Une autre approche des solides désordonnés, la transition de blocage

Le diagramme de phase du blocage

En 1998, Liu et Nagel [35] ont proposé l’idée d’un diagramme de phase schématique,  qui rassemblerait tous les matériaux dont l’interaction a une portée finie (c’est à dire qu’il existe une distance R au delà de laquelle le potentiel V(r > R) = 0). Ce diagramme comporte trois axes : inverse de la densité, température et cisaillement. Ces trois dimensions suffisent à assimiler un grand nombre de systèmes différents : les granulaires ou les mousses se situent sur le plan de température nulle, la transition vitreuse de systèmes moléculaires est habituellement étudiée dans le plan de cisaillement nul, etc… On peut comprendre ce choix d’axe de manière intuitive. En envisageant ce qui fait qu’un solide se déstabilise, trois mécanismes élémentaires sont envisageables : une augmentation de la température, qui fournit suffisamment d’énergie au système pour passer les barrières énergétiques qui le maintiennent dans l’état solide, une diminution de la densité, qui efface ces barrières (et éventuellement aussi les barrières entropiques) si la distance interparticulaire est sensiblement supérieure à la portée du potentiel, ou une augmentation du cisaillement, qui permet lui aussi de franchir les barrières énergétiques. Le diagramme de phase du blocage fait donc apparaître deux régions distinctes : une phase “bloquée” dans une zone à basse température, grande densité et faible cisaillement, qui s’oppose à une phase “liquide” en dehors de cette zone .

Ce diagramme de phase reste très schématique, et il doit être compris comme tel. En particulier, plusieurs remarques s’imposent sur la forme de la région bloquée dans le diagramme. Tout d’abord, la situation sur les axes intrigue. Un système avec une interaction dure à courte portée, comme des sphères dures par exemple, doit avoir une densité limite (par exemple la densité du cristal fcc, φ ≃ 0.74, pour les sphères dures en trois dimensions) au-delà de laquelle le système ne peut pas être compressé. Il y a donc un plan indépassable à densité finie pour ces systèmes. Sur ce plan, il est clair qu’il ne peut pas y avoir de déstabilisation de la phase solide, quelle que soit la valeur de la température ou du cisaillement. Un cristal de sphères dure à densité 0.74 ne peut pas couler quand on lui applique un cisaillement ou qu’on le chauffe, même à des températures arbitrairement grandes. De manière plus générale, les systèmes qui ont un potentiel divergeant à courte portée, doivent avoir une phase solide qui s’étend dans le tout le plan température/cisaillement à densité infinie.

De même, sur l’axe de la densité, il n’est pas clair que tout système perde sa phase solide à basse densité, si la température et le cisaillement sont nuls . Il y a cependant une classe de systèmes pour lequel c’est vrai : ceux dont le potentiel est purement répulsif. Dans ce cas, à température nulle, les constituants vont vouloir limiter toutes les superpositions et à basse densité, les contraintes géométriques seront suffisamment faibles pour pouvoir trouver des configurations sans superpositions (avec une énergie nulle, donc). Ces configurations ont une réponse plastique à une contrainte extérieure : ce ne sont pas des configurations solides. Pour ces systèmes, la phase bloquée ne peut donc pas s’étendre sur tout l’axe de densité dans le diagramme de phase du blocage. Enfin, la convexité de la surface séparant phase bloquée de phase débloquée peut être l’inverse de celle dessinée initialement par Liu et Nagel (par exemple dans les sphères dures [66]).

Interactions répulsives à température et cisaillement nuls : le point J 

Si on se restreint aux systèmes avec des interactions répulsives, on sait donc que la phase bloquée ne s’étend pas sur tout l’axe des densités dans le diagramme de phase du blocage. Il a été proposé par O’Hern et al. [67] que dans ces systèmes, on peut définir une densité précise qui limite, à température nulle et cisaillement nul, la phase bloquée dans ce diagramme. Autrement dit, il existerait une densité bien précise pour les empilements d’objets désordonnés, solides, et sans superpositions. Le système serait donc liquide si sa densité est inférieure à cette valeur critique, et solide sinon. Le fait qu’il existe une densité critique bien définie est une propriété remarquable et absolument non triviale. Le point où cette densité est atteinte est appelé “Point J” (pour l’anglais “Jamming Point”) par O’Hern et al.

Le point J présente beaucoup de propriétés intéressantes, qui en ont fait le sujet d’une abondante littérature au cours de la dernière décennie. Une grande partie des travaux se sont concentrés sur un système modèle, les sphères sans frottement, dures ou “harmoniques” (ie qui ont pour potentiel V(r) = (1−r/R)2 ). Le point J est alors associé aux empilements désordonnés de sphères sans superpositions, l’empilement amorphe aléatoire (RCP, de l’anglais “Random Close Packing”), qui est un concept qui a été étudié dès 1930 dans le contexte des milieux granulaires [68 70], des céramiques techniques [27] (qui peuvent être vues comme un empilement amorphe de nano-particules), des empilements compacts en mathématiques [71], ou dans le but de comprendre la structure microscopique des liquides par les travaux précurseurs de Rice [28], et de Bernal [29] et Scott [72] qui ont stimulé une activité intense dans les années 1960 .

