Une démarche agronomique pour accompagner l’évolution des systèmes de culture

LE MUSKUWAARI DANS L’EXTREME-NORD CAMEROUN : HISTORIQUE ET SITUATION ACTUELLE

Le sorgho repiqué parmi les systèmes de culture de sorgho de saison sèche

Le sorgho constitue une des principales cultures vivrières en Afrique sub-saharienne. Il est surtout cultivé en saison des pluies, mais environ 12 % de la production provient du sorgho de saison sèche pratiqué sur des terres inondables, appelé aussi sorgho de décrue (Kebe, 2002). Cette culture, excluant le sorgho pluvial strict et la culture irriguée, correspond à divers systèmes où l’alimentation hydrique de la plante est assurée entièrement ou en partie par l’humidité résiduelle du sol (Bretaudeau et al., 2002). Le décalage du cycle cultural de ces sorghos ou “désaisonnement”, permet la mise en culture de milieux où l’engorgement, parfois l’inondation, rendent difficile l’installation de cultures au cours de la saison des pluies (Raimond, 1999). Les différents systèmes de culture peuvent être regroupés en trois grands types , en fonction du régime hydrique des terres cultivées et donc du positionnement du cycle cultural (Burner, 1975, cité par Raimond, 1999). Ces types correspondent en partie aux différentes régions de production du sorgho de saison sèche en Afrique de l’Ouest et du Centre :

• Le sorgho “précoce” ou sorgho de décrue au sens strict du terme, est semé au cours de la saison sèche entre octobre et décembre, après le retrait d’inondation d’origine fluviale et se développe uniquement à partir de la réserve en eau accumulée dans le sol. Ce système est surtout pratiqué dans les terres limonoargileuses inondables de la vallée du fleuve Sénégal (Jamin, 1986), mais se retrouve également au Mali (sorgho de mare). Il concerne uniquement des sorghos de race durra (Chantereau, 2002).
• Le sorgho “tardif”, semé en fin de saison sèche (février à mai), est récolté au cours de la saison des pluies (septembre-octobre). Le cycle végétatif est décalé compte tenu de l’arrivée tardive des crues à cause de phénomènes de remplissage de “lacs de bordure” reliés au fleuve par un système de défluents. Ce système de culture s’observe uniquement dans le delta central du fleuve Niger au Mali, et concerne des sorghos de race guinea.
• Le sorgho repiqué correspond à une variante du sorgho précoce, puisque le cycle se déroule sensiblement à la même période, mais les plants sont d’abord élevés en pépinières, puis repiqués au fur et à mesure de la diminution de l’engorgement des sols ou du retrait de l’eau dans les parties inondables. Cette technique permet d’optimiser l’utilisation de la réserve en eau accumulée dans le sol en saison des pluies : les plants se développent d’abord en pépinière grâce aux pluies entre août et octobre, puis une fois repiqués, ils profitent rapidement de l’humidité résiduelle du sol grâce au système radiculaire déjà développé. Le repiquage, spécifique de la région du lac Tchad, permet ainsi de gagner le temps passé dans les pépinières (environ 40 jours), sur l’accomplissement du cycle végétatif (Raimond, 1999). Le sorgho repiqué est surtout pratiqué au sud du bassin tchadien, connu sous le nom de berbere au Tchad, masakwa dans la région du Bornou (Nigeria), et muskuwaari au Nord Cameroun. Les différents types de sorghos cultivés appartiennent aux races durra et durra-caudatum.

Le sorgho repiqué est principalement pratiqué sur les sols à tendances hydromorphes, en particulier les vertisols dont le taux élevé d’argile gonflante confère une bonne capacité de rétention en eau. Selon la position topographique, les terres peuvent être submergées pendant la saison des pluies, l’inondation provenant des crues des rivières et/ou de l’accumulation des eaux pluviales. La mise en culture a aussi lieu dans des sols argileux mal drainés où l’engorgement au cours de la saison des pluies rend difficile l’installation de cultures pluviales. Ainsi, les périodes et les modalités de semis et d’implantation varient selon le type de sol et son régime hydrique.

La difficulté de la culture réside dans la coordination d’une part de la production des plants en pépinière et d’autre part du repiquage dont on ne connaît pas a priori la période puisqu’il est conditionné par l’arrêt des pluies ou le retrait de l’inondation (Barrault et al., 1972). Les semis en pépinière sont généralement échelonnés dans le temps entre août et octobre, pour disposer de plants convenables pour le repiquage au fur et à mesure du retrait des eaux dans les terres à sorgho repiqué . La préparation des parcelles et le repiquage constituent les travaux les plus longs et doivent être exécutés dans un temps relativement court pour que l’implantation ait lieu dans les meilleures conditions du point de vue de l’état hydrique du sol. La végétation herbacée et arbustive qui s’est développée pendant la saison des pluies est généralement fauchée puis brûlée. Le repiquage s’effectue à l’aide d’un plantoir. On dispose généralement deux plants par trou que l’on remplit d’eau. La densité de repiquage est volontairement faible (environ 10 000 plants/ha) pour limiter la concurrence pour l’eau. La récolte a lieu de mijanvier à début mars avec des rendements variant de 0 à plus de 3 tonnes/ha selon le type de sol, l’inondation et les conditions climatiques de l’année.

