Tentative d’une explication naturaliste du monde

Tentative d’une explication naturaliste du monde

D’aucuns peuvent dire qu’il est surprenant de considérer Nietzsche comme un philosophe naturaliste. Nietzsche nous parle souvent des sujets concernant : la politique, l’art, la religion et les valeurs. Ce qui signifie qu’avec Nietzsche nous nous sommes habitués à rencontrer des propos concernant ce qu’on appelle « la culture». Mais d’autres interprètes de Nietzsche affirment avec Charles Andler que Nietzsche « a fait tout ce qui était humainement possible pour combler la lacune de ses connaissances en matière de sciences positives. S’il n’a pas travaillé dans les laboratoires de biologie, il a tenu à fréquenter des hommes de laboratoire, qui lui ont appris les résultats essentiels du transformisme. » D’autre part, ces mêmes commentateurs reconnaissent que la relation que Nietzsche avait avec les sciences naturelles est appréciée diversement. Certains interprètes aussi n’ont pas cherché à expliquer les rapports de Nietzsche avec les sciences, tandis que d’autres ont pensé que c’était inutile d’en parler puisque retrouver les sciences naturelles dans le nietzschéisme serait presque une souillure. Car la philosophie dans sa pureté ne doit pas s’occuper du monde apparent.

Ce domaine appartient exclusivement aux sciences de la nature. Voilà des propos qui soulignent déjà des préjugés théoriques sur la pensée de Nietzsche mais également qui rappellent l’ancien débat sur les interactions entre philosophie et science.

La philosophie est-elle cette discipline privilégiée, réservée à une élite et située au-dessus des sciences naturelles ? Si la réponse à cette question est affirmative, elle demeure une conception de la tradition métaphysique qui, selon Nietzsche, était admise depuis Platon par la pensée occidentale. Mais la réponse à la question posée peut être aussi, rapidement, pour ceux qui sont des « nietzschéens » une négation. Nietzsche affirme que toute vision soutenant que la philosophie est supérieure ou sert de fondement à la science est révolue et que, en vertu de cela, ce serait une perte de temps de s’occuper d’elle. Au-delà de ce détour que nous faisons pour démêler les confusions et évacuer les préjugés, nous verrons dans ce chapitre A de la première partie que Nietzsche n’a nullement amoindri l’importance que les contacts avec les sciences de la nature ont pu avoir sur la formation de sa pensée. Avec les sciences, Nietzsche est devenu un observateur délicat et difficile. Il a appris la certitude de l’évolution des sociétés et des organismes. Sa propre vie lui a révélé une « – fragilité irrémédiable de l’humanité » . C’est ce sentiment qui l’a poussé d’ailleurs à dire oui pour de bon à cette terre qui est constamment en devenir. Donc Nietzsche ne dissociera pas les préoccupations de la philosophie et celles de la science. Parce qu’une telle distinction amène nécessairement une seconde fracture dans cet ensemble homogène qu’est le monde naturel. Un monde où toutes les choses sont unies. Et pour que tout cela puisse se faire et servir à la création perpétuelle, Nietzsche nous invite à mettre à mort tout ce qui est idole : Dieu, le bien, le mal, le vrai ; à être franc, c’est-à-dire dur, sévère, rigoureux, cruel, impitoyable et à nous départir de toute attitude qui peut nous remettre sur les ‘’rails classiques’’ qui cherchaient la vérité absolue à travers un monde intelligible et niant un supposé monde dépourvu de ‘’vérité’’ et bourré d’images fictives.

C’est seulement à partir d’un tel stade qui nous livrera une nature dans toute son innocence et sa diversité qu’il sera possible de soutenir avec force que la réalité du devenir nietzschéen est la seule réalité. En clair, disons que le devenir nietzschéen se veut l’anéantissement de l’ancien dualisme platonicien. Il s’agira dans cette première section de la première partie de notre travail de recherche de faire une critique du dualisme afin de constater les conséquences de celle-ci. Car, nous pensons que toute description du monde chez Nietzsche a nécessairement pour préalable une destruction systématique des arrière-mondes. Nous constaterons que la réalité du devenir exclut d’emblée toute idée de dualisme.

