Survivre en poésie dans un régime totalitaire

L’Arménie après le génocide

   Amputée et atrophiée, la société arménienne cherche à se reconstruire sur sa partie orientale dans l’empire russe. Deux événements majeurs décident la suite de l’histoire nationale, laissant dans la poésie de Tcharents beaucoup de questions sans réponse : 1) la création de la 1ère République indépendante d’Arménie en mai 1918, avec ses problèmes d’instabilité politique intérieure et d’incertitude sur le plan politique extérieure, notamment la Question arménienne, vue par l’alliance turcosoviétique, et 2) la soviétisation de l’Arménie comme « le moindre mal ». Tcharents a eu un rapport ambigu avec la 1ère République ; il salue sa création comme la réalisation des aspirations de transcendance nationale et en même temps, il n’adhère pas à sa politique. En revanche, dans la victoire de la révolution permanente, le poète cherche le salut de sa patrie, la sauvegarde de son rêve national que la politique nationale internationaliste de Lénine promettait à tous les peuples opprimés. Mais ses attentes ne se réalisent pas. De plus, en une décennie, Staline transforme la dictature prolétarienne en un régime totalitaire en menant une politique de terreur et de répressions. Après la période de la NEP, Staline, agacé par l’attitude du vieux Bolchevik qui se permet de critiquer sa construction de l’État soviétique, cherche à en finir avec les « donneurs de leçons ». Les derniers textes de Tcharents témoignent de ces événements tels que le revirement politique de l’URSS, suite à la Constitution de 1936, les procès d’Erevan résultant des vagues de répressions de 1936-1937. Ainsi, les grandes purges staliniennes, commencées dès la fin des années 20, plongent la population soviétique dans la peur, puis dans la terreur jusqu’en 1953. Tcharents meurt le 27 novembre 1937 à la prison d’Erevan. Il faut attendre les années 60 pour que les manuscrits cachés par Régina Ghazarian, une amie fidèle de la famille Tcharents, soient enfin sortis de terre, très abîmés et rendus au Fonds Tcharents du Musée de l’Art et de la Littérature à Erevan. Aujourd’hui, il est possible de lire l’ensemble de l’œuvre de Tcharents et de constater l’existence des liens profonds entre sa poésie de survie en fin de vie et celle qui précède.

La mainmise du pouvoir politique sur le champ littéraire

   La soviétisation change la donne dans le domaine des arts. Le régime totalitaire mène une politique d’assujettissement, notamment du champ littéraire. Dès 1932, les directives politiques du Parti ne tolèrent plus d’écarts. Le Parti exige l’obéissance et l’exécution de la commande idéologique. La propagande soviétique attend des résultats de la part des ingénieurs des âmes en contrepartie de leur quiétude financière. Pour comprendre le processus d’assujettissement du champ littéraire dès les premières années de soviétisation, trois éléments d’observation sont spécifiés : 1) le champ littéraire soviétique des années 30, 2) le champ littéraire arménien entre 1921 et 1932, 3) l’analyse du discours de Tcharents au 1er Congrès des écrivains soviétiques en 1934. Tcharents, poète connu, au service de la nouvelle société, semble croire à l’éducation de l’homme nouveau et à cette nouvelle esthétique de la littérature soviétique, mise à mal dès les premières années de sa création. À plusieurs reprises, Tcharents a réaffirmé sa vision de l’indissociabilité du lien entre l’art et la vie, ce qui définit indirectement la nature de sa poétique comme une continuité, un mouvement dans le temps et dans l’espace. Pour une meilleure perception des textes du corpus, nous avons donc consacré le chapitre 2, intitulé Une poétique de ruptures polymorphe, à la présentation de l’œuvre de Tcharents de ses débuts jusqu’en 1932, avant la publication du Livre du chemin qui constitue la première partie du corpus. Le chapitre a pour but de démontrer l’évolution des thèmes, des sujets de sa poésie, dès le début de son activité poétique. Si sa spontanéité et son tempérament contradictoire, ses réactions imprévisibles lui jouent souvent de mauvais tours dans la vie, ils sont aussi à l’origine de sa poésie polymorphe.

Le milieu politico-littéraire hostile à la vision de Tcharents

1) Les ennuis du poète avec le GlavLit annoncent également le début de ses ennuis avec le régime. D’alors, pour les autorités, il devient l’homme à contrôler. Tcharents est taxé d’écrivain nationaliste. La politique nationale de Staline ne voit aucune différence entre le national, lié à la pensée universelle, aux idées humanistes, et le nationaliste, au sens péjoratif du terme, c’est-à-dire qui surestime sa propre culture et véhicule des idées xénophobes. D’ailleurs, l’Union soviétique crée l’homo sovieticus dans un esprit nationaliste,mais elle refuse en son sein le nationalisme ethnique des cultures minoritaires et elle lutte contre « le fétichisme national ».
2) La structure initiale du recueil ne laisse pas entrevoir un élément antisoviétique. Au contraire, l’édition de 1933 trace le chemin de l’histoire nationale jusqu’à sa reconstruction au sein de l’Union soviétique, inspirée de la pensée philosophique de la Voie de l’enseignement taoïste : une réflexion sur l’existence et le sens de la vie, vue à travers le lien inhérent entre les trois périodes du temps.

