONNAIRE PUBLIC SOUMIS A L’ÉTAT
5.4. ENSEIGNANTS PAR CONTRAINTE : LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES ENSEIGNANTS MAURITANIENS
5.4.1. Un salaire « maigre »
5.4.2. Des statuts différenciés et une formation non continue
5.4.3. Un environnement scolaire difficile
5.4.4. Une image dégradée dans la société
5.5. QUELQUES STRATEGIES DE COMPENSATION DES ENSEIGNANTS MAURITANIENS
5.5.1. Sécurisation du salaire par l’accumulation de revenus secondaires
5.5.2. Absentéisme et réduction du temps de travail
5.5.3. Accaparement des ressources accessibles
5.5.4. Collectivisation des expériences par la création d’associations
CHAPITRE 6: L’ENSEIGNEMENT AU QUOTIDIEN APRES LA REFORME DE 1999
6.1. LA REFORME DE 1999 VUE PAR LES ENSEIGNANTS
6.1.1. Une réforme idéologiquement positive mais mal appliquée
6.1.2. Un programme trop ambitieux et des livres inadaptés
6.1.3. Une méthode importée qui ne prend pas en considération les conditions locales de l’enseignement
6.2. METHODES ET PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT
6.2.1. Le recours à la langue maternelle et d’autres stratégies pour se faire comprendre
6.2.2. L’enseignement en multigrade
6.2.3. Méthodes pédagogiques, utilisation des livres et pratiques d’évaluation
6.2.4. Faire face à des élèves de niveau inégal : l’enseignement à deux vitesses
6.2.5. Imposer la discipline en classe
6.2.6. « Routine scolaire », mise en condition et promotion de la Nation
CHAPITRE 7: LA CONSTRUCTION DE FRONTIERES ETHNIQUES EN CONTEXTE SCOLAIRE
7.1. QUELQUES NOTES METHODOLOGIQUES SUR L’OBSERVATION DES « RELATIONS INTERETHNIQUES »
7.2. RELATIONS INTERETHNIQUES : LA COHESION DANS LES CLASSES ET LA CONSTRUCTION DE L’ALTERITE
7.2.1. Le cas de Tantane : question de genre ou de mémoire ?
7.2.2. Le collège de Boghé : construction identitaire et maintien des frontières
7.3. PERCEPTIONS DE L’ARABE ET DU FRANÇAIS : REFUSER LA LANGUE DE L’AUTRE
7.3.1. Du désintérêt au refus de la langue de l’Autre
7.3.2. L’arabe comme source de frustration pour les élèves rapatriés
7.4. DISCRIMINATION PERÇUE : LE TRAITEMENT DES ENSEIGNANTS ET LE RAPPORT A L’ÉTAT
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES ACRONYMES
ANNEXE : SUMMARY TERMS OF REFERENCE

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