UNE CLASSE OUVRIÈRE EN ACTION

UNE CLASSE OUVRIÈRE EN ACTION

LA REPONSE OUVRIERE A L’INDUSTRIALISATION:

La deuxième industrialisation que connaît le Québec, dans le dernier quart du XIXe siècle et dans les premières décennies du siècle suivant, apporte son lot de bouleversements sociaux. L’émergence d’une classe ouvrière apporte inévitablement des changements dans la structure de la société. À cette époque où le libéralisme économique règne, les moins biens nantis n’ont que le choix de trouver des moyens pour améliorer leur sort, à tout le moins pour le rendre plus acceptable.

Les moyens que conçoit la classe ouvrière pour s’adapter à l’implantation du capitalisme industriel sont multiples. Alors que certains sont plus visibles que d’autres, il n’en demeure pas moins que plusieurs activités peuvent se situer dans ce qu’il est convenu de désigner comme les mouvements ouvriers. À l’évocation de cette appellation, ce qui nous vient à l’esprit immédiatement, ce sont les actions syndicales des travailleurs. Il faut ajouter à cela des actions politiques qui ont aussi retenu l’attention des chercheurs. Un autre secteur d’activité, peu étudié jusqu’à tout récemment, doit également être associé à ces actions ouvrières, il s’agit de la mutualité.

Pour le cas qui nous préoccupe, une compréhension du syndicalisme québécois est indispensable, tant dans ses actions que dans son idéologie; ce qui constituera la première partie de ce chapitre. La deuxième section sera consacrée à un élément particulier au Québec et qui a un impact important sur les mouvements ouvriers, c’est-à dire l’implication du clergé dans les actions sociales ouvrières, ce qui est mieux connu sous l’appellation d’action sociale catholique. Nous aborderons ensuite la question de la mutualité. Pour ce qui est de la politique, les actions ouvrières d’envergure au Saguenay Lac-Saint-Jean sont relativement insignifiantes, voire inexistantes, pour la période qui nous concerne; nous les laisserons donc de côté. Par contre, nous terminerons ce chapitre par l’implantation du syndicalisme dans la région, étant donné qu’il représente un élément important de notre étude.

L’ÉVOLUTION DU SYNDICALISME QUÉBÉCOIS:

Dans l’histoire du Québec, nous pouvons distinguer trois types de syndicalisme : l’international, le national et le syndicalisme catholique. La différence entre les deux premiers repose principalement sur le territoire couvert par leurs activités, tandis que le troisième se démarque par son appartenance idéologique aux valeurs catholiques .

LE SYNDICALISME INTERNATIONAL
Avec l’industrialisation du Québec, un mode associatif ouvrier se développe : le syndicalisme. D’influence essentiellement états-unienne à ses débuts, le portrait-type du syndicat canadien correspond sensiblement à ce que nous connaissons encore aujourd’hui. Centré sur le principe de l’opposition entre les classes sociales, mais dans une dynamique particulière, c’est-à-dire qu’il se concentre essentiellement dans le cadre du travail et qu’il ne se répercute pas à l’ensemble des débats sociaux. Ses revendications concernent exclusivement la dichotomie patrons-ouvriers, que l’on pourrait également qualifier dans le cadre du travail de dominants-dominés.

À la fin du XIXe siècle, deux types de syndicats se retrouvent au Canada : les internationaux et les nationaux. Le terme binational12 serait plus approprié pour le premier modèle puisqu’il n’a rien à voir avec l’Internationale que l’on retrouve en Europe, dont les activités se situent dans plusieurs pays et qui véhicule une idéologie beaucoup plus socialiste, voire communiste. En effet, il s’agit exclusivement d’unions ouvrières provenant des États-Unis, dont la plus connue est sans aucun doute Y American Federation of Labor (AFL), avec comme président Samuel Gompers. Dans l’esprit des syndicalistes étatsuniens, la frontière n’est qu’un accident de parcours et la réalité des ouvriers est la même dans les deux pays. C’est dans cette logique que leur expansion au Canada s’est effectuée .

Au début du XXe siècle, le Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC) regroupe tous les syndicats affiliés à l’AFL et plusieurs syndicats nationaux, dont la plupart sont membres des Chevaliers du Travail. Ces derniers, provenant originellement des ÉtatsUnis, ont rompu leurs liens pour devenir des entités indépendantes et former ainsi la base des syndicats nationaux canadiens. À ce moment, les unions binationales sont en constante progression au Québec, ce qui n’est pas le cas des Chevaliers du travail qui régressent, affaiblis par des luttes qui les ont opposés au clergé.