L’avenir par le prisme du présent

   Par son action contemplative au temps présent, le poète veut préparer les générations futures aux changements de la vie. Pour le faire, il crée des images poétiques chargées de symboles et des formes narratives inscrites dans la durée. Le présent demeure le terrain en chantier permanent de la reconstruction de l’avenir national. Il prépare le futur, que j’appelle le futur proche, car après la censure, Tcharents change sa perception des limites du futur. Dans l’édition de 1934, cet avenir est modifié : son interlocuteur est dans un avenir lointain. Tcharents pense au devenir de sa poésie.

La critique du stalinisme à travers la poésie de Tcharents

1) Un essoufflement vis-à-vis de la commande idéologique se dessine dans la poésie de Tcharents. Il ne soucie plus d’appliquer les directives du Parti. La critique du stalinisme apparaît ouvertement, et plus particulièrement entre 1936 et 1937.
2) Tcharents a écrit plusieurs textes sur Staline et le stalinisme. L’étude de ces textes (la figure de Staline : l’avers et le revers) est proposée avec la présentation du poème panégyrique Staline de Naïri Zarian, comme un exemple de la poésie officielle et l’Épigramme contre Staline d’Ossip Mandelstam. L’étude comparative des textes de Tcharents et du poème de Mandelstam permet de mieux saisir la complexité de la réalité politique soviétique, notamment l’évolution de son système punitif. Comme Mandelstam, Tcharents croit à l’interlocuteur providentiel, au destinataire secret, dans le regard duquel son œuvre doit continuer à vivre après sa mort. Il croit aussi et toujours que son destin de poète est lié à celui de son pays, même si cela peut causer sa propre perte.

Prière en dernier recours : de profundis

   Tcharents cherche une source d’optimisme dans son for intérieur. Cet état d’âme de déception, de résignation et de révolte intime fait naître des textes en forme de prière, notamment autour de la réflexion de de profundis. Il écrit une série de quatre poèmes Tetraptikos, Tétraptique, où il fait ainsi part de sa solitude. Il recherche un interlocuteur qui peut devenir le lien entre l’Au-delà et cette réalité d’isolement. Il construit ses quatre sonnets autour du poète mystique du Xe siècle Grégoire de Narek en l’invoquant comme le témoin Narékatsi. Témoin de son époque, il a besoin d’un témoin historique pour renouer le dialogue avec son Dieu. Son désarroi est grand, mais son espoir est infini. Tcharents, toujours prophétique, voit dans sa survie et dans sa mort imminente telle une hache rougeoyante qui décapite, le sens du sacrifice pour l’avenir de son pays et le devenir de sa poésie. La toile thématique de l’œuvre de Tcharents des années 1935-1937, au premier regard, paraît éparse et décousue. Mais grâce à l’unicité de ses figures réelles et imaginaires dans le temps et le lieu poétique, la mosaïque de son univers singulier devient perceptible. Il écrit comme un témoin puisant non sans gourmandise dans la culture nationale et mondiale ― les mythes, la Bible, l’image de Jésus errant, l’art de De Vinci, de Goya, de Komitas, des poètes comme Homère, Sappho, Dante, Ferdowsi, Hafez, Verlaine, Rimbaud, Goethe, Pouchkine, Maïakovski, Grégoire de Narek, SayatNova, Vahan Terian et tant d’autres. Cela lui procure de l’énergie et de la force pour « se familiariser » avec la Mort, tel un sommeil sans fin, telle une divagation entre le repos offert par le monde intime, imaginaire et la cruauté de la vie réelle. La poésie devient-elle l’arme à la fois de sa survie et de sa perte ? Comment partage-t-il son univers spirituel entre l’intimité des génies, le christique et le mythique ? L’amour est-il l’élément essentiel de sa poésie intimiste ? L’androgynie caractérise-telle sa poésie intimiste ? Ses derniers poèmes sont-ils annonciateurs d’une nouvelle écriture ? Dans le chapitre 5 : Entre l’intime et le spirituel : une poétique d’isolement, à travers sa poétique intimiste, Tcharents dénonce les restrictions des libertés individuelles et s’interroge sur des problèmes bannis de la doxa du régime politique. La poésie comme un lieu protégé lui donne la possibilité et la liberté de les aborder.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Remerciements
Résumé en français, mots clés
Résumé en anglais, mots clés
Grille de transcription
Table des matières
Introduction
Chapitre 1. La poésie de Tcharents dans son contexte historique et politique 
A/ La question nationale 
La question nationale vue par la diplomatie européenne
Les mouvements nationaux et révolutionnaires
Le génocide de 1915 : le début du cauchemar national
B/ L’Arménie après le génocide 
La 1ère République condamnée à disparaître
Instabilité politique intérieure
L’incertitude sur le plan de la politique extérieure
La Question arménienne vue par l’alliance turco-soviétique
La soviétisation de l’Arménie : le moindre mal ?
Les effets de la NEP
La constitution de 1936, le revirement politique et les procès d’Erevan
C/ La mainmise du pouvoir politique sur le champ littéraire 
Le champ littéraire soviétique des années 30
Le champ littéraire arménien entre 1921 et 1932
Le discours de Tcharents au 1er Congrès des écrivains soviétiques
Chapitre 2. Une poétique de ruptures polymorphe 
Un aperçu du contexte littéraire de la poétique de Tcharents
A/ Du bleu du rêve à l’or de la révolution 
Le bleu du rêve
L’or solaire de la révolution
B/ La conception tcharentsienne du Pays Naïri 
Poétique de reconstruction après la Catastrophe
C/ Le poète de la désinvolture
La Déclaration des Trois
Le thème national
À la recherche de nouveaux langages poétiques
Le sort de la revue Standard
D/ Réorientation littéraire politiquement correcte ? 
Le fond et la forme
Exemples à suivre
Exemples de rééducation
Chapitre 3. Entre l’action et la contemplation : le Livre du chemin 
A/ Le milieu politico-littéraire hostile à la vision de Tcharents 
Le début des ennuis avec le régime politique
La structure du recueil
B/ Les leçons du passé 
Le passé national
Le retour à la Catastrophe : l’évolution du concept Pays Naïri
Choix de l’action révolutionnaire : doute ou regret ?
C/ L’avenir par le prisme du présent 
Action contemplative au temps présent
Poésie didactique
Image poétique chargée de symboles
Exploitation d’une forme narrative
D/ Devenir poétique : la voie de la contemplation 
Poétique philosophique
L’inspiration goethéenne
Le poète et la cité
Chapitre 4. Témoignage historique en poésie 
A/ La critique du stalinisme à travers la poésie de Tcharents 
L’essoufflement de la commande sociale idéologique
La figure de Staline : l’avers et le revers
Le poème panégyrique Staline de Naïri Zarian
L’Épigramme contre Staline d’Ossip Mandelstam
Les textes sur Staline de Tcharents
B/ Ars memoriæ du Pays Naïri, le talon d’Achille de Tcharents 
Komitas, figure du renouement national
La forêt du chant naïrien
C/ Prière en dernier recours : de profundis 
Avec le témoin Narékatsi
Chapitre 5. Entre l’intime et le spirituel : une poétique d’isolement 
A/ Mode de vie ― Poésie 
Évocations nostalgiques
Automne
Terian ― instant nostalgique
Sa chambre ― son point de chute
Les retrouvailles avec soi
Chambre habitée
Poésie en images métaphoriques
Poésie personnifiée
Image mythologique de la poésie
La croyance poétique de Tcharents
Le Dieu de la Poésie
Le trait christique de la poétique de Tcharents
B/ Dans l’intimité poétique des amours de Tcharents 
Le féminin dans la poésie intimiste de Tcharents
L’image de l’épouse aimante
Lectrice du futur ― promesse d’amour
Nausicaa ― le féminin polymorphe
Le caractère androgyne de la poétique intimiste de Tcharents
L’éventuelle bisexualité de Tcharents
comme un élément de sa poétique intimiste
Une intimité révoltée
Chapitre 6. Traduire un univers poétique 
Quelques éléments théoriques de l’approche traductive adoptée
A/ Comprendre le micro-univers de la série Dauphin naïrien 
Intertextualité : mythification d’un événement historique
L’organisation évolutive du thème commun des sonnets
B/ Étude comparative de traductions d’un poème 
Récurrence et anaphore : éléments constructifs de l’expression stylistique
Les liens intrinsèques entre le sujet et son objet de transcendance
L’éternité comme unité de mesure du lieu et du temps poétique
C/ Quelques réflexions autour des traductions de l’annexe 1 
Aspect grammatical
Aspect lexical
Aspect syntaxique
Aspect stylistique
Conclusion
Bibliographie
Bibliographie générale
Bibliographie des ouvrages sur la vie et l’œuvre de Tcharents
Articles et ouvrages consultés en version numérisée
Liste non exhaustive des publications de l’œuvre de Tcharents
Annexe 1. Présentation bilingue de textes du corpus : entiers ou extraits
Annexe 2. Biographie de Tcharents
Annexe 3. Articles, lettres, fragments de manuscrit

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *