Un nouvel orchestre pour la danse bretonne

La guitare

Si la guitare a un grand succès populaire dans l’après-guerre pour l’accompagnement de la chanson française et supplante rapidement le banjo dans les orchestres de bal et les hot-clubs, son apparition dans la musique traditionnelle bretonne est plus tardive et date de la fin des années 1950, quand des chanteurs comme Glenmor, Youenn Gwernig et le trio An Tri Bintig commencent à l’utiliser pour s’accompagner.
Au début du siècle déjà, des chansonniers s’accompagnaient à la guitare dans les caféconcerts des villes armoricaines et l’un des plus connus était Henry Ansquer (1885-1961), le brestois compositeur de La Complainte de Jean Quemeneur. Ces chansonniers partaient bien souvent gagner leur vie à Paris et c’est dans la capitale qu’un jeune chanteur breton, Émile le Scanff dit Glenmor fait son apparition sur la scène de la Maison de la Bretagne le 17 octobre 1959, en compagnie de la harpiste Denise Mégevand. Il se présente alors comme barde et selon le journaliste présent, « a encore beaucoup à apprendre ».Si Glenmor eut par la suite un succès national, son répertoire d’auteur-compositeur le place dans la lignée de la chanson française d’un Jacques Brel ou d’un Léo Ferré qu’il fréquentait, et son chant porte souvent la voix du militantisme nationaliste.
Les premiers musiciens à faire entrer réellement la guitare dans le répertoire populaire breton, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, seront le trio An Tri Bintig, Pierre-Yves Moign dans sa nouvelle formation Dunvel Ar Benn et les Kabalérien, puis les Namnediz. Et c’est au cours des années 1960 que certains guitaristes choisiront de se produire en solo avec un répertoire traditionnel ou s’inspirant de la Bretagne, instrumental ou chanté : la « guitare celtique » va naître en 1961 avec Guy Tudy, qui fonde à Rennes le cercle des amis « Guitare et Musique », et qui sort son premier 45 tours en 1965. Un autre chanteur guitariste, Jef Philippe, publie trois ans plus tard un album de musique bretonne chez Mouez Breiz. C’est donc véritablement au cours des années 1960 que la guitare acoustique prend ses marques dans la musique traditionnelle en Bretagne. D’autres instruments – violon, alto, flûte traversière et flûte à bec, banjo et contrebasse – feront leur apparition au cours des mêmes années dans les ensembles de musique bretonne dont nous allons traiter dans les chapitres suivants.
Nous voyons que le mouvement de création dont nous allons à présent dessiner les contours ne naît pas ex-nihilo, mais qu’il se développe dans un creuset culturel déjà très vivant dans les années 1950. Il naît après plus d’un siècle de diffusion d’une musique populaire monodique ou arrangée sur papier – feuilles volantes, recueils et partitions – et il est fort de presque cinquante ans d’enregistrements commerciaux. Il est surtout porté par des personnalités, organisateurs et promoteurs infatigables dont les plus importantes sont Polig Monjarret pour le bagad et l’interceltisme, Bernard de Parades pour les cercles celtiques et les fêtes de Cornouaille, Pierre-Jakez Hélias pour la communication avec le public et Loeiz Ropars pour le kan ha diskan et le fest-noz. Il bénéficie de lieux de répétitions, les locaux des cercles celtiques et des bagadoù, les conservatoires ou les espaces privés ; de lieux de diffusion, fêtes et festivals, hot-clubs et salles des fêtes, mais aussi radios locales ; enfin des réseaux de production discographiques régionaux et nationaux qui participent grandement à mettre en valeur ce patrimoine. C’est donc dans une époque foisonnant d’initiatives que vont naître ce que l’on appellerait aujourd’hui les premiers groupes de musique bretonne, même si ce terme n’était pas encore en usage en 1955 quand Jean L’Helgouach et Pierre-Yves Moign allaient inventer l’ensemble de musique bretonne et l’orchestre celtique.

