Stigmatisation et discrimination des patients transgenres

Stigmatisation et discrimination des patients transgenres

Discussion

L’objectif de ce travail consiste à identifier les barrières à l’accès aux soins perçues par les individus transgenres et les professionnels de santé et les stratégies mises en place. Dans un second temps, ce travail a pour but de proposer des pistes d’amélioration afin d’assurer une prise en charge infirmière respectant la déontologie et l’égalité d’accès aux soins. Les principaux résultats sont analysés sous l’angle des concepts choisis et de la théorie du Caring de Jean Watson. Des recommandations pour la pratique ainsi que pour les futurs travaux de recherches sont proposées en fin de discussion. La transférabilité des résultats est également abordée et mise en lien avec les forces et limites de cette revue de littérature.

Synthèse des principaux résultats

Les thématiques principales ressorties des résultats, sont le vécu de la stigmatisation et de la discrimination ainsi que le manque de connaissances des professionnels. Elles constituent les principales barrières d’accès aux soins pour les individus transgenres. Ces deux thématiques principales ont été mises en évidence dans tous les articles retenus. Ceci souligne l’importance de leur impact et de leur prise en considération dans l’amélioration de la prise en charge et de l’accès aux soins. En effet, les résultats mettent en évidence comme conséquences l’inégalité d’accès aux soins se manifestant par : le refus de soins (Poteat et al., 2013), le report de soins par les patients (Bauer et al., 2014; Poteat et al., 2013; Samuels et al., 2018) ainsi que la rétention d’informations (Aylagas-Crespillo et al., 2018; Samuels et al., 2018). Cependant l’égalité d’accès aux soins est un droit reconnu pour tous, par la Déclaration des Droits de l’Homme (ONU Nations Unies, 1948).
Trois articles prennent en compte les problématiques de la stigmatisation et du manque de préparation des professionnels en contexte d’urgences (Bauer et al., 2014; Samuels et al., 2018; Willging et al., 2019). De nombreux besoins de soins d’urgences sont non satisfaits en raison de l’évitement de ces structures par les individus transgenres.
Au niveau hospitalier, les causes principales d’une mauvaise prise en charge perçue par les patients transgenres et d’un évitement des soins sont : un vécu d’expériences négatives et stigmatisantes (Bauer et al., 2014; Poteat et al., 2013; Samuels et al., 2018; Willging et al., 2019), le temps d’attente (Samuels et al., 2018) et le manque de connaissances des professionnels (Bauer et al., 2014; Poteat et al., 2013; Samuels et al., 2018; Willging et al., 2019).
Mise en lien des principaux résultats avec le cadre conceptuel et théorique Barrières dans la prise en charge.Quatre études (Bauer et al., 2014; Poteat et al., 2013; Samuels et al., 2018; Willging et al., 2019), dont trois dans un contexte d’urgences, ont mis en évidence le vécu d’expériences négatives stigmatisantes et discriminantes chez les individus transgenres. La forte prévalence d’harcèlement verbal ou sexuel et d’agressions physiques et sexuelles réalisés par les professionnels de santé (Samuels et al., 2018) prouve que la discrimination est extrêmement présente dans les lieux de soins d’urgences.
Conformément au code déontologique du CII (Conseil international des infirmières, 2012) et au serment d’Hippocrate (Conseil national de l’Ordre des médecins, 2012), de telles expériences ne devraient pas être rapportées.
La perception de différences culturelles peut être renforcée par le manque de connaissances des professionnels concernant cette population. Selon la définition de l’UNESCO (1982), la culture englobe les modes de vie, les valeurs et les croyances partagées par un groupe. Un professionnel cisgenre ne partageant pas le même domaine culturel qu’un patient transgenre, en raison de son identité, peut le catégoriser comme externe à ses propres normes et valeurs. En effet, la norme divergente dérange car est contraire aux normes acceptées par la société et un jugement de valeur va se construire sur cette base (Bichsel & Conus, 2017). Selon Link et Phelan (2006), cette différenciation et catégorisation d’un groupe par rapport à un autre correspond à la première étape du processus de stigmatisation. Ceci ne respecte pas le neuvième processus caritas clinique (PCC) de la théorie du Human caring de Jean Watson (Cara & O’Reilly, 2008) qui mentionne l’importance de prendre en compte la dimension existentielle du patient et de soi-même. En effet, ne pas prendre en compte cette dimension traduit un non-respect du patient en tant qu’individu. En raison de ces différences perçues et sans occasion de contact avec l’autre groupe, le professionnel pourrait ne pas avoir d’opportunité de connaître les caractéristiques propres à cette population pouvant s’avérer être similaires aux siennes.
Ce manque de connaissances des professionnels est abordé dans tous les articles et est énoncé autant par les patients transgenres que par les professionnels concernés. Les principales conséquences sont : le rôle de formateur assumé par les patients (Bauer et al., 2014; Samuels et al., 2018; Willging et al., 2019), la frustration (Poteat et al., 2013; Samuels et al., 2018), de la méfiance et le manque de confiance (Samuels et al., 2018) éprouvés par les patients. Les résultats suggèrent que les questions posées par les professionnels pour combler leurs lacunes sont perçues par les patients comme le reflet d’une curiosité accrue et déplacée au sujet de leur identité de genre. Il ne faut pas exclure la possibilité que ces multiples questions fassent partie de l’anamnèse et permettent d’apporter des informations nécessaires à la prise en charge.
Les résultats démontrent qu’en raison de leur manque de connaissances sur les diverses problématiques de la population transgenre, les professionnels peuvent aborder la relation de soins avec une grande incertitude (Poteat et al., 2013). Selon la théorie ancrée (Poteat et al., 2013), ces professionnels vont exercer un pouvoir sur l’autre groupe afin de gérer leur incertitude et rééquilibrer les forces dans la relation. Ceci est la dernière étape de la stigmatisation (Link & Phelan, 2006). Les résultats confirment que les professionnels avec une grande incertitude y recourent davantage, de façon consciente ou non, et ont plus d’attitudes discriminantes (Poteat et al., 2013).
En résumé, le manque de connaissances des professionnels concernant les problématiques de la population transgenre et l’importance des normes dans la société peuvent amener à la stigmatisation de ce groupe. Selon Lochak (2004), la discrimination qui en découle consiste en un traitement défavorable reposant sur un critère illégitime et prohibé par la loi, à savoir l’identité de genre. Ces comportements et leurs conséquences créent une inégalité dans l’accès aux soins pour la population transgenre.

