Trouble du Spectre Autistique et Dysphasie Sémantique-Pragmatique

Sally et Anne. Anne et Sally… ou l’histoire de deux petites filles et d’une balle qui, l’air de rien, fait couler beaucoup d’encre depuis maintenant presque quarante ans. Comment imaginer en effet que, pour certains individus, il soit impossible de faire abstraction de ce qu’ils ont vu ou entendu, de se décentrer, pour permettre de répondre à cette question pourtant toute simple : « Où Sally ira-t-elle chercher la balle ? »

Sous ses airs un peu naïfs, cette épreuve révèle en réalité l’atteinte d’une aptitude cognitive cruciale dans le développement social de l’individu : la théorie de l’esprit. Cette compétence essentielle aux interactions sociales consiste à savoir reconnaître ses propres états mentaux, à en attribuer de différents à autrui et ainsi à comprendre ou à prédire leur comportement. Il s’avère que de nombreuses études publiées ces dernières années s’accordent à dire que cette compétence fait défaut à certaines catégories de population, et notamment les personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme ou une dysphasie sémantique pragmatique. Or, le diagnostic différentiel entre ces deux pathologies reste encore aujourd’hui compliqué à poser, tant les symptômes en sont voisins… Pourtant, poser ce diagnostic est essentiel dans la mise en place d’une rééducation la plus efficace possible pour ces patients.

Théorie de l’esprit

Définition

Le terme de « théorie de l’esprit » apparaît pour la première fois à l’initiative de Premack et Woodruff, en 1978. Ces auteurs évoquent alors la connaissance que semblent posséder les chimpanzés à propos des états intentionnels des sujets animés (2). Depuis leurs travaux, les recherches au sujet de la théorie de l’esprit sont florissantes. S’il est apparu il y a une quarantaine d’années, le terme de «théorie de l’esprit » est « désormais entré dans la terminologie courante pour se référer à ce domaine du savoir psychologique qui capte la capacité à attribuer des états mentaux, intentions, désirs et connaissances, à soi-même et à autrui, de voir les siens comme possiblement différents de ceux des autres, et d’en tirer les conséquences qui vont retentir sur son propre comportement et sur l’interprétation du comportement d’autrui. » (3). Nous pouvons compléter cette définition de Veneziano avec les travaux de Shamay-Tsoory et al., selon lesquels une partie de la « théorie de l’esprit » implique aussi une réflexion sur ses émotions propres et sur celles d’autrui, et serait liée aux capacités d’empathie (4). Pour Premack et Woodruff, l’empathie serait d’ailleurs une théorie de l’esprit restreinte, limitée aux motivations d’autrui et ne s’intéressant pas à sa cognition. Nous faisons le choix d’utiliser l’acronyme TOM – pour « Theory Of Mind » soit « Théorie De l’Esprit » – pour référer à la théorie de l’esprit dans notre travail, afin d’en fluidifier la lecture. Les différentes études témoignent du caractère composite de la TOM, en montrant combien les résultats peuvent être variables selon les épreuves proposées, tant sur le plan inter individuel que sur le plan intraindividuel. Une première distinction peut être faite entre TOM cognitive et TOM affective. La première, aussi appelée TOM froide, consiste en la méta-représentation (modèle de découplage de Leslie (5)), compétence cognitive permettant de distinguer la description des états mentaux de celle du monde réel. La seconde, dite TOM chaude, concerne la signification sociale et émotionnelle des intentions d’autrui pour l’observateur (6). Pour Westby, cette TOM affective a deux composantes : la composante affective cognitive, ou empathie cognitive, qui concerne la capacité à reconnaître les sentiments des autres, et l’empathie affective qui fait référence à la capacité « d’expérimenter » les émotions d’autrui. Cette dernière est suscitée par la perception ou la déduction de l’état affectif d’autrui et ne doit pas être confondue avec l’imitation ou la contagion émotionnelle (7). Les TOM affective et cognitive présentent plusieurs stades de développement : la TOM de premier ordre est la première étape dans le processus de décentration d’un sujet par rapport à sa propre vision du monde, à sa propre perspective (8) ; à ce stade, l’individu est capable de penser ce qu’autrui est en train de penser ou de ressentir. Il s’agit d’un raisonnement du type « Je pense que X pense/ressent… ». Bien qu’étant seulement la première étape de développement de la TOM, elle n’en est pas moins coûteuse sur le plan cognitif puisqu’elle demande de se détacher de son propre point de vue pour envisager celui d’un autre, recrutant ainsi de nombreuses fonctions exécutives telles que l’inhibition, la flexibilité mentale (switching) ou encore la mise à jour d’informations dans la mémoire de travail (updating) (9).

L’un des moyens de tester cette TOM de premier ordre a été introduit par Wimmer et Perner dans leur étude princeps sur les fausses croyances. Il s’agit de l’histoire de Maxi qui veut récupérer du chocolat qu’il a rangé à un endroit mais qui a été déplacé en son absence. On demande alors à l’enfant : « Où Maxi va-t-il chercher le chocolat? », ce qui met en concurrence sa vision du monde et celle du protagoniste, testant ainsi sa théorie de l’esprit. Dans cette étude, les enfants de moins de quatre ans ne sont pas capables d’accéder à ce point de vue qui n’est pas le leur et répondent en fonction de leurs propres connaissances (10).

Développement typique 

Au fil de leurs recherches, de nombreux auteurs ont nourri nos connaissances en matière de développement typique de la TOM. Ainsi, Coricelli considère que la TOM évolue d’une forme basique
– mais spécialisée – de cognition sociale, vers une forme plus sophistiquée d’intersubjectivité (14). Il introduit alors l’idée que la TOM évoluerait selon deux niveaux :
– Le premier niveau est un phénomène automatique, pré-conceptuel et inconscient, basé sur l’imitation précoce et la reconnaissance d’actions et d’émotions.
– Le second niveau, conceptuel et volontaire, est basé sur l’intentionnalité, l’empathie et des raisonnements plus complexes.

D’autres auteurs nous donnent des tranches d’âge d’acquisition des diverses composantes de la TOM. Tout d’abord, chez le sujet tout-venant, la TOM est certainement en place dès l’âge de dix-huit mois (15). L’apparition de la TOM à proprement parler à cet âge est d’ailleurs concomitante à celle du fairesemblant (5) et à celle de l’attention conjointe (16). En outre, une TOM efficiente ne serait rendue possible que par la mise en place préalable d’une capacité de méta-représentation, et donc d’un jeu de faire-semblant. En effet, les enfants autistes présentant un déficit de leur capacité de faire-semblant présentent aussi un déficit en TOM (5).

Dans leur étude, explorant par le biais de quatre expériences successives les capacités d’attribution de fausses croyances et de constructions d’énoncés trompeur ou véridique en fonction de ces croyances, Perner et Wimmer concluent que «l’habileté qui semble émerger et s’établir fermement entre quatre et six ans » ne peut pas être imputée uniquement à une augmentation des capacités mnésiques et des capacités de traitement central (10). En effet, cette habileté à comprendre les croyances d’une autre personne et comment elle réagira sur la base de ces croyances, ainsi que la compréhension de la tromperie, semblent être de nouvelles capacités cognitives au fonctionnement particulier, et qui s’établissent au cours de ces deux années. Christopher et Uta Frith évoquent eux aussi un bond développemental concernant la TOM, entre quatre et six ans. Ainsi, si la compréhension des énoncés de « fausses croyances » est la marque de l’acquisition d’une TOM chez les enfants de quatre ans (17), ce ne serait qu’à partir de l’âge de six ans que nous pourrions considérer l’enfant comme ayant une véritable compréhension explicite des états mentaux et de leur implication dans les comportements d’autrui (15). En somme, la mise en place de la TOM de premier ordre – celle qui consiste à inférer l’état mental d’une seule personne, et qui permet donc de comprendre que différentes personnes peuvent avoir différentes pensées autour d’une même situation (18) – s’établit vers l’âge de quatre ans (10). La mise en place de la TOM de premier ordre serait suivie de celle de la TOM de second ordre – celle impliquant des états mentaux imbriqués du type « John pense que Marie pense que… » (18) –, à partir de l’âge de six ans (10). Même s’ils avancent qu’avant cet âge les enfants ne sont pas capables de comprendre les fausses croyances de second ordre, Perner et Wimmer nuancent leur propos, en évoquant en parallèle que certaines formes d’états épistémiques peuvent être compris avant cet âge. Ils soulignent de plus qu’alors même que l’inférence est incitée et que des conditions optimales sont réunies pour permettre à l’enfant d’inférer correctement une croyance de second ordre, cette inférence ne se produit spontanément que dans la moitié des cas chez des enfants âgés de sept ans (13).

Liens avec le langage 

De nombreux auteurs se sont questionnés sur le lien rapprochant la TOM et le langage. Pour Astington et Jenkins, la relation entre ces deux notions est unidirectionnelle, non réciproque : la TOM dépend du langage. En effet, les compétences langagières à un moment donné permettent de prédire les compétences en TOM ultérieures. Les auteurs précisent la nature de cette relation, en affirmant que cette prédiction repose en particulier sur les habiletés syntaxiques (22). De plus, pour une tâche de TOM donnée, de type fausse croyance de premier ordre, si les enfants toutvenants réussissent vers l’âge de quatre ans, les enfants autistes, eux, réussiront plutôt vers l’âge de neuf ans, lorsque leur compétence langagière s’améliore. Autrement dit, les habiletés verbales, qui donnent un âge mental verbal, sont un bon prédicteur et un fort corrélat de la compétence en TOM, chez les enfants tout-venants comme chez les enfants autistes (23). D’autres auteurs partagent ce point de vue en ce qui concerne les enfants présentant un trouble spécifique du langage oral – TSLO. L’ensemble des capacités linguistiques se développant de concert, elles sont toutes essentielles au développement d’une TOM, ayant chacune leur place dans la mise en place d’une compétence permettant d’interpréter les actions d’autrui. Pourtant, la place toute particulière de la compétence grammaticale est spécifiquement soulignée, et semble être le domaine linguistique le plus finement lié à la TOM (24) ; (25).

Ainsi, Miller, dans une des rares études s’intéressant aux capacités en TOM des enfants présentant un TSLO, présente deux versions de l’hypothèse du lien étroit entre TOM et langage :
– La première version, dite « forte », affirme que certaines compétences langagières sont nécessaires pour se représenter des états mentaux. En effet, ces derniers sont en général exprimés par un verbe introduisant une subordonnée complétive : « penser, croire, prétendre… », tournure grammaticale d’accès complexe qui pourrait représenter un écueil pour les enfants avec TSLO, les empêchant d’être performants dans les tests de TOM. De Villiers et Pyers affirment ainsi qu’il est nécessaire de maîtriser le principe des subordonnées enchâssées pour être capable d’analyser les énoncés de fausses croyances (26).
– La seconde version, dite « faible », avance que, parce que les tests de fausses croyances sont souvent présentés à l’oral, ils requièrent un certain niveau de langage pour les résoudre, ce qui pénalise encore une fois les enfants présentant des troubles du langage.

Pour le prouver, Miller adapte les tâches de fausses croyances, de manière à ne pas utiliser de tournure grammaticale complexe, permettant ainsi de s’affranchir des exigences linguistiques de l’exercice. Les enfants présentant un TSLO semblent alors avoir des performances en TOM comparables à celle des témoins, n’étant plus entravés par la complexité linguistique de l’énoncé, ce qui vient confirmer les deux versions de l’hypothèse (27).

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Table des matières

Introduction
I. Bases théoriques
1. Théorie de l’esprit
1.1. Définition
1.2. Développement typique
1.3. Liens avec le langage
1.4. Evaluation
2. Terminologie et classifications
2.1. Evolution
2.2. Limites
2.3. Trouble du spectre autistique
2.4. Dysphasie sémantique-pragmatique
II. Problématique
III. Hypothèses
IV. Méthodologie
V. L’évaluation des compétences en théorie de l’esprit permet de préciser le diagnostic différentiel entre TSA et DSP
1. Spécificité et universalité des troubles de la TOM chez les enfants TSA
2. Caractéristiques des troubles de la TOM chez les enfants TSA
3. Caractéristiques des troubles de la TOM chez les enfants TSLO
4. Comparaison des performances en TOM des enfants TSA et des enfants TSLO
VI. Une rééducation ciblée de la théorie de l’esprit permet d’améliorer les compétences communicationnelles et interactionnelles
1. Pourquoi rééduquer la TOM ?
2. Quelle(s) modalité(s) de rééducation adopter ?
3. Quels axes privilégier ?
4. Quels supports utiliser ?
5. Accompagnement parental
Proposition d’un protocole de rééducation de la théorie de l’esprit En séance
A la maison (accompagnement parental)
Conclusion
Bibliographie

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