Sortir le français de son isolement et le descendre de son piédestal

Revue de la littérature Genevay, Lipp et Schoeni, Poésies (1986-87)

Dans l’ancien manuel de poésie de l’école vaudoise (Genevay, Lipp et Schoeni, 1986-87), un chapitre était consacré dans « Activités d’observation » à « La poésie d’une langue à l’autre » (p. 81-93). Les élèves étaient invités à comparer différentes traductions de poèmes chinois, ja-ponais, anglais, allemand, espagnol et italien ; ils prenaient ainsi conscience de la difficulté de traduire des poèmes et des différences parfois importantes entre les résultats selon les sensibi-lités et les partis pris des traducteurs. Delas (dir.), Aimer/enseigner la poésie (1990) Dans le chapitre 2 consacré aux liens entre la poésie et la linguistique, Nicole Gueunier évoque le calligramme, classique des manuels scolaires, en affirmant qu’une démarche d’initiation à la poésie qui ne ferait pas sa place aux effets produits par la mise en espace paraîtrait incomplète et même mutilante (p. 34-35). Au chapitre 3, avec une certaine naïveté qui confine parfois à la démagogie, Daniel Delas loue la pratique de la poésie en amateur, lequel a le mérite de s’impliquer plus personnellement parce qu’il veut avant tout partager ses goûts et non démontrer le bien-fondé de telle ou telle théorie (p. 44).

En s’intéressant à l’art du bref, et en particulier au poète Jacques Dupin (1927-2012), il s’exclame « Ah ! Le rêve d’écrire sans mots ! » (p. 46). Il évoque le père spirituel de la moder-nité, Apollinaire (p. 63), dont les célèbres calligrammes reviendront souvent au fil de nos lec-tures et dans la présente revue de littérature, à commencer par la seconde partie du présent ouvrage, laquelle émet des propositions de travail sur le côté technique de la poésie en évoquant notamment la spatialisation calligrammatique et le jeu des sonorités, afin de faire comprendre qu’en poésie « tout compte » et que donc seul un travail minutieux sur le signifiant permet d’accéder au vif du processus de production du sens en poésie (p. 8). C’est surtout le chapitre 1er de la deuxième partie qui nous intéresse : « Usages du calligramme », où Jean-Claude Lieber commence par rappeler ─ si besoin était ─ qu’Apollinaire n’est pas son inventeur (p. 69), avant de citer Théocrite (IIIe s. av. J.-C.), auteur de l’un des plus anciens calligrammes qui nous soient parvenus (p. 71). Présenté comme relevant du rythme visuel dans la présentation (p. 67), le calligramme, nous dit-on, déconcerte l’esprit de sérieux, revient au vieux désir d’aligner le li-sible sur le visible (p. 69).

On peut penser qu’il s’approche de la peinture en faisant l’économie d’un parcours, permettant de saisir son propos d’un coup d’oeil. Mais Lieber, dont les vues nous paraissent plus intéressantes que ne le laissent entendre nos lignes, prétend au contraire que le calligramme complique la lecture plus qu’il ne la simplifie, que ce soit en raison des déplace-ments exigés du lecteur que par les choix de mise en page de certains éditeurs (p. 71-72). Il fait sienne la définition de Michel Foucault (Ceci n’est pas une pipe, Montpellier, Fata Morgana, 1973) : le calligramme est tautologique, disant en même temps ce qu’il montre ; c’est un piège à double entrée, usant de la nature ambiguë de la lettre qui sert à la fois d’élément formel pour représenter la chose (ressemblance) et de signe abstrait pour la désigner (référence) (p. 72). D’autre part, élément d’importance, le calligramme est régressif : il revient sur les acquis de la langue (p. 73). Quant à son avenir, il est permis de penser que le calligramme d’objet laisse la place au calligramme d’état ou de sensation tel qu’exposé par Marinetti dans son manifeste de 1913 (Les mots en liberté) et à la libération de la typographie (p. 73-74).

Le chapitre 2 s’intéresse aux rimes. S’il fait état de ses détracteurs dans la poésie française (en particulier Éluard et Breton) (p. 87), on peut regretter qu’il ne considère pas le regard que por-tent les poésies étrangères sur les rimes, point qui sera toutefois abordé par Georges Jean dont nous faisons état ci-dessous et dont le remarquable ouvrage s’impose comme une lecture indis-pensable à quiconque s’intéresse à la poésie à l’école. Consacré à la phonétique, le chapitre 3 évoque enfin ─ et avec pertinence, complétant judicieu-sement les chapitres qui précèdent ─ les langues étrangères, étudiées à l’école ou parlées à la maison, qui peuvent faciliter l’apprentissage de la phonologie et de l’articulation (p. 99-100). Moyennant un certain engagement de la part des élèves, la phonétique peut devenir une des voies d’approche du poème, en particulier quand il s’agit de retranscrire un poème en phoné-tique et/ou de sensibiliser les élèves à la divergence écrit/oral (p. 103-104).

La troisième partie rend compte de pratiques de la poésie aux divers niveaux de l’apprentissage scolaire mais dès l’avant-propos une constante est mise en avant : chaque séance de travail poétique fait éprouver le même sentiment d’expérimentation directe de la coexistence des mots et des choses (p. 8-9). Dans le chapitre 4 de la troisième partie, Daniel Delas précise ─ sans doute un peu vite ─ que la vogue du jeu poétique apparaît comme une retombée pédagogique de mai 68. Le jeu poétique, qui s’affirme durant les années 70 et 80, semble selon lui devenir le véhicule d’une pédagogie permissive, d’une pédagogie de l’expression (p. 144). Il faut tou-tefois distinguer le jeu poétique libre, pour lequel tout est bon pour débloquer l’expression, du jeu poétique réglé, où l’aspect ludique agit comme motivation alors que son objectif reste la maîtrise d’une technique d’écriture (p. 145). C’est à cette dernière catégorie qu’appartient le jeu poétique d’école, lequel perd en promotion du désir ce qu’il est censé gagner en efficacité méthodologique (p. 147), opinion qui nous paraît pour le moins par trop définitive tant il est incontestablement possible de concilier apprentissage et plaisir, sans que ce dernier s’avère perdant. Il est à noter que l’enfant pratique déjà naturellement le jeu poétique (p. 151).

La population étudiée

Pour notre étude, nous avions à disposition les deux classes où nous enseignions le français. En 2014-2015, Cédric Pignat enseignait le français aux élèves de niveau 1 de sa classe de 9e an-née VG à l’établissement primaire et secondaire Villeneuve Haut-Lac ; il s’agissait de 13 élèves (5 filles, 8 garçons). Albin Jaques enseignait le français dans l’établissement primaire et secon-daire de Préverenges et environs à une classe de 9e année VP qui comptait 23 élèves (12 filles, 11 garçons). Même si la population étudiée est relativement ténue (36 élèves en tout), elle offre un panel assez différencié. Il n’y a pas de surreprésentation d’un genre (17 filles, 19 garçons). Une partie des élèves (Villeneuve) sont au niveau scolaire le plus bas (VG niveau 1), alors que les autres à celui le plus haut (Préverenges ; VP [11 OS ITA / 12 OS MEP]). Géographiquement, Ville-neuve se trouve à l’extrémité de la Riviera vaudoise et compte un peu plus de 5000 habitants ; l’établissement primaire et secondaire de Villeneuve Haut-Lac regroupe 1150 élèves, est situé sur cinq communes (Chessel, Noville, Rennaz, Roche et Villeneuve) et tous les élèves suivent le troisième cycle à Villeneuve (au collège de la Tour Rouge).

La région est plutôt industrielle et il y a une assez forte immigration. Quant à Préverenges qui se trouve sur la Côte entre Lau-sanne et Morges, elle compte également un peu plus de 5000 habitants. L’établissement pri-maire et secondaire de Préverenges et environs regroupe 1400 élèves et est situé sur quatre communes (Denges, Échandens, Lonay et Préverenges) ; tous les élèves du troisième cycle sont regroupés dans la partie bâbord du collège Les Voiles du Léman à Préverenges. Situé dans l’agglomération Lausanne-Morges, la région de Préverenges et environs est plutôt résidentielle et notamment pour les nombreux « expats » travaillant dans les hautes écoles (UNIL et EPFL) et dans les entreprises internationales. Questionnaire sur les langues des élèves Dans le but de nous faire une idée relativement claire de la diversité de nos classes, nous avons fait passer un questionnaire à nous élèves (cf. annexe 1). Pour les préparer à y répondre, nous avons eu d’abord recours à la séquence « Hanumsha, Nora, Jean-Yves : histoires de langues » d’EOLE (Perregaux, Goumoëns, Jeannot et Pietro, 2003). Les langues parlées dans la classe de Villeneuve sont : italien (5), albanais (3), espagnol (+ 1 comprend seulement), portugais, sicilien, serbe, allemand, suisse-alémanique (+ 1 comprend seulement), lingala Les langues parlées dans la classe de Préverenges sont : anglais (3), suisse-alémanique (2 + 1 comprend seulement), italien (+ 2 comprennent seulement), allemand, polonais, japonais ; langues comprises seulement : chinois, espagnol, kirundi, patois jurassien.

