Travail social hors-murs

Travail social hors-murs

LIENS AVEC LE TRAVAIL SOCIAL

Malgré mon expérience professionnelle limitée, j’ai pu me rendre compte que la personne migrante doit apprendre de nouvelles normes, une nouvelle langue, de nouvelles lois ainsi que trouver un travail. Il n’est pas forcément évident d’accomplir tout cela tout-e seul-e. Notre formation en travail social nous donne des outils pour pouvoir aider ces personnes à s’intégrer, mais nous ne sommes qu’un maillon : nous avons besoin de collaborer avec d’autres métiers.Durant ma formation à la HES, j’ai appris l’importance des lieux de rencontre qui permettent aux personnes de se retrouver et d’échanger, notamment les cafés ou les places de jeux pour enfants. Pendant ma première formation pratique, mes collègues m’ont parlé d’un quartier regroupant des personnes issues de cultures diverses. Ce quartier n’a ni café, ni place de jeu. L’ambiance entre les habitant-e-s n’est pas des plus plaisantes et il y a beaucoup de problèmes de voisinage. Mes collègues se sont rendu-e-s sur les lieux dans l’objectif de sonder les personnes et de voir s’il était possible d’améliorer ces conditions. J’ai alors réalisé que notre responsabilité, en tant que travailleur ou travailleuse social-e, n’est pas uniquement de créer du lien au sein d’un quartier ou de soutenir les personnes dans leurs différentes démarches. Il s’agit aussi de permettre à tout un chacun de s’exprimer et de favoriser la cohabitation interculturelle.
Au moment de choisir un sujet pour mon travail de Bachelor, j’ai d’abord pensé à un thème qui tournerait autour des migrant-e-s et de leur intégration. Ayant moi-même comme projet de partir pour une certaine durée au Canada, je me suis imaginé les obstacles auxquels je 12 pourrais faire face : la culture, les moeurs, la langue, ou du moins certaines expressions typiquement canadiennes, etc. Les migrant-e-s sont également confronté-e-s à tous ces aspects, mais il en existe tant d’autres plus spécifiques à leur situation. En réfléchissant à tout cela, il m’est alors venu la question suivante : « comment une personne migrante peut-elle s’intégrer si, comme en Suisse, son permis de séjour peut changer d’un moment à l’autre, ayant pour conséquence qu’elle puisse être renvoyée chez elle du jour au lendemain ? ». En Suisse, il existe plusieurs catégories de migrant-e-s pouvant obtenir différents statuts et permis de séjour, conformément à la loi fédérale sur l’asile (LAsi) et la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) (Le Conseil fédéral, s.d.). Ces permis déterminent les droits et devoirs auxquels les étrangères et les étrangers ont accès. Les personnes demandant l’asile ont en premier le permis N, puis elles reçoivent, selon les situations, les permis B ou C lorsqu’elles ont obtenu l’asile. Si les personnes étrangères sont admises provisoirement, le permis F leur est octroyé. Tandis que si elles sont en danger dans leur pays, qu’elles doivent fuir et qu’elles viennent se réfugier en Suisse, elles bénéficient du permis S (Kurt, 2019). Cependant, dès qu’elles peuvent rentrer chez elles en toute sécurité, elles doivent le faire. Comment une personne peut-elle s’intégrer alors qu’elle ne sait pas si elle va rester en Suisse pendant 1 mois, 2 ans ou 50 ans ? En pensant à tous ces aspects de la migration, j’ai aussi pris conscience que, pour ces personnes, il fallait réapprendre à vivre avec de nouveaux codes sociaux. Par exemple, alors que dans le pays d’origine il est malpoli de regarder une personne dans les yeux, du jour au lendemain, c’est l’inverse. Assimiler une autre culture tout en ne trahissant pas la sienne, voilà un challenge qui m’impressionne et que j’aimerais, en tant que travailleuse sociale, pouvoir soutenir. Tous ces éléments m’ont beaucoup questionnée et m’ont permis de formuler ma question de départ et les objectifs visés dans ma recherche.

