Traditions et réformes de l’enseignement des mathématiques à l’époque des mathématiques modernes

LE MOUVEMENT DES « MATHEMATIQUES MODERNES » A L’ECHELLE INTERNATIONALE

Les débuts de la coopération internationale sur l’enseignement des mathématiques au début du 20e siècle 

L’enseignement des mathématiques est l’objet d’une coopération internationale depuis le début du 20e siècle. Suite à une réforme introduite en France en 1902 dans l’enseignement secondaire, et un mouvement parallèle en Allemagne, nommé le « projet de Meran », la Commission Internationale sur l’Enseignement des Mathématiques (CIEM ou ICMI) est fondée en 1908, sous la direction de Felix Klein (Gispert & Schubring 2011). La coopération concerne principalement le second degré et la transition entre le niveau secondaire et l’université ; une attention particulière est mise sur l’enseignement des fonctions. Outre les deux pays directeurs, la France et l’Allemagne, plusieurs autres pays rejoignent le mouvement ; du côté hongrois par exemple, c’est Manó (Emmanuel) Beke, disciple de Klein, professeur du second degré et puis de l’université, qui prend un rôle actif dans l’ICMI (Kántor & Schubring 2008). La première guerre mondiale limite les coopérations internationales : l’ICMI ne continue son activité qu’à partir de la fin des années 1920, et seulement à un niveau réduit. Une réelle coopération internationale est relancée dans les années 1950, avec le mouvement des « mathématiques modernes » (Gispert & Schubring 2011).

La dynamique internationale à l’époque des « mathématiques modernes » 

On fait souvent remonter le démarrage du mouvement international dit « New Math», ou « mathématiques modernes » au « choc Spoutnik » en 1957, quand l’URSS lance le satellite Spoutnik1 (Gispert & Schubring 2011, Kilpatrick 2012). Cet évènement attire l’attention des pays occidentaux, plus particulièrement des États-Unis sur l’importance du développement technique dans la compétition de la guerre froide, et les pousse à accorder une attention particulière à l’enseignement des mathématiques, jugé nécessaire pour pouvoir répondre aux défis techniques et économiques de l’époque. L’OECE (devenu plus tard OCDE) lance des échanges internationaux pour promouvoir une réforme de l’enseignement des mathématiques. En fait, cette attention politique rejoint une dynamique, principalement de mathématiciens et de psychologues, existant depuis le début des années 1950 au sein de plusieurs organismes internationaux. Gispert (2010) résume la diversité d’acteurs, discours et intentions existants dans cette période. La Commission internationale pour l’étude et l’amélioration de l’enseignement mathématique (CIEAEM) est créée en 1952 à l’initiative de Caleb Gattegno. L’ambition de l’organisme est d’allier les résultats de la pédagogie et la psychologie moderne, avant tout de Jean Piaget, avec des mathématiques renouvelés dans l’esprit du groupe Bourbaki ; et ce qui permet de réunir ces deux approches, c’est la notion de structure. Le premier livre publié par la CIEAEM en 1955 illustre bien ces ambitions, contenant des articles de Piaget, Gattegno et de trois mathématiciens français, Gustave Choquet, Jean Dieudonné et André Lichnerowicz.

Relancée en 1952 après la seconde guerre mondiale, l’ICMI se concentre plutôt sur le rôle social des mathématiques, dans des sociétés industrielles et dans un contexte de massification de l’éducation. Contrairement à la CIEAEM, qui s’intéresse à l’axiomatisation des mathématiques, les discours de l’ICMI mettent aussi un certain accent sur les applications diverses, industriels, économiques, commerciales etc. L’OECE, à partir de 1958, reprend les différentes perspectives soulevées par la CIEAEM et l’ICMI. On voit apparaître plusieurs personnages centraux de ces deux organismes aux rencontres organisés à Royaumont (1959), Dubrovnik (1960) et Athènes (1963), et dans les ouvrages publiés par l’OCDE suite à ces colloques. Enfin, le Bureau international de l’éducation de l’UNESCO, dirigé par Piaget, contribue également au mouvement international, publiant plusieurs recommandations très développées sur l’enseignement des mathématiques. C’est d’ailleurs le seul organisme parmi les précédents s’intéressant aussi à l’enseignement au niveau élémentaire. Les motifs et ambitions des divers organismes internationaux sont donc connexes, mais pourtant divers et parfois contradictoires. Parmi les motifs, on trouve le développement économique et industriel des pays concernés, la compétition technique de la guerre froide, la massification de l’éducation, le développement des mathématiques et de la psychologie de l’enfant. Le rôle des mathématiques dans l’éducation intellectuelle est particulièrement accentué, mais ses possibilités d’applications sont également soulignées. On se préoccupe de la rénovation de l’enseignement des mathématiques suivant des avancements contemporains de la discipline, y compris les nouveaux domaines (comme l’algèbre linéaire, le calcul différentiel, le calcul des probabilités et la statistique) ainsi que les formes et méthodes modernes de la science mathématiques (comme le langage formel, le focus sur les structures, l’axiomatisation). Une des caractéristiques des discours de l’époque est une attention particulière consacrée aux questions épistémologiques des mathématiques. L’approche bourbakiste y semble être dominante, mais pas unique : Pillips (2014) analyse par exemple les débats menés sur ces questions aux États-Unis.

LA REFORME DES « MATHEMATIQUES MODERNES » EN FRANCE : ELEMENTS DU CONTEXTE HISTORIQUE 

Une réforme précédente importante : la réforme de 1902 

La réforme de l’enseignement secondaire du début de 20e siècle est liée à un problème structurel du système éducatif français. Les lycées classiques, « l’ordre secondaire » de l’éducation, lieux de formation de l’élite intellectuelle et sociale, offrent une éducation classique et humaniste, avec peu de contenu scientifique et mathématique, centré sur l’argumentation abstraite, déductive. Il existe, toujours pour les classes sociales supérieures, des collèges modernes, mettant plus d’accent sur les sciences, et visant leurs applications. La plus grande partie de la population a accès à une formation plutôt pratique, préparant à des carrières industrielles ou de commerce dans les cours supérieures de « l’ordre primaire ». Ici, les mathématiques et les sciences jouent un rôle important, et sont présentées sous une forme pratique, centrée sur les applications. Au début du 20e siècle, l’absence de formation scientifique dans les lycées classiques paraît désormais intenable pour l’élite, face au développement industriel du pays : la réforme mise en place entre 1902 et 1905 concerne donc le programme des lycées et vise à équilibrer les humanités classiques avec les « nouvelles humanités », y compris les mathématiques, les sciences et les langues vivantes. (Gispert 2008, Gispert & Schubring 2011, Gispert 2014) .

Concernant les mathématiques, ce n’est pas seulement leur place qui grandit considérablement dans le programme, mais elles changent aussi de caractère épistémologique. Borel, dans une conférence de 1904, dit : « …on peut signaler bien des moyens qui pourraient être employés pour introduire plus de vie et de sens du réel dans notre enseignement mathématique. ». (cité dans Gispert 2008) Poincaré insiste sur une approche de la géométrie par les objets physiques concrets et par l’expérimentation au lieu d’une approche euclidienne traditionnelle (Gispert 2014 p. 233). Les mathématiques introduites par la réforme ont principalement un caractère pratique et concret, expérimental, centré sur les applications, et précédant l’initiation à l’argumentation déductive. Le contenu subit également des changements, le domaine des fonctions est introduit dans le programme. Cette réforme inspire aussi celle de Félix Klein en Allemagne et le mouvement de l’ICMI ; on y retrouve des caractéristiques similaires (Gispert & Schubring 2011).