Ressources pour la prise en charge

Une étude a identifié deux moyens utilisés par les infirmiers pour résister à la stigmatisation (Beagan et al., 2012). Certains prennent en considération l’identité de genre et l’orientation sexuelle afin d’être attentifs à ce que leurs actes et leurs paroles ne soient pas blessants. D’autres énoncent que ces informations ne sont pas pertinentes car ils prennent en charge chaque patient de manière identique, en tenant uniquement compte de leurs besoins individuels. Cette vision reflète la pratique d’amour-bonté et d’égalité défendue par le PCC1. Cette conscience de l’égalité de chacun empêche les professionnels d’entrer un processus de stigmatisation qui a pour base l’identification des différences entre deux groupes (Link & Phelan, 2006). De plus, en améliorant les connaissances des professionnels, on améliore leur compréhension de l’identité de genre et des individus transgenres.
Selon le concept de stigmatisation (Link & Phelan, 2006), cette compréhension de l’autre va modifier la différenciation et la catégorisation du groupe minoritaire et les stéréotypes associés et peut donc permettre de diminuer le recours à la stigmatisation. Par ce processus, le vécu d’expériences discriminatoires telles que le refus de soins ou les violences à l’encontre des patients transgenres pourrait être diminué.
Afin de gérer le manque de connaissances et la méfiance des patients à l’égard des professionnels, ceux-ci peuvent créer une relation de confiance et une alliance thérapeutique stable avec le patient en s’appuyant sur des valeurs humanistes (Cara & O’Reilly, 2008). En effet, reconnaître ses lacunes permet au professionnel de montrer au patient qu’il est authentique et sincère, respectant ainsi l’attitude du PCC10. Ceci permet au patient de connaître l’objectif des questions posées. Hormis la curiosité, cela peut être une volonté de compréhension du patient afin de pouvoir agir selon le PCC8 en identifiant et répondant à ses besoins individuels, ce qui est la priorité des infirmiers interrogés (Beagan et al., 2012).. Selon le PCC3, ceci va favoriser la « relation d’aide, de confiance et de caring authentique » (Cara & O’Reilly, 2008). Les résultats relèvent que les patients transgenres sont plus confiants et participent davantage aux discussions et examens avec les professionnels lorsque ces échanges ont lieu dans des lieux clos (Samuels et al., 2018) respectant leur intimité (Samuels et al., 2018; Willging et al., 2019). Ces résultats sont en accord avec le PCC7 du Human caring selon lequel l’infirmier va « créer un environnement sain à tous les niveaux » (Cara & O’Reilly, 2008) afin d’améliorer la relation avec le patient.
En utilisant le PCC4, les professionnels peuvent être présents et offrir du soutien au patient par l’expression de sentiments positifs et négatifs. L’infirmier et le patient doivent prendre en compte leur propres culture et pratiques spirituelles ainsi que celles de l’autre. Ceci va permettre, selon le PCC2, d’aborder la relation au-delà de l’ego, en acceptant l’autre personne comme individu, et selon le PCC6, d’être ouvert à l’autre et de « s’engager dans une expérience d’enseignement-apprentissage » (Cara & O’Reilly, 2008).
Deux études américaines soulèvent le bénéfice et l’importance de formations additionnelles ciblées sur la population transgenre (Carabez et al., 2015 ; Willging et al., 2019).
La majorité des étudiants infirmiers interrogés (Carabez et al., 2015) indiquent avoir acquis leurs connaissances sur la thématique transgenre en dehors de leur formation en soins infirmiers. Le PCC5 défend l’ « utilisation créative de soi et de tous les types de savoirs comme faisant partie du processus de caring » (Cara & O’Reilly, 2008). Cette attitude permettrait à tout professionnel de mobiliser toutes les ressources disponibles, même si celles-ci n’ont pas été développées durant leur formation. En Suisse le référentiel de compétences de la formation en soins infirmiers met l’accent sur une pratique respectant la déontologie infirmière citée dans la problématique (HES-SO Haute école spécialisée de Suisse occidentale, 2012). Cependant, ceci ne garantit pas que les infirmiers diplômés soient suffisamment préparés à prendre en charge des patients transgenres.