QUESTION DE DÉPART ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

Ma première formation pratique m’a permis de me rendre compte que les cultures se mélangent de plus en plus et que la cohabitation entre elles n’est pas toujours des plus optimales. Petit à petit, en laissant libre cours à mes questionnements et mes intérêts, j’ai retenu la question de départ suivante : Quel est le rôle d’un travailleur social ou d’une travailleuse sociale dans la cohabitation et la multiculturalité ? Cette thématique est large et appelle à une certaine quantité de pistes de recherches différentes. Afin de la cibler un peu plus, j’ai posé les deux objectifs prioritaires suivants :
• Déterminer les enjeux professionnels d’un travailleur social ou d’une travailleuse sociale en lien avec la cohabitation et la multiculturalité.
• Connaître les limites professionnelles d’un travailleur social ou d’une travailleuse sociale en lien avec la cohabitation et la multiculturalité.
« Cohabitation », « multiculturalité » sont des termes de plus en plus courants, cependant nous ne savons pas toujours ce qu’ils impliquent, comment les définir. La cohabitation est définie par le dictionnaire Larousse comme étant « le fait de vivre ensemble ; coexistence» (Larousse, s.d.). Si les cultures sont amenées à cohabiter, elles sont aussi amenées à coexister. C’est-à-dire qu’une ne prend pas le dessus sur l’autre. Cela implique de laisser de la place à toutes les cultures présentes. Celles-ci peuvent parfois avoir des pratiques contradictoires et il peut y avoir des incompréhensions entre certains individus. La définition donnée par le dictionnaire Larousse du multiculturalisme est : la « Coexistence de plusieurs cultures, souvent encouragée par une politique volontariste », ou encore un « Courant de pensée américain qui remet en cause l’hégémonie culturelle des couches blanches dirigeantes à l’égard des minorités (ethniques, culturelles, etc.) et plaide en faveur d’une pleine reconnaissance de ces dernières » (Larousse, s.d.). La première définition nous rappelle celle de la cohabitation : permettre à deux cultures de pouvoir exister et de vivre ensemble. La seconde, en revanche, apporte un tout nouvel aspect. Il s’agit de se battre pour que les minorités soient reconnues, légitimées. Et ce n’est pas toujours évident, certaines personnes ayant peur de l’inconnu-e, de ce qu’elles ne connaissent pas. Nous pouvons imaginer que ces réticences sont basées sur des préjugés et des stéréotypes, ou la peur de perdre une partie de son identité nationale ou régionale. Tous ces éléments seront approfondis par la suite. En effet, la réponse à la question de départ et l’atteinte des objectifs posés exige le traitement de plusieurs concepts, notamment le multiculturalisme, la cohabitation, l’altérité, l’identité nationale/régionale et le travail social hors-murs. Il en est précisément question dans le cadre théorique qui suit.

CADRE THÉORIQUE

MULTICULTURALISME

Le multiculturalisme a pris une certaine ampleur à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il y a eu beaucoup d’immigrant-e-s engendrant une plus grande diversité sociale dans laquelle les minorités ont dû se faire une place. En instaurant des droits communs à tous et à toutes, les sociétés essayent d’établir l’égalité. C’est la naissance des droits de l’homme (Mathieu, 2017). Le terme « multiculturalisme » est généralement utilisé dans deux contextes biendistincts. En premier lieu, il peut désigner le fait que plusieurs cultures cohabitent dans un territoire défini. Il s’agit là de l’utilisation courante du mot. La deuxième signification fait référence à un concept politique qui veut que nous donnions des droits aux minorités, aux différentes cultures locales (Nowicki, 2010). Charles Taylor (1994), cité par Felix Mathieu, affirme qu’être égalitaire ne signifie pas appliquer le même traitement à tout le monde, mais reconnaître les différences, être équitables et s’assurer que personne ne subisse de discrimination liée à la différence ethnoculturelle (Mathieu, 2017). Les autorités de la ville ont un fort impact sur le multiculturalisme. Elles peuvent certes l’encourager au niveau politique en l’insérant dans la loi, mais également la soutenir grâce aux infrastructures mises en place. François Boucher (2016), citant Kristin R. Good (2009), affirme que les gouvernements municipaux sont les principaux acteurs politiques du multiculturalisme. Ce sont eux en effet qui choisissent l’aménagement de leur municipalité, et cet aménagement peut favoriser ou non la rencontre entre les cultures et aider ainsi à l’intégration et à la cohabitation. Partout dans le monde nous sommes confronté-e-s au multiculturalisme et chaque pays y fait face à sa manière. Cependant, comme le multiculturalisme possède plusieurs définitions, cela ne facilite pas les discussions autour de cette thématique. Felix Mathieu a proposé une clarification du terme basée sur quatre niveaux conceptuels. Il affirme que nous avons la preuve que chaque communauté possède en son sein plusieurs cultures. Cette affirmation est pour lui le premier des quatre niveaux conceptuels du multiculturalisme. Il l’a appelé : « le fait social de la diversité ethnoculturelle » (Mathieu, 2017, p. 24). Le deuxième niveau, intitulé « le multiculturalisme ou l’interculturalisme comme politique publique » défend l’idée que les autorités mettent en place des programmes publics pour gérer et aménager la diversité ethnoculturelle (Mathieu, 2017, p. 25). Le multiculturalisme est le pilier de l’intégration (Boucher, 2016). S’il est promu au niveau du pays, puis réadapté au contexte de la ville, il permet à tout un chacun d’exprimer son appartenance tout en favorisant le lien social. Le troisième niveau du multiculturalisme juge l’importance que porte un pays à la diversité ethnoculturelle. Cette dernière doit faire intégralement partie du projet national. Mathieu a nommé ce niveau « le multiculturalisme ou l’interculturalisme comme imaginaire social » (Mathieu, 2017, p. 26). 16 « Le multiculturalisme ou l’interculturalité comme pluralisme » est le dernier niveau identifié par Felix Mathieu. Il nous questionne sur notre discours : comment argumentons-nous notre politique multiculturaliste ? Sur quelles bases nous appuyons-nous ? Pour en revenir à notre thématique, nous pouvons voir que le multiculturalisme implique de la cohabitation entre les différentes cultures. Et s’il peut être soutenu par les autorités politiques, nous pouvons imaginer qu’il en est de même pour la cohabitation. En effet, si nous le favorisons, il est essentiel que les différentes cultures puissent vivre ensemble. C’est pour cette raison que nous pouvons poser l’hypothèse que les niveaux de Mathieu (2017) à propos du multiculturalisme pourraient aussi s’appliquer à la cohabitation culturelle. Cependant, Boucher relève une peur susceptible d’être induite par le multiculturalisme. Nous pourrions penser qu’il mène « à l’effritement du lien social, de la solidarité et de la cohésion sociale » (Boucher, 2016, p. 64). Cette peur viendrait du fait que les « défenseurs du multiculturalisme » ne favorisent pas forcément les échanges entre les différentes cultures mais mettent en avant les différences entre celles-ci. En mettant l’accent sur ces différences, nous mettons de la distance entre les cultures. Lorsque nous parlons de multiculturalisme, plusieurs cultures se rencontrent. Dans l’étude menée par Annick Germain (Germain, A., Leloup, X., Radice, M., 2014), il ressort qu’il n’est pas évident de parler de la différence et de la diversité sans paraître raciste. Nous utilisons alors des termes tels que « ethnie » et «multiculturel ». Ils nous permettent de différencier la majorité des minorités sans avoir à les nommer. Que nous faisions partie d’une majorité ou d’une minorité, nous sommes à tout moment confronté-e-s à des pratiques et des coutumes que nous ne comprenons pas ou ne connaissons pas. En d’autres termes, nous faisons alors face à l’altérité.

ALTÉRITÉ

L’autre, la personne inconnue fait peur. Nous ne voulons pas aller vers elle. Nous ne la comprenons pas. Elle est définie par Nowicki comme étant celle « qui ne fait pas partie du groupe » (Nowicki, 2010, p. 51). Selon l’auteure, l’autre est vu comme une menace. Nous nous croyons supérieurs à elle ou à lui et, de ce fait, nous essayons de l’inférioriser. Une des manières d’y arriver est de véhiculer des préjugés sur les différentes populations. Les préjugés proviennent des stéréotypes. Les stéréotypes se transmettent de génération en génération et traduisent une représentation générale. Par exemple, un stéréotype sur les Suisses-ses est qu’elles et qu’ils sont toujours à l’heure. Le stéréotype a un aspect neutre : ce n’est ni bien ni mal d’arriver à l’heure. Le préjugé, quant à lui, est plus négatif. Il fait appel à l’émotif, au cognitif. Par exemple, « tout ce que les femmes savent faire, c’est cuisiner et nettoyer ». Il y a un jugement derrière cet exemple. Dans ce cas, il est négatif, mais il peut aussi être positif.
Lorsque le préjugé conduit à une réaction comportementale négative, il s’agit d’une discrimination. Si nous pensons que les Arabes ne peuvent pas s’empêcher de voler, nous n’allons pas leur faire confiance et toujours contrôler si toutes nos affaires sont avec nous (Pitarelli, 2017). Nowicki parle justement de trois composantes qui expliquent la différence entre stéréotype, préjugé et discrimination. La première est appelée « cognitive ». Elle fait appel à tout ce qui a trait aux idées, aux représentations. Il s’agit du stéréotype. La seconde rajoute un côté émotionnel à cette idée. Elle est nommée « affective » et fait référence au préjugé. La dernière composante, « comportementale », fait référence à la discrimination (Nowicki, 2010, p. 59). Ce processus permet de nous rassurer, car ce que nous ne connaissons pas fait peur et nous avons tendance à l’exclure par réflexe. Pour Kymlicka (2007), cité par Boucher (2016), une intégration est réussie lorsque la personne migrante n’est plus considérée comme une menace. Pour tendre à cela, l’auteur pose une hypothèse : les interactions réduiraient les préjugés. Plus nous échangeons avec les personnes, plus nous apprenons à les connaître réellement en faisant abstraction des préjugés. Les interactions favorisent l’acceptation d’une autre société. Cependant, François Boucher (2016) émet une contre hypothèse : les conditions optimales pour ce genre de résultats peuvent être réunies uniquement dans un laboratoire. Il reprend aussi Robert Putnam (2007) qui affirme que les interactions peuvent aussi renforcer toute cette méfiance d’un groupe vis-à-vis d’un autre. Une autre alternative, selon Allport (1954) cité par Boucher (2016), est que les groupes se côtoient longtemps. Selon lui, pour qu’il n’y ait pas de préjugés entre les groupes, il est nécessaire qu’ils se fréquentent longtemps, qu’ils aient le même statut social, les mêmes buts et qu’ils bénéficient d’un soutien institutionnel. En d’autres mots, il faut dépasser un certain choc culturel et cette menace que nous ressentons face à une personne étrangère. Margalit Cohen-Emerique (2006) écrit, dans « Travail social et immigration : interculturalité et pratiques professionnelles » que les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales horsmurs (TSHMS) sont également confronté-e-s à ce choc culturel, cette insécurité que provoque l’inconnu-e. Un des points centraux de cette insécurité est le rapport que chaque culture a avec le corps, que ce soit par les vêtements, les rituels ou encore la manière de se mouvoir. Lorsque nous sommes confrontés à un rapport au corps différent du nôtre, notre « intégrité corporelle » (Cohen-Emerique, 2006, p. 266) peut-être menacée, nous pouvons être troublé-e-s par la situation. D’autres éléments peuvent venir perturber l’identité professionnelle. Par exemple, si des personnes parlent leur langue maternelle devant le travailleur ou la travailleuse social-e, celleci ou celui-ci pourrait ne pas comprendre ce qui se passe et pourrait avoir l’impression de perdre le contrôle sur la situation et qu’on ne lui dit pas tout. Cela peut conduire à un malaise, un blocage (Cohen-Emerique, 2006). Tous ces éléments, entre autres, provoquent chez les professionnel-le-s du travail social confronté-e-s à l’altérité un mécanisme de défense. Ce mécanisme va leur permettre de retrouver une certaine image d’elles-mêmes et d’eux-mêmes, ainsi que de leur valeur professionnelle. Mais en contrepartie, elles et ils vont se renfermer sur elles-mêmes et eux-mêmes et se fermer à la compréhension de l’autre, qui est pourtant la base de leur travail. Mais qui sont ces professionnel-le-s qui côtoient les immigré-e-s, les étrangers 18 et les étrangères ? Que font-elles et que font-ils ? Quels sont leurs rôles ? C’est ce que nous allons essayer de découvrir dans le prochain chapitre.

TRAVAIL SOCIAL HORS-MURS

Selon Christophe Boulé (2017), l’origine historique du travail social est la charité. Au départ, les soeurs s’occupaient des malades, des orphelinats et petit à petit, leur rôle a changé pour tendre de plus en plus vers le travail social comme nous le connaissons aujourd’hui. Tout au long de cette évolution, la profession a été influencée, selon Elizabeth Harper et Henri Dorvil (2013), par plusieurs théories d’autres disciplines et l’impact des problèmes sociaux. Ces auteur-e-s ajoutent même que ce sont les changements économiques qui influencent de manière significative le mode de vie des personnes, les problématiques sociales qui peuvent en découler et, in fine, les réponses sociopolitiques qui y sont apportées. Depuis sa naissance, le rôle du travail social a grandement évolué. Henri Dorvil et Sarah Boucher-Guèvremont (2013) affirment que les TSHMS ont aujourd’hui l’objectif de résoudre au cas par cas l’équation qui se trouve à l’intersection de deux réalités de départ : « minimiser les conditions sociales indésirables et maximiser les conditions sociales idéales » (Dorvil, H. et Boucher-Guèvremont, S., 2013, p. 19). Répondre à ce problème social est complexe et touche plusieurs disciplines, notamment la sociologie et les politiques sociales. La sociologie tente de comprendre le mécanisme général du problème social, alors que le travail social essaie d’y répondre au cas par cas. Chaque situation étant unique et plus ou moins complexe, il est nécessaire pour les professionnel-le-s de s’entourer des personnes adéquates car il est impossible de tout connaître. De par leurs parcours personnels, professionnels et leurs formations, les professionnel-le-s peuvent être des expert-e-s dans un domaine ou dans un autre. Les professionnel-le-s du travail social qui nous intéressent particulièrement ici sont les TSHMS. Le travail social hors-murs (TSHM) prend de plus en plus d’ampleur, bien que peu de personnes connaissent réellement son rôle. Vincent Artison (2010) a écrit, dans la revue d’information sociale en ligne Reiso, que le TSHM « a pour objectif principal d’accroître l’émancipation et la qualité de vie des populations rencontrées dans la rue et/ou leur milieu de vie ». Pour arriver à leurs fins, les TSHMS rencontrent les populations des différents quartiers et essaient d’établir un lien avec elles. Une fois ce lien établi, les TSHMS deviennent des personnes de référence et peuvent ainsi participer à l’amélioration de la vie du quartier, de la ville, etc. Les TSHMS sont en lien avec toutes les personnes de la région dont elles et ils dépendent. En effet, il se peut que les professionnel-le-s soient amené-e-s à collaborer avec les politiques, les enseignant-e-s, les architectes, etc., car tous ces corps de métier peuvent, à leur niveau, améliorer la qualité de vie des habitant-e-s (Artison, 2010). Castel (2008), cité par Edwin de Boevé et Jean Blairon (2017), dit qu’« une société de semblables est une société dans laquelle chacun dispose au moins de ressources et de droits suffisants pour être lié aux autres par des relations d’interdépendance et pour faire réellement partie du jeu social » (Edwin de Boevé,19 Jean Blairon, pp. 70-71). L’auteur entend par là que, pour arriver à une société égalitaire, il est nécessaire que tout le monde puisse, grâce aux droits et aux ressources dont chacun-edispose, participer à la vie sociale, se sentir utile et sache qui solliciter en cas de besoin. Les professionnel-le-s de l’action sociale ayant passablement de relations, elles et ils peuvent aisément mettre en lien les habitant-e-s, les politicien-ne-s, les artisan-e-s, etc. Du moins, cela fait partie des missions qui leur sont habituellement confiées. Dans la citation d’Edwin de Boevé, il est dit que nous pouvons tous et toutes avoir au moins un minimum de droits. C’est également dans l’esprit du TSHM que de redonner du pouvoir d’agir1 aux minorités, aux populations exclues. Le livre « Le travail social de rue, entre luttes, résistances et mobilisations », qu’il a écrit avec Jean Blairon (2017), traite principalement du TSHM en lien avec la précarité. Certains de leurs propos peuvent aussi s’appliquer aux personnes migrantes. Les auteurs affirment que si nous forçons les personnes à s’adapter à notre société, nous ne faisons que renforcer les difficultés qu’elles ont à assimiler notre culture. Il est nécessaire de se poser les bonnes questions et de réellement cerner tous les enjeux relatifs à la situation. Ce serait, entre autres, l’un des rôles des professionnel-le-s. En effet, les théories du travail social ne sont pas applicables au terrain sans les adapter au contexte. Les TSHMS ont précisément comme objectif de s’adapter à la réalité unique à laquelle elles et ils font face (Laurent Wicht, 2017). Le référentiel du travail social hors-mur soutient que, dans cette réalité, plusieurs acteurs et actrices ont leur mot à dire. Tout d’abord, il y a l’institution pour laquelle les TSHMS travaillent et la population pour laquelle les professionnel-le-s ont été engagé-e-s. Le but étant notamment de « répondre à un besoin social repéré dans la collectivité et de le mettre à l’agenda politique par le biais des mécanismes institutionnels » (Laurent Wicht, p. 19) pour ainsi pouvoir avoir un impact au niveau politique. De plus, les TSHMS doivent satisfaire plusieurs demandes parfois contradictoires, ce qui les met dans des situations complexes. Pour pouvoir assumer ces situations, elles et ils se basent non seulement sur des concepts théoriques, mais aussi sur des documents propres au métier tels que la charte des TSHMS romand, le référentiel Métier, etc., ou sur des bases légales. En ce qui nous concerne, la question du rôle du TSHM dans la cohabitation sociale et la multiculturalité s’inscrit dans le cadre légal traitant de l’intégration. Nous nous y arrêterons un moment dans le prochain chapitre.

INTÉGRATION

Afin de cerner au mieux les enjeux politiques et juridiques d’un tel questionnement, il est essentiel de se pencher sur le fonctionnement national et cantonal de l’intégration. I existe deux lois nationales qui sont particulièrement intéressantes concernant cette thématique : la « loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) du 16 décembre 2005» ainsi que la « loi fédérale sur l’asile (LAsi) du 26 juin 1998 » (Le Conseil fédéral, s.d.). La première des deux 1 Le pouvoir d’agir fait référence au fait d’être apte à prendre des décisions de manière autonome et d’avoir un impact sur sa propre vie. 20 lois règlemente l’entrée et la sortie en Suisse des personnes étrangères, ainsi que leur séjour et le regroupement familial. Elle vise également à encourager leur intégration. La seconde loi traite du statut des réfugié-e-s, de l’octroi de l’asile ainsi que tout ce qui a trait à la protection des personnes en danger dans leur pays.
Plusieurs programmes, nationaux ou cantonaux, découlent de ces deux lois. Au niveau de la Confédération, nous trouvons l’Agenda de l’intégration. Selon le texte « l’Agenda de l’intégration en bref », le domaine de l’asile est structuré afin que « les personnes réfugiées et admises à titre provisoire (ci-après « R/AP ») » (Confédération suisse, 2018, p. 1) puissent s’intégrer plus facilement. Le but est de permettre à ces personnes de trouver du travail plus aisément et ainsi diminuer le nombre de prestataires de l’aide sociale. L’Agenda de l’intégration comporte 5 objectifs. Les deux premiers sont d’ordre linguistique : les R/AP ont une connaissance de la langue qui leur permet de gérer leur quotidien et 80% des enfants des R/AP peuvent se faire comprendre à la maison en parlant dans la langue de la région avant d’entrer à l’école obligatoire. Les 3ème et 4ème objectifs touchent à la formation et au travail : dans la mesure du possible, les jeunes R/PA âgé-e-s de 16 à 25 ans suivent une formation post-obligatoire 5 ans après leur arrivée en Suisse et, idéalement, la moitié des R/PA est intégrée de manière durable dans le marché du travail 7 ans après avoir franchi les frontières suisses. Le dernier objectif est culturel et social. Il prévoit que les R/AP, après 7 ans de vie en Suisse, connaissent le mode de vie suisse et aient des liens avec la population locale. Pour atteindre ces objectifs, l’ordonnance sur l’intégration (Conseil fédéral suisse, 2019) prévoit un processus d’intégration. Celui-ci veut que les R/AP soient accueillies convenablement, informées des attentes en matière d’intégration et qu’un service spécialisé et interdisciplinaire pour les aider à travers les démarches nécessaires leur soit fourni. Il est aussi question que les personnes ayant de fortes chances de rester en Suisse soient prises en charge le plus vite possible afin de les soutenir dans l’apprentissage d’une langue nationale et de les accompagner dans leur recherche d’emploi et de formation. Enfin, il est également mis en avant qu’il ne faut pas négliger les personnes ne pouvant pas, pour une raison ou une autre, avoir accès à ce programme essentiellement axé sur l’employabilité et la formation. L’Agenda de l’intégration tend à prendre en charge les R/AP le plus tôt possible. Mais cela ne suffit pas toujours. Les Programmes d’Intégration Cantonaux sont là pour préciser toutes ces mesures et les mettre en oeuvre au niveau des cantons. Nous allons nous appuyer sur le Programme d’Intégration Cantonal (PIC) 2 du Valais (Mahfoudh, A., Gay, M., Roh, M.-C., Rossier, J., Milici, O., 2017) pour préciser ces éléments. Ce programme est la suite du PIC 1, qui était pensé de 2014 à 2017. Le PIC 2 est planifié de 2018 à 2021. Il est divisé en trois piliers traitant de plusieurs aspects de l’intégration. Pour chacun de ces aspects, plusieurs objectifs ont été posés.
Le 1er pilier concerne tout ce qui est en lien avec l’information et a pour objectif de favoriser le dialogue et la connaissance autour de l’intégration. Il convient avant tout de s’assurer que les migrant-e-s aient accès à toutes les informations concernant leurs droits et les prestations mises à leur disposition. Il s’agit aussi de répondre aux besoins et aux demandes de ces personnes dans les écoles, au sein de la formation professionnelle et dans le domaine du 21 travail. Parallèlement, des actions de prévention contre les discriminations sont menées, notamment durant la semaine contre le racisme. Des cours de sensibilisation sont également donnés pour le personnel de l’Etat du Valais, mais il y a une volonté d’élargir cette sensibilisation à de nouveaux publics. La coordination de tous ces éléments soutient l’intégration de personnes étrangères. Mais pour qu’une intégration soit efficace, il est nécessaire que les personnes arrivant dans notre pays aient les codes sociaux adéquats. Le 2ème pilier du PIC prévoit des cours de langue permettant ainsi d’accéder au code linguistique, donnant ainsi l’opportunité non seulement de se former mais également de travailler. Cependant, suite au PIC 1, il a été observé que les personnes ayant un permis F2 avaient des difficultés à se faire engager. Le PIC 2 désire travailler sur ce point et collaborer de manière plus étroite avec le Service de la population et des migrations (SPM) et le Service de l’industrie, du commerce et du travail (SICT). Ce pilier est également sensible à la petite-enfance et veut former les professionnel-le-s travaillant dans ce domaine pour les familiariser avec le concept de l’intégration. L’objectif, en travaillant sur le préscolaire, est de faciliter l’intégration. Mais être en contact avec des personnes parlant plusieurs langues et ayant plusieurs cultures n’est pas toujours évident. Dans cette optique, le 3ème pilier du PIC soutient l’interprétariat, notamment « le développement harmonieux de l’offre pour l’ensemble du canton » Plus que l’interprétariat, ce pilier vise à promouvoir toutes les actions et les projets qui vont dans le sens du PIC 2 (lutter contre les préjugés, participer à la vie locale, etc.) en sollicitant la population de manière plus générale. Promouvoir l’intégration sur le plan légal est un premier pas. Il est ensuite nécessaire de traduire ces lois sur le terrain et le PIC 2 fournit plusieurs pistes d’action pour parvenir à ses fins. Une piste d’action que nous allons développer en lien avec notre problématique est le soutien à la cohabitation culturelle, qui fera l’objet du chapitre suivant.

PROBLÉMATIQUE

QUESTION DE RECHERCHE

Nous avons vu que le multiculturalisme a notamment pour but de donner des droits aux minorités. Il s’agit d’une politique qui nécessite l’implication des autorités, mais également de la population pour être réellement efficace. Cependant, lorsque nous avons affaire à des cultures que nous ne connaissons peu, nous pouvons être sujet-te-s à des préjugés qui influencent notre jugement, et pas nécessairement positivement. La peur, l’incompréhension et l’ignorance sont courantes face à la personne inconnue. Pour parer à cela, Allport (1954), cité par Boucher (2016), propose une piste d’action : en cohabitant avec ces personnes qui ne nous inspirent pas confiance de prime abord, nous apprenons à les connaître, nous comprenons leurs moeurs et leur culture, nous devenons plus tolérant-e-s et, petit à petit, nous les respecterons. Robert Putnam (2007), également cité par Boucher (2016), n’est pas de cet avis.Pour lui, la cohabitation peut aussi renforcer cette méfiance de base. En conclusion, l’interaction et la cohabitation entre deux groupes ne sont pas évidentes, ni innées et peuvent parfois mener à des tensions. La ou le professionnel-le social-e a, entre autres, comme rôle d’améliorer la qualité de vie de la population pour laquelle elle ou il travaille. Pour y parvenir, il existe plusieurs moyens : créer des liens entre les habitant-e-s ou encore travailler avec des groupes de personnes étrangères afin que celles-ci puissent acquérir certains droits et certaines ressources et ainsi mieux s’intégrer, sans pour autant les forcer à assimiler la nouvelle culture, etc. Nous avons également pu voir que la cohabitation interculturelle n’est pas aisée, et que les TSHMS possèdent des relations et des moyens pour aider les personnes à s’intégrer tout en ne rejetant pas leur culture. Partant de ces différents éléments théoriques, nous en arrivons donc à notre question de recherche :
Comment un travailleur social ou une travailleuse sociale hors-murs favorise-telle ou favorise-t-il la cohabitation interculturelle dans sa pratique professionnelle ? La revue de la littérature qui précède dévoile également plusieurs hypothèses de réponse possibles à cette question. Nous en retenons deux ci-après pour les soumettre à la confrontation des données empiriques.

HYPOTHÈSES

Première hypothèse :

• Les TSHMS favorisent la cohabitation interculturelle en offrant des espaces de rencontre qui permettent et encouragent des interactions entre des personnes issues de cultures différentes. En effet, il se peut que ces interactions nous permettent d’en apprendre plus sur les personnes avec lesquelles nous échangeons et de créer un lien avec elles. Nous avons vu que « le propre » des TSHMS est d’améliorer les conditions de vie des personnes en général. Comme le dit si bien Aristote : « l’homme est un animal social ». Il a besoin d’être en relation avec les autres autour de lui. Des mesures ont déjà été prises pour encourager cette prise de contact, notamment par le biais de l’agenda de l’intégration (2018) qui veut que les R/AP soient en relation avec des autochtones. Notre hypothèse suppose alors que les TSHMS ont également un rôle à jouer dans cette création de contact entre les individus. Seconde hypothèse :
• Les expériences partagées lors des interactions mises en place sont des occasions pour les TSHMS de diminuer les préjugés et de faciliter l’intégration de chacune.
Selon Allport (2007), cité par Boucher (2016), il faut plus que des interactions pour qu’il n’y ait pas de préjugés. Il prétend que si l’on veut que deux groupes se respectent et cohabitent, il est nécessaire qu’ils soient égaux sur plusieurs niveaux. Cela fait aussi référence à la théorie de de Boévé (2017) qui affirme que pour se sentir inclu-e-s dans la société, nous devons nous sentir utiles. Les TSHMS, de par leur réseau, peuvent soutenir cette démarche de reconnaissance à plusieurs niveaux. De plus, nous pouvons trouver, dans le code déontologique du travail social (Avenirsocial, 2010) , que tous êtres humains ont comme droit d’être inclus dans un environnement social et d’être reconnus par les autres. Le TSHM se réfère aussi à ce code déontologique et veut soutenir l’intégration de chacun-e. La seconde hypothèse prétend donc que, pour encourager l’intégration, les TSHMS réduisent les préjugés par le biais des interactions. Pour vérifier ces hypothèses, nous avons mobilisé une méthodologie précise qui est décrite dans le chapitre suivant

MÉTHODOLOGIE

TERRAIN

Etant en Valais pour les études et ayant comme objectif de travailler dans ce canton après l’obtention du Bachelor en travail social, c’est tout naturellement que la recherche s’est faite dans la partie romande de ce canton. Les deux régions qui ont fait l’objet de cette recherche comptent un grand nombre de nationalités différentes dans leur population. Nous pouvons donc supposer que les professionnel-le-s côtoient, d’une manière ou d’une autre, despersonnes de cultures différentes et peuvent ainsi être concerné-e-s par la thématique présentée. Les TSHMS interrogé-e-s travaillent tous et toutes dans des centres de loisirs et ont, dans la nomination de leur poste, un lien avec « le hors-murs » : animateur socioculturel hors-murs, travailleur et travailleuse sociale hors-murs et éducatrice hors-murs. Ces éléments seront approfondis dans le chapitre suivant.

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Dans ce travail de recherche, c’est le point de vue des TSHMS qui va être relaté. En recueillant leur témoignage, nous avons eu un aperçu du rôle du TSHM dans la gestion de la multiculturalité et de la cohabitation culturelle, point de vue indispensable pour répondre à la problématique retenue.
Cependant, il n’a pas été facile de trouver des professionnel-le-s avec le titre spécifique de travailleur ou travailleuse social-e hors-murs. Les recherches ont donc dû être élargies à tout type de travailleurs et travailleuses sociales ayant une fonction dans l’axe du hors-murs : éducateur ou éducatrice social-e, animateur ou animatrice socioculturel-le. En mobilisant notre réseau et en consultant les sites internet des régions, nous avons ainsi pu obtenir des entretiens avec quatre professionnel Pour des questions d’équilibre de genre, un homme et une femme dans chacune des deux régions faisant l’objet du terrain d’enquête ont été interrogé-e-s. Les deux hommes (appelonsles Paul et Bastien3) ont un Bachelor en animation socioculturelle. Si Bastien a continué dans cette voie, Paul s’est plutôt orienté dans l’éducation. Le titre d’animateur ou d’éducateur impacte la pratique de deux professionnels. Si le premier est plutôt axé sur le groupe et le vivre ensemble, le second s’intéresse plus à l’individu. De plus, s’ils peuvent parfois utiliser les mêmes outils, l’objectif visé n’est pas le même. Ce sont deux pratiques différentes et pourtant complémentaires, comme nous pourrons le voir dans l’analyse.

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Table des matières

1) Introduction 
1.1 Motivations personnelles 
1.2 Liens avec le travail social
1.3 Question de départ et objectifs de la recherche
2) Cadre théorique 
2.1 Multiculturalisme 
2.2 Altérité
2.3 Travail social hors-murs
2.4 Intégration
2.5 Cohabitation culturelle
3) Problématique 
3.1 Question de recherche 
3.2 Hypothèses
4) Méthodologie 
4.1 Terrain 
4.2 Public cible
4.3 Méthode et outil de récolte des données
4.4 Précautions éthiques
5) Analyse
5.1 Méthode d’analyse 
5.2 Résultats
5.2.1 Questions générales
5.3 Première hypothèse : Des espaces de rencontre au service de la cohabitation interculturelle
5.3.1 Interculturalité
5.3.2 Vivre ensemble et interaction
5.4 Seconde hypothèse : le partage des expériences pour lutter contre les préjugés et soutenir
l’intégration
5.4.1 Préjugés
5.4.2 Intégration
5.4.3 Rôle(s) du ou de la professionnel-le dans l’intégration et la place du réseau
5.5 Et si vous aviez une baguette magique ?
5.6 Synthèse des résultats
5.6.1 Première hypothèse
5.6.2 Seconde hypothèse
5.6.3 Question de recherche
6) Conclusions 

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