Un nouvel orchestre pour la danse bretonne

Parmi ceux qui participèrent à l’essor des nombreux bagadoù, se trouvait une jeune génération de musiciens en recherche de nouvelles propositions musicales, tout en allant puiser aux sources de la culture populaire de Bretagne. Ils rêvaient d’une musique « sans binious ni bombardes », capable de pénétrer dans les foyers, les salles de bals, les cafés-concerts et les cinémas, ce que la formule bagad ne pouvait évidemment pas faire pour une question de volume sonore autant que d’esthétique. Pour eux, il n’était plus question de retourner au chant accompagné de leurs aînés, qui connaissait pourtant encore un grand succès populaire. Ils voulaient faire danser sur le modèle des ceilidh bands d’Ecosse et d’Irlande, avec une musique plus urbaine, plus moderne aussi.
D’autant que le fest-noz nouveau, organisé dans les salles de bal des campagnes, venait de naître à Poullaouen en décembre 1954 sous la houlette d’un infatigable chanteur et organisateur, Loeiz Roparz. L’année suivante, deux initiatives originales – influencées par cet élan du renouveau du kan ha diskan dans le centre Bretagne et par le ceillidh band – allaient naître, l’une à Rennes et l’autre à Brest. Il s’agit de l’ensemble Evit Koroll de la Kevrenn* de Rennes, et de l’orchestre Son ha Koroll, chacun menés par de jeunes musiciens, Jean L’Helgouach (1933-2000) pour le premier et Pierre-Yves Moign (1927-2013) pour le second.
En effet l’Irlande, et plus encore l’Ecosse, attiraient les jeunes musiciens qui fréquentaient les bagadoù parce que le pipe-band était leur modèle d’excellence, tant sur le plan de la technique instrumentale que de l’exigence musicale. Jean-Jacques Le Bourhis, qui participa à l’aventure Evit Koroll nous a raconté127 comment en 1953, il avait effectué un voyage en Ecosse et un autre en Irlande avec une délégation de musiciens bretons menée par leur aîné, le fondateur de la B.A.S. Polig Monjarret (1920-2003). Ils avaient été reçus par le célèbre accordéoniste Jimmy Shand à Tobermory. Dès 1933 à l’âge de quinze ans, Jimmy Shand avait enregistré des 78 tours de musique écossaise à danser, époque où le gramophone était encore un produit de luxe. Vingt ans plus tard, Shand était devenu une référence en Ecosse. Pierre-Yves Moign, qui y fit un voyage à l’été 1952, revint lui aussi avec des disque du maître écossais, ce qui lui donnera comme à Jean L’Helgouach l’idée de monter un orchestre.
Comme nous le verrons, la critique a été parfois dure envers ces deux orchestres, mais on peut noter que certains des acteurs majeurs de la musique bretonne ne s’y sont pas trompés en y voyant presque une révolution dans la musique bretonne. René Abjean (1937- ), compositeur et chef de choeur finistérien raconte : « Et puis nous avons soudain découvert des groupes de musiciens faisant de la musique bretonne traditionnelle avec des instruments classiques : c’était donc possible. Il y avait Evit Koroll avec Jean L’Helgouach et puis Son ha Koroll avec Pierre Yves Moign. La découverte de cette musique bretonne actualisée a été pour nous un éblouissement : oui, on pouvait faire de la vraie musique bretonne avec d’autres instruments que le biniou ! »

Evit Koroll, les pionniers rennais

Histoire de la formation (1955-1958)

Jean L’Helgouach (1933-2000), un puriste fait évoluer les pratiques musicales.C’est en 1955 au sein de la Kevrenn de Rennes qu’un jeune homme de 22 ans, Jean L’Helgouach, fut l’initiateur du premier ensemble de musique bretonne. Dans un entretien qu’il accorde à Armel Morgant et Jean-Luc Le Moign pour la revue Ar Soner en 1995, il raconte : « J’ai découvert la musique bretonne par mon père qui était très impliqué dans les milieux bretons, et au Cercle Celtique de Rennes. J’y ai découvert plus particulièrement la bombarde, un instrument qui m’a intéressé immédiatement ».
Membre du cercle celtique, le jeune homme suit des cours de violon et d’alto au Conservatoire de Rennes, où il recevra un prix d’alto. Devenu étudiant à la faculté de sciences naturelles, il tente d’appliquer à la bombarde la rigueur musicale qu’il a acquise par sa formation classique en concevant la première méthode de bombarde, qui était une commande de la commission technique de la B.A.S.. Dans cet article, il indique sa démarche :
« J’avais été amené à remarquer que les gens ayant abordé la bombarde de façon “naturelle”, “instinctive”, avaient tendance à développer des styles – ce avec quoi je n’étais pas d’accord, on aurait voulu développer le style avant la technique ! »
C’est ainsi qu’à la suite d’Émile Alain qui publia en 1955 son Traité élémentaire destiné aux sonneurs de biniou, Jean L’Helgouach fait paraître une méthode de bombarde destinée aux débutants, dans laquelle il adapte à la bombarde les techniques de l’étude d’un instrument classique. Le jeune homme a déjà les idées bien arrêtées et un caractère assez fort. En terme de modèles, il reconnaît toutefois dans un entretien avec Armel Morgant l’influence des orchestres d’outre-Manche : « L’influence des Ceili Bands y a-t-elle été pour beaucoup ? Ce n’est pas impossible. J’avais aussi la référence du David Curry’s Irish Band (Orchestre léger de la BBC de Belfast) ».133 Ce n’est doncpas parce qu’il refuse l’influence écossaise – dans le répertoire, la manière d’écrire des airs nouveaux, le style ou le type d’ornementation – qu’il est insensible au modèle orchestral du ceilidh band. S’il se réclame de la tradition sur le plan des modes musicaux employés et du respect de la danse, il fait néanmoins partie des personnalités qui vont faire évoluer les pratiques musicales en Bretagne, autant sur le plan technique que sur les ensembles musicaux inédits qu’il va créer.

Un ensemble recruté à la Kevrenn et au conservatoire de Rennes

« L’histoire est simple et courte : ce fut, d’abord et avant tout, en divertissement.
Nous étions quelques-un, au sein de la Kevrenn de Rennes, à vouloir jouer des airs bretons autrement qu’en bagad »,se souvient Jean L’Helgouach quarante ans plus tard. La Kevrenn de Rennes est alors un tout jeune bagad fondé en 1953, année de création du Festival des Cornemuses de Brest. Il suffit de lire les compte-rendus des concours de sonneurs dans la presse locale des années 1950 pour se rendre compte que la Kevrenn est alors considérée comme l’un des meilleurs bagadoù. Championne de Bretagne en 1955 et 1956, la Kevrenn rivalisait alors pour la première place dans les concours avec les deux ensembles brestois, Brest Saint-Marc et Brest Ar Flamm.
C’est donc dans cette atmosphère mêlant exigence musicale et sens de la fête que va naître l’ensemble Evit Koroll, crée par Jean avec des amis de la toute jeune Kevrenn de Rennes et du Conservatoire. « Bref, nous avons réuni quelques amis, et l’enregistrement a été réalisé dans la foulée. Et ce fut tout ! Une belle initiative, qui a plu parce qu’elle était vivante, spontanée… et inédite en Bretagne ».L’Helgouach laisse ici à penser que tout se serait fait très vite et presque sans répétitions mais, aux dires de Jean- Jacques le Bourhis, il semble qu’une partie du groupe ait tout de même régulièrement travaillé pour préparer l’enregistrement.
Ainsi, le groupe se forme dans les locaux du Conservatoire de Rennes où il arrivait à la Kevrenn de répéter : les jeunes musiciens désireux de se reposer les oreilles des très sonores binious et bombardes changent d’instruments pour la contrebasse, l’alto et le piano. Les noms des musiciens n’étant pas précisés sur la pochette, il nous a fallu mener l’enquête pour les retrouver. Jean L’Helgouach tenait le pupitre d’alto et assurait la direction de l’ensemble ainsi que l’écriture des partitions pour les musiciens classiques. Il recruta des jeunes amis du Conservatoire, dont Georges Chesnay à la flûte traversière, qui jouait depuis quelques années dans l’ensemble musical de la musicienne et collectrice Simone Morand. Jean-Yves Brand, que le groupe surnommait « p’tit Brand » et qui deviendra le professeur de basson du Conservatoire de Rennes, y tenait la partie de basson.

