Un jeu d’enfant : la rencontre avec Taz médiatisée par le jeu

L’expression « C’est un jeu d’enfant ! », dans le langage courant, se dit à propos d’une chose qui serait simple, élémentaire ; ou d’une action qui serait si facile à réaliser qu’un enfant y parviendrait aisément. Le jeu de l’enfant, pourtant, se situe bien loin de ces présupposés de simplicité. Il est à l’inverse complexe, dense. Il mobilise l’enfant dans son entièreté en sollicitant sa sensorialité, sa motricité, ses émotions, sa pensée, son imaginaire, sa créativité. L’action de jouer n’est pas anodine ; en témoigne l’engagement des enfants dans leurs jeux, la qualité de leur attention et de leur concentration alors qu’ils manipulent des figurines, construisent des tours, jouent à cache-cache, ou encore s’inventent des personnages à partir d’un bout de tissu. De fait, le jeu contribue pleinement à la construction identitaire de l’enfant. Il n’est pas une activité mais une véritable action, qui soutient son développement psychocorporel dès les premiers temps de vie. Les interactions précoces sont en effet baignées des toutes premières formes de jeux : le « caché coucou », « la petite bête qui monte », ou encore la comptine du « bateau sur l’eau » par exemple. Par le biais des rapprochés corporels, des imitations, des vocalisations en écho, la mère et son bébé jouent ensemble, et créent à deux un espace de rencontre nécessaire à l’établissement des premiers liens et à la structuration de la sécurité affective de l’enfant. Le bébé, en jouant, découvre ainsi son corps et l’expérimente dans une diversité de situations sensorielles, motrices, émotionnelles, relationnelles. Cette valeur expérientielle du jeu permet que progressivement les éprouvés se transforment en images de soi ; que ces états de corps soient intégrés par l’enfant pour devenir des représentations corporelles. Le jeu soutient leur intégration en tant que représentations stable de soi et de son corps, ce qui constitue le fondement de la construction identitaire. En cela, le jeu de l’enfant reflète la manière dont il se ressent, se vit, se perçoit, et dont il appréhende le monde qui l’entoure.

Présentation générale

Présentation de l’institution

Cadre institutionnel
Le Centre Médico-Psychologique (CMP), est une structure publique de soins ambulatoires, qui accueille des enfants et adolescents entre 3 et 18 ans. Il est intégré à un secteur géographique de psychiatrie infanto-juvénile, et rattaché à une structure hospitalière. Le CMP, dont l’activité est coordonnée par un médecin responsable, rassemble plusieurs corps de métier de la santé mentale, et permet une prise en charge pluridisciplinaire du patient. L’équipe est ainsi composée de médecins psychiatres, psychologues, orthophonistes, psychomotriciens, éducateurs, infirmiers, assistantes sociales et secrétaires. Une réunion de synthèse hebdomadaire permet aux différents professionnels de trouver un étayage pour échanger sur leur clinique, de discuter les modalités de prise en charge des patients, et d’ajuster l’offre de soin proposée au patient (inclusion à un groupe thérapeutique, orientation vers une autre structure, ou indication vers un autre professionnel de santé hors du CMP pour une prise en charge plus pertinente par exemple). Le Centre Médico-Psychologique reçoit les enfants et leur famille, dans une perspective de prévention, de diagnostic et de soin. Les indications regroupent des problématiques psychologiques se répercutant sur le langage, la socialisation, le comportement ou encore la scolarité ; mais également des pathologies psychiatriques plus lourdes, telles que les organisations psychotiques, autistiques et déficitaire, ou les pathologies dites limites. Une demande de rendez-vous au CMP donne en général lieu à une première consultation avec un pédopsychiatre ou un psychologue clinicien qui, évaluant la situation de l’enfant et de sa famille, pourra ensuite envisager un projet de soin adapté, et coordonner une prise en charge multimodale dont il suivra le déroulement. Ce consultant sera dès lors le référent de l’enfant tout au long de sa prise en charge au CMP. L’investissement des soins par la famille est primordial pour leur cohérence ; et il est nécessaire d’œuvrer à établir une alliance thérapeutique non seulement avec le patient, mais aussi avec son entourage. La première demande peut être une initiative personnelle des familles ; mais l’indication de consultation au CMP peut également émaner du milieu scolaire, qui enjoindra alors les familles à prendre rendez-vous directement. Dans ce cas, les liens sont habituellement maintenus entre le CMP et le milieu scolaire, notamment par le biais des équipes éducatives2 auxquelles participent les assistantes sociales de la structure.

