Un support didactique dans l’approche interculturelle : la littérature

Un nouveau champ dans les sciences de l’éducation ?

La notion de culture

La notion de culture est au cœur même de notre travail, il s’agit donc de s’interroger sur ce concept très large. Étymologiquement, la notion de culture vient du latin « cultura » qui signifie « le travail du champ ». Au sens figuré, elle désigne la culture de l’âme, donc la formation de l’esprit. Souvent limitée aux mondes artistiques et littéraires, aux objets de la culture, elle prend aujourd’hui un sens plus large, sous l’influence de la sociologie et de l’anthropologie en désignant « les produits de l’interaction de l’homme avec son environnement et ses semblables » (Chaves, Favier, Pélissier, 2012 : 9). Les auteurs reprennent la théorie de l’iceberg de Gary D.Weaver (1986) pour définir la culture : de même qu’un iceberg, la culture est composée de deux parties : la partie visible et externe qui correspond aux opinions et comportements conscients, aux connaissances objectives tels les arts, la littérature etc., et une partie interne qui : « […] se définit par son caractère inconscient, par un apprentissage implicite, par la difficulté à être modifiée, et par des connaissances subjectives. Il s’agit de valeurs, de pensées et de conceptions tels les modes conversationnels, le langage corporel […] » (Chaves, Favier, Pélissier, 2012 : 9-10). Robert Galisson fait quant à lui la distinction entre « culture savante » qui regroupe l’ensemble des connaissances acquises par l’homme et « culture partagée » qui correspond aux savoirs et pratiques qui sont transmis et partagés par un groupe social qui a une langue en commun. La culture partagée permet par ailleurs de s’identifier à un groupe d’appartenance et contribue à la construction de l’identité collective (Galisson, 1991 : 116 ).
Le terme de culture a supplanté celui de civilisation en didactique des langues à la suite de l’apparition de l’approche communicative en langue , la notion de culture s’est alors enrichie des champs anthropologique et sociologique : « […] dès lors, elle n’est plus réduite au sens de culture cultivée et encyclopédique, légitimée par l’école et réservée à une certaine élite » (Chaves, Favier, Pélissier, 2012 : 10). Robert Galisson postule donc que ce qui manque aux étrangers en plus de la langue est la culture partagée des natifs, culture qui gouverne leurs comportements et leurs attitudes.
Pour le chercheur, cette culture partagée joue un rôle fondamental parce qu’elle est une « culture transversale », « qui appartient au groupe tout entier » (Galisson, 1991 : 116). Acquise au contact de la société et de la famille en particulier, la culture partagée n’est pas décrite mais vécue, n’est pas apprise mais acquise : comment l’école peut-elle alors permettre aux étrangers l’accès à cette culture partagée ? Dans quelle mesure les deux ateliers que nous avons proposés cette année en cours de FLE permettent-ils de procéder non pas à la transmission de savoirs sur la culture mais à une expérimentation et à une confrontation de situations culturelles inédites ?
En didactique, ces questionnements impliquent à la fois que l’enseignement de la culture est beaucoup plus large qu’une simple liste de faits ou d’objets censés représenter l’identité d’une société , et surtout que les outils méthodologiques les plus pertinents pour l’aborder sont ceux de l’ethnologie et de l’anthropologie sociale (Develotte, 2015 : 73), comme nous le verrons dans la suite de ce travail. L’enseignant est placé devant la nécessité de procéder à des choix dans le traitement de la culture étrangère en classe de langue ( la sélection des supports par exemple, ou des thèmes) , c’est en fournissant à ses étudiants « […] des outils propres à éclairer divers aspects culturels du pays dont ils apprennent la langue […] » (Develotte, 2015 : 71) qu’il pourra favoriser la découverte de la culture étrangère. Dans ce travail, nous utiliserons le terme de culture comme un ensemble de productions qui sous-tendent une représentation du monde impliquant elle-même des comportements, des attitudes, des jugements et des pratiques sociales, et nous nous demanderons comment aborder son traitement en cours de langue. Si l’on considère, à l’instar de Martine
Abdallah-Pretceille, que les cultures (nous pouvons remarquer ici le pluriel) ne sont jamais figées et constamment dans une dynamique de variations, de changements, « la culture est baroque » (2011), comment alors les aborder à l’école ? Il nous faut à présent définir les notions qui en découlent et qui nous intéressent dans notre travail telles que l’interculturel ou le multiculturel, concepts très présents aujourd’hui pour désigner les échanges entre les cultures.

Un champ pluridisciplinaire

Concept interdisciplinaire, l’interculturel induit des questionnements sur la construction identitaire ainsi que sur les attitudes, comportements et représentations du sujet en contact avec l’altérité (enjeux liés à la psychologie et à la psychologie-sociale), prend en compte la notion d’acculturation issue de l’anthropologie, ainsi que des concepts comme les crises et les ruptures empruntés à l’histoire (Abdallah-Pretceille, 1996 : 142). De nombreux scientifiques de champs disciplinaires divers se réclament de cette notion, ainsi, Christine Develotte cite dans Les approches discursives de l’interculturel des linguistes (T. Todorov), des psychologues (M. Lipiansky), des psycho-sociologues (C. Camilleri), des spécialistes de l’éducation comme Martine AbdallahPretceille et Louis Porcher, etc. (Develotte, 2015 : 6). Le savoir interculturel procède d’une démarche interdisciplinaire, interrogeant l’homme de différents points de vue. Cette interdisciplinarité de nature confère également à l’interculturel une légitimité scientifique dont la base théorique est encore peu stabilisée.

Culturalisme/culturalité

Martine Abdallah-Pretceille est une des spécialistes en France de l’ interculturel, ces travaux proposent une réflexion sur l’intégration des problématiques liées à ce concept dans le champ de l’éducation et de la formation des enseignants. Les nouveaux contextes créés par les changements liés aux mondialisations inscrivent la pluralité et le contact des langues et des cultures au cœur des enjeux modernes du vivre ensemble, l’éducation a par conséquent un rôle majeur à jouer dans la compréhension de ces nouvelles problématiques : «[…] l’école est devenue un des lieux de confrontation symbolique entre les différentes normes culturelles et morales » (Abdallah-Pretceille, 1999 : 5). Martine Abdallah-Pretceille a cherché à intégrer la problématique de l’interculturel au cœur des réflexions nouvelles sur l’école et la formation des enseignants : elle supporte l’idée de l’analyse des contacts culturels au cours de leur production dans une démarche qui permet le dépassement des stéréotypes et des descriptions figées. Au concept de culturalisme qui comprend la culture comme détermination des comportements des individus et comme explication de ces comportements, elle préfère le concept de « culturalité », bien moins réducteur puisque privilégiant de multiples niveaux d’analyse, sociologique, psychologique, économique etc. (Abdallah-Pretceille, 1999 : 41). Il ne s’agit donc pas de décrire des systèmes clos, mais au contraire de chercher à questionner ces systèmes en dépassant la perspective culturaliste et déterministe (Abdallah Pretceille, 1996 : 89)Il s’agit donc non pas de décrire les cultures mais «[…] d’analyser ce qui se passe entre des individus ou des groupes qui disent appartenir à des cultures différentes, d’analyser les usages sociaux et communicationnels de la culture. » (Abdallah-Pretceille, 1999 : 20). Nous analyserons dans la suite de ce travail comment les ateliers que nous avons proposés cette année aux étudiants de l’université Pierre-Mendès-France répondent à cette problématique de culture en tant que production dynamique, inscrite dans un échange, et non pas figée dans une typologie statique de description, autrement dit, ses usages communicationnels. Il faudrait entreprendre une autre recherche pour analyser les usages sociaux de la culture, en prenant en compte le milieu social auquel appartient chaque étudiant, afin de considérer dans quelle mesure il influe sur ses représentations.

La pédagogie interculturelle

Les travaux de Louis Porcher, Geneviève Zarate et Martine Abdallah-Prectceille ont permis d’inscrire la culture dans le champ pédagogique, qui était jusqu’alors le parent pauvre de l’enseignement des langues. Comme l’explique Mathilde Anquetil à propos des travaux de Louis Porcher, le cours de civilisation qui reposait sur l’étude des documents authentiques, prend une forme nouvelle en dépassant une image documentaire et descriptive de la culture : « Ainsi, l’enseignement culturel, relégué dans l’implicite, l’annexe ou le prétexte par un usage du document authentique finalisé essentiellement à l’apprentissage linguistique, retrouve en France, à partir des travaux de Louis Porcher, une dynamique nouvelle et redevient un objet explicite d’apprentissage. » (Anquetil, 2006 : 12) Comment définir les caractéristiques de la pédagogie interculturelle ?

Des migrants à l’élargissement des publics

Claude Cortier rappelle que ce sont les premiers travaux du Conseil de l’Europe sur l’enseignement des langues et des cultures d’origine (1973-1978) qui ont permis l’émergence de la pédagogie interculturelle « […] conçue comme partie intégrante de l’éducation aux droits de l’homme et de l’éducation contre l’intolérance et le racisme » (Cortier, 2006). Ces travaux ont encouragé l’élaboration de politiques permettant le reconnaissance de la diversité culturelle comme un enrichissement et non plus comme un handicap ou comme une menace. A la suite du Conseil de l’Europe, Louis Porcher a analysé la situation des enfants migrants, contraints d’apprendre une langue étrangère et confrontés à une culture éducative différente de la leur. Dans ce cadre, l’ interculturel permet de préserver la culture d’origine tout en développant l’insertion (Porcher, 1978,cité par Cortier, 2006). Il était prévu, dans le cas d’un éventuel retour dans leur pays d’origine, de ne pas couper les enfants de migrants de leur langue/culture. Cependant, si le public d’enfant issus de l’immigration était auparavant ciblé par la notion d’interculturel, aujourd’hui on assiste à un
élargissement des publics visés, ainsi, selon le Dictionnaire de didactique du FLES(2003) :
« Cet interculturalisme né dans l’école et à propos des migrants, que l’on s’est efforcé d’enfermer dans le « réduit d’une culture scolaire inventée pour les migrants » semble aujourd’hui être en voie de réhabilitation par la puissance même du concept et sa reprise affirmée par la didactique des langues. Il pose le principe fondamental d’une égalité des cultures en dignité. Dans leurs rapports de force cependant, les minorités et leurs cultures se trouvent fréquemment réduites au silence et sa présence en didactique se présente encore plus comme une affirmation qu’une réelle mise en œuvre. » (cité par Cortier, 2006).
Martine Abdallah-Pretceille plaide également pour un dépassement du cadre de la scolarisation des enfants de migrants (Abdallah-Pretceille, 1996 : 167) et poursuit la réflexion en s’interrogeant sur le public ciblé par une telle pédagogie. Centrer la pédagogie interculturelle sur un type de public particulier comporte des risques de déviation « […] d’une part, la visée interculturelle ne se situe pas dans une perspective déterministe, d’autre part, la catégorisation culturelle des publics comporte un danger évident de racialisation de la culture. » (Abdallah-Pretceille, 1996 : 149). Une démarche qui consisterait à enfermer les individus et les groupes dans des caractéristiques fixes nie la complexité et la pluralité des rapports à la culture. La pédagogie interculturelle n’a donc pas pour objectif de cibler un public mais de reconnaître la diversité et la multiplicité des cultures : « […] sans champ d’application ni public spécifique, la pédagogie interculturelle se définit donc, comme un discours, un regard porté sur l’enseignement, les disciplines, l’éducation. » (Abdallah-Pretceille, 1996 : 152).