Il existe plusieurs algorithmes pour déterminer la localisation du point J. Comme le concept de la transition de blocage a pour but de s’appliquer à des systèmes qui sortent du cadre de la physique statistique d’équilibre, on peut se demander si la localisation du point J n’est pas dépendante de l’algorithme utilisé. Sans tenter de répondre à cette question à ce stade, nous pensons donc nécessaire de présenter quelques algorithmes populaires dans la littérature sur la transition de blocage, à titre d’exemple. Le choix des ces algorithmes en particulier est aussi justifié par leur utilisation ultérieure dans ce travail de thèse. Pour la simplicité du propos, on les décrit pour le cas de sphères sans friction, mais ils sont facilement généralisables à des situations plus complexes (ellipsoïdes, polyèdres, friction, etc).

Algorithme de Stillinger-DiMarzio-Kornegay (SDMK)

L’algorithme le plus simple est certainement celui de Stillinger, DiMarzio et Kornegay [73]. L’idée générale est de considérer N sphères dures de rayon r = 0, et, partant d’une répartition initiale aléatoire et sans superposition des sphères, d’augmenter continûment leur rayon, en effectuant les déplacements nécessaires (et pas plus) pour éviter les superpositions. La procédure s’arrête lorsqu’on arrive au rayon rmax au-delà duquel on ne peut plus gonfler sans générer de superpositions insurmontables entre les sphères. Il y a bien sûr plusieurs manières de déplacer les sphères pour satisfaire en permanence à la condition de non-recouvrement. Outre la proposition initiale de Stillinger et al. (qui est de choisir le déplacement le plus court dans l’espace des configurations), la méthode la plus populaire aujourd’hui a été proposée par O’Hern, Silbert, Liu et Nagel [67]. Pour générer des empilements de sphères dures, ils ont utilisé des sphères… molles, par exemple avec le potentiel harmonique défini précédemment.

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Table des matières

Introduction
1 La transition vitreuse
1.1 Le problème de la transition vitreuse
1.1.1 Verres forts, verres fragiles
1.1.2 Deux échelles de relaxation
1.2 Transition dynamique : la théorie du couplage de modes
1.3 … ou transition thermodynamique : la transition de premier ordre aléatoire
1.3.1 Entropie configurationnelle
1.3.2 La relation d’Adam-Gibbs
1.4 Des cousins intrigants : les verres de spin
2 Une autre approche des solides désordonnés, la transition de blocage
2.1 Le diagramme de phase du blocage
2.2 Interactions répulsives à température et cisaillement nuls : le point J
2.2.1 Algorithme de Stillinger-DiMarzio-Kornegay (SDMK)
2.2.2 Algorithme de Lubachevsky et Stillinger (LS)
2.3 Isostaticité
2.3.1 Isostaticité et empilements amorphes
2.4 Physique autour du point J
2.4.1 Lois d’échelle proches du point J
2.4.2 Les modes normaux
2.5 Quelques remarques simples sur les sphères dures à température finie
2.5.1 Définition de la pression
2.5.2 Sur la solidité du cristal de sphères dures
2.5.3 Cristal et transition de blocage
3 Un modèle sur réseau de Bethe
3.1 Modèle
3.1.1 Du bon usage du champ moyen
3.1.2 Le modèle
3.1.3 Paramètres thermodynamiques
3.1.4 Contraintes sur la connectivité et la dimension
3.1.5 Phase modulée, équivalence avec le problème du coloriage
3.2 Paysage pseudo-énergétique
3.2.1 Un problème de satisfaction de contraintes
3.2.2 Paysage pseudo-énergétique et thermodynamique
3.3 Diagramme de phase
3.3.1 Cas simple : la solution “RS” pour φ < φd
3.3.2 Solution “1-BSR” : transitions vitreuses
3.3.3 Equilibre et hors-équilibre, le rapport entre la transition vitreuse et la transition de blocage
3.4 Transition de blocage
3.4.1 Isostaticité
3.4.2 Modes de vibration
3.4.3 Plusieurs points J
3.5 Conclusion
4 Modes collectifs dans les suspensions colloïdales
4.1 Dispositif expérimental
4.2 Quelques conséquences des contraintes expérimentales sur la matrice de covariance
4.2.1 Bruit de mesure et statistique
4.2.2 Dimension réduite
4.3 Résultats expérimentaux
4.3.1 Influence du bruit de mesure et de la statistique
4.3.2 Influence de la dimensionnalité
4.4 Conclusion
5 Du champ moyen à la dimension finie : un modèle avec désordre gelé
5.1 Vers un verre structural modèle
5.1.1 Verre structural de Kac
5.1.2 Le modèle
5.2 Phase liquide en champ moyen
5.2.1 Formalisme grand-canonique et développement de Mayer
5.2.2 Équation d’état pour le modèle champ moyen
5.2.3 Champ moyen : formalisme canonique
5.2.4 Structure de la phase liquide
5.2.5 Au-delà de l’approximation annealed : transitions vitreuses
5.3 Phase liquide proche du champ moyen
5.3.1 Équivalence avec un modèle de Kac
5.3.2 Le retour de l’instabilité de Kirkwood
5.3.3 Correction à l’équation d’état du champ moyen
5.3.4 Liquide répliqué au-delà du champ moyen
5.4 Dynamique d’équilibre de la phase liquide en champ moyen
5.4.1 Dynamique de Langevin et intégrale de chemin
5.4.2 Fonction de partition dynamique
5.4.3 Ansatz gaussien dynamique
5.5 Phase liquide : résultats numériques
5.5.1 Particularités des simulations dans le cas champ moyen
5.5.2 Équation d’état
Conclusion

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