Tau : une protéine intrinsèquement désordonnée

Tau : une protéine intrinsèquement désordonnée 

Généralités sur les protéines intrinsèquement désordonnées 

Les protéines sont des macromolécules biologiques dont les fonctions essentielles maintiennent l’homéostasie générale dans chaque organisme du vivant. Pendant de nombreuses années, il a été admis que la fonction d’une protéine est directement liée à sa structure tridimensionnelle. En effet, une protéine est définie par sa séquence en acides aminés, qui détermine elle-même sa structure tridimensionnelle et de ce fait sa fonction (Figure 1). Ce paradigme structure-fonction est basé sur des études réalisées sur les structures tridimensionnelles de protéines hautement résolues (https://www.rcsb.org/), démontrant que la structure permet d’interpréter et de comprendre les mécanismes régissant sa fonction.

Néanmoins, ce paradigme est remis en cause puisque de nombreuses protéines contiennent des fragments qui ne possèdent pas de structure dîtes « stable » en solution (ou désordonnée). Des études de prédictions bio-informatiques ont estimé à 30 % le nombre de protéines eucaryotes contenant un segment désordonné supérieur à 50 résidus (Dunker et al., 2000). Certaines protéines adoptent même une conformation complètement désordonnée, telle que la protéine Tau qui fait l’objet de l’étude de ce manuscrit. Toutes les protéines intrinsèquement désordonnées (IDP) ou possédant des régions intrinsèquement désordonnés (IDR) partagent des propriétés uniques. En effet, leur structure primaire est généralement composée de :
– Un pourcentage faible de résidus hydrophobes (Val, Leu, Ile, Met, Phe, Trp et Tyr) qui forment habituellement le cœur d’une protéine globulaire.
– Un pourcentage élevé de résidus polaires et chargés (Gln, Ser, Pro, Asp, Glu, Lys) qui favorisent la flexibilité et la solubilité de ces protéines en solution (Dyson and Wright, 2005; Romero et al., 2001).

La propriété de désordre d’une protéine lui confère différents avantages fonctionnels, tels que la capacité à se fixer à divers partenaires, en adoptant différentes conformations (van der Lee et al., 2014). Ceci explique notamment pourquoi ces protéines sont généralement impliquées dans un grand nombre de processus de régulation biologique contrairement aux protéines dites structurées qui sont limitées dans leur nombre de fonctions. Ce caractère multifonctionnel qui confère aux IDPs ces propriétés régulatrices, les associent également à un certain nombre de pathologies, en particulier les maladies neurodégénératives telle que la maladie d’Alzheimer (MA). Cette maladie est associée à la protéine Tau dont la structure et les fonctions seront décrites ci-après (Goedert et al., 2010).

Structure de la protéine Tau

Organisation génomique
Tau, pour « tubulin associated unit », appartient à la famille des protéines associées aux microtubules (MAP) (Weingarten et al., 1975). La protéine Tau humaine est codée par le gène mapt, localisé sur le chromosome 17 (Neve et al., 1986). La transcription du gène aboutit à la formation d’un pré-ARNm contenant 16 exons.

Seulement 13 d’entre eux sont retrouvés dans le cerveau humain. Selon un processus d’épissage alternatif des exons 2, 3 et 10, 6 isoformes de Tau sont produits dans le cerveau humain, dont l’isoforme 0N3R, qui est la seule isoforme produite au stade fœtal (Goedert and Jakes, 1990) (Figure 2a). L’isoforme 2N4R, constituée de 441 résidus, est généralement utilisée comme modèle pour représenter la structure de Tau. C’est cette isoforme qui a fait l’objet de la majorité des études présentées dans ce manuscrit, c’est pourquoi nous la présenterons comme exemple pour discuter des aspects structuraux et fonctionnels de Tau par la suite (Figure 2b).

Structure primaire
La protéine Tau peut être divisée en 4 domaines, comprenant le domaine N-terminal (N-ter), le domaine riche en prolines (PRD), le domaine de liaison aux microtubules (MTBD) constitué de 4 régions répétées R1, R2, R3 et R4 et enfin le domaine Cterminal (C-ter) (Figure 2b). Les régions répétées de Tau sont constitués de 18 résidus d’acides aminés fortement conservés et séparés par des séquences de jonction moins conservées. Tau contient une quantité importante de résidus polaires (Sérine : 45, Thréonine : 35) et de résidus hydrophiles chargés positivement (Lysine : 44, Arginine : 14) et négativement (Aspartate : 29, Glutamate : 27). Inversement, Tau contient très peu de résidus aliphatiques (Valine : 27, Isoleucine : 15, Leucine : 21) et hydrophobes (Phénylalanine : 3, et aucun Tryptophane) (Figure 2c). De plus, le pourcentage élevé de résidus chargés confère à la protéine un caractère basique très hydrophile avec un point isoélectrique théorique élevé (pI = 8,2). Les résidus chargés sont également répartis de façon catégorisée : le domaine N-ter est chargé négativement (pI = 4) alors que le PRD, le MTBD et le domaine C-ter sont chargés positivement (pI = 10) (Figure 2b). On parle donc d’un domaine acide et d’undomaine  basique conférant à la protéine des propriétés de solubilité importante. Tous ces éléments concordent avec les attributs retrouvés chez une IDP (Dyson and Wright, 2005; Romero et al., 2001).

Tau : une IDP en solution…
Différentes techniques ont été utilisées pour mettre en évidence l’absence de structure secondaire ou tertiaire définie pour Tau, telles que la résonance magnétique nucléaire (RMN), le dichroïsme circulaire, la diffraction aux rayons X ainsi que différentes méthodes de fluorescence (Avila et al., 2016). Ici, nous allons illustrer par deux exemples la nature désordonnée de la protéine Tau.

Le caractère désordonné de la protéine Tau peut être étudié par analyse de la protéine sur SDS-PAGE. Cette méthode permet de séparer les protéines en fonction de leur taille, par migration sur un gel de polyacrylamide en conditions dénaturantes (Laemmli, 1970). Une protéine structurée est habituellement observable grâce à sa masse moléculaire attendue, identifiable à l’aide d’un marqueur de poids moléculaire (Figure 3a). Néanmoins, ce principe ne s’applique pas pour des protéines comprenant des régions désordonnées. La protéine Tau non modifiée possède une masse moléculaire de 45 kiloDaltons (kDa). Cependant, la protéine est identifiée sur gel à une masse moléculaire apparente d’environ 60 kDa (Figure 3a). Du fait de leur composition différente en acides aminés, notamment au niveau des acides aminés chargés (Armstrong and Roman, 1993; Hu and Ghabrial, 1995), la quantité de SDS liée à une IDP serait moins importante que pour une protéine globulaire de même taille (Tompa, 2002). Ceci se traduit par une migration moins rapide et une masse moléculaire apparente plus élevée sur gel (Figure 3a). La RMN est une technique de choix pour l’étude des interactions protéiques, mais elle permet également d’obtenir des informations sur la structure d’une protéine en solution. En effet, en utilisant une expérience RMN de base appelée HSQC 1H-15N à deux dimensions (2D), il est possible d’obtenir une cartographie de la protéine dans laquelle chaque fonction amide de la chaine peptidique de chaque résidu est identifiée par une résonnance (ou valeur de déplacement chimique), soit un point identifié sur le spectre (Figure 3b). La position des résonances sur le spectre est définie par l’environnement chimique dans lequel se trouvent les acides aminés constituant la protéine. Pour une protéine possédant une structure tertiaire stable telle qu’un anticorps à domaine unique, les résonances sur le spectre apparaissent dispersées car l’environnement de chaque résidu est relativement unique et influencé par la combinaison de structures primaire à tertiaire (Figure 3b). Pour la protéine Tau qui est une IDP, les résonances sont peu dispersées et se superposent. Cela traduit le fait que l’environnement de chaque résidu n’est pratiquement influencé que par la séquence (la nature des acides aminés voisins directs) en raison de l’absence de conformation structurale stable de ses résidus (Figure 3b) (Lippens et al., 2016).

…mais pas seulement
Bien que la protéine Tau ne comporte pas de structure dite stable en solution, certaines régions de la protéine peuvent former des structures secondaires locales transitoires. L’étude la plus approfondie sur les structures secondaires adoptées par Tau en solution a été réalisée par Mukrasch et ses collaborateurs. Ils ont montré que certains segments courts localisés au niveau du PRD et des domaines répétés du MTBD peuvent se présenter sous forme de brin β tandis que d’autres, localisés dans les domaines N-ter et C-ter, peuvent présenter une structure en hélice α (Mukrasch et al., 2009). Ces petits motifs structuraux sont liés aux aspects fonctionnels de Tau et peuvent, par exemple, représenter des points d’ancrage pour des protéines partenaires de Tau. Nous avons vu que Tau se présente comme une protéine majoritairement désordonnée en solution et ne semble pas posséder de structure tertiaire (Figure 3d). Néanmoins, Tau peut présenter des conformations préférentielles, dynamiques, principalement dirigées par des interactions électrostatiques. Des études de FRET (Forster Resonance Energy Transfer) ont montré que Tau peut adopter une structure globale où son domaine C-ter se replie et interagit avec le MTBD (Figure 4). Le domaine N-ter se retrouve uniquement en interaction avec le domaine C-ter (Jeganathan et al., 2006).

Enfin, Tau adopte une conformation pathologique très stable dans les cas de maladies neurodégénératives, communément appelées tauopathies. En effet, Tau est retrouvée hyperphosphorylée sous forme de filaments hélicoïdaux appariées (PHF) (J.-P. Brion et al., 1985; Grundke-Iqbal et al., 1986). Récemment, la structure d’un PHF provenant d’un cerveau de patient atteint de la MA a été résolu par cryomicroscopie électronique et montre une organisation structurale très ordonnée en brin β (Fitzpatrick et al., 2017). Les pathologies en lien avec les différents aspects structuraux de la protéine Tau seront discutées plus longuement par la suite (cf Introduction, II, A : La maladie d’Alzheimer, ii : La protéine Tau et les dégénérescences neurofibrillaires, p29).

Fonctions de la protéine Tau 

Tau et le cytosquelette

Tau est une protéine essentielle participant à la croissance, au transport et à la morphologie axonale des neurones. En effet, Tau joue un rôle majeur dans la régulation de la polymérisation de la tubuline et participe ainsi à l’assemblage des microtubules. Cette protéine a été historiquement découverte associée à la tubuline dans des extraits de cerveaux de porc et permet la polymérisation de la tubuline en microtubules in vitro (Weingarten et al., 1975). De par son caractère désordonné, la protéine Tau est la cible de nombreuses modifications post-traductionnelles (MPTs), la phosphorylation étant la plus importante (Hanger et al., 2009). La phosphorylation de Tau affecte la vitesse de polymérisation de la tubuline (Biernat et al., 1993; Drewes et al., 1995; Lindwall and Cole, 1984) en diminuant son affinité pour les microtubules et par conséquent leur stabilité (Drewes et al., 1995; Sengupta et al., 1998). La phosphorylation de Tau agirait également sur son propre transport axonal, notamment en modulant son affinité pour les kinésines (Cuchillo-Ibanez et al., 2008). Le MTBD est directement impliqué dans la polymérisation de la tubuline, grâce aux régions répétées. Récemment, une structure de Tau associée aux microtubules a été résolue par cryo-microscopie électronique. Un modèle structural a été proposé dans lequel les 4 régions répétées interagissent en tandem au niveau de l’interface de chaque dimère de tubuline α-β, permettant ainsi l’association entre les dimères de tubuline (Kellogg et al., 2018). L’étude du complexe Tau-microtubule par RMN a permis d’identifier la région comprenant les résidus 214-372 comme site principal d’interaction de Tau avec les microtubules (Sillen et al., 2007). On retrouve une partie du PRD également impliqué dans la régulation de l’interaction entre le MTBD et les microtubules (Goode et al., 1997). Des études ont également montré que Tau interagit avec l’actine via le MTBD et pourrait ainsi réguler la dynamique des réseaux de microtubules et d’actine au sein des cellules (Elie et al., 2015; Yu and Rasenick, 2006). Néanmoins, Tau n’est pas uniquement une protéine associée aux microtubules et présente de nombreuses fonctions.

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Table des matières

Introduction
I. Tau : structure et fonctions
A. Tau : une protéine intrinsèquement désordonnée
i. Généralités sur les protéines intrinsèquement désordonnées
ii. Structure de la protéine Tau
B. Fonctions de la protéine Tau
i. Tau et le cytosquelette
ii. Tau : une protéine pléiotrope
II. Tau : une protéine impliquée dans les maladies neurodégénératives
A. La maladie d’Alzheimer : la principale tauopathie
i. Le peptide amyloïde β (Aβ) et les plaques séniles
ii. La protéine Tau et les dégénérescences neurofibrillaires (NFTs)
iii. Quel est le lien entre Tau et Aβ dans la Maladie d’Alzheimer ?
B. Les tauopathies : caractéristiques générales
III. Tau et agrégation
A. Les inducteurs polyanioniques
B. Implication du domaine de liaison aux microtubules dans le processus d’agrégation de Tau
C. Mutations et agrégation de Tau
D. Modifications post-traductionnelles et agrégation de Tau
i. Tau et phosphorylation
ii. Tau et acétylation
iii. Tau et troncations
iv. Autres modifications post-traductionnelles de Tau
E. Les formes oligomériques : espèces pathologiques de Tau ?
F. Tau et l’hypothèse de sa propagation de type prion
i. La propagation intercellulaire de Tau
ii. Internalisation de Tau et phénomène de nucléation
IV. Les thérapies ciblant la protéine Tau
A. Les différentes stratégies thérapeutiques
i. Réduction de la phosphorylation de Tau
ii. Inhibition d’autres modifications post-traductionnelles
iii. Inhibition de l’agrégation de Tau
iv. Les autres stratégies thérapeutiques
B. L’immunothérapie anti-Tau
V. Les anticorps à domaine unique ou VHHs
A. Origine des anticorps à domaine unique
B. Structure et propriétés des VHHs
i. Caractéristiques et différences structurales entre les domaines VH et VHH
ii. Génération et sélection des VHHs
iii. Propriétés biochimiques des VHHs
C. Les VHHs : des outils pour l’étude des interactions protéiques
i. Etude structurale par cristallographie aux rayons X
ii. Etude des mécanismes d’agrégation des protéines
D. Vers une utilisation diagnostique et thérapeutique des VHHs
i. L’utilisation des VHHs en oncologie
ii. Les VHHs dans les maladies neurodégénératives
Conclusion

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