Branchements : les identités métissées

Amin Maalouf revient sur le désir d’enfermer l’autre dans une seule dimension de son identité : « l’identité ne se compartimente pas » rappelle l’auteur qui poursuit : « […] je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre » (Maalouf, 1998 : 10).
Cette tendance à la simplification de l’identité de l’autre est à ses yeux dangereuse, elle est source de revendications identitaires et de marginalisation de ceux qui s’écartent des catégories fixes du groupe. Comme lui-même en a fait l’expérience, ces personnes sont régulièrement « mises en demeure de choisir leur camp » alors que, selon l’auteur, elles devraient être des médiateurs entre les communautés. Ce type de réduction simpliste de l’identité à une seule appartenance provoque affrontement, haine de l’autre et discrimination. Il s’agira alors d’amener les apprenants à prendre conscience de la pluralité de leur identité et de l’identité de l’autre à travers les échanges interculturels qui sont impliqués dans les deux ateliers.
A l’instar de Maalouf, l’anthropologue Jean-Loup Amselle propose la métaphore électrique du « branchement » pour définir le contact des cultures. Se démarquant d’une approche des cultures considérées comme des « univers étanches », le chercheur met au centre de la réflexion l’idée de triangulation : c’est grâce au contact de l’autre que je construis mon identité (Amselle, 2001 : 7). Ce métissage remet en cause la notion de la pureté originelle supposée des cultures, construction idéologique souvent instrumentalisée. Penser que toute culture évolue en vase clos sans aucune influence extérieure est une erreur et néglige les situations d’acculturation et d’inter-pénétration : « […] il faut postuler au contraire que toute société est métisse et donc que le métissage est le produit d’entités déjà mêlées, renvoyant à l’infini l’idée d’une pureté originaire. » (Amselle, 2001 : 22). Comment la littérature et le travail sur le non-verbal dans les ateliers vont-ils permettre aux apprenants de prendre conscience de ces différents processus de métissage ? Ce sont ces modalités de rencontre entre les cultures qu’il convient à présent d’analyser.

Concept d’acculturation et de choc culturel

Le concept d’acculturation, originellement construit pour analyser les procédés d’adaptation des migrants à la culture du pays d’accueil, permet de comprendre les contacts entre les cultures et les changements qui ont lieu à la suite de ces contacts dans les cultures de l’un ou des deux groupes. Selon Martine Abdallah-Pretceille, il s’agit d’un processus normal d’évolution et d’adaptation dans un contexte de multiplication des contacts humains (1999 : 14). Ce processus au cœur de la problématique de l’interculturel, est un phénomène culturel, mais aussi social et psychologique.
Ainsi, Carmel Camilleri voit deux pôles dans les modalités de l’acculturation : une seule culture peut influencer l’autre, on est alors dans un processus de domination culturelle, ou bien les échanges sont plus ou moins réciproques, l’acculturation provoque donc forcément le changement de l’un ou des deux systèmes concernés. Au niveau individuel, l’auteur évoque deux attitudes par rapport à ce processus : la séparation, l’individu cherche à se distinguer du nouveau contexte, ou l’assimilation, l’individu ne se reconnaît plus dans son groupe d’appartenance. Enfin, une troisième attitude qui découle de la frontière entre les deux premières peut apparaître, il s’agit de l’intégration : « L’intégration résulte de l’une de ces formations, lorsque le sujet estime qu’elle lui permet d’éliminer, dans ses rapports avec l’environnement étranger, les tensions dues aux différences des groupes en présence, tout en restant ancré de façon variable dans ses anciennes références. » (Camilleri, 1989 : 30).
La construction de l’identité se fait donc à partir des références implicites du groupe auquel le sujet appartient : chacun adhère à une représentation spécifique du monde qui repose sur un consensus commun (Zarate, 1986 :16). Ainsi, l’autre est toujours vu selon le filtre de cette construction, toute perception se fait à travers une construction arbitraire du monde, une représentation. Cette représentation du monde correspond à la vision de la classe sociale à laquelle appartient l’individu, à des usages sociaux représentatifs de cette classe, ce que Bourdieu appelle « habitus ». Lorsque des locuteurs de cultures différentes se rencontrent, un décalage très fort des perceptions de la réalité peut apparaître dans les échanges. Le « choc culturel » qu’ils ressentent alors vient de ces références construites par le groupe. Les auteurs de L’Interculturel en classe décrivent les trois étapes de l’appréhension de l’altérité : une étape idyllique où tout paraît beau à celui qui découvre une culture différente, une étape de « survie » où les locuteurs, conscients des différences culturelles, ont des difficultés à se comprendre (le processus de choc culturel intervient), enfin, l’étape d’adaptation permet au locuteur de se sentir plus à l’aise à travers une démarche de décentration et d’ouverture à l’autre, on retrouve le concept d’intégration de Camilleri (Chaves, Favier, Pélissier, 2012 : 46).
L’école et en particulier la classe de langue peut dans ce contexte devenir le lieu où la construction arbitraire du monde est remise en cause et éventuellement dépassée dans d’autres modes de relation à l’autre (Zarate, 1986 : 27). Il s’agit donc d’amener l’apprenant à prendre conscience de ces différentes modalités de contacts entre les cultures : « […] c’est en travaillant sur des procédés de mise en relation d’une culture avec une autre que peut s’établir en classe de langue une réflexion sur l’identité et non pas des mesures de protectionnisme social. » (Zarate, 1986 : 9).

