Synphos et difluorphos : diphosphines chirales par atropoisomérie

L’atropoisomérie

   L’atropoisomérie, ou chiralité axiale, est l’énantiomérie définie par la rotation restreinte autour d’une liaison simple. L’encombrement stérique des substituants de cette liaison est tel que la vitesse d’interconversion est suffisamment faible pour qu’on puisse séparer les deux énantiomères.31 On retrouve généralement ce type d’énantiomérie au sein de systèmes biphényliques (ou plus généralement biaryliques) ortho substitués, pour lesquels la libre rotation autour de la liaison sp2sp2 est empêchée. Ainsi, les biphényles A et B sont énantiomères . Oki a arbitrairement défini les conditions d’existence de l’atropoisomérie comme étant la possibilité d’isoler les énantiomères, ayant des temps de demi-vie d’au moins 1000 secondes à température ambiante.32 La barrière énergétique à franchir pour effectuer la rotation autour de la liaison biaryle dépend de la température. Par exemple, le 1,1’-binaphtyle racémise à 25°C avec un temps de demi-vie de 10h, alors qu’à 160°C, ce temps de demi-vie n’est que de 0.5s.33 Les configurations absolues des biaryles chiraux ont été définies par Mislow en 1958.34 Pour déterminer la configuration absolue de la molécule observée, on se place dans l’axe de la liaison aryle-aryle. Le premier noyau aromatique observé est dans un plan horizontal et le second, le plus éloigné, dans un plan orthogonal au premier. Les motifs biaryles tétra-ortho-substitués peuvent alors être représentés en utilisant une projection de Newman . Les substituants R1, R2, R3 et R4 sont alors classés par ordre de priorité conventionnel des atomes ou des groupes d’atomes selon les règles de Cahn-Ingold-Prelog.35 On lit les substituants du premier noyau aromatique, puis ceux du second noyau dans l’ordre de priorité. Le sens de rotation observé permet alors de définir la configuration absolue de la molécule à l’aide des stéréodescripteurs R et S. La chiralité axiale de type sp2-sp3 est très peu répandue. Parmi les produits d’origine naturelle, deux exemples peuvent illustrer cette classe de composés : la cordypyridone A et son épimère, la cordypyridone B (Schéma 15).36 Ces deux molécules sont formellement diastéréoisomères et configurationnellement stables à température ambiante. La chiralité axiale de type sp2-sp2 est la plus fréquemment rencontrée. Il s’agit de biaryles tri- ou tétra-substitués, qui sont pour la plupart stables du point de vue de la racémisation, pourvu qu’au moins deux des substituants ne soient pas des groupements methoxy ou des atomes de fluor.31b Le premier exemple d’isolement d’une molécule atropoisomère énantiomériquement pure a été décrit par Christie et Kenner en 1922.37 Les auteurs, grâce à une cristallisation diastéréosélective, effectuent le dédoublement de l’acide 6,6’-dinitro-2,2’-dibenzoïque en ses deux énantiomères (Schéma 16).

Le BINAP et ses analogues

   La diphosphine BINAP, synthétisée en 1980, en collaboration avec la société Takasago, est actuellement le ligand le plus étudié et le plus utilisé comme agent de transfert de chiralité en catalyse asymétrique, au laboratoire et dans l’industrie. Plus de 750 publications (dont plusieurs revues) et près de 250 brevets décrivent et protègent ses voies de synthèses ou son utilisation comme auxiliaire chiral en catalyse.46 La toute première utilisation en catalyse asymétrique du BINAP a été décrite par Noyori et Takaya en 1980.28 Il s’agit de l’hydrogénation asymétrique de déhydro-aminoacides catalysée par des complexes du rhodium. Comme le montre le Schéma 20, les rendements et les excès énantiomériques obtenus sont excellents (ee = 92-98%).Dans le but d’améliorer les performances du BINAP en catalyse asymétrique, des modifications des groupements aryles substituant l’atome de phosphore ont été réalisés dès la fin des années 1980. Plus d’une dizaine de diphosphines chirales de la série du BINAP ont été synthétisées par la société Takasago (Schéma 21).47 Plus récemment, en 2001, Keay a décrit la synthèse d’un dérivé difurylphosphine particulièrement déficient en électrons, le TetFuBINAP

Ligands dont le groupement phosphine n’est pas porté par le squelette binaphtyle

   Alors que le ligand BINAP donne de très bons résultats en catalyse asymétrique, ses homologues les plus proches, de type NAPHOS ou BINAPO, ont souvent montré une sélectivité plus faible, notamment en hydrogénation asymétrique. En effet, l’introduction d’un groupement méthylène ou d’un atome d’oxygène entre le squelette binaphtyle et le groupement diphénylphosphine a pour effet d’augmenter la mobilité des groupements PPh2 et la flexibilité des complexes metal-ligand, créant ainsi un environnement chiral moins sélectif. Ce n’est que très récemment, vingt ans après les premières synthèses et applications du NAPHOS et du BINAPO, que des études d’optimisation de cette famille de ligands ont été réalisées. Les performances du BINAPO ont pu être améliorées par les équipes de Chan et de Bakos en introduisant des substituants plus encombrants sur les atomes de phosphore afin de restreindre la mobilité des groupements PPh2 (Schéma 33). Par exemple, le groupement 3,5- diméthyl-phényle a permis d’améliorer significativement les énantiosélectivités des réactions d’hydrogénation asymétrique d’α-dehydroaminoacides catalysées par des complexes Rh/BINAPO. En outre, Chan a mis au point un analogue de type bisphosphinamidite, le BDPAB,81 qui s’est révélé beaucoup plus sélectif que son analogue oxygéné le BINAPO dans ces réactions d’hydrogénation asymétrique (Schéma 33), ainsi qu’en alkylation allylique asymétrique catalysée par le palladium.

Phosphonate de diéthyle

   Un deuxième intermédiaire phosphonate a été préparé afin de comparer leurs réactivités vis à vis de l’étape de couplage oxydant. Le (2,3-dihydro-1,4-benzodioxin-6-yl)phosphonate de diéthyle 10 a été préparé selon deux méthodes différentes :
– la première méthode utilise le phosphonate de diéthyle en présence de triéthylamine et d’une quantité catalytique de tétrakis(triphénylphosphine)palladium fraîchement préparé (méthode A). Elle permet d’obtenir 10 avec un bon rendement de 72%. L’inconvénient majeur de cette voie de synthèse est le coût du catalyseur au palladium, qui ne permet pas de l’envisager à grande échelle.
– la deuxième synthèse utilisée (méthode B) est moins coûteuse et plus facilement industrialisable puisqu’elle utilise le triéthylphosphite comme agent de phosphorylation en présence de quantités catalytiques (10%) de dichlorure de nickel à 160°C (réaction d’Arbuzov catalysée au nickel). La purification du milieu réactionnel est relativement aisée puisque le bromoéthane formé, produit secondaire, est distillé en continu au cours de la réaction. Les rendements obtenus sont excellents, même à l’échelle de plusieurs dizaines de grammes.

Mise au point de l’étape d’arylation

   Afin de mettre au point l’étape d’arylation des groupements phosphonates du composé  nous avons effectué au préalable des tests de réactivité sur les phosphonates 9 et 10 que nous avons utilisés ici comme substrats modèles, afin de trouver les meilleures conditions d’arylation du bis(phosphonate). Un essai de diarylation du phosphonate de diphényle 9 a été conduit en présence de trois équivalents de 3,5-diméthyl-phényllithium dans le tétrahydrofurane à –70°C. Après purification, l’oxyde de phosphine 14 est obtenu avec un rendement de 51% (Schéma 127). La diarylation du phosphonate de diéthyle 10 dans des conditions identiques s’est avérée incomplète (10 : 14 en proportions 6 : 4). D’autre part, la tentative de séparation des produits de départ et d’arrivée par chromatographie sur gel de silice s’est révélée infructueuse.

Synthèse du (R)-p-Tol-SYNPHOS

   La synthèse du p-Tol-SYNPHOS suit exactement le même schéma réactionnel que pour le m-Xyl-SYNPHOS. L’arylation du bis(dichlorure phosphonique) a été réalisée dans ce cas en utilisant le composé (R)-16 isolé (Schéma 133). Le bis(oxyde de phosphine) (R)-17b est obtenu avec un rendement de 44% en utilisant le 4-méthyl-phenyllithium comme agent d’arylation. Ce rendement est comparable au rendement de l’étape d’arylation de la synthèse du m-Xyl-SYNPHOS 18a (50% sur les deux étapes chloration et arylation), ce qui tend à prouver que l’étape limitante de cette séquence réactionnelle est bien l’étape d’arylation. Enfin, la réduction des fonctions oxyde de phosphine est réalisée comme précédemment avec un rendement de 95% pour donner la diphosphine attendue (R)-p-Tol-SYNPHOS .

Formation de diesters dérivés de l’acide (-)-camphanique

   A ce stade, nous nous sommes alors tournés vers des méthodes de dédoublements de biphénols qui utilisent la formation de diesters diastéréomères à l’aide de chlorure d’acyles chiraux. Parmi toutes les stratégies décrites, ce sont celles qui ont été le plus souvent appliquées en série biphénylique. Ainsi, la réaction de diestérification de 20 en présence de chlorure d’acyle (-)-camphanique, de triéthylamine et d’une quantité catalytique de 4-diméthylamino-pyridine (DMAP) a permis d’obtenir les diesters diastéréomères 28a et 28b avec un rendement isolé de 86% et un ratio diastéréomérique de 53:47, mesuré par RMN et HPLC. Nous n’avons pas pu séparer totalement les deux diastéréomères 28a et 28b par chromatographie classique sur colonne de silice (rapports frontaux identiques). Cependant, il nous a été possible d’obtenir des échantillons (~100 mg) diastéréomériquement purs des composés 28a et 28b par HPLC préparative sur colonne de silice préconditionnée.

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Table des matières

Introduction générale
PARTIE A. Rappels bibliographiques : diphosphines chirales par atropoisomérie
I. L’atropoisomérie
II. Les différentes familles de diphosphines chirales par atropoisomérie
A. Diphosphines à motif binaphtyle
1. Le BINAP et ses analogues
2. Modifications et substitutions du squelette binaphtyle
3. Ligands dont le groupement phosphine n’est pas porté par le squelette binaphtyle
B. Diphosphines à motif biphényle
1. Groupement carboné en positions 6,6’ (série BIPHEMP)
2. Groupement oxygéné en positions 6,6’(série MeO-BIPHEP)
C. Diphosphines à motif bihétéroaromatique
1. Squelette bipényle
2. Squelette bihétéroaromatique à 5 chaînons
3. Squelette bihétéroaromatique à 6 chaînons
D. Diphosphines dépourvues de symétrie C2
1. Groupements différents sur les atomes de phosphore
2. Squelette biaryle dissymétrique
III. Méthodes de synthèse des diphosphines chirales par atropoisomérie
A. Méthodes de couplage aryle-aryle
1. Couplage de type Ullmann
2. Couplage oxydant
3. Méthodes de couplage spécifiques des dérivés hétéroaromatiques
4. Couplages stéréosélectifs
B. Méthodes de dédoublement
1. Dédoublement au niveau du biphénol
2. Dédoublement au niveau de la diphosphine
3. Dédoublement au niveau du bis(oxyde de phosphine)
C. Modifications des substituants du phosphore
1. Méthodes de synthèse linéaires
2. Intermédiaire binaphtol ou biphénol énantiopur
3. Intermédiaire phosphorylé énantiopur
PARTIE B. Synthèse de nouveaux ligands phosphorés chiraux par atropoisomérie
I. Présentation des objectifs
II. Synthèse d’analogues du ligand SYNPHOS
A. Schéma rétrosynthétique et choix des cibles
B. Synthèse d’un intermédiaire commun énantiopur de type bis(phosphonate)
1. Synthèse des arylphosphonates
2. Dimérisation du motif arylphosphonate
3. Dédoublement du bis(phosphonate) 12
C. Synthèse des analogues m-Xyl-SYNPHOS, p-Tol-SYNPHOS, p-CF3-SYNPHOS
1. Mise au point de l’étape d’arylation
2. Synthèse du (S)-m-Xyl-SYNPHOS
3. Synthèse du (R)-p-Tol-SYNPHOS
4. Synthèse du (S)-p-CF3-SYNPHOS
D. Conclusion et perspectives
III. Synthèse de nouveaux biphénols fluorés chiraux par atropoisomérie : valorisation du motif bi(tétrafluorobenzodioxane)
A. Synthèse de biphénols énantiopurs à motif bi(tétrafluorobenzodioxane)
1. Schéma rétrosynthétique
2. Synthèse du motif biphénol
3. Tentatives de dédoublement du biphénol 20
4. Dédoublement du biphénol 21
B. Application à la synthèse de nouveaux phosphoramidites chiraux
1. Rappels bibliographiques