Dans les plaines de l’Extrême-Nord Cameroun, le sorgho repiqué a d’abord été implanté dans les vertisols modaux présentant une période d’inondation variable et dont la teneur élevée en argile gonflante les rend très propices à cette culture. La région présente aussi de vastes plaines inondables, mais le prolongement de l’inondation provenant des crues du fleuve Logone et des affluents peut constituer un facteur limitant. Un repiquage au delà du mois de décembre peut empêcher la production de grains compte tenu des basses températures à cette période de l’année et du photopériodisme de ces sorghos. Mais avec l’intérêt croissant des populations pour cette production, les agriculteurs ont cherché à adapter la culture sur d’autres types de vertisols. Ainsi, les systèmes de culture à muskuwaari de l’Extrême-Nord sont considérés comme les plus sophistiqués du bassin du lac Tchad (Raimond, 1999).

Historique de la culture du muskuwaari dans l’Extrême-Nord

Les éleveurs nomades Fulbés venant de l’empire du Bornou (carte 1) arrivent dans le nord du Cameroun à partir du XVIIIème siècle. Ils s’installent dans la région de Maroua et se placent sous la dépendance de différents clans d’agriculteurs (Giziga, Zumaya et Mofu), auxquels ils paient des droits pour faire paître leurs troupeaux (Raimond, 1999). Des conflits entre agriculteurs et éleveurs entraînent l’insurrection des Peuls et la guerre sainte (Djihad) déclarée aux populations animistes, aboutissant à la conquête d’une grande partie des territoires de la plaine du Diamaré au début du XIXème siècle. Le développement de la culture du sorgho repiqué dans la région est associé à l’installation des Peuls mais son introduction est semble t-il antérieure.

Diffusion de la culture par les Fulbe 

Si le rôle des Fulbe dans la diffusion du muskuwaari au Nord-Cameroun est reconnu, son introduction reste mal expliquée et la culture aurait connu des fluctuations avant la conquête peule (Seignobos, 2000). Ces sorghos de contre-saison, provenant de la région du Bornou, ont sans doute été adoptés ponctuellement par les ethnies en place avant l’arrivée des Fulbe, suite à des échanges avec les Bornouans et à des campagnes de razzias. Les superficies sont restées marginales avant le XIXème siècle. Seignobos (2000) situe la première diffusion d’envergure du muskuwaari dans la région du Diamaré à la fin de ce siècle, avec la présence de colonies de Bornouans installées auprès des Peuls. Ces derniers ont ensuite joué un rôle essentiel dans la diffusion de ce système de culture dans leur zone de peuplement et dans les territoires des groupes ethniques voisins.

Sur les terres conquises, au nord et à l’est de Maroua, les populations autochtones progressivement islamisées et “foulbéisées”, adoptent le muskuwaari, qui devient une caractéristique du système de production peul avec l’élevage. La domination Fulbe, s’accompagne de la mise en place d’un cadre politique et administratif précis, les territoires étant découpés en cantons ou lamidats, gouvernés par le lamido, le chef traditionnel peul dont la fonction est héréditaire (Raimond, 1999). L’influence du modèle agricole peul s’étend au-delà des territoires Fulbe.