Les trois états du « capital culturel »

Pour Pierre Bourdieu, la réussite scolaire des enfants à l’école ne peut s’expliquer par les aptitudes naturelles ou les théories liées au capital humain. Le sociologue défend l’idée du « capital culturel » qui selon lui peut exister sous trois formes : l’état incorporé (sous la forme de dispositions durables de l’organisme), objectivé (sous la forme de biens culturels) et enfin institutionnalisé. L’état incorporé implique un travail du sujet pour que la culture devienne partie intégrante de la personne, un « habitus ». Ce capital se transmet de manière dissimulée, à l’inverse, le capital objectivé « est transmissible dans sa matérialité » (Bourdieu, 1979). L’état institutionnel concède au capital culturel d’un individu une reconnaissance institutionnelle. Le capital culturel constitue pour Bourdieu une forme de pouvoir, qui peut être une condition de la reproduction sociale.
Il est donc clair qu’un individu, même s’il s’agit d’un étranger, n’est pas vierge de tout savoir et de tout capital culturel à son arrivée à l’école : façonné par ce capital qu’il a engrangé souvent de façon inconsciente, l’individu confronte ses propres acquis aux enseignements de l’école, processus d’autant plus problématique que les apprenants de FLE sont étrangers et qu’ils ont une culture éducative qui peut parfois être très différente de la culture proposée dans le pays de résidence. Il faudra alors prendre en compte ces ressources culturelles que l’individu porte en lui et essayer de les faire dialoguer avec celles des autres apprenants dans le cours de langue étrangère. Comme l’explique Mathilde Anquetil, il s’agira de proposer un « parcours d’acquisition » de ces dispositions culturelles, qui pourront alors être accessibles à tous (Anquetil, 2006 : 69).

L’interculturel : un des objectifs phare du Conseil de l’Europe

Les prérogatives du Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe a intégré depuis une dizaine d’années la notion d’interculturalité dans le CECRL : apprendre une langue, c’est également s’ouvrir sur la culture véhiculée par cette langue. Dans une Europe plurilingue et pluriculturelle, le Conseil de l’Europe associe l’interculturel au plurilinguisme : cette politique pose comme principe le bi-plurilinguisme et l’interculturel, et introduit la « compétence plurilingue et pluriculturelle » (Coste, Moore, Zarate, 2009), refusant la domination d’une langue/culture hégémonique. En 2001, les contours de cette politique sont rappelés dans le CECRL, la compétence plurilingue et pluriculturelle est définie comme : « […] une compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures » (CECRL, 2001 : 129) , encore plus récemment, le Portfolio européen des langues (2011) consiste à promouvoir les expériences langagières et interculturelles de l’apprenant, acquises dans le cadre de l’institution scolaire ou non. Nous reviendrons sur cette démarche à travers la notion de biographie langagière, proposée par Diana-Lee Simon. Par ailleurs, l’éducation à l’interculturel intervient également dans une campagne plus vaste de promotion des langues et de la citoyenneté européenne contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance (Byram & Zarate, 1996 : 5). Ainsi, le Conseil de l’Europe a édité dans cet objectif une brochure intitulée Les jeunes confrontés à la différence avec de nombreuses propositions d’activités ciblant l’échange interculturel (Byram & Zarate, 1996) dont nous reparlerons.