Le répertoire écossais et irlandais

Le modèle principal étant le groupe de Jimmy Shand, le premier répertoire choisi pour forger l’identité musicale de Son ha Koroll fut composé d’airs écossais glanés dans les disques du grand accordéoniste, et d’airs irlandais. Afin de se rendre compte de la part de création dans les airs écossais, nous avons procédé à l’écoute comparée des enregistrements de l’orchestre et de ceux de Jimmy Shand. La première chose qui frappe l’auditeur est l’évident plagiat de plusieurs titres. C’est la suite d’airs intitulée Machine Without Horses présente sur le 45 tours qui nous a mis sur la piste : cette suite de jigs est la stricte copie de l’enregistrement réalisé par Jimmy Shand & His Band pour Parlophone en 1951198. Sur cet enregistrement, les morceaux qui suivent le titre éponyme sont intitulés My Wife’s a Wanton Wee Thing et Glendaruel Highlanders.
Les Reels Ecossaises présents sur le même 45 tours sont eux aussi constitués d’une suite d’airs tous tirés du répertoire de Shand, mais ici Son ha Koroll a fait preuve d’un peu plus d’indépendance : les airs The De’il Among the Tailors, Staten Island et Fairy Dance sont issus d’une suite de Jimmy Shand appelée Eightsome Reel199, tandis que The Duke of Perth, air originellement en sol majeur et transposé ici en la vient de la suite éponyme de l’accordéoniste. De même, la suite Soldier’s Joy présent sur la face B du deuxième 33 tours (86031) est un assemblage de plusieurs reels, tous tirés du répertoire de Shand. Tandis que les airs Soldier’s Joy et The Breakdown sont extraits de la même suite Eightsome Reels que dans le titre précédent, The Drummer et Lucky Scap proviennent d’autres suites de Jimmy Shand. L’orchestre prend ici la liberté de n’exposer certains airs qu’une seule fois alors que la tradition est de les exposer au moins deux ou trois fois. Certaines phrases sont parfois aussi écourtées, comme les deux dernières phrases de The Breakdown. La suite Strathpey sur cette même face B est un autre emprunt à Jimmy Shand. Elle est presque semblable à sa suite Glasgow Highlanders Medley hormis le troisième air qui en a été ôté, de sorte que la suite ne comporte plus que Glasgow Highlanders et Mrs Jimmy Shand’s Strathpey. Tout le reste est identique, y compris les deux accords introductifs et la grille harmonique descendante du piano sur la phrase B du premier air. Son ha Koroll termine cette suite avec un accord final en ré comme Jimmy Shand le fait habituellement. Enfin, Cock of the North est lui aussi une reprise presque parfaite de la suite The Gay Gordons que Jimmy Shand enregistra chez Parlophone en 1951200, mais à un tempo plus enlevé et avec un tour de thème ajouté à la fin.
En revanche, nous n’avons pas retrouvé les sources d’inspiration précises de Pierre-Yves Moign pour le répertoire irlandais présent sur les deux 33 tours. Il s’agit de thèmes aujourd’hui très souvent joués et présents dans les recueils de partitions de musique irlandaise. La suite de Gigues irlandaises débutant la face B du premier 33 tours (86030) est composée des thèmes The Cobbler et The Rover’s Return. Les noms des Horn Pipes [sic] qui suivent ne sont pas précisés mais il s’agit de trois hornpipes classiques et d’un hornpipe moins connu : The Boys of Bluehill, Off to California, The Galway Hornpipe et Kelly’s Hornpipe. Enfin, la Set Dance qui clôt la face B du deuxième 33 tours est une suite de polkas également non détaillées mais dont nous avons pu retrouver les noms. Toutes sont des airs familiers : The Rattling Bog, The White Cockade et Spanish Lady sont des chansons très populaires tandis que Farewell to Whiskey, Babes in the Wood et The Rakes of Mallow sont des polkas instrumentales.

Danses de Basse-Bretagne

Si le répertoire écossais et irlandais choisi provient essentiellement de disques et de partitions, il n’en est pas de même en ce qui concerne le répertoire breton. Nous l’avons vu plus haut, Pierre-Yves Moign et Jean Fajolles sont partis collecter de nombreux airs dans la campagne bretonne, leur permettant de construire des suites plus personnelles. N’ayant pas pu avoir accès aux archives personnelles de Moign, nous ne savons pas quelles ont été ses sources, néanmoins une partie de ses collectages de 1954 et de 1957 sont disponibles à Dastum et permettent de prendre conscience de sa réelle démarche de collectage.
Le premier 33 tours s’ouvre sur une suite de Gavottes des Montagnes, sous-titrée Danse de haute-Cornouaille. Il s’agit de six airs différents dont le premier comporte quatre phrases. Les quatre premiers airs sont des ton doubl* et les deux derniers des ton simpl*. Si les quatre premiers airs sont communément joués dans le répertoire instrumental notamment par les accordéonistes, les trois derniers sont plutôt des airs du répertoire chanté. On peut remarquer que le quatrième air sera chanté quelques années plus tard sur le premier disque d’An Tri Bintig. Les An dro qui suivent sont une suite de trois airs, joués de façon quelque peu scolaire et linéaire et venant probablement du répertoire de bagad. La suite de Piler Lann* semble provenir du répertoire joué dans les Monts d’Arrée, vers Commana et Sizun où Polig Monjarret a collecté des variantes de ces airs. La Dérobée jouée à la fin de cette face est une version raccourcie de la dérobée de la Saint-Loup enregistrée par Evit Koroll l’année précédente. Seules neuf phrases en sont jouées dans un ordre et une tonalité différente, et on retrouve le même passage valsé au milieu de la suite. Sur le deuxième 33 tours figure une peu commune Dans-Tro, sous-titrée Pays des Montagnes. Si aujourd’hui l’appellation dañs-tro fait le plus souvent référence à la gavotte des montagnes, le terme est également utilisé en breton pour les danses appelées plinn et fisel. Grâce au professeur de danse Daniel Debos, nous avons réussi à retrouver l’origine de cette danse : il s’agit en réalité d’une danse nouvelle créée dans les années 1950 par le Cercle Celtique de Rennes sur le modèle d’une danse plinn au tempo plus lent pour permettre un pas croisé comme dans la danse kost er hoet puis un pas dédoublé comme on peut le trouver dans certaines variantes de gavottes. Cette danse de création récente a aujourd’hui complètement disparu, et seules les formations de Pierre-Yves Moign et le bagad Yaouankiz Breiz de Rennes l’ont enregistrée. S’en suivent trois titres formant une suite de danses de l’Aven (région de Pont-Aven) qui commence par une Gavotte de l’Aven dont quatre phrases sont communes à la version d’Evit Koroll de cette danse. Suivent Les bals, et un Jabadao dont quatre des phrases sont communes à la version que jouait Evit Koroll.
Tous ces thèmes font partie du répertoire instrumental traditionnellement joué par les sonneurs de couple biniou-bombarde du Pays de l’Aven.