L’importance des syndicats binationaux fait en sorte qu’ils essaient de mettre de côté tous ceux qui ne leur sont pas affiliés. C’est lors du congrès de Berlin du CMTC qu’il est décidé de les exclure du regroupement. On expulse également les syndicats nationaux qui entrent en compétition avec des syndicats binationaux, dont la majorité provient du Québec. Ceci isole d’une certaine façon les travailleurs québécois du reste du Canada. Cet événement favorise alors le développement des syndicats nationaux et catholiques. (Rouillard, 2004 : 41-42; Linteau, Durocher et Robert: 540) D’une certaine façon, c’est l’AFL qui favorise le syndicalisme québécois tel qu’il se développe dans les décennies suivantes. En ayant négligé les particularités propres au Québec, Gompers a ouvert la porte au déploiement du syndicalisme catholique et de son affiliation avec plusieurs syndicats nationaux.

Au Québec donc, la situation de l’AFL est relativement précaire au début du siècle. Elle a déjà perdu plusieurs grèves dans les premières années et l’exclusion du CMTC de plusieurs syndicats québécois ne tourne pas à son avantage. Les efforts de recrutement de l’AFL se font principalement à Montréal et l’ensemble des publications de propagandes éditées en anglais ne sont pas traduites, ce qui est un obstacle majeur pour rejoindre les ouvriers des autres régions de la province. Il faut attendre la fin de la décennie 1900 pour que les dirigeants de l’AFL saisissent la pertinence pour leur organisation d’avoir un représentant francophone au Québec. Avec l’arrivée des syndicats catholiques et la pression que le clergé fait contre les syndicats internationaux au début des années 1910, l’AFL entreprend des actions pour reprendre une place plus importante au Québec.

En ce qui concerne la participation syndicale, les années 1910 marquent un élan vers la syndicalisation des ouvriers. Les luttes que se livrent alors les syndicats binationaux, nationaux et catholiques ont comme résultat la montée en flèche du nombre de travailleurs syndiqués au Québec qui, selon Jacques Rouillard, a presque doublé entre 1911 et 1916. Ceci résulte d’un accroissement des locaux syndicaux à la grandeur de la province. Cette augmentation des membres bénéficie principalement aux syndicats internationaux, malgré la création des unions catholiques .

LES DÉBUTS DE L’ACTION SOCIALE CATHOLIQUE:

On ne peut parler du syndicalisme catholique sans parler du courant dans lequel il s’inscrit, c’est-à-dire l’action sociale catholique. Les syndicats ne sont qu’une des premières réalisations du clergé accomplies sous l’idéologie de la doctrine sociale. Cet enseignement puise son inspiration dans l’encyclique Rerum Novarum énoncée en 1891 par le pape Léon XIII. Il vise principalement l’amélioration des conditions de vie des ouvriers dans le respect des valeurs catholiques. Divers moyens de formation et de propagande sont mis sur pieds afin de réaliser ces objectifs.

L’INSPIRATION : RERUMNOVARUM…
Il ne fait aucun doute que la doctrine sociale catholique se réclame sans réserve de Rerum Novarum. Il est intéressant de constater, surtout dans le cadre de ce mémoire, ce que sont, d’une part, le contexte de production de l’encyclique et, d’autre part, son accueil parmi le clergé québécois.

Lorsque Léon XIII énonce sa politique sociale à l’égard des ouvriers, il n’a rien d’un visionnaire ou d’un précurseur. Bien qu’il soit l’initiateur du grand mouvement d’action sociale que l’on voit surgir dans le clergé catholique pendant la première moitié du XXe siècle, le pape ne fait que réagir à ce qui se passe déjà en Europe. Le libéralisme économique et l’industrialisation ont déjà eu des répercussions majeures dans la qualité de vie des ouvriers : Ce libéralisme économique, du moins dans ses méfaits les plus évidents – surtout le postulat voulant que l’homme soit au service de l’Économie, – l’encyclique Rerum Novarum le condamne avec assez de fermeté. Le message papal renferme des éléments de valeur; néanmoins, comme le remarque avec tant de justesse Eugène Jarry, «l’encyclique n’a pas ce caractère vraiment nouveau que les conséquences mêmes d’une industrialisation accélérée requerraient. D’une certaine manière, l’Église suit l’évolution du monde ouvrier, au lieu de la précéder et de l’orienter par une pastorale sociale vraiment dynamique C’est un peu la mission même de l’Église, divine et spirituelle par essence et donc transcendante à toute conjoncture matérielle, qui peut faire l’objet d’une certaine critique. Qui ne voit là un problème sérieux ?»

LES MUTUELLES OUVRIERES:

L’histoire des mutuelles ouvrières québécoises de la seconde moitié du XIXe siècle commence à être mieux connue depuis quelques années. Certaines recherches ont permis de bien documenter l’évolution de ces associations, dont la plupart sont constituées en sociétés de secours mutuels. Les transformations dont elles sont l’objet, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les font majoritairement converger vers le milieu assurantiel. C’est plutôt la voie du syndicalisme catholique que va suivre la société de secours mutuels qui nous intéresse, soit la Fédération ouvrière mutuelle du Nord.

LE MUTUALISME «PUR»
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, c’est surtout le mutualisme «pur» que l’on voit se développer au Québec. Il se fait entre les ouvriers, pour les ouvriers et par les ouvriers. Il en découle un principe d’égalité entre les membres qui s’exprime sous diverses formes. Ils possèdent tous les mêmes privilèges, peu importe leur ancienneté. Le principal droit dont il est question, c’est celui d’être indemnisé en cas de revers de la vie ou de la mort. L’ouvrier n’a plus à se tourner vers les différentes œuvres caritatives ou l’assistance publique s’il perd son emploi, ou sa veuve réclamer des aumônes pour survivre; ce n’est plus une question de charité, c’est un droit que l’ouvrier acquiert au prix des cotisations qu’il verse régulièrement à sa société de secours mutuels. Dans le même esprit, on passe des dons attribués sous forme de biens, par les sociétés charitables, à une compensation monétaire par les mutuelles.

LE MUTUALISME EN TRANSFORMATION
À la fin du XIXe siècle, les sociétés de secours mutuels sont aux prises avec de profondes transformations. Le premier changement majeur que l’on voit s’opérer, c’est l’ouverture à d’autres catégories de membres que les seuls ouvriers. On voit des propriétaires de boutiques et des membres de la petite bourgeoisie joindre les rangs des mutuelles. De plus, le clergé réussit à s’introduire graduellement dans la majorité d’entre elles par l’acceptation d’un aumônier au sein des associations.

CONCLUSION:

L’objectif de départ de cette étude consistait à observer l’émergence d’une classe ouvrière en contexte d’industrialisation. Pour ce faire, nous avons choisi de concentrer notre recherche dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, plus précisément à Chicoutimi au début du XXe siècle. Le secteur privilégié pour effectuer cette démarche reposait sur le dépouillement des procès-verbaux de la Fédération ouvrière de Chicoutimi et de la Fédération ouvrière mutuelle du Nord. Cette approche avait pour but de regarder les actions des ouvriers eux-mêmes, dans leur réalité quotidienne, et non pas de le découvrir par personne interposée, c’est-à-dire par les discours des élites de l’époque; d’autant plus que ce cheminement a amplement été utilisé antérieurement. Comme nous l’avons démontré à quelques reprises, cette façon de faire a d’ailleurs contribué à occulter les aspirations et les actions des ouvriers eux-mêmes.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 : CADRE THÉORIQUE 
1.1 INTERROGATION DE DÉPART ET AUTRES QUESTIONS
1.1.1 LES LIMITES DE LA RECHERCHE
1.2 REVUE DE LA LITTÉRATURE ET CONCEPTS UTILISÉS..
1.2.1 L’INDUSTRIALISATION : UN CONCEPT
À FACETTES MULTIPLES
‘ 1.2.2 LA CLASSE OUVRIÈRE : DE MARX À SEWELL…
SANS OUBLIER THOMPSON..
1.2.3 UNE CLASSE OUVRIÈRE EN ACTION :
LES MOUVEMENTS OUVRIERS.
1.2.3.1 Le syndicalisme
1.2.3.2 Les sociétés de secours mutuels :
une constituante de l’économie sociale
1.3 UN MODÈLE D’ANALYSE
1.4 LA CRITIQUE DES SOURCES.
1.4.1 LES SOURCES PRIMAIRES
1.4.1.1 BAnQ
1.4.1.2 Archives du Séminaire de Chicoutimi
1.4.1.3 Archives de l’Évêché de Chicoutimi
1.4.1.4 Archives des Eudistes à Québec…
1.4.2 LES SOURCES SECONDAIRES
1.4.2.1 Les sources publiées
1.4.2.2 Journaux et périodiques
CHAPITRE 2 : CONTEXTE HISTORIQUE 
2.1 L’INDUSTRIALISATION AU QUÉBEC
2.1.1 LES PÂTES ET PAPIERS
2.1.1.1 Innovations et développement
2.1.1.2 La législation
2.1.1.3 La concentration des entreprises
2.2 L’INDUSTRIALISATION AU SAGUENAY
2.2.1 LE DEVELOPPEMENT DES TRANSPORTS
2.2.2 LA TRANSITION DU CAPITALISME MARCHAND
AU CAPITALISME INDUSTRIEL
2.2.3 LA MULTIPLICATION DES PULPERIES
2.2.4 LA COMPAGNIE DE PULPE DE CHICOUTIMI
2.3 L’UTOPIE SAGUENÉENNE
2.3.1 LES ARTISANS DE L’UTOPIE
2.3.2 LES RETOMBÉES ET LA FIN D’UN RÊVE
2.4 LES RELATIONS ENTRE LES ÉLITES
CHAPITRE 3 : LA RÉPONSE OUVRIÈRE À L’INDUSTRIALISATION 
3.1 L’ÉVOLUTION DU SYNDICALISME QUÉBÉCOIS
3.1.1 LE SYNDICALISME INTERNATIONAL
3.1.2 LE SYNDICALISME NATIONAL
3.1.3 LE SYNDICALISME CATHOLIQUE
3.2 LES DEBUTS DE L’ACTION SOCIALE CATHOLIQUE
3.2.1 L’INSPIRATION : RERUMNOVARUM.
3.2.2 …MAIS UNE INSPIRATION À RETARDEMENT
3.3 LES MUTUELLES OUVRIÈRES
3.3.1 LE MUTUALISME «PUR»
3.3.2 LE MUTUALISME EN TRANSFORMATION
3.3.3 MUTUALISME ET SYNDICALISME
3.4 L’UNIONISME OUVRIER AU SAGUENAY-LAC-SAINT-JEAN
3.4.1 LA NAISSANCE DU SYNDICALISME CATHOLIQUE
3.4.2 LE SYNDICALISME BINATIONAL
CHAPITRE 4 : LE VÉCU OUVRIER 
4.1 VIVRE DANS LE QUARTIER OUVRIER
4.1.1 L’URBANISATION ET LA DÉMOGRAPHIE
4.1.2 LE DÉVELOPPEMENT DU QUARTIER
OUVRIER DE CHICOUTIMI : LE BASSIN
4.1.3 LA VIE QUOTIDIENNE.
4.1.4 LA PAROISSE SACRÉ-CŒUR DE CHICOUTIMI
4.1.5 LA VIE SOCIALE
4.1.6 L’APPARITION D’UNE ARISTOCRATIE OUVRIÈRE
4.2 LES RAPPORTS AVEC LES ÉLITES
4.2.1 LA BOURGEOISIE
4.2.1 LE CLERGÉ
CHAPITRE 5 : LES OUVRIERS AU TRAVAIL 
5.1 LES CONDITIONS DE TRAVAIL
5.1.1 LE TRAVAIL EN USINE
5.1.2 LE TEMPS DE TRAVAIL ET LA QUESTION DES SALAIRES
5.1.3 RISQUER SA VIE… POURLA GAGNER
5.2 LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES……. :
5.2.1 LA FÉDÉRATION OUVRIÈRE DE CHICOUTIMI :
UNE ASSOCIATION D’INSPIRATION EUROPÉENNE
5.2.2 ON APPREND DE NOS ERREURS
LA FÉDÉRATION OUVRIÈRE MUTUELLE DU NORD
5.2.2.1 Une structure pyramidale
5.2.2.2 Des ouvriers par milliers ?
5.2.2.3 Unsyndicat
5.2.2.4 et une société de secours mutuels
CONCLUSION

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *