Un dévoilement social et médiatique de l’expression mafia dans un contexte étatique particulier en Italie (1800-1972)

Un dévoilement social et médiatique de l’expression mafia dans un contexte étatique particulier en Italie (1800-1972) 

Une origine incertaine de la mafia au XIXème siècle 

L’expression mafia a un caractère insaisissable par son origine qui n’a toujours pas été établie et confirmée de manière précise à travers ses nombreuses recherches historiques. C’est pourquoi nous avons choisi de l’ancrer à travers sa première circulation médiatique. Au XIXème siècle, dans un pays qui n’existe pas encore, elle est mentionnée à travers une pièce de théâtre sicilienne qui contribue largement à son déploiement et fonde déjà une première lecture de cette organisation criminelle : I mafiusi de la Vicaria de Rizzotto. Cette mise en  scène comique livre déjà des signes que nous retrouvons aujourd’hui au sein de sa représentation dans notre imaginaire populaire. Des hommes dits d’honneur luttent contre les institutions en place dans la société pour rétablir leur propre justice. Nous observons déjà dans ce premier signe, une organisation dont le fondement est dit respectable et l’origine de leur action n’est pas basée sur la violence. Néanmoins, dans cet écrit, ces mafiusi sont également moqués et présentés avec de nombreux défauts comme la lâcheté. L’issue de cette intrigue est le salut obtenu par les mafiusi grâce à un personnage qui leur offre leur liberté en se réinsérant socialement. À travers cette représentation médiatique, nous observons les prémisses d’un code largement utilisé pour définir cette organisation, celui de l’honneur et d’hommes dont la motivation semblerait considérée comme noble. Cette attribution est renforcée par la signification linguistique même du mot, qui signifie en sicilien « beau » , « noble » ou encore « supérieur ». En parallèle, une première mention d’une organisation criminelle sévissant en Sicile est présentée par des préfets de la région et qualifiée par le prêteur de Ravanusa d’Agrigente comme :

une vaste réunion de personnes de toutes classes, de toutes sphères sociales, sans liens apparents, dans le but de pouvoir aux intérêts communs, quels qu’ils soient .

Cette définition pose de nombreuses questions sur les codes de la famille, de l’honneur et du crime assimilés à la mafia qui ne sont ici nullement mentionnés ou explicités. À travers ces premiers éléments historiques diffusés dans la sphère médiatique et politique, nous percevons un décalage entre la représentation de la mafia aujourd’hui et sa construction en tant que mythe. Selon Barthes, le mythe est une « parole » . Cet acte de communication délivre un message sur la mafia lors de la diffusion de cette pièce de théâtre. Une représentation qui n’est pas censée être conforme à la réalité mais qui contribue à une représentation réelle de l’expression dans l’imaginaire populaire, déjà éloignée de la réalité mentionnée par les archives juridiques.

La création de l’État italien comme clé de lecture 

« Le mythe est une parole choisie par l’histoire » comme le précise Barthes. Si la mafia est mythe, quelle est l’histoire qui porte son message ? C’est avant tout un contexte étatique particulier, celui de la réunification de l’Italie le 20 septembre 1870 avec l’annexion de Rome. Les rois de Savoie au XIXème siècle vont annexer des territoires géographiques qui font aujourd’hui partie de l’Italie et qui constituaient jusqu’alors des duchés et royaumes, notamment le royaume des Deux-Siciles, constituant ceux que nous connaissons aujourd’hui du Sud de l’Italie. Cette grande étendue géographique représente ce qu’on appelle aujourd’hui le Mezzogiorno et qui dénomme huit régions : la Sicile, la Calabre, les Pouilles, la Basicilate, la Campanie, les Abruzzes, le Molise et le Latium. Leur lien historique fonde alors leurs particularités économiques, politiques et culturelles, c’est pourquoi elles sont souvent associées ensemble. Par exemple, dans ces régions, le dialecte est largement employé et participe à la perception d’une région qui se veut indépendante en gardant des valeurs fondamentales comme ici, celle de la langue. Cette unification territoriale récente – 150 ans précisément en 2020 – révèle des fractures territoriales connues aujourd’hui puisqu’il est encore d’usage de parler d’Italie du Nord et d’Italie du Sud. Cette compréhension de ce jeune État italien nous permet d’observer un premier dysfonctionnement au sein de cette unification: une lutte de pouvoir entre ces deux parties de l’Italie. L’anthropologue Anton Blok analyse ainsi cette genèse historique à la formation de la mafia au sein de la Sicile. En effet, l’État italien souhaite contrôler cette partie du pays et choisit d’acheter des faveurs politiques auprès de ceux qui régissent les territoires agricoles et ainsi le peuple dans cette région. De nombreux changements systémiques voient le jour avec par exemple les nombreuses réformes agraires qui vont participer à détacher le paysan de sa terre. Dans une région fortement marquée par sa culture agricole, ces éléments vont jouer un rôle dans la formation de la mafia et d’une violence ancrée en Sicile. L’auteur Raimando Catanzaro explique cette formation de la mafia comme la conséquence du processus de création de l’État italien :

Les événements de 1860 introduisent un changement de portée considérable, la Sicile devant une périphérie de l’Etat italien. Le problème des relations avec le centre devient décisif, en ce qui regarde notamment trois processus déterminants pour l’édification du système : la pénétration (à savoir la formation de l’Etat), la standardisation (à savoir la formation de la nation), l’extension des droits de participation (à savoir l’institution de la citoyenneté politique). C’est dans ce contexte que se constituent les conditions de la genèse de la mafia. Le comportement mafieux émerge soit en tant qu’institutionnalisation de la violence privée utilisée comme un moyen d’accumulation économique et de contrôle social de la part de sujets qui étaient jusque-là détenteurs du monopole de l’honneur, soit en tant qu’institutionnalisation de la pratique de l’amitié instrumentale dans le but de pénétrer l’administration publique et de l’utiliser à des fins privés (le clientélisme).