Le travail du corps

Les intervenants ont proposé cinq exercices au cours des deux ateliers qui permettaient de travailler le corps et la relation à l’autre et à l’espace de plusieurs manières. Tout d’abord, le « Jeu du Samourai » consiste à se placer en cercle, un participant lève les bras avec les mains jointes en criant Hi, celui qui est à sa gauche et celui qui est à sa droite font le même geste mais en direction du ventre du premier participant en même temps en criant Ha, il envoie ensuite le tour à une autre personne en criant Ho et en désignant cette personne avec le même geste. On élimine ensuite ceux qui se trompent, ne vont pas assez vite ou bien ne crient pas assez fort. Cet exercice permet une mise en relation du groupe (il faut ici souligner que la plupart des étudiants internationaux dans les cours de FLE ne se connaissent pas), une prise de conscience de sa voix qu’il faut équilibrer et fortifier, et demande beaucoup de concentration et de coordination . Un deuxième exercice que les intervenants ont appelé « Luky Luke » permettait également un travail du corps et de l’espace :un participant au centre du cercle dit un prénom, la personne nommée doit se baisser très vite et ceux qui sont à sa droite et à sa gauche se font face et font semblant de se tirer dessus en criant PAN ! Celui qui n’a pas été assez rapide vient au centre. De même, cet exercice exige rapidité et concentration, il permet également la formation du groupe en testant la connaissance des prénoms de chaque participant. L’aspect corporel de l’exercice est essentiel, il permet de commencer à prendre conscience de son propre corps et de celui des autres et à agir en conséquence. L’exercice suivant confrontait les participants à l’espace puisqu’il leur fallait marcher en occupant le plus possible l’espace de la salle, ils devaient se baisser et s’allonger complètement par terre sans bruit en comptant jusqu’à dix et ensuite se relever en comptant jusqu’à neuf et ainsi de suite selon une logique dégressive. Si un des participants fait du bruit, on revient dans la position antérieure. Ce type d’exercice entraîne une prise de conscience de son corps dans l’espace et cherche à travailler la gestuelle qui doit être très précise puisque le participant doit faire des mouvements le plus silencieusement possible et de plus en plus rapidement. Ensuite, les intervenants ont demandé aux étudiants de se regrouper en binôme : le premier participant doit s’installer dans une posture qu’il 31 Cf enregistrement 1 pour une description de l’exercice.
maintient et le second vient se positionner de manière à peser sur lui de tout son poids. Le premier participant doit sortir de la posture sans faire bouger son partenaire : le second doit donc « récupérer » son poids et le laisser partir. Ensuite, un groupe de cinq participants construit ce même type de frise, un seul sort et les autres doivent tenir leur posture et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les participants sortent de la structure. Comme pour l’exercice précédent, « les frises » demandent une précision dans le geste et beaucoup de concentration. Le contact avec le corps est cependant nouveau, et si les étudiants se sont tous bien prêtés au jeu, quelques groupes ont cependant pris plus de temps à comprendre l’exercice et à installer une structure. Ce jeu a demandé une négociation, une recherche de sens à deux qui n’avait pas été possible dans les exercices précédents, et qui, par conséquent, a impliqué davantage d’interaction entre les participants. Enfin, les intervenants ont demandé aux étudiants de se regrouper par petits groupes, pour « Le coryphée » : celui qui est placé devant est le leader, « le coryphée », et les autres doivent reproduire ses gestes. Quand le coryphée se tourne, celui qui se trouve derrière lui devient leader à son tour. Cet exercice exige concentration et maîtrise des gestes et a également permis aux participants de prendre conscience de leur corps et de celui des autres. La prise en considération de son corps et de l’espace ainsi que du corps de l’autre permet d’aborder le travail de décentration nécessaire à toute démarche interculturelle : l’apprenant sera ainsi en mesure d’expérimenter son rapport à sa propre culture à travers son rapport au corps et à l’espace et, nous l’espérons, sera également en mesure de le questionner. Comme nous pouvons le remarquer, les exercices sur le corps et l’espace ont suivi une progression spécifique en terme tout d’abord de niveau de difficulté des exercices, de prise de conscience de son corps et de l’espace, enfin, de mise en relation entre les participants. Le travail de décentration suivra donc également une progression.