Discussion autour de la poésie – premières impressions VILLENEUVE (9VG NIVEAU 1)

Pour mes élèves, la poésie n’évoquait a priori pas grand-chose. Au-delà des considérations très générales (texte, feuille, écrivain, etc.), ils pensaient aux rimes et aux vers, d’abord appelés « lignes ». Un élève redoublant a pu citer la strophe, mais les mots « quatrains » ou « tercets » leur étaient légitimement inconnus. Comparée au paragraphe, la strophe a néanmoins dû être expliquée en recourant à un schéma au tableau ; il en a été de même pour le vers. Tout au long de la séquence, il m’a fallu régulièrement rappeler la définition exacte et l’application concrète de ces deux notions. Ma classe a associé la poésie à l’amour, et plusieurs élèves ont eu de la peine à l’en séparer : selon eux, la poésie prend forcément place dans un contexte amoureux au sens large, que ce soit la déclaration d’amour d’un prétendant ou les sentiments d’un enfant pour ses parents, peut-être parce que la plupart d’entre eux ont copié et/ou appris un poème à l’occasion de la fête des mères. Interrogés encore (« Vraiment, dans tout ce que vous avez lu, dans tout ce dont vous avez entendu parler, la poésie ne peut pas parler d’autre chose que d’amour ? »), les élèves ont évoqué la nature (la mer, la forêt, les animaux, etc.).

De manière générale, la poésie leur appa-raissait loin de leurs centres d’intérêts et de leurs préoccupations, comme quelque chose de trop ancien, trop intellectuel ou sérieux pour retenir leur attention. Plusieurs élèves ont également cité la fable en général ou l’une de celles de La Fontaine en particulier (dont ils peinent souvent à retrouver le nom et même à le reconnaître), sans toutefois pouvoir affirmer qu’il s’agissait bien là de poésie. De même, le lien entre le théâtre (le nom de Molière est cité à deux reprises) et la poésie est confus, de même que celui entre les poèmes et les chansons, qui ne leur paraît pas évident (sauf en ce qui concerne la longueur et les répéti-tions, mais la question de la mise en page en tant que telle ne les inspire guère), ni entre la poésie et la musique en général : la métrique leur est bien sûr inconnue, mais la question du rythme ne leur paraît pas non plus pertinente lorsqu’on parle de poésie. En revanche, ils peuvent assez facilement associer la poésie aux comptines. Dans leur parcours scolaire, tous ont déjà appris par coeur un poème ou une fable, mais dans un cas comme dans l’autre, semble-t-il, sans vraiment en étudier le sens ni la structure. Ils n’en gardent que de vagues souvenirs et ne peuvent préciser ni titre ni auteur. Ils n’ont pu davantage indiquer si ce contact avec la poésie leur a plu, mais on sentait un enthousiasme pour le moins réservé.

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Table des matières

Introduction
Didactique de la poésie, éveil aux langues et littérature comparée
Des règles strictes aux libertés
Sortir le français de son isolement et le descendre de son piédestal
La recherche-action
1. En général.
2. En pédagogie
3. Conclusion
EOLE
Survol historique
Buts
Les domaines thématiques
Plan détudes romand PER)
Revue de la littérature
Genevay, Lipp et Schoeni, Poésies 1986-87)
Delas dir.), Aimer/enseigner la poésie 1990)
Debreuille dir.), Enseigner la poésie 1995)
Jean, Comment faire découvrir la poésie à lécole 1989/1997)
Dayres, Éduquer à la poésie 2002)
Doucey et Breton, Comment enseigner la poésie au collège, 2003
Chalard et Lapeyre, Enseigner la poésie au lycée 2004)
Dufays et Rosier dir.), Récit Poésie 3e/4e 2004)
Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc, Didactique du français langue première 2010)
Kane, Enseigner la poésie et loralité 2014)
Létude
La population étudiée
Questionnaire sur les langues des élèves
Séquence
Introduction
Objectifs du PER et micro-objectifs de notre séquence
Mise en situation : quest-ce que la poésie pour les élèves
Production initiale : rédaction dun poème
Module 1: Mise en page
Production formative 1
Module 2 : Sonorités
Production formative 2
Production finale sommative
Prolongement
Analyse
Discussion autour de la poésie – premières impressions
Production initiale – évaluation diagnostique
Durant la séquence
Production formative
Production sommative – évaluation certificative
Conclusion
Bibliographie
Annexes
1. Questionnaire « Mes langues »
2. Séquence documents distribués aux élèves)
3. Traduction des textes
4. Liste des fichiers sonores utilisés

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