L’univers symbolique la quête de l’invisible

Subterfuges de la quête identitaire

L’Univers du Moi ou la quête d’une identité personnelle

Réfléchir et exister : l’homme qui pense 

Comme nous venons de le voir, certaines caractéristiques de la personnalité de Teste le placeront du côté des individus solitaires et marginaux, à l’image d’un Robinson. Une attitude fort réservée, fruit d’une volonté obsessionnelle pour un individualisme idéalisé frôlant l’impossible, lui permet de s’abstraire de la réalité. Exister et réfléchir à sa propre existence ou exister grâce à sa réflexion, sont deux préoccupations majeures d’Edmond Teste. Le patronyme du personnage « teste » évoque indéniablement la tête. Il incarne l’aphorisme cartésien « Je pense donc je suis », car son nom devient la synecdoque « personnifiée » de celui qui réfléchit sans cesse. Il est, par ailleurs, défini comme « l’homme toujours debout sur le cap Pensée », ou comme étant le « maître de sa pensée ». Il est dit également : « l’habitude de méditation faisait vivre cet esprit au milieu – au moyen – d’états rares ; dans une supposition perpétuelle d’expériences purement idéales ; dans l’usage continuel des conditions-limites et des phases critiques de la pensée ». Concernant le traitement de la description physique d’Edmond Teste, nous sommes également confrontés à une absence de véritable portrait, bien que la présence du corps, comme nous l’avons expliqué plus haut, est fondamentale, car elle constitue la partie « organique » du personnage. Rappelons rapidement que le héros est décrit selon les impressions du narrateur-personnage qui évoque ses soirées passées avec un homme très particulier qui l’a profondément séduit et intrigué. Nous remarquons que les seuls traits physiques qui apparaissent sous l’évocation de quelques parties du corps sont principalement et de façon réitérée, les yeux, ensuite la voix, puis, les « larges épaules » et les « grands pieds ».

Toutefois, en dépit du choix délibéré de non-description, une image prend forme dans l’esprit du lecteur, celle d’un être sinon abstrait du moins étrange. Des adjectifs tels que « impénétrable», « inhumain » ou même « statuaire » le prouvent. Dans son discours, le narrateur-personnage compare Teste à un « objet », quand il s’écrie : « Je simplifie grossièrement des propriétés impénétrables. Je n’ose pas dire tout ce que mon objet me dit ». À l’Opéra, où l’entourage, les spectateurs ainsi que le décor, semblent également morcelés, on trouve une « fille de cuivre », un « morceau nu de femme », une « tête triste, des bras, mille petites figures ». Le narrateur-personnage aperçoit son ami comme « la forme de tout un bloc vêtu, étayé par la grosse colonne, un être noir ». Et d’ajouter, surtout : « Je regardais ce crâne qui faisait connaissance avec les angles du chapiteau, cette main droite qui se rafraîchissait aux dorures ». Se produit à travers ce passage une sorte de mimétisme entre Teste et les objets extérieurs. Ici, l’environnement théâtral ajoute forcément au « personnage » une dimension non seulement abstraite mais également fantastique. Teste rentre dans son personnage, le choix métonymique du substantif « crâne » semble vouloir associer Teste au monde des morts, du côté du mal . Souvenons-nous que la structure du corps – un « bloc » – est assimilée à la colonne évoquant symboliquement la puissance intérieure, la force, l’indestructibilité.

Le crâne semble se fondre dans le chapiteau (du latin caput, tête, sommet de la colonne) ; la main, à son tour, s’identifie aux ornements où gît la lumière. Teste, à l’intérieur de la loge semi-obscure, n’est plus humain. Grâce à cette  décortication, il est le prolongement du décor. Le narrateur le soupçonne d’être hermétique, mais ici son ami atteint le plus haut degré de l’abstraction. Le mot intervient dans la tentative de description que fait le narrateur de son ami : « Je regrette », confie-t-il, « d’en parler comme on parle de ceux dont on fait les statues».

Le choix, de la part de Borges et de Valéry, d’ébaucher un portrait morcelé de leur personnage, en membres décortiqués, traduit d’une part, leur volonté de rendre lesdits personnages plus inhumains, difficilement saisissables dans leur nature et dans leur comportement ; et la volonté, d’autre part, de les inscrire dans une dimension symbolique à caractère surréel, littéraire, fantastique ou mythologique.

Or, si quelques indices disséminés au long du cycle Teste nous permettent d’élaborer une idée de l’ensemble de la personnalité du personnage, l’auteur, paradoxalement, n’a de cesse de le qualifier d’homme dont « tous les portraits diffèrent les uns des autres », parce qu’il est l’homme de la métamorphose. En effet, Teste est à la fois indéfinissable et indescriptible ; il surprend tant par son attitude que par son expression déconcertante. Or, d’après ce que P. Valéry nous dit dans la préface, il est la « créature exceptionnelle d’un moment exceptionnel » et représente « l’instable ». De plus, son épouse, Émilie, laisse transparaître l’échec d’une quelconque définition du caractère ou de la personnalité de son mari lorsqu’elle avoue qu’ « on ne peut rien dire de lui qui ne soit inexact dans l’instant même ».

De la même façon, elle rapportera les quelques paroles de son confident, l’abbé Mosson: « Les visages de Monsieur votre mari sont innombrables ! » Par ailleurs, « l’incertitude de son humeur » et son « étrange » personnalité, font de Teste un être bien singulier et mettent en lumière une nature protéiforme. Quant à la Lettre de Madame Émilie Teste, où celle-ci s’adresse au narrateur, elle souligne en ces termes: « Si vous saviez, Monsieur, comme il peut être tout autre ! … Certes, il est dur parfois ; mais en d’autres heures, c’est d’une exquise et surprenante douceur qu’il se pare ». Ces réflexions nous permettent de dire que le personnage de Teste présente, d’emblée, une nature complexe où nous devinons une personnalité à multiples facettes.

Dans les Entretiens avec Paul Valéry, F. Lefèvre parle d’un certain nihilisme chez le poète quand ce dernier affirme que la pensée ne peut être considérée comme un ensemble compact, exact, mais tout au contraire, comme étant en perpétuel mouvement. L’écrivain s’écrie : « la connaissance ne se connaît pas d’extrémité et […] aucune idée n’épuise la tâche de la conscience, il faut bien quelle périsse dans un mouvement incompréhensible ». Pour l’écrivain, cet aspect « incompréhensible » duquel parle Valéry pourrait être une révélation. C’est pourquoi l’auteur conclut :

« La clairvoyance, – qualité, moyen, – ne peut devenir une fin, un aboutissement. Cette impuissance de la connaissance à fournir la preuve dont nous avons besoin est l’une des lois les plus importantes du système valérien, l’une des constantes qui se retrouvent partout dans son œuvre ».

À travers ces assertions nous rejoignons complètement Borges, allant jusqu’à nous demander si ce dernier ne se serait pas inspiré directement de la métaphysique valéryenne. L’auteur évoque également un autre principe de la philosophie valéryenne, – auquel Teste répond selon lui-, qui assure qu’un homme de cette nature intellectuelle ne peut être un « original ».

« Valéry veut faire entendre par là, – et il le déclare ailleurs expressément – que tout pourrait être autre ou même ne pas être sans que la conscience subît de ce changement extérieur la moindre modification ».

Il est intéressant de se pencher sur une vision borgésienne capable d’attribuer à l’homme le pouvoir de déstructurer les événements, même ceux de la vie et de la mort.

Mais si Teste est étrange et incompréhensible, il n’est pas fou. Pour le mettre en parallèle avec le personnage d’Astérion, le Minotaure, du conte de Borges (La casa de Asterión, qui fera l’objet de notre étude ultérieurement), nous pouvons dire que sa pensée lui confère une sorte d’évasion mentale, la seule permise dans le labyrinthe, et qui empêche son esprit de frôler la « folie ». Soulignons que si Astérion évoque la folie, parmi les accusations dont il est victime, le narrateur-personnage de Monsieur Teste exclame : « je me suis gardé de classer Teste parmi les fous  », car rien n’est anormal dans ses actes ou son discours. Abstraits et hermétiques, les deux personnages sont placés à la limite de la raison, sans jamais basculer dans la folie. Quant à Teste, c’est surtout son langage qui surprend le narrateur-personnage, car celui-ci déclare : « […] il lui échappait des phrases presque incohérentes. Malgré les efforts, je ne suivais ses paroles qu’à grand-peine, me bornant enfin à les retenir ».

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Table des matières

Introduction
I- Subterfuges de la quête identitaire
A- L’univers du Moi ou la quête d’une identité personnelle
1- Réfléchir et exister : l’homme qui pense
2- Archétype d’un homme extraordinaire : Léonard de Vinci et Edmond Teste
3- Personnages monstrueux et idéaux : Edmond Teste et Ireneo Funes
B- L’archétype du monstre
1- Teste ou l’abstraction absolue
2- La fascination du mal
3- L’ambiguïté du monstrueux : la Gorgone Méduse
C- L’être innombrable
1- Unique
2- Double
3- Paradoxal
II- L’univers symbolique : la quête de l’invisible
A- La solitude
1- Le monde des rêves ou les identités oniriques
2- Le monde mythique ou l’homme dans un labyrinthe spatio-temporel
3- Le monde magique : l’homme de verre
B- L’expression artistique ou les identités représentées
1- L’acteur et ses masques
2- L’art du jeu : un nouvel effet de miroir
C- Le paradoxe temporel
1- L’homme libre et mutant : Teste et Protée
2- L’homme enfermé dans son labyrinthe : Teste et Astérion
3- L’homme et le problème spirituel et physique du temps : Teste et le Sphinx
III- L’identité, une quête incertaine
A- Recherche permanente et angoissante
1- La quête du moi à travers la mémoire
2- L’immortalité comme issue identitaire
3- Le moi existe-t-il ?
B- L’identité de Valéry et de Borges
1- Auteurs-personnages
2- Concept de la littérature
3- Le cycle éternel : Lecteur-Écrivain- Lecteur
C- À la recherche d’une identité divine
1- Teste et son invention
2- Une étrange créature appelée Golem
3- L’identité avec le Créateur
Conclusion
Epilogue
Bibliographie

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