En résumé, le rôle de l’infirmier est de travailler avec le patient afin de promouvoir l’harmonie, l’aide et les partages des sentiments, de perceptions et d’expériences, dans une relation de non-jugement. Aborder la relation selon les principes du Human caring de Watson (Cara & O’Reilly, 2008), permettrait d’assurer la qualité de la relation et de favoriser l’apprentissage de l’autre ce qui va ainsi réduire le risque de catégorisation et donc de recours à la stigmatisation et à la discrimination (Link & Phelan, 2006).

Recommandations

Recommandations pour la pratique

Au vu du manque manifeste de connaissances et compétences des professionnels de santé, perçu autant par ceux-ci que par les patients, il est nécessaire et impératif de mieux les préparer pour la prise en charge des patients transgenres. Ceci permettrait ainsi de diminuer le risque de recours à la stigmatisation et de faciliter l’accès aux soins. Pour cela, un ajustement des programmes de formations de base et continues est à développer. De plus une plus grande offre de cours thématiques sur le sujet devrait être proposée aux professionnels. La Fondation Agnodice (Fondation Agnodice, n.d.) offre par exemple des formations et supervisions pour les professionnels. Ceci est recommandé pour tous les professionnels installés dans la pratique, que ceux-ci travaillent directement ou non avec des individus transgenres. Sans pour autant se focaliser directement sur la population transgenre, toute formation permettant de développer une approche culturellement sensible, ouverte sur l’autre et capable de se transposer à toute minorité, peut être bénéfique pour les professionnels. Dans le canton de Fribourg, une liste de médecins « LGBT-friendly », généralistes et spécialistes, permet d’identifier les professionnels étant sensibilisés à la population transgenre et à leurs besoins spécifiques (Sarigai Fribourg, n.d.). Il serait utile d’étendre ces listes à d’autres cantons et de faciliter l’accès à ces informations.
Selon le Centre suisse de compétences pour les droits Humains (Grohsmann, Hausammann, & Vinogradova, 2014), il n’existe pas de service spécialisé au niveau cantonal et fédéral défendant les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) contre la discrimination. Il est nécessaire des développer de tels services et que les structures politiques défendent l’application des dispositions légales afin de défendre les droits de ces individus.
Etant donné que les résultats montrent que la préservation de l’intimité du patient transgenre permet une meilleure communication et relation avec les professionnels, les institutions de soins doivent s’interroger si leurs locaux permettent de fournir un tel cadre. Il serait également judicieux d’actualiser les dossiers informatisés des patients afin de pouvoir mentionner l’identité de genre et favoriser la transmission écrite de l’identité transgenre. Cela éviterait ainsi au patient de devoir clarifier à plusieurs reprises cette information et d’être exposé à des situations embarrassantes, par exemple à la divulgation de leur identité transgenre dans des zones publiques.
L’essentiel de ces recommandations s’appuie sur le fait que les professionnels de santé doivent recourir à une approche culturellement sensible, basée sur la théorie du Human caring, afin de garantir une prise en charge individualisée et de qualité pour chaque patient, peu importe son identité de genre. Cette approche est un idéal de soins qui va s’articuler différemment selon les lieux de soins. Elle nécessite un investissement et du temps de la part des professionnels, ce qui n’est pas toujours réalisable selon les impératifs des structures de soins. L’enjeu est toutefois de ne pas s’investir au-delà de ses propres limites afin d’éviter l’épuisement.