D’après Seignobos (2000), les Tupuri, dont l’aire de peuplement se situe à l’ouest de la région du “Bec-deCanard”, sont parmi les premières ethnies à adopter le sorgho repiqué qu’ils appellent donglong. L’adoption a eu lieu facilement car le muskuwaari s’apparente au babu (baburi en fulfulde), sorghos provenant de zones Tupuri du sud et du sud-est dans l’actuel Tchad. Ces sorghos de race durra-caudatum, sont semés vers la mi-juillet et repiqués avant la fin des pluies, courant août, sur des sols argilo sableux à tendance hydromorphe (Barrault et al., 1972). Si le babu et le sorgho pluvial restent dominant dans le cœur du pays Tupuri, les migrants qui, au cours du XXème siècle, s’installent en remontant vers le nord en direction de l’aire de peuplement Fulbe, cultivent préférentiellement du muskuwaari (Seignobos, 2000). Ainsi, dans les régions de Kalfou et Moulvoudaye où coexistent de nos jours les Peuls et Tupuri, les villages se situent très souvent à proximité de grandes plaines inondables valorisées par la culture du muskuwaari et plus récemment par le riz pluvial (Gnassamo et Kolyang, 2002).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Une démarche agronomique pour accompagner l’évolution des systèmes de culture à muskuwaari
1. Le muskuwaari dans l’Extrême-Nord Cameroun : historique et situation actuelle
1.1. Le sorgho repiqué parmi les systèmes de culture de sorgho de saison sèche
1.2. Historique de la culture du muskuwaari dans l’Extrême-Nord
1.3. La situation actuelle : aire d’extension et place dans les systèmes de production
2. Position du problème
2.1. Contribution de la filière coton à l’évolution du système de culture à muskuwaari
2.2. Les interventions sur la filière céréales depuis 1996
2.3. Le traitement herbicide dans le karal, une pratique non stabilisée
2.4. Problématique et hypothèses de travail
2.5. Enjeux de la recherche
3. Démarche, cadre d’analyse et méthodologie
3.1. Démarche et justification
3.2. Cadre théorique
3.3. Dispositif de recherche
4. Synthèse
Chapitre 2 : Caractérisation de la diversité des systèmes de culture à muskuwaari
1. Méthode
2. Problématique générale de la culture du muskuwaari
3. Le sorgho repiqué : la plante dans son milieu
3.1. Rappels sur le sorgho et spécificités du muskuwaari
3.2. Influence du climat sur la réussite du sorgho repiqué
4. Hétérogénéité des milieux et diversité des pratiques
4.1. Dimension collective et organisation spatiale du système de culture à l’échelle territoriale
4.2. Les pratiques des agriculteurs face à l’hétérogénéité du milieu
5. Conclusion discussion
Chapitre 3 : Formalisation des règles de décision pour la conduite du muskuwaari, évolution avec l’adoption du traitement herbicide
1. Eléments de bibliographie sur le fonctionnement du peuplement de sorgho
1.1. Cycle de développement du sorgho et analyse des composantes du rendement
1.2. Nutrition du sorgho en éléments minéraux
1.3. Influence des conditions du milieu
2. Présentation du dispositif expérimental
2.1. L’évaluation expérimentale des itinéraires techniques
2.2. Echantillonnage des parcelles paysannes et des placettes d’observations
2.3. Mesures et observations effectuées
2.4. Traitement des données
3. Diagnostic sur la variabilité des rendements dans les parcelles témoin
3.1. Analyse de l’élaboration du rendement
3.2. Etats du milieu à l’origine des variations de rendement
3.3. Impact des caractéristiques de repiquage sur les états du milieu
3.4. Conclusions sur l’analyse de la variabilité des rendements
4. Evaluation agronomique des traitements herbicides dans diverses situations d’enherbement
4.1. Intérêts et limites du traitement herbicide selon les situations d’enherbement
4.2. Evaluation de l’arrière-effet des traitements herbicide
4.3. Synthèse : grille d’analyse des situations, options pour la gestion de l’enherbement
5. Discussion-conclusion
Chapitre 4 : Diagnostic agronomique et évaluation des effets du traitement herbicide sur le fonctionnement de l’agro-écosystème
1. Formaliser les décisions techniques pour la conduite du sorgho repiqué : concepts et méthodes utilisés
1.1. Le concept de modèle d’action
1.2. Application du concept de modèle d’action pour analyser la conduite du muskuwaari
1.3. Concepts et catégories de RdD utilisés
1.4. Méthode d’enquêtes et déroulement
1.5. Formalisation des résultats
2. Résultats sur les RdD et formalisation des modèles d’action
2.1. Formaliser les RdD à travers l’exemple de l’exploitation de G.O
2.2. Comparaison des modes de conduite dans les autres exploitations enquêtées
2.3. Synthèse sur l’évolution des RdD liée à l’introduction de l’herbicide
3. Grille d’analyse de la conduite du muskuwaari à l’usage de conseillers
4. Discussion-conclusion
Chapitre 5 : Discussion et perspectives
1. Intérêts des résultats pour faire évoluer les pratiques culturales
1.1. Retour sur les hypothèses
1.2. Domaine de validité des références établies
1.3. Raisonner les applications selon le mode de conduite et le scénario climatique
1.4. Une impérative mise en garde sur l’utilisation des herbicides
2. Conséquences pour le conseil et l’accompagnement technique des producteurs
2.1. Vers un conseil diversifié et adaptatif
2.2. Poursuivre l’accompagnement du changement technique
3. Orientations des recherches sur les systèmes de culture à muskuwaari
3.1. Pour la construction d’innovations en partenariat
3.2. Suivre et orienter la dynamique du muskuwaari à l’échelle des territoires
Conclusion

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *