Une réaction de la communauté internationale jugée inopérante à l’aune du droit international

Intérêt du sujet

L’actualité des attaques de Boko Haram en font un sujet d’études fréquent, tant la violence et l’importance de ces dernières alertent la communauté internationale et le monde universitaire. A ce titre, de nombreux auteurs se sont penchés sur l’étude de l’émergence de Boko Haram, sur leur impact humanitaire dans la région du lac Tchad ou sur la réponse donnée par le gouvernement nigérian et les organisations internationales à ce conflit, alimentant la littérature à ce sujet. Si la question des violations des droits de l’homme au Nigéria dans le cadre du conflit opposant l’état nigérian à Boko Haram est elle-même fréquemment traitée, celle du développement de Boko Haram par le biais de ces violations et surtout l’obstacle à sa répression est moins étayé et offre en ce sens un apport à la recherche. Les violations des droits de l’homme sont un fait établi, nul besoin de démontrer si le groupe viole ou non ces droits humains. A l’inverse, il convient de comprendre en quoi les violations des droits de l’Homme au Nigéria, tant par Boko Haram que par l’Etat nigérian et les organisations internationales, ont-elles permis le développement de la secte et constitué à ce titre un obstacle majeur dans sa répression. En ce sens, il convient de mettre en lumière les manquements de l’Etat nigérian en termes de droits de l’Homme, qui a ont facilité l’implantation et le développement de Boko Haram dans les états du nord-est du Nigéria alors que le sud du pays reste épargné par la menace terroriste. Le rôle du gouvernement et de l’Etat dans l’exacerbation du conflit en fait un sujet d’étude original, permettant de poser la question des limites liées à l’interventionnisme, notamment militaire, dans des conflits ayant des causes socio-économiques.
Ainsi, il convient de comprendre en quoi l’origine de Boko Haram est intrinsèquement liée à la nature de l’Etat nigérian lui-même et que le développement de Boko Haram s’est opéré en parallèle de l’intervention de l’Etat. Ainsi, une corrélation semble se dessiner entre développement de Boko Haram et lutte armée menée par l’Etat nigérian. Dans ce contexte, et alors que l’émergence de Boko Haram est liée à des problèmes socio-économiques et s’est fait sur un fond de droits de l’Homme violés, l’intervention de l’Etat a d’autant plus mis à mal ces droits fondamentaux, rendant la lutte contre la secte nécessairement inopérante dans un contexte d’Etat de droit faible. Ce travail de recherche permet ainsi de comprendre en quoi l’intervention de l’Etat pour endiguer le phénomène Boko Haram et les violations des droits associées à ses attaques ne pouvait qu’être inopérante dans un contexte de faiblesse de l’Etat de droit. A cet égard, il conviendra d’analyser en quoi les violations des droits de l’Homme au Nigéria ont facilité le développement et l’expansion de Boko Haram et ont constitué un frein à sa répression alors que l’Etat apparait nécessairement inapte à endiguer un phénomène dont il semble être le créateur.