Le stage en psychomotricité

Dans ce cadre institutionnel, mon stage en psychomotricité s’est déroulé sur toute la durée de l’année scolaire, à raison d’une journée par semaine. Celle-ci prévoyait ma participation à des séances individuelles avec la psychomotricienne, ainsi qu’à un groupe thérapeutique de jeu dramatique avec des pré-adolescents. Outre les positions d’observateur actif et de co-acteur qu’offre le statut de stagiaire, l’occasion m’a progressivement été donnée de mener quelques séances. Celles-ci se sont révélées être d’une grande richesse ; tant sur le plan clinique, dans la relation, l’adaptation et les propositions faites au patient, que du point de vue de l’identité professionnelle et du positionnement en tant que future psychomotricienne.

La salle de psychomotricité
La salle de psychomotricité constitue le cadre spatial de référence des situations cliniques que l’on abordera par la suite de notre propos. Plutôt que de décrire cet espace, le choix est fait ici d’en donner une figuration globale au travers d’une représentation illustrée.

Présentation du patient

En automne 2017, une demande de rendez-vous est faite auprès du Centre MédicoPsychologique (CMP) par la maman de Taz, sur les conseils de la directrice de l’établissement scolaire. Taz, alors âgé de 3 ans et scolarisé en Petite Section de maternelle, présente des difficultés relationnelles et attentionnelles qui entravent son investissement de l’école et des apprentissages. Il est décrit comme agressif avec ses pairs ; supportant difficilement les situations groupales, de même que le cadre scolaire et les tâches ou activités qui s’y inscrivent. Suite à cette demande, un rendezvous est proposé à Taz et ses parents début 2018 avec une consultante psychologue, et un suivi hebdomadaire en psychothérapie s’engage.

Anamnèse
Taz est enfant unique. Ses parents originaires des DOM-TOM sont venus s’installer en métropole avant la naissance de Taz il y a plusieurs années. Leur situation professionnelle et sociale est stable, et leur souhait d’avoir un enfant était un projet commun. Taz est né à terme après une grossesse décrite comme éprouvante par la maman. Elle raconte en effet avoir perdu beaucoup de poids, et marque le contraste entre son propre état d’épuisement et la bonne santé de son bébé. Sa manière d’évoquer cette grossesse donne une impression de « vampirisation », d’absorption de toute l’énergie de la maman par l’enfant qu’elle porte. L’accouchement a été rapide, nécessitant cependant l’utilisation des forceps.

Taz est allaité jusqu’à ses 7 mois, et ce malgré les douleurs en lien avec l’allaitement vécue par la maman, qui qualifie son bébé de gros mangeur. Le passage au biberon a été compliqué, et des difficultés de coucher et d’endormissement se sont rapidement manifestées. Parallèlement, Taz est décrit comme un bébé « qui ne pleure pas ». Il a de plus présenté un retard de langage jusqu’à ses 2 ans et 11 mois; et c’est à l’occasion de vacances dans les DOM-TOM avec son papa que Taz a soudain commencé à parler, immédiatement sur un mode logorrhéique. Dès lors, ce langage occupe tout l’espace sonore : la maman raconte qu’il l’appelait par son prénom, et qu’à la maison « c’est soit la télévision, soit Taz » que l’on entend en permanence. Il marche à 11 mois, passe beaucoup de temps devant la télévision, et est gardé par une nourrice du fait des activités professionnelles des parents.

Chez la nourrice tout semble bien se passer mais à la maison la maman se dit épuisée par son enfant, et décrit les symptômes d’une dépression du post-partum. Cette souffrance pourrait être mise en lien d’une part avec les difficultés d’entrer en relation et d’interagir avec Taz, et d’autre part avec la synergie familiale sensiblement bouleversée par l’arrivée du petit garçon. Le couple était auparavant très fusionnel, assez peu entouré socialement. L’annonce de la grossesse puis la naissance de Taz ont provoqué une réelle rupture des liens amicaux et un éloignement au sein du couple parental. Aux difficultés relationnelles de la maman avec Taz s’oppose la relation très exclusive qu’a développée le papa avec son fils. De même, la mère de Taz se montre plutôt stricte et ferme avec lui, alors que le père ne parvient pas à poser de limites et se montre très permissif. La maman remarque rapidement des particularités dans la manière d’être et de jouer de Taz. Il est très souvent seul dans ses jeux et son discours ; elle dit que « parfois il n’est pas tout seul dans sa tête ». Elle est en demande d’une objectivation des difficultés de son enfant qui accréditerait ses inquiétudes, et semble prête à recevoir un éventuel diagnostic. Le papa, quant à lui, est plus défensif et minimise ces difficultés en disant qu’il était pareil que Taz au même âge. Les signes cliniques observés dans les premiers temps chez Taz, ainsi que les inquiétudes maternelles quant aux troubles du spectre autistique ont motivé la passation de bilans explorant cette piste. Cependant, aucun diagnostic psychiatrique n’a été posé à ce jour par la psychologue consultante, en raison des symptômes atypiques de Taz et de leur évolution depuis le début de la prise en charge.

Prise en charge au Centre Médico-Psychologique

Le compte-rendu des premières séances de psychothérapie fait état d’un petit garçon présentant une instabilité psychomotrice ainsi qu’un important retrait relationnel. Bien que les capacités de pointage et d’attention conjointe soient présentes, la rareté des regards adressés est signalée, ainsi que le discours logorrhéique de Taz. Il possède un très bon niveau de vocabulaire et maîtrise suffisamment la syntaxe pour bien construire ses phrases ; cependant cet investissement du discours semble davantage tenir la fonction d’enveloppe sonore que s’inscrire dans une recherche de relation avec autrui. L’évolution des capacités relationnelles de Taz au fil des séances de psychothérapie est notée : le cadre offert par la relation duelle avec l’adulte semble permettre au jeune garçon de s’adresser davantage à l’autre, par le langage comme par le regard. Profitant pleinement de cet étayage, il semble ainsi manifester son besoin d’être contenu et sécurisé individuellement. Il admet progressivement son interlocuteur dans ses jeux, et peut y inclure les propositions de l’autre. Néanmoins, les jeux et mises en scène de Taz révèlent une angoisse importante et difficile à contenir ; l’expression des émotions est de fait encore compliquée pour lui. En plus des séances individuelles de Taz en psychothérapie, ses parents sont également reçus en entretien avec la consultante à raison de deux fois par mois au CMP. Ils semblent bien investir la prise en charge de Taz, et apparaissent comme des partenaires de soin conscients des difficultés de leur enfant, et engagés dans leur évolution. Taz est par ailleurs pris en charge par une orthophoniste en libéral de manière hebdomadaire, pour des défauts d’élocution et de prononciation. Un lien est également établi entre la consultante au CMP et la psychologue scolaire. Taz intègre par la suite, avec deux autres enfants du même âge, un groupe thérapeutique dont l’objet est de favoriser la communication et les échanges, entre les enfants et avec les adultes, par le biais du jeu. Pour Taz, qui semble justement trouver difficilement une place et des moyens d’interagir avec ses pairs en situation collective, ce groupe semblait être une bonne indication afin de mettre ces problématiques relationnelles et sociales en mouvement. Cependant, les séances sont décrites comme chaotiques par l’éducatrice et l’infirmière menant ce groupe. Taz est « explosif » : il s’agite en permanence, lance des objets sur les autres enfants comme sur les adultes, cherche à taper, rend toute activité groupale impossible. A l’inverse, lorsque son père vient le chercher, Taz s’effondre. Les autres enfants sont effrayés ou sidérés par cette agitation et ces comportements, au point que leurs parents en viennent à manifester au CMP leur opposition à sa participation; il ne fera donc que deux séances.

Un GEVA-Sco est complété en fin d’année scolaire, afin d’objectiver les capacités et les difficultés de Taz après cette première année d’école, et d’identifier ses besoins dans la perspective d’une entrée en Moyenne Section de maternelle à la rentrée suivante. A l’instar des observations réalisées en psychothérapie, ce document met principalement en avant la difficulté de Taz à réguler ses émotions. Ces difficultés semblent se répercuter en particulier sur les activités requérant davantage de précision, de finesse et de calme, ainsi que les tâches graphiques ou engageant la motricité fine. Les temps de collectivités étant difficilement supportables pour Taz, il a été décidé en accord avec les parents que son emploi du temps serait allégé, et qu’il n’arriverait en classe qu’un peu plus tard le matin. De plus, une demande d’Assistante de Vie Scolaire (AVS) est préconisée, afin d’accompagner et de soutenir la scolarisation de Taz en Moyenne Section.

La conclusion du Profil Psycho-Educatif (PEP-3) – bilan réalisé par la psychologue et qui appréhende le fonctionnement relationnel, cognitif, moteur et langagier des enfants entre 2 ans et 7 ans et demi présentant un trouble du développement – fait état de la curiosité intellectuelle, des compétences cognitives et de communication de Taz. Cependant, ses difficultés en matière d’ajustement dans les interactions (conduites d’opposition, mouvements d’hypervigilance, besoin de maîtrise de la relation) sont mises en lumière ; et la recherche de l’étayage et de la contenance de l’adulte est signalée. L’agitation psychomotrice que présente Taz, ses difficultés à contenir ses propres mouvements émotionnels comme de s’ajuster à ceux d’autrui, ainsi que son besoin de prendre appui sur des repères lui offrant une meilleure structuration spatio-temporelle, sont également au premier plan.

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Table des matières

Introduction
I – Présentation générale
I- Présentation de l’institution
1. Cadre institutionnel
a) Le stage en psychomotricité
b) La salle de psychomotricité
II- Présentation du patient
1. Anamnèse
2. Prise en charge au Centre Médico-Psychologique
II – Taz
I- Première rencontre
II- Observation psychomotrice
1. Relation
2. Fonction tonique
3. Equilibre
4. Motricité globale
5. Motricité fine et graphisme
6. Représentations corporelles
a) Schéma corporel
b) Image du corps
c) Vécu corporel
7. Espace et temps
III- Conclusions et premières perspectives de prise en charge
1. Questionnements et hypothèses théorico-cliniques
2. Projet thérapeutique
a) Axes thérapeutiques
b) Modalités de prise en charge en psychomotricité
c) Médiation
III – Le jeu et la structuration psychocorporelle : perspectives développementale et psychopathologique
I- Enjeux des interactions précoces : constitution du premier sentiment de soi et ouverture d’un espace potentiel
1. Le premier sentiment de soi
a) La sécurité de base et la continuité d’existence
b) Etayage du premier sentiment de soi sur la qualité des interactions précoces
c) L’espace potentiel : la naissance du jeu
2. L’identité : un processus de représentation de soi médiatisé par le jeu ?
a) L’identité et les représentations corporelles
b) Le jeu comme adjuvant à la structuration psychocorporelle
II- Fonction du jeu dans le développement psychocorporel
1. L’aire intermédiaire d’expérience
2. Phénomènes transitionnels
3. Le playing
III- Le jeu comme terrain d’observation des enjeux psychopathologiques
1. Le défaut d’investissement de l’aire intermédiaire d’expérience
2. Les premiers jeux de Taz
Les châteaux forts
IV – Le Moi-peau et les angoisses corporelles archaïques : une grille de lecture psychocorporelle du patient
I- L’enveloppe psychocorporelle
1. Définition du Moi-peau
La porosité des limites
2. Les fonctions du Moi-peau
a) Fonction de maintenance
b) Fonction de contenance
c) Fonction de pare-excitation
II- Les angoisses corporelles archaïques
1. Définition
2. Les « agonies primitives » – Winnicott
3. Les différents types d’angoisses archaïques
a) Effondrement « Je vais tomber ! »
b) Dévoration Taz au cœur des éléments déchaînés
c) Intrusion/vidage ? Les brèches et les interstices des constructions
4. Conclusion
III- L’instabilité psychomotrice : une tentative pathologique de lutter contre les angoisses et de restructurer l’enveloppe psychocorporelle
1. Une enveloppe de substitution
2. Une voie de symbolisation par l’agir
V – Le jeu comme voie thérapeutique
I- Un contenant de processus de symbolisation
1. Jouer, un « passage par l’acte » Les récits de Taz : la Pat’Patrouille et Marcel la mauviette
2. Une thérapie en soi
II- Le cadre thérapeutique
1. Les conditions de possibilité du jeu symbolisant
2. Le rôle du thérapeute
Une double enveloppe de tissu
III- Spécificités du jeu en psychomotricité
1. Le jeu, une expérience psychocorporelle
Les jeux de portage
2. La dimension relationnelle
a) L’engagement psychocorporel du psychomotricien
Le « poisson-pêcheur »
b) La capacité à jouer
De la fonction de double à la fonction miroir
c) « Être avec »
La cabane
Conclusion
Bibliographie

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