Le travail de la voix

Les intervenants ont ensuite travaillé la voix grâce à deux exercices : le premier, « Dialogue plurilingue » mettait en relation deux participants qui devaient se parler chacun dans leur langue d’origine que l’autre ne connaissait pas. Ils devaient essayer de se comprendre par les mimiques, les intonations, les gestes, et composer une histoire avec une fin. Les étudiants ont particulièrement apprécié cet exercice, comme nous allons le voir dans l’analyse des questionnaires. Les scénarios inventés mettaient en jeu des amis qui souhaitaient se revoir, ou bien des personnages qui faisaient connaissance, ou encore, une dispute qui se terminait par un accord, etc. Ces situations ont été créées sans qu’aucun participant ne comprenne la langue de son interlocuteur, et sans que le public ne la comprenne la plupart du temps (à une exception près : lorsque les participants utilisaient 32 Cf enregistrement 2. l’anglais). L’exercice suivant, bien plus complexe, confrontait l’étudiant à un enregistrement en français au moyen d’un casque (les enregistrements étaient très divers, l’étudiant pouvait entendre aussi bien un commentaire de match de football, qu’un texte d’Antonin Artaud et ses intonations si particulières, des dialogues de films, etc.) qu’il devait reproduire en ne cherchant pas à imiter fidèlement le texte mais plutôt le son et les intonations du locuteurs. L’étudiant était placé devant le public qui n’entendait pas l’enregistrement. Cet exercice d’imitation d’une voix a été très éprouvant pour certains participants qui n’osaient pas franchir le pas d’une décentration du sens du texte : pour réussir cet exercice, il leur fallait lâcher prise avec l’aspect sémantique de la langue et se concentrer uniquement sur le non-verbal, c’est-à-dire le son et les émotions véhiculées par les intonations du ou des locuteurs. Cet exercice est, de notre point de vue, particulièrement intéressant à mener avec une classe de FLE dans le cadre d’une démarche interculturelle, puisqu’il oblige l’apprenant à sortir de l’attitude qui lui est ordinairement demandée en cours de langue étrangère : une attitude d’écoute avec pour objectif la compréhension fine d’un sens. Cette démarche nous semble correspondre à ce que Martine Abdallah-Pretceille nomme « pédagogie de la rupture », qui cherche à éviter le recours à des automatismes pour chercher à les dépasser. Les intervenants ont à la fin de la séance, demandéaux étudiants de lire le début de la pièce de Shakespeare Le Songe d’une nuit d’étéen français,mais ils n’ont pas pu développer cet exercice faute de temps. Ils avaient également prévu de travailler sur des textes dans les langues d’origine des participants, mais ils n’en ont pas eu la possibilité.

