Sources laser de forte énergie à base d’YbCaF2

Enjeux et applications des lasers multi-petawatts

Le confinement temporel de plus en plus important de l’énergie des impulsions laser, notamment permis par l’utilisation de la technique de CPA à partir des années 90, a rendu possible la génération de puissance crête toujours plus importante (jusqu’à plusieurs petawatts). Le confinement spatial de telle puissance crête sur des dimensions de l’ordre du micromètre carré permet facilement d’atteindre des intensités ultra-intenses supérieures à 1015 W·cm−2 (avec simplement des puissances de 10 MW) et des champs électriques comparables au champ de Coulomb dans les atomes. Une ionisation rapide de la matière ainsi que la formation de plasma se produit déjà pour ces niveaux d’intensités.  L’entrée dans le régime relativiste (intensités supérieures à 1018 W·cm−2) permet la création d’électrons libres dans le plasma ayant des vitesses approchant la vitesse de la lumière [Umstadter 01]. L’accélération d’électrons par laser est aussi rendue possible dans ce régime et l’utilisation de sources de telle puissance permet d’envisager le développement d’accélérateurs de taille relativement modeste (à l’échelle d’un laboratoire) au lieu des installations synchrotron classiques de plusieurs kilomètres de long. Des intensités supérieures permettent alors l’accélération de particules plus lourdes comme les protons ou les ions. L’accélération de ce type de particules sur de courtes distances laisse envisager des applications nécessitant des sources compactes comme par exemple en milieu médical avec la tomographie à émission de positron [Ledingham 04] ou la protonthérapie pour le traitement du cancer [Malka 04] où les sources se doivent d’être installables en milieu hospitalier. Cette thérapie nécessite des protons accélérés à 200 MeV pour atteindre les profondeurs typiques des tumeurs. Les systèmes laser de classe petawatt devraient permettre d’atteindre cette énergie avec des cibles adaptées. De plus les développements actuels de ces lasers mettant l’accent sur l’obtention de puissance crête de plusieurs dizaines de petawatts à desAvec les lasers de classes multi petawatts, les intensités de l’ordre de 1022 W·cm−2 à 1023 W·cm−2 peuvent être atteintes, permettant l’accès au début du régime ultrarelativiste.
L’accélération d’électrons jusqu’à 100 GeV et 1 GeV pour les protons deviendrait alors possible. L’obtention du régime d’électrodynamique quantique non linéaire pour des intensités supérieures à 1030 W·cm−2 est encore aujourd’hui spéculative mais ouvrirait elle aussi la voie vers de nouveaux domaines de recherche, particulièrement en physique des particules et en astro-physique. En effet le noyau atomique peut être directement excité pour des intensités de l’ordre de 1028 W·cm−2, permettant notamment la réduction du temps de vie des déchets nucléaires.
Pour des intensités de 1029 W·cm−2 à 1030 W·cm−2, la création de paire électron-positron dans le vide ou la génération de rayonnement de Hawking/Unruh sont ainsi prédites théoriquement [Gerstner 07]. cadences allant de quelques hertz à une centaine de hertz pour le projet Eupraxia, devraient également pousser le développement des systèmes » compactes  » d’accélération par laser.