Revue de la littérature

Comme mentionné supra, de nombreux auteurs se sont penchés sur la thématique de la lutte contre Boko Haram par l’Etat nigérian et celle de l’émergence du groupe terroriste sur le territoire de la première puissance africaine. Ainsi, les écrits du chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste du Nigéria et de Boko Haram, ont constitué une base fondamentale pour l’écriture de ce mémoire, tant l’auteur s’est penché sur les causes et conséquences de l’émergence d’un tel groupe dans une région aussi riche et importante géopolitiquement parlant que celle du Lac Tchad. Ainsi, son ouvrage, en partenariat avec Géraud Magrin, intitulé Crise et développement : la région du lac Tchad à l’épreuve de Boko Haram, permet d’aborder la crise Boko Haram à partir 1 d’une perspective globale et transfrontalière, en incluant l’impact de l’insurrection sur le Tchad, le Cameroun et le Niger. L’intérêt particulier de cet ouvrage tient dans le panel de facteurs mentionnés pour comprendre le phénomène Boko Haram mais également dans les perspectives à long terme (vingt ans) de la crise et les différents scénarios possibles, entre sortie de crise et enlisement du conflit. A cet égard, les analyses des chercheurs permettront d’élaborer des pistes de réflexion sur le devenir du conflit et les facteurs principaux sur lesquels l’Etat nigérian devrait agir afin de mettre un terme aux violations des droits de l’Homme et rendre sa lutte contre Boko Haram quelque peu opérante.
L’ouvrage d’Adam Higazi, Les origines de l’insurrection de Boko Haram dans le Nord du Nigéria, 2 permet quant à lui d’acquérir une base solide de connaissances concernant les raisons de l’émergence et du développement du groupe terroriste, en mettant en lumière l’importance du rôle joué par l’Etat dans le développement et la propagation des activités de Boko Haram, notamment par le biais de la lutte armée. A ce titre, l’ouvrage d’Adam Higazi permet d’établir les causes socioéconomiques de la naissance de Boko Haram dans le nord-est du Nigéria (Etats de Yobe,Borno et Adamawa) et les erreurs commises par l’Etat dans sa lutte contre la secte. L’ouvrage permet également de revenir sur les événements majeurs qui ont conduit à l’émergence du groupe, notamment à sa radicalisation et à la guerre contre le gouvernement central. Adam Higazi est rejoint sur cette thématique par Nicolas Courtin qui, dans son ouvrage Comprendre Boko Haram, analyse  les causes de l’émergence du groupe terroriste en fonction des inégalités socio économiques inhérentes au nord-est du Nigéria. Ces deux ouvrages sont une base essentielle pour établir l’existence de violations des droits de l’Homme par l’Etat nigérian de part son absence et son inaction dans les territoires du nord-est du pays, favorisant ainsi le développement de Boko Haram qui se livrera à son tour à des violations des droits fondamentaux, instaurant un cycle sans fin de violation de ces droits par toutes les parties prenantes au conflit.
Finalement, et afin de renforcer notre analyse sur l’inefficacité de la lutte contre Boko Haram dans un contexte d’Etat de droit faible, les articles de recherche de Salihu Mohammed Niworu, Boko Haram Sect : Terrorists or a Manifestation of the Failed Nigerian State, et de John Elijah Okan, The Rule of Law in Nigeria : Myth or Reality ? permettent de mettre en lumière les faiblesses de l’Etat nigérian et notamment la faiblesse du droit dans un état « failli », favorisant ainsi les violations des droits de l’Homme et rendant la lutte contre le groupe terroriste inopérante. En effet, sans cadre juridique pour encadrer les actions des forces armées et sans système judiciaire suffisamment efficace, les ambitions d’amélioration de la sécurité et de respect des droits de l’Homme semblent vaines.

Délimitation du sujet

Les sujets liés au Nigéria, au terrorisme, aux droits de l’Homme, à Boko Haram ou à l’insécurité sont vastes et il est impossible de traiter tous les pans des thématiques. A cet égard, plusieurs choix se sont opérés pour l’élaboration de ce travail de recherche. Dans un premier temps, une délimitation géographique : ce mémoire se concentrera sur le Nigéria, et notamment sur les états du nord-est du pays, à savoir du Borno, du Yobe et d’Adamawa, zones les plus touchées par les attaques de Boko Haram et celles où a émergé la secte, bien que le groupe ait dorénavant étendu ses actions aux pourtours du bassin du Lac Tchad et ait franchi les frontières nationales du Nigéria pour s’implanter au Tchad, au Niger et au Cameroun. Une délimitation chronologique et historique s’est également opérée : l’analyse débutera avec l’émergence de Boko Haram et ne seront pas traités les conflits précédents et sous-jacents, tant l’histoire du Nigéria est complexe. Si toute une série de crises et de conflits, notamment religieux, à l’image de la révolte Maitatsine en 1980 à Kano (Etat de Kano, nord), à Kaduna et à Bulumkutu en 1984, ou à Bauchi en 1985 pour ne citer que les plus connues, ont marqué l’histoire du Nigéria avant l’existence de Boko Haram, ces derniers ne pourront être étudiés.
Ainsi, les conflits ethniques et religieux ne pourront être étudiés, à l’image de ceux opposant les communautés musulmanes du nord du pays aux communautés chrétiennes du sud. Par ailleurs, les violations des droits de l’Homme évoquées ne seront que celles en lien avec l’insurrection et la contre-insurrection de Boko Haram.