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Table des matières
INTRODUCTION 
I. CADRE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE 
1. Un nouveau champ dans les sciences de l’éducation ?
1.1 La notion de culture
1.2 Définition : inter-/pluri-/multi-culturel ?
1.3 Un champ pluridisciplinaire
1.4 Culturalisme/culturalité
1.5 La pédagogie interculturelle
1.5.1 Des migrants à l’élargissement des publics
1.5.2 Crise, rupture, déséquilibre
1.5.3 Une approche subjective : l’individu au centre des approches culturelles
2. Les identités plurielles et la rencontre des cultures
2.1 Identités personnelles et sociales et « éthique de l’altérité »
2.2 Branchements : les identités métissées
2.3 Concept d’acculturation et de choc culturel
2.4 Les trois états du « capital culturel »
3. Le contact avec l’autre : une construction sociale
3.1 Les représentations sociales
3.2 Les stéréotypes et préjugés
3.3 Sortir du piège de l’ethnocentrisme par la décentration
4. L’interculturel : un des objectifs phare du Conseil de l’Europe
4.1 Les prérogatives du Conseil de l’Europe
4.2 Quelles démarches appliquer ?
4.2.1 Une démarche ethnologique
4.2.2 Démarche descriptive/ démarche réflexive
4.2.3 La notion de biographie langagière et d’approches plurielles
4.2.4 Conceptions constructivistes et interactionnistes
4.2.5 La démarche communicative et la perspective actionnelle : un dépassement ?
5. Problématiques de l’étudiant international et enjeux interculturels
5.1 Sociologie de l’étranger : entre « sans-abri culturel » et « vagabond potentiel »
5.2 De la démarche FOS à la démarche FOU
5.3 La formation à l’interculturel en question
II. MÉTHODOLOGIE ET CONSTRUCTION DU CORPUS
1. Contexte de la recherche
1.1 Les étudiants internationaux de l’UPMF
1.2 Les cours de FLE au CLV
1.3 La convention MC2 et le partenariat avec la Maison de la Poésie de Grenoble : mise en place des ateliers et déplacement des objectifs
1.4 Une posture d’observatrice
2. État des lieux de la recherche
3. Un support didactique dans l’approche interculturelle : la littérature
3.1 Les universels-singuliers
3.2 La littérature et la résistance au « fantasme de la fusion »
3.3 Expérimenter des situations nouvelles : le théâtre
3.3.1 Le théâtre dans le CECRL
3.3.2 Une pédagogie situationnelle
3.3.3 Kinésie et proxémie
3.4 La poésie
3.4.1 La poésie dans le CECRL
3.4.2 Un outil polysémique
4. Les deux ateliers proposés et les objectifs pédagogiques
4.1 L’atelier théâtre : le travail du corps et de la voix
4.1.1 Le travail du corps
4.1.2 Le travail de la voix
4.2 L’atelier poésie : le travail de l’écrit
4.2.1 La première séance : échanges et discussions
4.2.2 La seconde séance : traduction et production
5. Constitution du corpus d’étude
5.1 Proposition de méthodologie d’évaluation et analyse des besoins
5.2 Les questionnaires
5.2.1 Les questionnaires sur l’atelier théâtre
5.2.2 Les questionnaires sur l’atelier poésie
5.3 Les entretiens
5.4 Les enregistrements de l’atelier théâtre
5.5 Productions des apprenants
5.5.1 Choix des poèmes
5.5.2 Le travail sur la pièce Oncle Vania
III. ANALYSE ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE 
1. Analyses de l’atelier théâtre
1.1 Les représentations du théâtre et les habitudes culturelles des étudiants
1.2 Les ressentis des participants après l’atelier
1.3 Les réponses des intervenants
2. Bilan de l’atelier théâtre
2.1 Le théâtre comme « self-discovery »
2.1.1 La (re)construction du rapport au corps et à l’espace
2.1.2 Un nouveau rapport à la voix et au langage
2.2 Déconstruction des habitudes et décentration
2.2.1 A travers un travail personnel du corps et de la voix
2.2.2 A travers les relations avec l’autre : le théâtre un exercice de dialogue et de rencontre interculturels
2.3 Pistes de réflexions pédagogiques et confrontation avec les hypothèses de recherche
3. Analyse de l’atelier poésie
3.1 Analyse des questionnaires
3.1.1 Les représentations de la poésie et les habitudes culturelles des étudiants
3.1.2 Les ressentis des étudiants après l’atelier poésie
3.2 Analyse des propos de Samira Négrouche
3.3 Analyse des entretiens
3.4 Présentation et analyses des productions des étudiants
4. Bilan de l’atelier poésie
4.1 Un rapport différent à soi et aux langues
4.2 Un outil de médiation interculturelle
4.3 Une ouverture sur l’altérité dans la confrontation
4.4 Pistes de réflexions pédagogiques et confrontation avec les hypothèses
5. Des activités complémentaires ? Réponses aux hypothèses de recherche
5.1 Un développement de compétences interculturelles et un renouvellement des approches littéraires
5.2 Intégration dans l’approche du Français sur Objectif Universitaire ?
6. Perspectives de travail
6.1 Insertion de ce genre d’exercices dans un curriculum de FLE
6.2 Propositions pour des perspectives de recherche
CONCLUSION

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