Recommandations pour la recherche

Ce travail et le manque actuel de recherches en Suisse indiquent qu’il serait pertinent et nécessaire de faire l’état de la prise en charge actuelle des individus transgenres dans les structures socio-sanitaires suisses. Ceci permettrait d’obtenir des données épidémiologiques claires et d’identifier les différentes barrières rencontrées afin d’orienter la pratique dans la mise en œuvre d’interventions.
La sociologie et l’anthropologie font partie de la formation actuelle en soins infirmiers et apportent une vision culturelle aux étudiants infirmiers. Il serait tout de même intéressant d’effectuer de futures recherches sur la formation actuelle des infirmiers de niveau Bachelor et d’Etudes Supérieures afin d’évaluer la qualité de ces programmes à préparer les futurs professionnels dans prendre en charge la population transgenre. Il serait pertinent d’évaluer si les résultats obtenus diffèrent selon les niveaux de formations et les lieux de pratique des infirmiers.
Sur les cinq articles s’intéressant au point de vue des professionnels, un seul prend en compte l’avis des infirmiers sans tenir compte des médecins. Il serait judicieux de poursuivre les recherches en ciblant les infirmiers afin d’éviter l’introduction de possibles biais par l’inclusion des médecins dans l’échantillon.

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Table des matières

Introduction
Problématique 
Question de recherche
Objectifs
Cadre théorique
Théorie/aspect théorique
Concepts
Méthode
Argumentation du devis
Étapes de la revue de littérature
Critères de sélection des articles
Tableaux de synthèse des équations
Sélection des articles retenus pour le travail
Résultats
Attribution de numéros aux articles retenus
Analyse des résultats
Qualité méthodologique des articles sélectionnés
Présentation des résultats
Stigmatisation et discrimination des patients transgenres
Vécu de la prise en charge
Perceptions des professionnels face à la stigmatisation des
individus transgenres
Stratégies mises en place par les professionnels
Perceptions des individus transgenres face à la stigmatisation
Stratégies mises en place par les patients
Les connaissances des professionnels de santé
Perceptions des professionnels à l’égard de leurs connaissances
Perceptions des patients à l’égard des connaissances des professionnels
Stratégies mises en place par les patients
Stratégies mises en place par les professionnels
Recommandations faites par les patients pour les professionnels
Organisation structurelle des lieux de soins
Impact du dossier informatisé sur la communication
Organisation de l’espace en milieu hospitalier
Stratégies mises en place par les professionnels
Stratégies mises en place par les patients
Aspects légaux
Discussion
Synthèse des principaux résultats
Mise en lien des principaux résultats avec le cadre conceptuel et
théorique
Barrières dans la prise en charge
Ressources pour la prise en charge
Recommandations
Recommandations pour la pratique
Recommandations pour la recherche
Forces et limites de cette revue de littérature
Forces
Limites
Conclusion
Références

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