Difficultés rencontrées

Si la littérature sur les causes et conséquences de l’émergence de Boko Haram au Nigéria est riche, celle sur les faiblesses de l’Etat nigérian, et notamment sur l’Etat de droit, est plus réduite. A ce titre, bien que les violations commises par les forces armées nigérianes soient répertoriées, il est apparu quelque peu compliqué d’établir un lien entre ces violations et les lacunes de l’Etat. Par ailleurs, la littérature nigériane à ce sujet est très maigre et les sources nationales ne relatent que très peu les manquements de l’Etat ou fautes et violations des droits par les autorités gouvernementales, engendrant à ce titre une difficulté d’objectivité dans le traitement des sources. Finalement, une étude de terrain aurait permis de renforcer l’analyse et de donner un angle différent à ce mémoire et de mieux comprendre la réalité, bien qu’un entretien réalisé avec Mr. Florian COLONNA, analyste et Business Development Manager chez GEOS au Nigéria (Lagos) m’ait permis d’obtenir de précieux renseignements sur la situation locale, notamment sécuritaire et humanitaire.

Une répression inopérante et violatrice des droits de l’Homme dans un contexte d’Etat de droit faible

La gouvernance et l’état de droit jouent un rôle clé dans la promotion de sociétés pacifiques, justes et inclusives. A ce titre, Etat de droit et droits de l’Homme sont des aspects fondamentaux pour la réalisation d’un développement durable et l’élimination de la pauvreté extrême, comme en témoigne l’ODD 16. Cependant, si l’on en croit « l’indice sur l’Etat de droit 2017-2018 » du World 6 Justice Project (WTP),qui mesure l’adhésion à l’Etat de droit dans 113 pays du monde selon huit 7 critères (contraintes aux pouvoirs du gouvernement, absence de corruption, gouvernement ouvert, droits fondamentaux, ordre et sécurité, application des règlements, justice civile et justice pénale) , le Nigéria, classé 97ème sur 113 , est caractérisé par la faiblesse de ce dernier. Le pays a notamment vu son score baisser en termes de droits de l’Homme, contrôle des pouvoirs du gouvernement, justice civile et pénale et ordre et sécurité, témoignant d’une détérioration des aspects fondamentaux de l’Etat de droit, menaçant à cet égard le développement du pays et les droits de l’Homme alors que état de droit et droits de l’Homme ont une relation indissoluble et organique. En effet, l’état de droit permet de promouvoir et protéger un cadre normal commun qui garantit la protection de tous les droits de la personne. Il n’existe en ce sens pas d’Etat de droit dans les sociétés où les droits de l’Homme ne sont pas protégés et, à l’inverse, les droits de l’Homme ne peuvent être protégés dans des sociétés où il n’existe pas un véritable état de droit puisque l’Etat de droit permet l’exercice concret des droits de l’Homme. Ainsi, un Etat de droit faible comme au Nigéria induit 8 inévitablement des violations des droits de l’Homme. La lutte menée contre la secte islamiste Boko Haram est un parfait exemple des violations des droits de l’Homme par l’Etat lui-même, dans un contexte de faiblesse de l’Etat de droit. A ce titre, et alors que la naissance et la croissance de Boko Haram sont intrinsèquement liées à la faiblesse – pour ne pas dire l’absence – de l’Etat dans le nordest du pays, l’inefficacité de la lutte engagée par l’Etat nigérian contre Boko Haram apparait inopérante à l’aune de la faiblesse de l’Etat de droit. Ainsi, si les violations des droits de l’Homme par les membres de Boko Haram ne sont plus à prouver, il n’en est pas moins de celles engendrées par la contre-insurrection menée par les forces armées nigérianes.

