Tradition orale ou la fraction mnémonique 

Le rap est un phenomene d’origine afro-americaine dont la popularite, maintenant planetaire, explique la diversite des formes. Au Quebec, depuis le milieu des annees 1990, le genre et tout ce qui voisine le spoken word* (poesie sonore*, slam*, tchatche*, conte) occupe un territoire toujours marginal, bien qu’il soit en expansion. Parmi les manifestations de la vitalite de la scene et des artistes de la langue parlee, notons, par exemple, l’emergence d’une ligue de slam* montrealaise, qui rassemble rappeurs et poetes de facon mensuelle et la large part faite a la culture hip-hop* dans tous les festivals. Les LL s’inscrivent dans ce mouvement: Loco Locass est ne d’un amour de la langue francaise et d’un desir de militantisme par les mots. A l’origine, Loco Locass etait le nom d’une emission de radio animee par Batlam et Biz. L’idee d’ecrire des textes leur est venue dans le cadre de cette emission, en 1995. Loco Locass adopte le rap comme forme musicale apres une rencontre avec DJ Chafiik, dont les echantillonnages fusionnent le rap et le rock, le classique et le folklorique .

Le rap represente un paradoxe pour plusieurs parce que sa localisation alterne entre le son et la narration, entre l’oreille et l’ceil. Le rappeur, qui raconte d’abord une histoire a un auditoire, s’eloigne du sens des mots pour privilegier leur musicalite, sans pour autant nuire au message a passer. Cette facon de faire est semblable a celle des griots ou des predicateurs gospel, qui, comme le soulignent Lapassade et Rousselot dans Le rap ou la fureur de dire , construisent leurs sermons autour de l’adresse directe, de la repetition et de l’appel-reponse .

Bien sur, il est possible d’etablir des liens entre les rappeurs et diverses traditions orales populaires, d’ou la fonction mnemonique, voire l’ancrage du rap* dans le passe. Prenons l’exemple des trouveres et des troubadours, qui, eux aussi, a une epoque et en un lieu donne, maniaient la rime dans l’espace public. Alain Milon, dans Territoires de musiques et cultures urbaines, developpe l’analogie entre troubadours et rappeurs qui ont en commun la pratique d’improvisations ayant pour theme la quotidiennete. lis sont, chacun a leur maniere, des porte-parole ou plus precisement des haut-parleurs de la communaute et leur rapport au langage depasse le simple objectif de communiquer, pour s’articuler autour de l’impact de la reception du message. Selon Milon toujours, les rappeurs se distinguent cependant de leurs freres du Moyen Age par leur facon d’aborder (d’assommer!) l’auditeur, en ce sens «[qu’a]vec le rap, on va vraiment au-dela des precedes utilises par les troubadours et trouveres. II ne s’agit pas seulement d’improvisation verbale et de joute oratoire, mais de combats de mots comme il existe des combats de rue ». Autrement dit, avec le rap, au-dela de l’aspect ludique, le langage devient une arme, le message un coup de poing.

Certains detracteurs du genre reprochent justement au rap* son cote manicheen, mais «[ajvouez que le genre rappesque ne fait pas dans la dentelle. Ce n’est pas dans une chanson de quatre minutes que Ton peut le faire. Le rap, c’est un style coup de poing. On laisse aux autres le soin de developper sur 5 ou 600 pages . » Ainsi les LL cristallisent une idee autour d’une formule choc (« Langage-toi », « Liberez-nous des Liberaux ») plutot que de dormer dans la nuance, qui aurait pour effet de reduire la force de frappe de la chanson. Comme le dit Biz, «[…] dans la mesure ou on denonce des politiques gouvernementales qui sont pas nuancees, c’est sur que la critique elle-meme le sera pas non plus ».

Adresses directes et imperatives a l’auditeur 

D’entree de jeu, le titre de la chanson analysee constitue a la fois une adresse directe (a «toi/tu ») et imperative («langage-toi ») qui appelle l’engagement de l’auditeur par le recours au langage. L’essentiel du message de la chanson est contenu dans la formule eponyme 6 combien simple, mais efficace. L’interpellation («toi/tu/tes », «vous », « mon frere ») renvoie a une structure antiphonique, une forme de dialogue entre Biz, Chafiik, Batlam et les auditeurs, a qui Ton demande de prendre la parole a leur tour. La formule « mon frere », dont on entend l’echo anglophone «my brother», etablit un lien, que renforcent les termes «contact» et « relais ». De fait, la langue nous permet, d’abord, d’entrer en relation. La communication, suppose un destinateur et un destinataire, relies par leurs messages (ou leurs silences) et l’intermediaire d’un code commun partage, soit la langue. La bonne maitrise du code, de la langue done, permet une expression plus claire des idees. Arriver a se comprendre, biffer les «tse qu’ess j’veux dire… euh… », pour permettre la liaison tant sur le plan des relations interpersonnelles qu’au plan collectif.

Le texte est ponctue de verbes a l’imperatif: « oublie », « constate », « contemple », « crois-en » et « donne-toi». Comme on le sait, l’imperatif est un mode grammatical associe au commandement. Le dialogue est amorce, mais les rappeurs sont places en position d’autorite face aux auditeurs, en raison de l’utilisation specifique de l’imperatif.

Vocabulaire et langue vernaculaires 

Ainsi, comme je le disais plus tot, Ducharme et les LL ont des atomes crochus dans leur facon d’aborder la langue a l’ecrit: Les niveaux de langue utilises sont ainsi extremement varies. Souvent on assiste a une transcription phonetique du vernaculaire, comme Ducharme a commence a le faire dans ses romans anterieurs. Des phrases telles que : « C’est bon pour sketa » (p. 16) ou « on a plus les radas qu’on ava »(p. 79) apparaissent alors comme des refrains qui viennent ponctuer le recit. (LAN, p. 175) Au dela d’un amour commun de la langue, qui fait de cette derniere plus qu’un materiau dans le travail d’ecriture, Ducharme et les LL font un usage apparente du vocabulaire, des niveaux de langage et des procedes stylistiques. De fait, comme chez Ducharme, plusieurs niveaux de langage cohabitent dans Langage-toi, notamment la langue farniliere et recherchee. D’un cote, la langue parlee transparait par l’usage, de contractions («tse » pour tu sais), d’elisions (« v’la » pour voila), d’anglicismes ou de termes anglais (« FAT ASS »), d’onomatopees (« Snap », « Tic Tac ») et d’interjections (« Euh… »). Le choix du vocabulaire, plus litteraire, releve cependant d’un autre niveau de langage («synapses », «clepsydre », «inique », etc.). La juxtaposition de niveaux de langue constitue une gymnastique linguistique et demontre bien le travail fait, tant sur la langue que sur Poreille. L’ecriture sert de support a une performance, d’abord orale.

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Table des matières

1. Introduction 
2. Problematique 
3. Historique : deux espaces, deux epoques 
4. Langage-Toi 
4.1. Tradition orale ou la fraction mnémonique
4.2. Urbanite et echantillonnage ou la fonction ecologique
4.3. Mariage (rupture?) musique /texte ou la fonction sociale
5. Le relais avec La salamandre turquoise 
5.1. Se reapproprier l’oreille, l’oral
5.2. Courtisan accuse, sirene affranchie
5.3. Surimpression musique, mouvements, mots
6. Conclusion

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