2. Synthèse du phosphoramidite dibromé 30
3. Synthèse du phosphoramidite ortho, ortho’-diarylé o-Ph-F8-BIPhePHOS
4. Application du phosphoramidite o-Ph-F8-BIPhePHOS 31 en hydrogénation asymétrique : étude préliminaire
C. Conclusion et perspectives
PARTIE C. Evaluation des ligands SYNPHOS® et DIFLUORPHOS® en hydrogénation asymétrique
I. Rappels bibliographiques
A. Synthèse des catalyseurs chiraux ruthénium-diphosphine
B. Applications des catalyseurs in situ Ru(P*P)X2 en hydrogénation asymétrique
C. Cycle catalytique
II. Influence des propriétés stériques et électroniques des diphosphines atropoisomères en hydrogénation asymétrique
A. Profil stérique des diphosphines chirales par atropoisomérie
1. Rappels bibliographiques
2. Intérêt de la modélisation moléculaire
3. Résultats : mesure du paramètre angle dièdre θ
4. Bilan
B. Profil électronique des diphosphines chirales par atropoisomérie
1. Rappels bibliographiques
2. Résultats : comparaison des trois échelles électroniques
3. Comparaison des différentes échelles
4. Bilan : profil stéréoélectronique des ligands SYNPHOS et DIFLUORPHOS
C. Influence des paramètres stéréo-électroniques sur la cinétique en hydrogénation asymétrique
1. Rappels bibliographiques
2. Résultats : diphosphines comportant un squelette biphényle
3. Comparaison avec les diphosphines bihétéroaromatiques
4. Tentative de rationalisation
D. Influence des paramètres stéréo-électroniques sur la sélectivité en hydrogénation asymétrique
1. Substrats de la série 1
2. Substrats de la série 2
3. Bilan : relation structure /énantiosélectivité
E. Conclusion
III. Utilisation des catalyseurs Ru-SYNPHOS® et Ru-DIFLUORPHOS® pour la synthèse d’alcools chiraux d’intérêt industriel
A. Synthèse de catalyseurs Ru-SYNPHOS® et Ru-DIFLUORPHOS® préformés
1. Catalyseurs cationiques mononucléaires Ru-SYNPHOS® et Ru-DIFLUORPHOS®
2. Catalyseurs anioniques dinucléaires Ru-SYNPHOS® et Ru-DIFLUORPHOS®
B. Valorisation du ligand DIFLUORPHOS® dans l’hydrogénation asymétrique de β-cétoesters halogénés
1. Hydrogénation asymétrique du 4,4,4-trifluoroacétoacétate d’éthyle
2. Hydrogénation asymétrique du 4-chloro-acétoacétate d’éthyle
3. Hydrogénation asymétrique de β-cétoesters aromatiques fluorés
C. Valorisation du ligand SYNPHOS® dans l’hydrogénation asymétrique de cétones β-fonctionnalisées
1. Synthèse du (R)-3-hydroxy-3-phenylpropionate d’éthyle
2. Synthèse du (S)-4-benzyloxy-3-hydroxybutyrate d’éthyle
IV. Utilisation de complexes cationiques du ruthénium pour l’hydrogénation énantiosélective d’oléfines 
A. Hydrogénation asymétrique de liaisons C=C tétrasubstituées
1. Rappels bibliographiques
2. Hydrogénation asymétrique de β-(acylamino)acrylates cycliques
B. Synthèse de l’ester de Roche par hydrogénation asymétrique
1. Rappels bibliographiques
2. Essais d’hydrogénation asymétrique
V. Conclusion
PARTIE D. Evaluation des ligands SYNPHOS et DIFLUORPHOS en catalyse asymétrique: formation de liaisons C-C
I. Couplage réducteur asymétrique
II. Cycloisomérisation d’énynes 1,7
A. Rappels bibliographiques
B. Résultats
C. Conclusion
III. Réaction de Heck asymétrique
A. Rappels bibliographiques
1. Version intramoléculaire
2. Version intermoléculaire
B. Résultats : réaction de Heck intermoléculaire, arylation du 2,3-dihydrofurane
1. Synthèse des réactifs
2. Tests catalytiques
3. Conclusion et perspectives
C. Résultats : réaction de Heck intramoléculaire
1. Synthèse des réactifs
2. Tests catalytiques
3. Conclusion
IV. Perspectives
Conclusion générale
Partie expérimentale
Annexes

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