A l’origine, l’absence, l’inaction et l’échec de l’Etat nigérian

La zone où s’est implanté Boko Haram est une des plus en retard sur tous les aspects du développement humain et les droits sociaux des habitants sont ouvertement violés. L’Etat nigérian y est quasi absent, ce qui a constitué un terreau favorable à la secte. A ce titre, aussi bien la naissance que le développement de Boko Haram sont liés à l’absence de l’Etat nigérian. Cette défaillance de l’Etat est incarnée par l’omission ou l’incapacité à assurer aux populations qui y vivent les droits sociaux de base, que ce soit l’éducation, la santé et le droit à la sécurité, comme mentionné dans l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) : « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, et veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté».
Pourtant, force est de constater que la reconnaissance de ces droits semble être une réalité sociale dans le droit nigérian mais que leur principal trait de caractère aujourd’hui est la méconnaissance dans le pays – pour ne pas dire sur le continent africain en général, et dans la région du bassin du Lac Tchad en particulier. En effet, les droits sociaux apparaissent comme ignorés dans la zone, contribuant au conflit qui y sévit actuellement et à sa propagation hors des frontières du Nigéria.
A cet égard, le groupe Boko Haram a trouvé dans le nord-est du Nigéria (Etats du Yobe, du Borno, et d’Adawema) un terrain favorable à son implantation du fait de facteurs sociaux endogènes, alors que la région est considérée comme celle de toutes les frustrations et de tous les manques. A ce titre, se développe une société utilitariste, ignorant les droits de chacun et violant celui d’autrui. Boko Haram s’est alimenté aux sources de circonstances complexes, à savoir les tensions politiques – notamment entre les communautés chrétiennes et musulmanes -, le crime organisé – développé dans la zone sous forme de vols à mains armées et de trafic de divers types -, la légitimité de l’Etat – un sens insuffisant de la citoyenneté et de la loyauté envers l’Etat -, l’illettrisme, la faiblesse de la gouvernance, des systèmes de justice inadaptés et des services sociaux insuffisants, voire inexistants. Au moment de son implantation, Boko Haram a exploité ces circonstances et a contribué à la création de ce que les membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies ont appelé en 2013 un « arc d’instabilité», couvrant le Sahara et le Sahel. Ainsi, et comme l’évoquait Ban Ki Moon, ancien secrétaire général des Nations Unies, lors d’un débat public devant le Conseil de sécurité le 14 avril 2016, « l’extrémisme violent fleurit lorsque les groupes sont marginalisés l’espace public réduit, les droits humains bafoués, les gens privés de perspectives et de débouchés dans leur vie». En effet, si Boko Haram recrute avec tant de facilité au Nigéria, c’est parce que les écarts de développement entre le nord et le sud du pays sont particulièrement importants. Et que les dirigeants successifs du pays se sont illustrés par une redistribution inéquitable des ressources pétrolières, créant un pays à deux vitesses et favorisant l’émergence de nombreux conflits sociaux.
Le développement du pays grâce au secteur pétrolier n’a pas permis d’améliorer les conditions de vie d’une majeure partie de la population, notamment au nord du pays. A ce titre, les grandes villes du nord n’ont pas profité du développement comme a pu connaître Abuja, et ce sont peu à peu paupérisées, alors que Kaduna faisait pourtant figure de capitale économique du nord dans les années 1990 grâce à l’activité textile. Cependant, le nord du pays a connu une crise économique d’ampleur, suite à l’implantation et la concurrence des sociétés chinoises, contribuant au développement du chômage et de l’inactivité. Le nord du pays s’enfonce alors dans la crise et se développe un phénomène de paupérisation et de marginalisation. Le système éducatif s’effondre, créant un fossé entre le taux de scolarisation au Sud et celui au Nord du pays. Au lieu d’être endiguée, cette misère est entretenue par les hommes politiques, dont la plupart sont empêtrés dans des affaires de corruption et de détournement de fonds publics alors que le pays est classé à la 148e place sur 180 dans le classement de l’ensemble des pays selon l’indice de perception de la corruption (IPC) par Transparency International. Le pays est affecté par une corruption endémique, présente à tous les niveaux institutionnels, impactant notamment le secteur pétrolier, premier contributeur aux recettes nationales, et alimentant les critiques à l’égard de la bonne gouvernance. Les populations de ces zones lésées sont alors réceptives aux manipulations, ce que comprendra que trop bien Mohamed Yusuf, le fondateur de Boko Haram. En effet, afin d’attirer le maximum de personnes et de les convertir par la suite au djihad, ce dernier insistait dans ses prêches sur ces inégalités. Il dénonçait le pouvoir fédéral comme étant la cause du chômage des jeunes alors que la population de jeunes diplômés est particulièrement importante dans le nord-est du pays. A cet égard, l’émergence du mouvement néo-militant dans le nord-est du Nigéria en 2011, et la transformation subséquente de ce mouvement par la suite en un mouvement radical islamiste, sont liées au mécontentement, qui est lié lui-même à la faible base économique de l’économie du Nigéria, alors caractérisée par la pauvreté et la détérioration des services sociaux et des infrastructures, le retard scolaire, le nombre croissant de diplômés sans emploi, le nombre massif de jeunes au chômage, la faiblesse de l’agriculture (auparavant base de l’économie). A ce titre, la période de déclin économique au Nigéria au début des années 2000 a été marquée par la prolifération massive des tendances à la radicalisation, notamment des jeunes, devenus des outils entre les mains des terroristes, à l’exemple des Alamijiris, jeunes sans-abris et principaux participants aux cas de violence religieuse dans le pays. Le taux de pauvreté élevé a aliéné de nombreux jeunes dans le nord relativement pauvre.

L’écrasante présence de l’Etat dans la lutte contre Boko Haram : des droits de l’Homme
violés

La difficulté inhérente à la lutte contre le terrorisme, à savoir la conciliation des mesures de sécurisation avec le respect des droits et libertés, est bien présente au Nigéria. Il est en effet admis que le principal dilemme dans la lutte contre le terrorisme est relatif à l’application de divers droits de l’Homme. A cet égard, il est essentiel que les mesures prises par l’Etat pour préserver les citoyens des effets destructeurs du terrorisme soient respectueuses de tous les droits et libertés, conformément au droit international. Mais force est de constater que face au défi terroriste, les « gouvernements ont réagi de manière tout aussi brutale et aveugle, par des arrestations et des placements en détention arbitraires et massifs, ainsi que par des exécutions extrajudiciaires », alimentant d’autant plus un climat d’insécurité déjà omniprésent sur le territoire national. Pourtant, et selon le rapporteur spécial des Nations-Unies Philip Alston et l’arrêt du 27 septembre 1995 de la Cour Européenne des droits de l’Homme, « le cadre juridique de l’Etat doit (…) contrôler et limiter les circonstances dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent avoir recours à la force meurtrière».
La pratique de l’Etat nigérian en la matière est déplorable. Il convient dès lors de questionner l’efficacité des réponses sécuritaires du gouvernement et leur impact sur les droits de l’Homme, à l’ère de la lutte contre Boko Haram, alors que le gouvernement a procédé à un containment sécuritaire, restreignant les droits de l’homme et mettant en place des mesures réglementaires et des restrictions des usages. Dans un souci de sécurisation de son territoire et afin d’endiguer la menace que présentait Boko Haram, le Nigéria a violé les droits civils et politiques ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels.

Violations des droits civils et politiques

Si le pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) comprend les droits et libertés classiques qui protègent les particuliers contre les ingérences de l’Etat, comme le droit à la vie, l’interdiction de la torture, de l’esclavage et du travail forcé, etc., et a été ratifié par le Nigéria le 29 juillet 1993, force est de constater que la contre insurrection s’est révélée être une succession de violations de ces droits par les autorités nigérianes.
A ce titre, le bombardement le 17 janvier 2018 d’un camp de personnes déplacées à Rann, siège du gouvernement local de Kala Balge (Etat de Borno, nord-est) par l’armée de l’air nigériane est représentatif de la violence perpétrée par les forces gouvernementales dans le cadre de la contre- insurrection contre Boko Haram: pas moins de 167 civils furent tués, parmi lesquels de nombreux enfants. S’ajoutent à cela les arrestations et détentions arbitraires par l’armée qui a placé des milliers de jeunes hommes, de femmes et d’enfants dans des centres de détention, les privant de tout contact extérieur. A cet égard, en avril 2018, plus de 4900 personnes étaient détenues dans des conditions de surpopulation extrême au centre de détention de la caserne de Giwa, à Maiduguri, où la maladie, la déshydratation et la famine sévissaient et ont entraîné la mort d’au moins 340 détenus. Plusieurs centaines de femmes étaient quant à elle détenues illégalement par l’armée, pour certaines sur la simple présomption qu’elles avaient des liens avec des membres de Boko Haram. A ce titre, les membres de la communauté Kanuri font régulièrement l’objet d’arrestation arbitraire puisque suspectés de complicité avec le mouvement terroriste. La police et le Service de sécurité de l’Etat (SSS) ont continué de se livrer à des actes de torture et à d’autres formes de mauvais traitements, ainsi qu’à la détention illégale. A ce titre, l’arrestation de Nonso Diobu et de huit autres hommes en février 2018 à Awkuzu (Etat d’Anambra, sud-est), placés en détention par des membres de la Brigade Spéciale de répression des vols (SARS), soumis à la torture et morts en détention – à l’exception de Nonso Diobu – sont significatifs des violences et violations des droits humains par les autorités nigérianes alors que le droit à la vie est un droit fondamental que l’Etat signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques se doit de préserver.
Alors que le PIDCP protège les populations contre les ingérences de l’Etat, le gouvernement nigérian l’a ouvertement violé en procédant à des homicides illégaux. A titre d’exemple, au moins 10 membres du mouvement IPOB (Indigeneous People of Biafra) ont été tués, et 12 autres blessés, par des soldats à Umuahia (Etat d’Abia, sud-est) le 14 septembre 2017, alors que 10 autres auraient été emmenées par les soldats. Par ailleurs, bien que le PIDCP, dont le Nigéria est signataire, soit complété par deux protocoles, dont un interdisant la peine de mort en date du 15 décembre 1989, les tribunaux ont prononcé à plusieurs reprises des sentences capitales, comme ce fut le cas le 9 mars 2017 lorsque le tribunal d’Abuja a annoncé la peine de mort pour deux policiers déclarés coupables d’avoir participé à l’exécution extrajudiciaire de six commerçants dans le quartier d’Apo (Abuja) en 2005. Lors du Conseil économique national, en juillet 2017, les gouverneurs des Etats ont décidé qu’ils allaient désormais signer des ordres d’exécution ou bien commuer les peines capitales afin de réduire la surpopulation dans les prisons alors que des condamnés à mort ont indiqué qu’une potence avait été préparée dans les prisons de Benin et de Lagos, en vue des prochaines exécutions.
En août 2017, le gouvernement de l’Etat d’Ogun a quant à lui annoncé qu’il renonçait à son engagement officieux de ne pas autoriser d’exécutions alors que le Sénat a adopté le mois suivant une loi prévoyant l’imposition de la peine capitale pour les auteurs d’enlèvement.

Une répression nécessairement inefficace dans un contexte d’Etat de droit faible

Base essentielle pour tout pays aspirant à un développement durable et au respect des droits de l’Homme, l’Etat de droit assure l’égalité des citoyens devant la loi. Cependant, force est de constater qu’entre insuffisance des textes et insuffisance de la justice, le Nigéria met en avant les insuffisances de l’Etat de droit en Afrique de l’Ouest.
La notion d’état de droit est le principe selon lequel les gouvernements doivent être régis par un ensemble de lois bien définies qui engagent tout le monde au sein d’une juridiction donnée. L’Etat de droit implique, entre autres, l’équité, l’égalité devant la loi, le respect des droits de l’homme, de la vie et des biens personnels, un traitement juste et équitable pour tous, par opposition au traitement arbitraire des masses par les dirigeants, les gouvernements et les fonctionnaires. A cette fin, le respect de l’Etat de droit est essentiel pour le développement général et la stabilité du pays, alors que sa faiblesse au Nigéria ne pouvait rendre qu’inopérante la lutte contre Boko Haram.
L’idée clé de l’Etat de droit est que la loi devrait s’appliquer à tous de la même manière, aussi bien aux gouvernants qu’aux gouvernés, évitant à ce titre l’arbitraire, l’anarchie, l’insécurité et le désordre. Comme le mentionnait John Locke, « la tyrannie commence là où la loi s’arrête» alors que l’Etat de droit définit et encadre la relation entre le gouvernement et le peuple. Pour qu’une loi soit respectée et suivie, elle doit refléter l’esprit du peuple. L’Etat de droit est ainsi protecteur des 14 droits fondamentaux des personnes qu’il gouverne et répond à leurs besoins, tout en favorisant la démocratie, l’indépendance judiciaire, la paix, la sécurité, l’ordre et la bonne gouvernance. Bien que le Nigéria ait connu un développement humain et des opportunités économiques en progrès, le plaçant à la première place des puissances économiques africaines, l’Etat de droit s’est dégradé depuis 2000, selon l’indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine (IIAG). Si le Nigéria est régulièrement présenté comme un pays démocratique disposant de très bonnes lois, il est néanmoins à noter que les tendances à la dictature, à l’autocratie, à la corruption, à la mauvaise gestion et à l’abus des fonctions publiques sont encore très fortes, favorisant la stagnation socio-économique, les inégalités, la pauvreté, le chômage de masse et le sous-développement, qui sont subies par une majorité de la population, concentrée dans le nord du pays. Pour endiguer ces conjonctures, il est nécessaire de réviser les différents systèmes qui gouvernent le Nigéria.
L’Etat de droit est un principe selon lequel toutes les personnes, toutes les institutions et toutes les entités sont responsables sur la base des lois, qui ont été précédemment publiquement promulguées,équitablement appliquées, indépendamment jugées et compatibles avec les principes internationaux des droits de l’Homme. Or, force est de constater qu’au Nigéria, ces principes sont bafoués, mettant en périple la survie et la prospérité de la liberté. Alors que les parties prenantes au conflit violent délibérément les principes internationaux des droits de l’Homme, la diversité des lois promulguées dans un contexte de République fédérale rend l’application du droit difficile. En effet, les lois varient d’un état à un autre, ce qui est ainsi punissable dans un état peut ne pas l’être dans un autre, à la discrétion de la loi fédérale. De plus des lois anti-populaires et draconiennes sont encore en vigueur alors qu’elles devraient être abrogées. Cela signifie que les législateurs nigérians devraient considérer tout acte de non-respect de l’Etat de droit par les autorités comme une infraction. Par ailleurs, le concept de justice militaire, très présente au Nigéria, doit être abrogée car par nature contraire à l’Etat de droit. En effet, alors que le Nigéria est une ancienne république fédérale militaire, le pouvoir accordé aux forces armées se révèle être conséquent, leur offrant une sorte d’impunité face aux violences et violations des droits commises, alors que la lutte contre Boko Haram apparait au coeur des défis et objectifs du gouvernement. Fondamentalement, le régime militaire se caractérise par la suspension de certaines dispositions de la Constitution, les violations des droits de l’Homme, la révocation des institutions démocratiques (exécutives et législatives), tout en réduisant les compétences des tribunaux par des décrets. Cette réduction, qui illustre l’impuissance de la justice, semble être une subversion de l’Etat de droit dans l’ère militaire. Si cette ère est révolue, les tribunaux militaires subsistent et sont privilégiés aux tribunaux ordinaires pour traiter certaines catégories d’affaires alors que les militaires s’estiment en droit et au-dessus des lois, rendant difficile voire impossible un procès à leur encontre. Par ailleurs, et alors que le gouvernement nigérian a déclaré a plusieurs reprises l’état d’urgence, il a adopté des lois qui restreignent les libertés civiles du citoyen pour la sûreté et la sécurité de l’Etat, limitant ainsi les libertés sociales des citoyens et s’octroyant le pouvoir de procéder à des arrestations arbitraires de citoyens dans le but de garantir la sécurité nationale. A cet égard, dans un tel contexte, le gouvernement et les forces militaires ne peuvent être jugées pour violation des droits de l’homme puisque leurs actions sont motivées par la nécessité de maintenir l’ordre, la sécurité et la paix, justifiant ainsi les détentions sans procès et violant ouvertement les principes fondamentaux de l’Etat de droit.

