Un regard de longue durée de la démocratie occidentale

Un regard de longue durée de la démocratie occidentale

Des principes et des limites

C’est en opposant les systèmes politiques nés de la Révolution des Lumières à l’ordre féodal, marqué par l’hérédité des droits et des privilèges, que les grands philosophes européens ont tenté de définir la démocratie à travers deux principes essentiels : la liberté des Hommes et l’égalité entre eux.

Le souvenir de la forme gouvernementale d’Athènes, deux mille ans auparavant, n’est pas anodin dans cette construction intellectuelle. En effet, même si l’idée de “démocratie directe” est fortement critiquée par les penseurs du XVIIIe siècle, la “démocratie d’Athènes” avait inventé les élections (Castoriadis, 1996). L’émergence de la philosophie politique s’est accompagnée alors d’une réflexion de la notion d’individualisme en tant que champ de pensée du développement de la société, représentée différemment d’un vaste ensemble de groupes sociaux et de corps institutionnels. Il s’agit de penser des individus dont l’autonomie rendue possible, serait propice au développement de dynamiques politiques (selon les travaux de Louis Dumont et Claude Lefort rappelés par Jacques Ion en 1997).

Cependant, les révolutionnaires intellectuels avaient révélé de profondes apories quant à l’existence de cet idéal gouvernemental (Rosanvallon, 2007), marqué par un « refus du populisme et le souci de stabilité » (Delannoi, 2010, p. 17).

La pensée de Jean-Jacques Rousseau fut déterminante. Il est en effet un précurseur de la réflexion relative à de nombreux dispositifs “démocratiques”. En se posant la question du pouvoir à travers les rapports entretenus entre l’égalité et la liberté, Jean-Jacques Rousseau distinguait la liberté naturelle de la liberté civile. La première désigne les possibilités pour l’homme de faire tout ce qu’il veut ; les limites étant sa propre force physique dans un environnement matériel. La seconde est délimitée par des conventions sociales. Elle permet, semble-t-il, plus de liberté qu’à travers l’état de nature : comme nous sommes des êtres sociaux, nous n’avons pas d’autres choix que de penser les modes de gestion du “vivre ensemble”. « La liberté est ce sans quoi il est impossible de penser la “formation du lien social” » (Bernardi, in Rousseau, 2001: 1762, p. 18). C’est l’idée de “civilisation”. Pour Alexis de Tocqueville, une société démocratique est une société qui vise la priorité au bien-être du plus grand nombre. « C’est une société qui ne se donne pas pour objet la puissance ou la gloire, mais la prospérité et le calme » (Aron, 1967, p. 226). Ainsi, au XIXe siècle, Alexis de Tocqueville définit la démocratie avec une notion clé : celle de l’égalité sociale qui désigne plus l’abolition de l’hérédité des conditions qu’une égalité économique ou intellectuelle. Cette dernière semble, en effet, improbable pour l’auteur. L’égalité d’Alexis de Tocqueville est une “égalité des chances” plus qu’une “égalité des positions sociales”. Cette vue est une caractéristique des démocraties occidentales, nous explique François Dubet (Dubet, 2006 et 2010). C’est une polémique qui nourrit des tensions politiques depuis la Révolution française. En effet, ces deux types d’égalité génèrent chacune leurs limites (par exemple des salaires inacceptables au nom du droit au mérite etc.). Bref, la thèse d’Alexis de Tocqueville repose sur l’idée que la liberté n’est possible qu’avec l’égalité des conditions des Hommes, prévue et contrôlée par des institutions. Tenant compte de ces avancées, la question essentielle que pose Alexis de Tocqueville vise à décrypter le moment où la liberté de chacun peut devenir tyrannique pour autrui. Il semble que cela ait lieu lorsque la violence devient légitime, lorsqu’elle est “cautionnée” institutionnellement. L’enjeu est donc que « le pouvoir arrête le pouvoir » (in Aron, 1967, p. 225). Cette nécessaire “séparation des pouvoirs”, formule à l’origine de la pensée de John Locke quant à l’observation du système politique anglais dans le contexte du XVIIe siècle, définit, également, la thématique de réflexion de Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu. Ainsi réfléchir à un gouvernement démocratique, c’est penser qu’aucun des organes politiques ne doit à la fois concevoir les lois et les exécuter. La puissance doit être plurielle. Un pouvoir réparti entre plusieurs autorités où les fonctions parlementaires, législatives et exécutives collaborent. La question de la création des “garde-fous” est aussi posée dans les travaux de l’abbé Emmanuel Joseph Sieyès. Ce dernier avait ainsi réfléchi à l’ancêtre du conseil constitutionnel. Son idée était celle d’un “jury constitutionnel” comme organe de contrôle du pouvoir. Posant ces grands principes, la diversité est alors évidente entre les hommes et les sociétés. Et ce sont ces multiples caractéristiques sociales qui posent problème lors de leurs rencontres. Comment construire un sens commun ? La notion de diversité reste, toutefois absente des grands travaux de synthèse et des encyclopédies pendant longtemps. Il faut attendre le XIXe siècle pour que la diversité du vivant et les “mécanismes” de ses enrichissements soient reconnus. Les réflexions actuelles en sciences politiques traitent, systématiquement, des modalités plurielles de gouvernance mais il reste cependant difficile d’en comprendre les dynamiques. La question reste celle de l’épanouissement d’individus appartenant à une culture reconnue et respectée (Ferréol, in Ferréol et Jucquois, 2003, p. 98). Ainsi la gouvernance démocratique interpelle sérieusement les questions de la gestion de la diversité, de l’organisation de dialogues entre “cultures” mais aussi de la “préservation” du caractère pluriel de la société. Il s’agit de réfléchir au respect des individus et des styles de groupe, selon l’expression utilisée par Paul Lichterman et Nina Eliasoph (2003), tout en pensant la construction d’un sens commun qui vise le développement du civisme.

Les institutions démocratiques ou des formes instables

Les institutions désignent un ensemble de règles nécessaires à l’organisation de la vie collective en fonction de valeurs collectives. Il s’agit, en France, de structurer des objectifs et des projets sociétaux en fonction de valeurs communes construites autour des principes républicains et des droits de l’homme. En raison des révolutions idéologiques françaises, le règlement actuel qu’est la constitution de la Cinquième République, fixe les principes “démocratiques”, les modes d’organisation politique, les lois et leurs exécutions. Ce travail législatif est le fait des représentants directs ou indirects de l’ensemble des citoyens. La loi est ainsi définie comme l’”expression collective” du peuple et structure des valeurs collectives de cette manière. Les institutions légitiment et organisent l’ordre social collectivement souhaité. Mais Jean Jacques Rousseau nous explique que « la vie du corps politique auquel le pacte social a donné naissance n’est pas un long fleuve tranquille : sa constitution même est porteuse d’un ensemble permanent de difficultés […] qui la menacent sans cesse et sont toujours à résoudre […] cet ordre est une norme, pas un fait, un but, jamais acquis […] L’état civil légitime lui-même est constitué de tensions impossibles à réduire, son équilibre est un équilibre dynamique et précaire » (Bernardi, in Rousseau, 2001, p. 27). Ainsi, comme le précise cette fois, Dominique Rousseau (Rousseau, 2010, p. 57), “institutions” et “démocratie” peuvent se présenter antinomiques. Une institution suggérerait « le cadre, l’ordre, la contrainte, l’immobilisme » et la démocratie « le débordement, le désordre, la liberté, le mouvement ». La démocratie est, dans son essence, caractérisée d’inimaginables contradictions. « L’institution est la tragédie de la démocratie parce qu’elle est à la fois ce qui la permet et ce qui peut l’étouffer ». Dans ce cadre de réflexion la construction de principes moraux est donc provisoire car ces principes « ne sont justifiables que s’ils sont présentés, comme des énoncés pouvant être contestés et modifiés avec le temps en réponse à de nouvelles idées philosophiques, à des données empiriques ou à des interprétations de ces idées et de ces données […]. Le statut provisoire de ses principes fait partie intégrante de la démocratie» (Gutmann et Thompson, 2002, p. 205). La réflexion relative aux biens publics (public goods) ou communs (commons) illustre ce paradoxe. Ceux-ci comportent, à l’origine par la lecture des économistes, deux caractéristiques essentielles, “l’indivisibilité” et “l’absence de consommation rivale” (Samuelson, 1954). « Sans pour autant que cela diminue la quantité de ce bien disponible pour les autres, avec lesquels il le partage […] il n’y a pas de lutte acharnée à propos de la répartition des biens de consommation entre les membres de la société […] Et puisque les aspirations des membres convergent sur le même bien collectif, il n’existe même pas d’oppositions d’intérêts concernant la nature du bien collectif à produire » (Phelps, 1990, p. 24). C’est l’exemple des savoirs, des croyances, des paysages… Cela se complique lorsqu’on parle de ressources naturelles car elles peuvent s’épuiser ; il est donc nécessaire de penser la responsabilité, c’est-à-dire non pas rechercher des causes scientifiques mais se comporter en adéquation avec une analyse politique des conséquences (Braud, 1996).

À l’instar de la pensée du philosophe Karl Jaspers, il existe un lien important entre le collectif et l’essence de la notion de “responsabilité”. Est-on de la même façon responsable lorsqu’on “obéit” à des ordres ou des principes que lorsqu’on “vit” des échanges sociaux qui conduisent à défendre les symboles générés de ces rencontres ? L’économiste-sociologue Mancur Olson (Olson, 1978) a, en 1965, mis en évidence l’existence de contradictions entre l’organisation des individus mobilisés pour la poursuite des intérêts collectifs et celle d’un intérêt plus personnel. Ce constat induit des dysfonctionnements de coopérations dans les processus d’action collective. La poursuite des intérêts communs peut-être de la même teneur, en terme de ” résultats” en dépit du fait que certains individus restent passifs pendant que d’autres œuvrent aux réalisations des objectifs communs. C’est la logique du ticket gratuit ou free rider. Mais cette interprétation peut sembler hâtive en raison des multiples formes d’engagements politiques de chacun. Jouir d’un bien collectif n’implique pas forcément une action collective équivalente entre les usagers et les engagés. Il en est de même pour la propriété collective et la gestion ou responsabilité partagée de ses mêmes biens. Ainsi les ressources naturelles peuvent s’épuiser si des mesures sanctionnant l’usage intensif ou égoïste ne sont pas mises en place. Cette réflexion est décrite par Elinor Ostrom, en 1990, par son ouvrage Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action, qui synthétise ses travaux. Les biens publics ne sont pas systématiquement le fruit de la mobilisation collective de tous ses usagers mais plutôt de ceux qui les produisent ou les gèrent. Mancur Olson les appelle les “entrepreneurs politiques”… Par ailleurs, de multiples analyses des politiques publiques démontrent un phénomène de la prépondérance de l’offre de biens publics sur la demande (la défense nationale, l’offre “culturelle”, les programmes de recherche etc.). Ainsi le producteur ou le gestionnaire de biens publics peut poursuivre des intérêts totalement différents de l’intérêt collectif (Boussaguet, Jacquot et Ravinet, 2006). L’un des soucis premier des gouvernements démocratiques relève donc de la responsabilisation. Cette notion semble profondément liée à la notion d’”équilibration” qui vise à l’engagement pour la poursuite et la protection d’intérêts collectifs : la citoyenneté. Autrement dit, le développement de la citoyenneté est intimement corrélé à ce qui correspond aux objets de préoccupation des individus, et ce qui est susceptible d’avoir un sens commun, traduction d’un nouvel équilibre global.

Universalité et égalité : des configurations difficiles

Plus des expériences se concrétisent, plus il est démontré que l’idéal démocratique se configure de multiples façons et, par, incidence avec des formes d’engagements selon les territoires. Un gouvernement démocratique ne peut-être présenté comme un modèle. Historiquement, sous les gouvernements “démocratiques”, le droit de tous à participer aux affaires publiques n’a jamais été une réalité et par conséquence a engendré, à chaque fois, une “mauvaise gestion” des biens communs et des processus d’exclusion. Sous l’agora d’Athènes, les femmes, les esclaves et les étrangers n’étaient pas considérés comme des citoyens. Cela signifie qu’ils n’avaient aucun droit à la vie politique locale, du moins celle organisée institutionnellement : l’accès à l’Ecclésia (assemblée des citoyens), à la Boulé (groupes de conseillers) … De même, lorsque le système du suffrage s’est mis en place en France, il était d’abord censitaire et masculin avec seulement cent mille électeurs en 1820… La loi d’airain de l’oligarchie, décrite à travers les travaux menés en Allemagne par Roberto Michels en 1913 affirme cependant que toute organisation, pour être efficace, est oligarchique. Jacques Godbout (1983, p. 27) confirme que ces idées furent vérifiées par de nombreuses enquêtes américaines démontrant que « le citoyen moyen et plus particulièrement celui des classes inférieures, n’est pas intéressé par la vie politique ; ce qu’on a interprété comme » “apathie”. Mais l’existence de cette apathie semble de plus en plus douteuse, au regard de l’actualité des recherches en sciences humaines. On comprend que la citoyenneté peut prendre diverses formes et que la rationalité des individus se déploie de multiples façons, tant les intérêts et les contextes d’actions sont différents. L’idée d’une légitimité ascendante possible caractérise nos sociétés contemporaines (Leca, 1996). À la lueur de l’histoire française des mouvements sociaux, on comprend bien que les constructions progressives des conventions visant à assurer l’ “égalité citoyenne” s’inscrivent dans un mouvement perpétuel d’équilibration du pouvoir. Il est lié aux difficultés d’accès du plus grand nombre à une visibilité politique.