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I LE CONTEXTE HISTORIQUE DES DEUX REFORMES
1 Introduction
2 Le mouvement des « mathématiques modernes » à l’échelle internationale
2.1 Les débuts de la coopération internationale sur l’enseignement des mathématiques au début du 20e siècle
2.2 La dynamique internationale à l’époque des « mathématiques modernes »
3 La réforme des « mathématiques modernes » en France : éléments du contexte historique
3.1 Une réforme précédente importante : la réforme de 1902
3.2 Transformations du système éducatif et discours sur l’enseignement des mathématiques après la seconde guerre mondiale
3.2.1 La modernisation du système éducatif, et le rôle des mathématiques dans la formation des citoyens
3.2.2 Enseigner les « mathématiques modernes »
3.2.3 L’influence de Piaget et des pédagogies nouvelles
3.3 La réforme des « mathématiques modernes »
3.4 La suite de la réforme dans les années 1970
4 La réforme de Tamás Varga en Hongrie : éléments du contexte historique hongrois
4.1 L’établissement du système éducatif public en Hongrie et l’émergence d’une culture mathématique au tournant des 19e et 20e siècles
4.1.1 Le contexte historique : la Monarchie Austro-hongroise
4.1.2 L’établissement et réformes du système éducatif public
4.1.3 L’émergence d’une culture mathématique
4.2 Mathématiciens au cercle de Karácsony, après la seconde guerre mondiale
4.2.1 Une courte période démocratique
4.2.2 Le cercle de Karácsony et les mathématiciens
4.2.3 L’installation de la dictature communiste
4.3 Le mouvement de réforme dirigé par Varga entre 1963 et 1978
4.3.1 Le contexte historique et le système éducatif
4.3.2 Les expérimentations et le mouvement de réforme de Tamás Varga
4.3.3 La réforme de l’enseignement des mathématiques en Hongrie
5 Conclusion
PARTIE II ÉPISTEMOLOGIE : CONCEPTIONS SUR LA NATURE DES MATHEMATIQUES ET REFLEXIONS SUR SON ENSEIGNEMENT A L’ARRIEREPLAN DES REFORMES
1 Introduction
2 Une épistémologie « bourbakiste » en France
2.1 L’épistémologie de Bourbaki
2.1.1 La méthode axiomatique et les structures mathématiques
2.1.2 Abstraction et langage formel
2.1.3 Modernité et vérités éternelles
2.1.4 La méthode axiomatique comme formateur de l’esprit
2.2 Les discours sur la nature des mathématiques autour de la réforme
3 Une épistémologie « heuristique » en Hongrie
3.1 Les principes des mathématiciens hongrois
3.1.1 Une science en plein développement
3.1.2 Intuition, « quasi-empiricisme » et le « raisonnement plausible » en mathématiques
3.1.3 L’heuristique, ou la logique de la découverte
3.1.4 Les mathématiques comme activité par essence dialogique
3.1.5 Prudence face au langage formel
3.1.6 L’aspect ludique et créatif des mathématiques, les liens avec des arts
3.2 L’exemple du Jeux avec l’infini de Rózsa Péter, et des « séries de problèmes »
3.3 La conception « heuristique » à l’arrière-plan de la réforme de Varga
4 Conclusion
PARTIE III UNE ANALYSE DIDACTIQUE DES DEUX REFORMES
Introduction
Chapitre 1 Les outils théoriques de l’analyse didactique
1 L’analyse des programmes – l’approche écologique
2 L’analyse des pratiques – la Théorie des Situations Didactiques
2.1 Un problème de vocabulaire
3 L’analyse des manuels scolaires et des livres de professeurs
4 Autres outils théoriques
4.1 Dialectique outil-objet et phases de Douady
4.2 Paradigmes de géométrie et de probabilités
4.2.1 Les paradigmes de géométrie
4.2.2 Les paradigmes de probabilité
Chapitre 2 L’analyse générale des programmes
1 La construction des textes des programmes
2 Le contenu et la structure des programmes
2.1 Les programmes français
2.2 Le programme hongrois
3 Conclusion
CONCLUSION GENERALE

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