Une réaction de la communauté internationale jugée inopérante à l’aune du droit international

Après avoir longtemps considéré Boko Haram comme une affaire strictement nationale et devant ce qui s’est révélé être une incapacité à faire face à la menace seul, le Nigéria a finalement fait appel le 25 février 2014 à ses partenaires extra-régionaux et notamment à la France pour l’aider dans son combat contre le terrorisme. A ce titre, le Sommet de Paris pour la sécurité au Nigéria le 17 mai 2014 a réuni plusieurs chefs d’Etats de la région (Bénin, Nigéria, Niger, Cameroun, Tchad) et le Président français et a abouti à une coopération soutenue et une prise de mesures, notamment la coordination du renseignement, des actions militaires conjointes ainsi que la protection des populations civiles. Si un autre sommet convoqué au Nigéria (Abuja) le 14 mai 2016 a permis de montrer l’efficacité des initiatives bilatérales et multilatérales qui ont permis de faire reculer les troupes de Boko Haram, le groupe continue de mener des attaques, notamment des attaquessuicides qui se sont multipliées. L’appel à la coopération internationale se fait pressante alors que les éléments de Boko Haram étendent leur champ d’action aux pays du bassin du Lac Tchad.
Alors qu’il opère dans un des pays les plus pauvres au monde, où 86,5 millions de personnes vivent dans l’extrême pauvreté , Boko Haram alimente la paupérisation d’une population déjà complètement démunie, en plus de contraindre l’Etat à consacrer ses maigres ressources aux efforts de guerre contre ce fléau. Dans ce contexte, l’on s’attend à une intervention de la communauté internationale afin de combattre le groupe terroriste et mettre fin aux graves atteintes aux droits de l’Homme qu’il entraîne. Pourtant, force est de constater que la situation demeure inchangée, comme en témoigne les récentes attaques menées par le groupe terroriste ciblant la population des états du nord-est du pays, à l’image de celle menée le 6 août 2018 à Munduri (Etat du Borno, nord-est) durant laquelle 7 civils ont été tués.
Les bases légales pour une intervention de la communauté internationale existent bel et bien: le droit international comporte le concept de responsabilité de protéger (R2P), qui peut justifier une intervention internationale pour sauver les populations victimes de graves atteintes aux droits de l’Homme alors que le besoin de sécurisation est plus qu’urgent dans la zone. Mais force est de constater que les traités internationaux sont violés, tant par le Nigéria lui-même que par les organisations internationales alors que ces dernières semblent incapables d’endiguer le phénomène, sûrement par faute de désintérêt à ses premières heures.

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Table des matières
I. Une répression inopérante et violatrice des droits de l’Homme dans un contexte d’Etat de droit faible
A.A l’origine, l’absence, l’inaction et l’échec de l’Etat nigérian
B. L’écrasante présence de l’Etat dans la lutte contre Boko Haram : des droits de l’Homme violés
1. Violations des droits civils et politiques
2. Violations des droits économiques, sociaux et culturels
C. Une répression nécessairement inefficace dans un contexte d’Etat de droit faible
II. Une réaction de la communauté internationale jugée inopérante à l’aune du droit international
A.Des traités internationaux ratifiés et pourtant violés
1. Par l’Etat Nigérian lui-même
2. Par les Organisations internationales : la R2P ignorée
B. Des recommandations spécifiques pour un semblant d’intervention de la communauté internationale
C. Les fausses promesses d’une justice répressive : la nécessaire mais impossible intervention
de la Cour Pénale Internationale
1. Les difficultés d’intervention de la Cour pénale internationale
2. Les difficultés d’une résolution judiciaire au niveau national
III. Renforcer l’Etat de droit pour maintenir la sécurité
A.Combattre les violations des droits de l’Homme à la source ou comment rendre la lutte contre Boko Haram opérante
B. La nécessaire réforme du système judiciaire et l’encadrement des groupes armés
1. Réformer le système judiciaire
2. Démanteler, ou au mieux encadrer, les groupes armés
C. Régionalisation du conflit et perspectives à long terme

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