Ainsi la question de l’appropriation du développement, qui signifie la part prise en tant qu’acteur, au sens d’un individu engagé dans des dynamiques politiques (dialogue avec des institutions), apparaît consubstantielle à celle de la démocratie. En conséquence, de quelle manière définir le “développement” ?

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1. DÉMOCRATIE ET DÉVELOPPEMENT
I.1.1. Un regard de longue durée de la démocratie occidentale
I.1.1.1. Des principes et des limites
I.1.1.2. Les institutions démocratiques ou des formes instables
I.1.1.3. Universalité et égalité : des configurations difficiles
I.1.2. Du développement
I.1.2.1. Des conceptions humanistes au déterminisme économique
I.1.2.2. L’émergence du sous-développement
I.1.2.3. Vers un regard qualitatif
I.1.3. La proximité : l’articulation de la démocratie et du développement ?
I.1.3.1. Un constat problématique
I.1.3.2. De la démocratie du développement ou la construction de “la vérité”
I.1.3.3. Au territoire…
I.1.4. Le rôle de la démocratie locale
I. 1.4.1. Les formes de participation politique
I. 1.4.2. De l’empowerment à l’innovation institutionnelle
CHAPITRE 2. L’EMERGENCE DES TERRITOIRES EN FRANCE : CADRES PARTICIPATIFS ET INNOVATIONS INSTITUTIONNELLES
I.2.1. L’histoire de la participation politique
I. 2.1.1. À l’origine des métamorphoses institutionnelles
I. 2.1.2. L’expression de territoires excédés
I.2.2. La proximité et l’ “outillage” de l’action publique
I. 2.2.1. Le développement de la démocratie participative
I. 2.2.2. La nouvelle charte de l’action publique
I. 2.3. Le nouveau référentiel de l’action publique
I.2.3.1. Compétences profanes et “démarches de projets”
I. 2.3.2. Le nouveau management public
CHAPITRE 3. DYNAMIQUES POLITIQUES, UNE APPROCHE CONCEPTUELLE DE L’IMAGINAIRE CITOYEN
I.3.1. Des croyances à l’action : la nécessité des principes de justifications
I.3.1.1. Justice et représentations sociales
I.3.1.2. Le sacré et la gestion de l’incertitude
I.3.1.3. Un acteur politique : croyant ou savant ?
I.3.2. De l’enchevêtrement des dynamiques de légitimation
I. 3.2.1. La dynamique démocratique ou les conditions de communicabilité
I. 3.2.2. Interroger la reproduction du pouvoir
I. 3.2.3. Interroger la construction des compétences citoyennes ?
I. 3.3. Le dynamisme territorial
I. 3.3.1. Bien-être et changement social
I.3.3.2. La construction du sens de l’action
I.3.3.3. Des cadres d’apprentissages ou la flexibilité des territoires
CHAPITRE 4. LES OUTILS CONCEPTUELS
II.4.1. Des acteurs en interactions et le sillage de l’École de Chicago
II.4.1.1. Pragmatisme social et expérimentation
II.4.1.2. L’individu, fin compositeur d’un monde pluriel
II.4.1.3. L’interactionnisme symbolique
II.4.1.4. Décrire la réalité
II.4.2. Les enseignements de la sociologie des organisations
II.4.2.1. Les croyances et les processus de rationalisation
II.4.2.2. Échec des procédures de rationalisation et singularité de la plasticité organisationnelle
II.4.2.3. La rationalité des acteurs
II.4.2.4. Le Système d’Action concret : gestion de l’incertitude et zone de pouvoir
II.4.3. La dynamique institutionnelle ou les théories des conventions
II.4.3.1. Genèse du concept de convention
II.4.3.2. Le phénomène conventionnel
II.4.3.3. Le besoin de justifications
II.4.3.4. Incertitudes et conventions : le changement social
CONCLUSION

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