Critique du dualisme ontologique et anthropologique 

Pour débattre sur le dualisme, partons du principe selon lequel : « il y a dualisme dès qu’un secteur de l’existence humaine est privilégié comme lieu de l’accomplissement de soi, ou comme lieu du sens. » Concernant le dualisme platonicien, il est important que nous précisions à notre avis que Platon avait pour prédécesseurs Héraclite et Parménide. Ces présocratiques ont eu à défendre leur doctrine dans des Ecoles différentes. Héraclite nous parlait du devenir universel et Parménide de l’immobilisme. Platon a voulu à travers ce duel des Maîtres penseurs que le devenir héraclitéen et l’immobilisme des Eléates se rencontrent. Platon reconnaîtra tout ce qui est immobile et acceptera en même temps tout ce qui se meut. Autrement dit, il reconnaîtra Héraclite et Parménide en même temps. Car, dit-il, l’ ’’être’’ n’est ni réductible à l’immobilisme ni à l’écoulement perpétuel.

Il est les deux à la fois même s’il est différent d’un monde à l’autre. C’est dans une telle conception que Platon va distinguer dans le Livre VII de La République deux mondes, c’est-à-dire le monde intelligible et le monde phénoménal. A travers cette scission, il faut constater que chaque partie à ses propres caractéristiques. Il n’y a aucune continuité entre les deux mondes. Voilà ce qu’on appelle le dualisme, qui « – se dit de toute doctrine posant deux principes irréductibles l’un à l’autre, contrairement au monisme qui postule ou retrouve l’unité, d’une façon ou d’une autre. » .

Avec ce dualisme platonicien nous cherchons la véritable acception de l’être mais à réfléchir aussi sur la question de l’homme, et la raison pour laquelle toutes ces interprétations platoniciennes nient le devenir nietzschéen. C’est d’ailleurs par rapport à tout cela que nous ferons une critique du dualisme ontologique et anthropologique. D’emblée, disons que Platon nous décrit un monde de l’unité et de l’essence face à un monde de la pluralité ou de la diversité. Dans le cadre de cette distinction le monde apparent est défini dans le platonisme par rapport à sa valeur sur le plan de la connaissance et dans l’ordre de l’être. En cela le dualisme apparaît comme un tableau qui exhibe « un ordre cosmique de rang et de puissance ». Platon considère les hommes comme des « prisonniers » dans le monde apparent. Ces hommes se débattent à travers des illusions qui fusent de partout. Tout ceci réduit le devenir, selon le platonisme, à un carrefour d’images. Bref, le monde apparent est pour Platon le reflet de la réalité. Platon discrédite le monde naturel au profit d’un monde intelligible qui détient la vérité absolue. Le monde naturel qui change de formes mieux que Protée est une altération foncière de la vérité. Voilà d’ailleurs ce que Socrate voulait montrer dans le Phèdre (250 e) ; en parlant du beau, Hippias ne saura pas répondre à la question philosophique puisqu’il est non seulement piégé par les rets du langage platonicien mais il a aussi les yeux bandés par les artifices du monde apparent. Et l’essence du beau recherchée par ces questions socratiques est située par-delà ce monde-ci. Par conséquent, tout ce qu’on appelle belle jument, belle marmite et belle maison ne sont que « de vains fantômes ». Au bout du compte, le monde naturel qui est la maison du devenir est un lieu de la corruption et du changement. Il est aussi en contradiction avec lui-même et avec les individus qui y vivent. Néanmoins, un commentateur de Platon trouve que ce monde naturel est « doté du minimum de réalité. » .

Mais une telle prise de position ne doit nullement nous amener à dire que le monde sensible chez Platon a de la valeur. Dans le Timée (27 b) le monde apparent reconnu par son inconstance et son devenir n’est pas objet de connaissance parce que tout ce qui naît et fond n’existe pas réellement. Dès lors, il est possible de dire que le monde apparent qui est la station du facsimilé ne peut être un objet de savoir. Et c’est tout ceci qui pousse Platon à tirer la sonnette d’alarme afin que l’homme apprenne la vérité par la dialectique ascendante. Mais au-delà de cette dévalorisation du monde apparent Platon pose en définitive la question du véritable fondement du savoir. C’est d’ailleurs l’intérêt du dualisme platonicien. Le dualisme platonicien sera donc cette balance déséquilibrée au profit d’un monde intelligible.

Mais ici nous ne pouvons passer sous silence les questions qui nous taraudent l’esprit : au nom de quoi privilégier ainsi un côté de l’existence plutôt que l’autre ? Ce privilège ne présuppose-t-il pas l’attribution unilatérale et a priori du déchiffrement du sens de l’existence à l’un de ses « côtés » ou aspects plutôt qu’à l’autre ? Toute valorisation, prise de manière immédiate et exclusive, n’engage-t-elle pas la dévalorisation de l’autre aspect ? Ce dualisme n’est-il pas le symptôme d’une orientation de mise à mort de la vie, lorsque Platon dévalorise le monde apparent ?

En effet, contrairement à la fragilité du monde phénoménal, Platon assimile le monde intelligible à la sphère la plus sûre et la plus stable pour fonder la réalité. Ce sur quoi Platon va insister, c’est la particularité de ce monde trans-phénoménal. Ce monde est une région supérieure et séparée du monde apparent. Il contient tout ce qu’il y a d’original et de parfait. Dans tous les cas, cette distinction que Platon fait des deux mondes semble se dégager dans la religion judéo-chrétienne où le monde intelligible représente le lieu de prédilection de Dieu. Mais aussi l’espace où décide la grâce aléatoire de Dieu. A l’opposé d’un tel monde splendide, se trouve le devenir qui est le domaine de Satan et du rachat. En outre, le dualisme platonicien suppose aussi l’opposition radicale entre l’ « être » et le devenir. Au-delà de cette séparation c’est l’«être » du monde suprasensible qui aura plus de valeur que le devenir du sensible. Pour tout dire, à ce propos, seul le monde intelligible existe chez Platon, le devenir relève du non-être. Le monde intelligible « est la cause de tout ce qu’il y a de droit et de beau en toutes choses ».

S’il en est ainsi de la conception du monde chez Platon nous retenons une ontologie de l’Etre transcendant et créant le devenir. Mais si le devenir nietzschéen est un pluralisme qui exclut tout ce qui est figé et soustrait à toute mutation, comment apprécier ce dualisme platonicien et ses valeurs judéo-chrétiennes ? Dans Aurore , Nietzsche est ébahi face à cette peinture du monde faite par Platon. Evidemment, Nietzsche participera au bras de fer existant entre les penseurs de l’ « être » platonicien et parmédien, et les penseurs du changement, notamment Héraclite. D’ores et déjà, nous pouvons annoncer que Nietzsche est un gladiateur qui brisera toute représentation dérivée du platonisme ou de l’immobilisme parmédien. Nietzsche dira même de Socrate et de Platon qu’ils étaient des « instruments de la décomposition grecque, des pseudo-grecs, des antigrecs » . Par contre, Nietzsche s’approchera davantage d’Héraclite, lui qui soutenait qu’il existait un écoulement perpétuel comme les eaux du fleuve. Ces propos confirment le regard critique face aux théories des prédécesseurs de Nietzsche. Et Nietzsche de dire : « Ce qui nous sépare de Kant comme de Platon et de Leibniz, c’est que nous ne croyons qu’au devenir (…) nous sommes des historiens de fond en comble.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : Les exigences d’un devenir infini chez Nietzsche
CHAPITRE A : Tentative d’une explication naturaliste du monde
Section 1 : Critique du dualisme ontologique et anthropologique
Section 2 : La volonté nietzschéenne de dédivinisation et de déshumanisation du Monde
Section 3 : Les caractéristiques du monde apparent et l’exaltation de la vie
CHAPITRE B : La portée de la destruction des idoles
Section 1 : Les tentatives de redressement de l’homme
Section 2 : Les allures de l’homme créateur et ses problèmes
Section 3 : La promesse d’un devenir infini ou la marche vers le surhomme
DEUXIEME PARTIE : Ontologie du devenir chez Nietzsche
CHAPITRE A : L’ontologie
SECTION 1 : ‘’être’’ et devenir
SECTION 2 : être comme devenir
SECTION 3 : La réhabilitation du devenir perpétuel
CHAPITRE B : Ontologie et volonté de puissance
SECTION 1 : L’universalité de la volonté de puissance et le devenir
SECTION 2 : Le retour sempiternel ou la circularité du devenir
SECTION 3 : L’état des lieux du devenir actuel et la réalité du perspectivisme
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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