La complexité de regrouper un territoire et de « faire nation » – quand jusqu’à présent il fonctionnait de manière indépendante -, est donc une clé de lecture sur la formation de ce qu’on qualifie aujourd’hui d’organisation criminelle – quand elle ne se constituait auparavant que d’un regroupement d’hommes d’honneur. Jean-Louis Bricquet explique que cette mafia est soutenue par « la classe dominante sicilienne (qui cherche par là à conserver, même indirectement, son pouvoir autonome de contrôle sur la société locale) » . Ces tensions existent donc aussi bien entre l’État italien et cette région, qu’entre les différentes classes sociales existants au sein de la région. Deborah Puccio-Den explique l’installation de ce pouvoir mafieux avec le soutien des propriétaires des terres agricoles siciliennes :

Confrontés à la pression des mouvements paysans pour la redistribution des terres, les propriétaires terriens engagent des « médiateurs violents » qui s’en prennent aux agriculteurs occupant les terres, aux syndicalistes organisant ces mouvements sociaux et aux citoyens (avocats, journalistes, fonctionnaires) défendant le bien-fondé des revendications paysannes.

Une organisation criminelle difficile à définir

Raimando Catanzaro explique les cellules mafieuses de la Cosa Nostra à travers cette dénomination de « cosche » qui signifie « feuilles d’artichaut » en langage argotique sicilien et qui est utilisé par la mafia. Son fondement est sa considération en tant que famille. Elle n’est pas choisie par les liens du sang mais par les valeurs communes partagées, et regroupent dix « soldats » qui élisent alors une autre personne appelée « capodecina » qui fera figure d’autorité sur cette cellule. Il existe donc plusieurs familles et dès qu’elles sont au nombre de trois sur un territoire, cela constitue un canton. Un chef sera alors élu pour régir ce canton et fera partie d’une organisation collégiale avec d’autres chefs de canton. Pour intégrer la mafia, de nombreux rites et symboles doivent être adoptés par les néophytes. Cette entrée particulière dans l’organisation nous montre le caractère sacré de sa formation et de son fonctionnement souvent représenté dans les productions médiatiques, et ainsi sa dénomination comme une organisation secrète et régie par des règles définies et communes à tou·te·s. Néanmoins, nous pouvons déjà observer un premier biais dans sa représentation dans l’imaginaire populaire aujourd’hui : il n’existe pas de grand chef qui dirige toutes ces cellules.

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Table des matières

Introduction
Première partie La circulation sociale et médiatique de l’expression de la mafia à travers son histoire de 1800 à nos jours
1. Un dévoilement social et médiatique de l’expression mafia dans un contexte étatique particulier en Italie (1800-1972)
1.1. Une origine incertaine de la mafia au XIXème siècle
1.2. La création de l’État italien comme clé de lecture
1.3. Une organisation criminelle difficile à définir
1.4. Une étendue de la mafia au XXème siècle jusqu’aux Etats-Unis
2. Du retentissement mondial du film Le Parrain à la qualification juridique du « crime mafieux » dans un contexte de politique anti-mafia en Italie (1972-1986)
2.1. Le mythe d’une « bonne mafia » à travers Le Parrain
2.2. Quand la mafia réutilise les codes émis par Le Parrain
2.3. Une nouvelle lecture de la mafia par les anthropologues dans les années 1970
2.4. 1982, la catégorisation judiciaire du délit d’association mafieuse
3. Le maxi-procès de palerme ou l’escalade de tension entre la mafia et la justice contribuant à la visibilité médiatique de la mafia de manière internationale (1986-2020)
3.1. 1986, tournant de la lutte anti-mafia
3.2. Du silence à la parole de repentis : le déclin de Cosa Nostra
3.3. La multiplication des scandales mafieux révélés dans la presse internationale
3.4. La polémique des séries télévisées sur la mafia
3.5. La circulation d’objets médiatiques au sein de la mafia
Deuxième partie Deux exemples de la spécificité sérielle : Peaky Blinders et Gomorra
1. Une représentation fondée sur la tension entre tradition et modernité
1.1. La famille : ciment de l’organisation ébranlée par l’essor d’individualités
1.2. Un contexte social favorisant la complexité du système mafieux
1.3. L’argent, symbole de la réussite sociale et de la déchéance humaine
1.4. La représentation des masculinités : entre virilité et fragilité des mafieux
2. Mafia et État : deux entités ambiguës au fonctionnement similaire
2.1. L’usage de la violence comme signature de leur organisation
2.2. Leurs interactions : expression d’un jeu de communication
2.3. Deux organisations qui intègrent les mêmes codes
Troisième partie La mafia, clé du succès pour les industries culturelles
1. Un format médiatique conçu pour son public
1.1. La série, comme relecture du mythe
1.2. Le feuilleton sérialisant comme outil de fidélisation
1.3. La particularité du dispositif : l’émergence de la niche
2. La médiagénie de la mafia
2.1. Un récit riche de mécaniques complexes
2.2. La présence d’une tension narrative
2.3. La création de personnages vraisemblables
3. Une circulation au sein d’autres industries culturelles : l’exemple du rap français
3.1. Une métaphore des banlieues : Gomorra
3.2. Tommy Shelby ou l’incarnation d’une icône
3.3. La fétichisation de la mafia
Conclusion
Bibliographie
Sitographie

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