Structures et arrangements

Le modèle Jimmy Shand

En abordant le choix du répertoire de Son ha Koroll, nous avons pu nous rendre compte de l’étendue de la copie – voire du plagiat – opérée par Pierre-Yves Moign en ce qui concerne la musique écossaise. Nous n’avons pu vérifier si des droits ont été versés par Barclay à la maison Parlophone qui a produit les disques de Jimmy Shand. Ce serait une erreur d’y voir une simple facilité de la part d’un jeune homme en manque d’inspiration : le plagiat bien avéré semble ici parfaitement assumé, l’emprunt stylistique au monde anglo-saxon participant à un processus d’imprégnation, de sorte que ces jeunes musiciens tout juste sortis du conservatoire et qui n’avaient pas cette culture musicale se forgent un modèle pour construire un répertoire « celtique ».
Pourtant, ce qui frappe dans ces enregistrements, c’est la différence de traitement des airs provenant d’outre-Manche et des airs bretons. Si les premiers sont toujours joués par la violoniste, doublée à l’accordéon, et sur les Gigues Irlandaises à la flûte, les airs bretons sont en revanche uniquement joués à deux accordéons, à la manière des sonneurs de tradition. C’est probablement le signe que Moign a préféré privilégier les canons stylistiques des deux traditions pour les démarquer à l’intérieur d’un même orchestre, cette tentative de fusion n’ayant pas été menée jusqu’à son terme. Comme nous l’avons dit, aucune source ne nous permet de savoir qui tient le rôle de la flûte piccolo ni le deuxième accordéon, nous ne savons donc pas si c’est Paul Boucher – qui était multi-instrumentiste – qui jouait la flûte, si la violoniste pouvait jouer le deuxième accordéon pour les airs bretons, ou bien si des musiciens supplémentaires avaient été invités lors les séances de studio.
Un excellent exemple du travail de Son ha Koroll quant au relevé quasi-parfait des morceaux de Jimmy Shand peut être pris dans le titre Machine Without Horses qui débute la face B du 45 tours. La structure du morceau en est un exact relevé: une introduction par un accord de sol majeur sur deux temps, un temps de silence, puis l’anacrouse du premier thème. Le nombre d’expositions des thèmes est également le même, le premier thème est joué une fois, le deuxième deux fois ainsi que le troisième, enfin le morceau se conclut sur le retour au premier, joué deux fois. Tous sont joués à l’unisson accordéon-violon. L’accompagnement conserve lui aussi parfaitement la forme du modèle écossais, avec piano, contrebasse et caisse claire. Le plus frappant est ici l’exactitude du relevé de la grille d’accords pour chaque thème. On pourra se référer au relevé de structure présenté en annexe pour s’en convaincre, l’orchestre ne s’est pas laissé la moindre liberté par rapport à l’original, hormis Pierre-Yves Moign qui se laisse aller à un jeu de piano un peu plus sautillant sur le deuxième thème.

Télécharger aussi :