L’énergie et la cadence, le prix à payer pour les systèmes de pompage

Les systèmes de pompage sont un des éléments clé des systèmes petawatt et multi-petawatts. En effet si l’énergie est un paramètre critique dans le développement pour les architectures laser petawatt, il l’est tout autant voire plus pour les systèmes de pompage qui doivent de facto gérer des énergies encore plus importantes. Actuellement la technologie reine reste les lampes flash pour pomper des systèmes à verres dopés, soit pour réaliser des lasers types mégajoules (en pompage direct) ou subséquemment doublés en fréquence pour pomper les lasers Ti:Sa (pompage indirect). En effet c’est aujourd’hui la seule technique permettant des pompages à des niveaux d’énergie extrêmes (supérieures au kilojoule) pour un coût réduit. Cependant c’est un pompage assez peu efficace à cause de son émission non directive et large bande. Mais surtout, ce type de pompage amène ses propres problématiques dont la principale est la thermique qui à cause des propriétés médiocres des verres (conductivité thermique de l’ordre de 1W·m·K−1) et l’éclairage très large bande des lampes flashs, qui mène à un rendement quantique faible, rendent leur utilisation à haute cadence limitée entre 0,1 Hz et 1 mHz typiquement. Pour contourner ces défauts et atteindre de plus grande cadence, le pompage par diode laser (à la fois directe ou indirecte) est en plein développement portant notamment de la nouvelle disponibilité industrielle des diodes de puissances dans l’infrarouge. Cependant, l’utilisation des diodes laser souffre de deux grands revers : tout d’abord le prix du joule avec les diodes laser est extrêmement élevé par rapport aux lampes flashs, et deuxièmement la problématique des mauvaises propriétés thermiques des verres n’est pas réglée. Les systèmes de forte puissance et forte énergie pompés par diodes utilisent donc préférentiellement les cristaux dopés à l’ytterbium (typiquement et quasi exclusivement l’Yb:YAG). Les lasers solides pompés par diode (DPSSL) permettent certes une montée en cadence (de 1 Hz à 100 Hz typiquement) mais les effets thermiques restent la problématique majeure de ces systèmes de pompage. Ceux-ci sont d’autant plus délétères pour les pompages devant garder un profil spatio-temporel maitrisé. La gestion de ces effets dans les systèmes de hautes énergies servant au pompage est encore aujourd’hui un axe majeur de développement.

Le laser Apollon

Le projet Apollon est un projet laser français ayant pour but de générer des impulsions de 10 PW crête à 1 tir·min−1. Le parti pris pour atteindre cette puissance est de travailler avec des impulsions extrêmement courtes (15 fs) pour rester à une énergie modérée (150 J sur cible) tout en atteignant une intensité sur cible supérieure à 2 × 1022 W·cm−2. Le but principal de cette installation, basée sur le site de l’Orme des Merisiers du CEA Saclay, est l’étude de l’interaction lumière-matière avec des impulsions multi-petawatts. Pour atteindre ces performances le choix s’est porté sur une architecture mixte OPCPA/Ti:Sa afin d’utiliser les avantages des deux techniques . La chaine d’amplification d’Apollon se sépare donc en deux blocs : un pilote à base d’OPCPA travaillant à fort gain mais énergie modérée et une succession d’amplificateurs à base de cristaux Ti:Sa travaillant à gain plus faible mais apportant au faisceau l’énergie nécessaire pour atteindre les 10 PW. Le but du pilote est ainsi de générer des impulsions étirées (régime nanoseconde) de plusieurs dizaines de millijoules à 100 Hz avec un spectre suffusamment large (comprimable en dessous de 10 fs). Tout cela avec un contraste autour de 1012 . La chaine Ti:Sa, doit permettre d’atteindre les 320 J à 1 tir·min−1 en fin d’amplification tout en limitant le rétrécissement spectral par le gain pour pouvoir obtenir des impulsions comprimables à 15 fs. Le faisceau est comprimé en fin de chaine dans un compresseur à quatre réseaux avant d’être transporté puis focalisé sur des cibles d’étude dans l’une des deux salles d’expériences de focales différentes : une salle dite courte focale (focale métrique voire moins avec forte ouverture numérique) où le faisceau est focalisé au plus petit pour exalter le champ au maximum sur des cibles solides et générer des particules (protons, ions) et des rayonnements X ; une salle longue focale (plusieurs dizaines de mètres) pour permettre l’accélération d’électrons dans des gaz sur des longueurs significatives.

L’Yb:CaF2 pour les sources de pompage OPCPA à haute énergie

Nous allons maintenant nous intéresser aux milieux amplificateurs ayant un intérêt pour notre système au travers de leurs propriétés spectroscopiques et thermiques. Le but étant de montrer l’intérêt du composé Yb:CaF2.

Critères de choix du matériau

Le système de pompage sera composé de plusieurs amplificateurs , le dernier cristallisant toutes les problématiques liées aux performances voulues. Dans le cas de cet amplificateur, plusieurs points sont à prendre en compte pour le choix d’un milieu amplificateur :
L’énergie importante que doit délivrer l’amplificateur à une longueur d’onde autour de 1 µm. Il est donc préférable que le milieu puisse stocker facilement de l’énergie à la cadence de travail de 100 Hz.
La cadence. En effet à la cadence de 100 Hz l’amplificateur émet une puissance moyenne proche de la centaine de watts moyens. La gestion des effets thermiques sera donc une problématique importante pour ce système. Il en découle l’utilisation d’un milieu amplificateur adapté.

L’intérêt de l’ion ytterbium

Parmi les ions actifs autour de 1 µm, deux éléments trivalents se détachent : l’ion ytterbium et l’ion néodyme.
L’ion néodyme a été historiquement l’un des premiers ion à produire un effet laser efficace autour de 1 µm. Il a été largement utilisé à partir des années 60 de par les nombreuses raies d’absorption qu’il génère dans les matériaux le rendant adapté au pompage large bande des lampes flash. L’effet laser autour de 1 µm se fait entre les niveaux 4F3/2 et 4I11/2 dans une structure électronique quatre niveaux pour la plupart des matériaux et pompage à température ambiante. Cependant de nombreux niveaux excités existent au-dessus du niveau haut de pompage 4F5/2 créant de nombreux effets parasites ( » quenching de fluorescence », absorption de l’état excité,  » upconversion « …) qui limitent la population de l’état excité, diminuant donc le gain. De plus ces effets étant non radiatifs, ils provoquent un échauffement du matériau au-delà du processus absorption/émission stimulée. L’ion ytterbium quant à lui possède une structure électronique beaucoup plus simple sans niveaux d’énergies supérieurs au niveau 2F5/2 de pompage, empêchant tous les effets délétères mentionnés dans le cas de l’ion néodyme. De plus seuls les deux niveaux 2F5/2 et 2F7/2 sont utilisés pour l’effet laser autour de 1 µm.  En conséquence le défaut quantique, traduisant la portion d’énergie du photon de pompe dissipée en chaleur par les processus non radiatifs du procédé absorption/émission stimulée 1, est bien plus faible que dans le cas des matériaux dopés aux ions néodyme. En effet l’ion ytterbium pompé à 940 nm ou 980 nm possède un défaut quantique n’excédant jamais 10 % alors que l’ion néodyme, généralement pompé à 808 nm, possède un défaut quantique de 24 % 1. Par conséquent, le dopage aux ions ytterbium est particulièrement mieux adapté que celui aux ions néodyme pour le développement de sources de forte puissance moyenne.

Systèmes existants à haute énergie pour le pompage OPCPA

Les systèmes actuels, émettant autour de 1 µm à haute énergie et de forte puissance moyenne pouvant être utilisés pour le pompage d’OPCPA, ont donc un fort intérêt à utiliser des matériaux dopés à l’ytterbium ou au néodyme. Or, malgré le grand nombre de matériaux (verres et cristaux) pouvant être dopés avec ces ions, les lasers à haute cadence à base de ces ions se cantonnent aujourd’hui quasi-exclusivement à l’utilisation de la matrice de YAG, notamment à cause de sa conductivité thermique élevée, de la grande maitrise dans sa croissance et du gain important obtenue avec cette matrice. Pour ce qui est du pompage, on retrouve l’utilisation des diodes laser de forte puissance moyenne disponibles dans le proche infrarouge et permettant des cadences au-delà de la centaine de hertz.
Le record actuel en terme de puissance moyenne obtenue par un système OPCPA est de 53W moyen soit 53 mJ à la cadence de 1 kHz pour une durée de 9 fs aboutissant à l’obtention d’une puissance crête de 5,5 TW [Budri unas 17]. Le système se base entièrement sur de l’amplification paramétrique optique dans une architecture classique de type CPA pour la section à haute énergie. Celle-ci est constituée de quatre étages d’OPCPA en régime picoseconde. Le pompage de ces étages est entièrement basé sur le matériau Nd:YAG pompé par diodes laser, permettant d’obtenir plus de 300W de puissance moyenne à 532 nm (520 mJ à 1064 nm).

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Table des matières

Introduction générale 
I Généralités et projet Apollon 10P 
1 Enjeux et applications des lasers multi-petawatts
2 Problématiques liées aux lasers multi-petawatts
2.1 Limitation de l’énergie des impulsions
2.2 Amplification d’impulsions courtes
2.3 L’énergie et la cadence, le prix à payer pour les systèmes de pompage
2.4 Etat de l’art des lasers petawatt et multi-petawatts
3 Le laser Apollon 
3.1 Un pilote basé sur l’OPCPA
3.2 Une chaine énergétique basée sur des cristaux de Ti:Sa
3.3 L’OPCPA en régime nanoseconde
4 L’Yb:CaF2 pour les sources de pompage OPCPA à haute énergie 
4.1 Critères de choix du matériau
4.2 L’intérêt de l’ion ytterbium
4.3 Systèmes existants à haute énergie pour le pompage OPCPA
4.4 Le choix du matériau hôte
4.5 Yb:CaF2
4.6 Étage de préamplification pour le pompage OPCPA
4.7 Architectures adaptées à l’Yb:CaF2 et à la haute énergie
5 Conclusion
II Dépolarisation et lentille thermique dans l’Yb:CaF2 
1 Contexte
2 Approche théorique de la lentille thermique et de la dépolarisation 
2.1 Notion d’orientation cristalline
2.2 Sources de chaleur dans les matériaux dopés à l’ytterbium
2.3 Lentille thermique
2.4 Dépolarisation induite thermiquement
3 Le refroidissement cryogénique pour contrer le faible gain
3.1 Impact sur les propriétés spectroscopiques
3.2 Impact sur les propriétés mécaniques
4 Mesures de lentilles thermiques et dépolarisation à 77 K
4.1 Techniques de mesure de la lentille thermique et de la dépolarisation
4.2 Dispositif expérimental
4.3 Résultats et interprétations
4.4 Simulation de lentilles thermiques astigmates et anisotropes
5 Un milieu isotrope, la céramique Yb:CaF2
5.1 Qu’est-ce qu’une céramique ?
5.2 Intérêt des céramiques
5.3 Fabrication des céramiques Yb:CaF2
5.4 Qualité et performances des céramiques obtenues par voie humide
6 Échauffement des céramiques 
6.1 Mesure de lentilles thermiques
6.2 Mise en évidence de l’effet non radiatif
6.3 Causes possibles de l’échauffement des céramiques
7 Conclusion
III Amplification à base d’Yb:CaF2 
1 Amplification laser à haute énergie 
1.1 Rappels sur les objectifs d’amplification et problématiques à adresser
1.2 Choix des diodes de pompe
1.3 Cristaux et tête optique
1.4 Comportement thermique des cristaux dans la tête optique : lentilles thermiques et pertes par dépolarisation
1.5 Configuration de pompage et mesure de gain
1.6 Simulation de l’absorption par un cristal en configuration « miroir actif  » et gain associé
1.7 Simulation de l’amplification
1.8 Revue des performances
2 Amplification régénérative 
2.1 Principe
2.2 Intérêts de l’architecture régénérative
2.3 Problématiques spécifiques liées à l’amplification en haute énergie avec le cristal Yb:CaF2
2.4 Disposition de l’amplificateur
2.5 Résultats en amplification
3 Amplification multipassage
3.1 Principe
3.2 Intérêts de l’amplification multipassage
3.3 Présentation de l’amplificateur
3.4 Simulation de la propagation du faisceau dans l’amplificateur
3.5 Résultats
3.6 Vers un amplificateur de classe joule
4 Conclusion
Conclusion générale et perspectives 
A Rotations du tenseur des rigidités et du tenseur élasto-optique pour la simulation des lentilles thermiques 
B Introduction d’un terme de phase quadratique par désalignement d’une imagerie 4f 
1 Prérequis d’optique de Fourier
2 Démonstration
2.1 Expressions de UF1, UF’1, UF2, UF’2
2.2 Calcul de TF2D(UF2)
2.3 Calcul final de UF’2
C Détails théoriques du calcul de propagation géométrique dans l’amplificateur multipassage 
1 Calcul du point d’impact d’un rayon sur un miroir
2 Calcul de la réflexion d’un rayon sur un miroir plan ou sphérique en trois dimension
D Propagation d’un faisceau gaussien en trois dimensions 
1 Propagation d’un faisceau gaussien sans astigmatisme
2 Propagation d’un faisceau gaussien – cas tridimensionnel et optiques hors axe
2.1 Rayon de courbure complexe généralisé
2.2 Propagation du faisceau
Liste des publications de l’auteur 
Références

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