Soin en psychomotricité et pratique des sports de nature : analyses et perspectives

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Démocratisation des sports de nature en France et enjeux touristiques

Parallèlement à l’introduction de la pratique sportive en extérieur dans le milieu scolaire, l’aménagement territorial permet son développement d’un point de vue touristique comme le montre l’étude de Siau (2007). Certaines régions rurales françaises, qui connaissaient un déclin économique industriel et agricole, ont dès lors gagné en attractivité grâce à leur patrimoine naturel (Siau, 2007). S’il est certain que la France présente des environnements climatiques et topographiques variés, elle offre aussi un large panel d’activités en extérieur favorisant ainsi leur développement. Par ailleurs, il est à noter que, de manière très récente (depuis décembre 2019), l’alpinisme fait partie de la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité2. Ceci contribue à sa renommée et à sa protection.

Nomenclature des sports de nature aujourd’hui

Les sports de nature désignent aujourd’hui les sports qui s’exercent en extérieur dans des milieux non aménagés spécifiquement pour la pratique. Leur dénomination officielle est donnée par le ministère des sports qui les regroupe en fonction de leurs lieux d’exercice (terrestre, nautique, aérienne)3. Avec mon regard de future psychomotricienne, je propose de les catégoriser selon le mouvement et la trajectoire globale que leurs pratiquants décrivent dans les environnements qu’ils explorent. La structuration spatiale et l’intentionnalité praxique, items psychomoteurs fondamentaux, m’apparaissent en effet comme des critères pertinents pour les présenter. Toutefois, avec la différenciation ou l’association de certaines pratiques et avec l’émergence de nouveaux sports de nature, il est impossible d’être ici exhaustif.
L’étude ministérielle de 20164 démontre un engouement des Français croissant pour ces sports, grâce notamment à leurs découvertes en vacances. Ainsi, « 3 Français sur 4 âgés de 15 à 70 ans déclarent avoir pratiqué au moins une activité sportive ou de loisirs de nature au cours des 12 derniers mois ». Dans cette étude de 2016, l’emploi indifférencié des termes « activité sportive » et « activité de loisirs » montre la difficulté à différencier le sport du loisir, comme évoqué dans la partie 1.1.2. Pour mon étude, je distingue le pratiquant des sports de nature régulier, autonome, professionnel ou non (que je nomme sportif de nature et qui est mon objet d’étude) du sujet qui pratique ces activités de manière occasionnelle et encadrée par un guide.

Sports de nature à exploration verticale

Dans les explorations verticales, il est intéressant de distinguer les explorations ascendantes de celles qui sont descendantes. Parmi les explorations ascendantes :
– L’alpinisme consiste à gravir des sommets et des parois de haute-montagne en terrain rocheux ou glaciaire. La topographie et les basses températures du milieu requièrent un équipement technique spécifique.
– L’escalade consiste à progresser sur une paroi naturelle ou artificielle, avec ou sans aide matérielle technique. La précision des appuis quadrupédiques caractérise cette pratique.
– La via-ferrata est un parcours aménagé sur une paroi rocheuse et se situe entre la randonnée et l’escalade. L’accrobranche consiste à progresser d’arbre en arbre.
Les explorations ascendantes renvoient symboliquement à une volonté de s’élever, d’atteindre des endroits haut-perchés difficilement accessibles.
Parmi les explorations descendantes :
– La spéléologie consiste à explorer les milieux souterrains naturels ou artificiels. La privation de lumière naturelle et les autres désafférences sensorielles caractérisent cette pratique. Parfois, la cavité explorée est immergée sous l’eau, on parle de spéléoplongée. Dans les deux cas, un matériel technique conséquent doit être maîtrisé.
– La plongée sous-marine consiste à explorer les milieux subaquatiques marins soit en apnée, soit avec un tuyau d’air relié à la surface, soit avec un système d’aide respiratoire (bouteilles pressurisées remplies d’un mélange gazeux respirable). Dans ce dernier cas, la privation d’oxygène inhérente au milieu aquatique demande également de maîtriser son équipement.
– Le ski alpin consiste à progresser à l’aide de patins, les skis, sur une pente enneigée.
Les explorations descendantes – exceptées le ski alpin – sont associées à l’intention de s’immerger dans un espace relativement restreint, de parcourir les profondeurs, de se recentrer sur soi.

Sports de nature à explorations horizontales

Dans les explorations horizontales, il est intéressant de distinguer celles qui se pratiquent sur terre, celles qui se pratiquent sur l’eau et celles qui s’effectuent dans les airs. Parmi les explorations terrestres :
– La randonnée pédestre est sans aucun doute le sport de nature le plus pratiqué. Ne requérant pas de matériel cher et contraignant, il est accessible à de nombreuses personnes. Certaines variantes, telles que la marche nordique – qui se pratique avec deux bâtons de marche – ou le trekking – caractérisé par des progressions longues et difficiles – apportent des nuances dans l’effort physique à fournir.
– Le trail correspond à une course à pied sur une longue distance, sur sentier – typiquement sur les chemins de montagne, de plaine et de forêt. Un engouement en Europe et aux États-Unis à partir des années 1990 est observé pour ce sport et sa variante, l’utlra-trail – un trail de plus de quatre-vingt kilomètres (Rochedy, 2015).
– Le Vélo Tout-Terrain (VTT) se pratique sur terrain accidenté. Dans ce cas, le sujet n’est pas en contact direct avec le sol, le VTT jouant le rôle d’intermédiaire.
– Le ski nordique et le ski de fond consistent à parcourir des surfaces enneigées plates et vallonnés. Le ski nautique, qui se pratique à la surface de l’eau, rentrera davantage dans la catégorie suivante.

Profil singulier des sujets sportifs de nature

Ma pratique personnelle de l’escalade débute à la fin de ma première année de formation en psychomotricité grâce à l’une de mes connaissances de mon cercle privé. Par la suite, j’adhère à la Fédération Française de Montagne et d’Escalade (FFME) et je pratique dans ce cadre d’autres sports de nature, notamment la spéléologie et le canyonisme. Je rencontre des sportifs de nature par l’intermédiaire de cette association, avec lesquels je partage ces sorties sportives. J’échange régulièrement avec eux sur leur passion. Je constate qu’ils ne se cantonnent bien souvent pas à un seul de ces sports, même s’ils en ont un de prédilection – leur situation géographique influençant évidemment leur pratique (un montagnard optera pour le ski, l’alpinisme ou l’escalade tandis qu’un côtier privilégiera davantage le surf ou la plongée sous-marine). Je m’interroge alors sur leurs motivations. Lorsque je fais le choix d’orienter mon mémoire sur les sports de nature et la psychomotricité, je décide de mener de courts entretiens avec certains d’entre eux (des sujets d’âges différents ayant une pratique professionnelle dans ce domaine, associative ou non, et des sujets enclins à me répondre). Ainsi, à l’occasion de certaines sorties avec eux ou par téléphone, je leur présente mon projet de mémoire et je leur demande s’ils sont d’accord pour procéder à un temps d’échange. Je leur signifie que je me servirai de leur témoignage dans mon mémoire sous couvert d’anonymat. Je débute ces échanges en leur posant la question suivante : « qu’est-ce que les sports de nature vous apportent et que recherchez-vous dans leur pratique ? ». Je prends des notes écrites au cours de ces entretiens. Je recueille leur témoignage entre novembre 2019 et mars 2020. Plutôt qu’une étude de recherche au sens strict du terme, j’adopte ici une démarche méthodologique qualitative.
À l’issue de ces échanges, j’analyse ces données et met en évidence des motivations communes aux personnes interrogées.

Motivations conscientes

Étude subjective

• La sensation forte et le dépassement de soi:
Les deux exemples suivants montrent d’abord une volonté de se confronter à des situations génératrices de sensations fortes, d’éprouvés corporels intenses et de recherche de se dépasser, de repousser ses limites physiques. Yves, la quarantaine, pratique l’escalade de bloc*,6 depuis la fin de son adolescence. Il découvre cette activité par l’intermédiaire d’amis et se « prend au jeu » lorsqu’il ressent musculairement l’effort physique intense que cela lui demande. « À l’époque, c’était un bon moyen pour moi d’arrêter de bédave7, ça me procurait d’autres sensations qui me paraissaient plus saines ». En s’entrainant, il prend conscience qu’il peut atteindre des niveaux de difficultés de plus en plus élevés, « passer des blocs » qui ne lui étaient pas accessibles au début, ce qui le stimule et le passionne encore aujourd’hui.
Mathias, trentenaire, évoque quant à lui la vigilance constante que le VTT, le ski ou le trail exigent. Il prend plaisir à mettre ses capacités de concentration et d’attention en exergue dans des situations délicates. Sa progression le pousse à expérimenter des terrains toujours plus raides, des sentiers plus étroits et des parcours plus longs. Il trouve cela grisant.
• L’appétence à l’aventure:
Dans les sports de nature, le sujet se déplace dans des environnements naturels qui ont déjà été parcourus, documentés et balisés. Les risques sont étudiés et renseignés par les Fédérations Françaises, ce qui confère à ces activités une dimension sécurisée. Se sentir autonome techniquement dans ces pratiques participe au sentiment de liberté du sujet. Elles offrent la possibilité de vivre une aventure avec la symbolique des grands explorateurs. Mathias décrit également l’impression de partir en expédition lorsqu’il prépare une sortie d’alpinisme, de spéléologie ou de grande voie*. Cela demande une certaine anticipation : il faut préparer le matériel et le trajet à effectuer pour se rendre sur le site. Une étude précise de la topographie du milieu, de la durée de la sortie et des conditions météorologiques est également nécessaire. Le contact avec la nature et avec des espaces non aménagés mais néanmoins accessibles à l’exploration, contente Mathias.
• Une échappatoire à l’ennui et à la sédentarité:
Les sports de nature peuvent aussi constituer un barrage à l’ennui, une manière de rester actif face à des situations du quotidien vécues passivement. Ces activités sportives permettent de rompre avec un mode de vie occidental, souvent associé au confort et à la sédentarité. À travers le vol libre en parapente et la plongée sous-marine qu’il pratique depuis quelques années, Antoine trouve un moyen de se divertir. Plus jeune, il avait expérimenté la randonnée, le VTT, le canyonisme et la spéléologie. Il est en recherche constante d’activités variées qui l’occupent. « En ce moment je passe ma vie devant la télé. Le pire c’est qu’en ne faisant rien, on s’habitue à s’ennuyer ! » exprime-t-il avec contrariété après avoir été immobilisé plus de trois mois à la suite d’une fracture du tibia. Pour Antoine, ces activités sont aussi un moyen de bouger, de « se dégourdir », apportant du contraste avec son activité professionnelle où il est la plupart du temps assis.
• Dimension sociale:
Les sports de nature permettent de s’évader de la sphère sociale, tout en restant en lien avec l’autre et en entrant rarement en compétition avec lui (nombreux sont les sports de nature qui ne présentent pas de pratique compétitive officielle). Ils favorisent des rencontres dans des environnements insolites et l’émergence de relations plus franches. En cela, ils s’opposent aux sports plus conventionnels qui incluent la plupart du temps des enjeux de concurrence. Détenteur du Brevet d’État d’Escalade à l’âge de vingt-deux ans, Robin est passionné d’escalade depuis son enfance. N’affectionnant pas particulièrement les grands groupes, il voit dans cette activité une manière d’être tranquille, un peu plus isolé de la société. Il apprécie néanmoins la compagnie des gens, notamment celle de ses partenaires d’escalade avec lesquels il peut tisser des liens d’amitié forts. Son activité professionnelle lui permet de côtoyer des personnes dans un cadre « hors-norme ». Robin souligne aussi l’aspect non-compétitif de l’escalade – et des sports de pleine nature en général : « les gens s’entraident, l’objectif est commun ».
Le but de ce mémoire n’étant pas de recenser toutes les motivations des sportifs de nature et de les analyser de manière qualitative, l’étude ne peut être poussée plus loin. Ces exemples recensent néanmoins les principales motivations mises en évidence dans le discours des sportifs de nature que j’ai interrogés. Ces constats rejoignent ceux de l’étude approfondie de Jovignot (1997) sur les profils socio-démographiques des spéléologues.

Point de vue sociologique

Les écrits du sociologue Corneloup (2016), résumés par Lebreton (2017), apportent des précisions quant aux motivations des sportifs de nature, notamment des alpinistes et des grimpeurs, et de leurs évolutions. Il décrit des intérêts d’abord centrés sur des aspects techniques (l’intention était de conquérir des monts) qui sont devenus plus marginaux et libertaires dans les années 1970-1980, pour finalement se transformer en aspect hédonistes ou sportifs. Il mentionne également l’attirance de ces sportifs pour le lien particulier à la nature. Il développe le concept d’« itinérance récréative » : l’itinéraire du pratiquant n’est pas entièrement fixé à son départ et le sujet se rend plus à l’écoute et plus sensible au milieu qu’il parcourt de manière non motorisée. La créativité du sujet est vivement sollicitée.

Processus latents

En échangeant avec les pratiquants des sports de nature, je me suis demandée si leurs motivations étaient toutes conscientisées. Renault, spéléologue aguerri, pratiquant depuis plus de trente ans, s’est formé au spéléo-secours*. Il connaît l’ensemble des gouffres de sa région et les sillonne régulièrement. Encadrant un grand nombre de sorties, il porte une attention particulière aux mesures de sécurité. Lorsque je l’interroge sur l’intérêt initial qui l’a poussé à faire de la spéléologie, il me répond de manière franche et immédiate : « Je ne sais pas. Et je n’ai jamais vraiment su. Quand j’étais petit, j’adorais me faufiler dans les terriers d’animaux. Dès que j’en voyais un sur le chemin, j’essayais de m’y insérer. »
Dans sa thèse de doctorat sur les motivations des spéléologues, Jovignot (1997) prend le parti suivant : « Nous ne pensons pas qu’on puisse comprendre les motivations des spéléologues si l’on n’admet pas qu’il existe […] un ensemble de causes conscientes, explicites, accessibles par un instrument relativement simple à manier comme un questionnaire, et un ensemble de causes inconscientes, dont l’approche doit se faire par la méthode clinique et qui sont beaucoup plus délicates à généraliser » (Jovignot, 1997, p. 34).

Dangers et risques : entre dénégation et contrôle

Lorsque je discute avec les sportifs de nature, certains affirment que les activités qu’ils pratiquent sont « sans aucun risque », excepté « éventuellement les risques liés aux éléments aléatoires inhérents au milieu » qu’ils ne peuvent pas contrôler. « À ce compte-là, toute situation est un risque. Quand tu sors de chez toi pour aller faire tes courses, tu peux très bien glisser sur une flaque d’eau. »
Pourtant, les milieux empruntés mettent en majeure partie du temps le sujet en situation de déséquilibre, pourvoyeuse de chutes et d’accidents relativement fréquents. De même, les équipements utilisés dans de nombreux sports de nature sont destinés en grande partie à garantir la sécurité du sujet. Toutes les fédérations françaises des sports de nature possèdent d’ailleurs un groupe relatif à la prévention et à la sécurité. Cela démontre que le risque est bien réel, même s’il est en partie dénié par certains pratiquants. Ces mêmes personnes nuancent : « Le risque est là mais tout est pensé et calculé pour que l’incident n’arrive jamais. Après, tu n’es jamais à l’abri d’une chute de pierre, d’une avalanche, d’une météo changeante ou d’une montée des eaux. »
L’intention de s’engager sur un terrain accidenté, d’en réduire les incertitudes, d’assurer sa propre sécurité traduit une volonté de maitriser son environnement.
Pour Raveneau (2006), il faut distinguer le risque subi du risque choisi, « ce qui permet de mieux rendre compte et de comprendre pourquoi les conduites à risque intègrent des contradictions apparentes et des formes de dénégation du danger. […] Le sujet reconnaît que des accidents graves peuvent survenir, mais il ne se sent pas individuellement menacé » (Raveneau, 2006, p. 587).

Ambivalence du risque

Pour Le Breton (2017), ce risque choisi dans les activités physiques et sportives dites à risque, est une manière de s’éprouver soi-même, de se sentir vivant dans le confort de nos sociétés modernes : « Les sensations inhérentes à des activités non dénuées de risques sont d’autant plus sollicitées que le reste de la vie est pacifié, l’existence familiale et professionnelle à l’abri de toute crainte. Pour briser les routines, “retrouver des sensations”, le jeu avec le risque est une voie royale. Ces activités physiques et sportives dites à risque sont revendiquées comme une manière de retrouver le sel de la vie dans une société trop sécurisante, ce sont des tentatives d’évasion hors du quotidien » (pp. 115-116). Le risque est donc ambivalent : le sujet se met dans une situation à risque, frôle la mort pour ressentir la vie.

Mise en jeu des relations à l’autre ?

Pierre pratique très régulièrement le parapente, l’escalade et la plongée sous-marine. Il est également adepte de skate, de slackline et mixed martial arts (MMA). Plus occasionnellement, il expérimente la spéléologie, le trail et la via-ferrata mais il trouve ces activités plus ennuyeuses. Par ailleurs, il a un excellent niveau en batterie, en guitare et en violoncelle grâce à une pratique soutenue. Ces activités lui permettent de rester actif et en excellente santé. « Au moins, je ne perds pas mon temps à regarder bêtement la télé. » Néanmoins, Pierre passe du temps sur les réseaux sociaux et semble affecté par les relations qui ne prennent pas la forme qu’il souhaite. « Dès que je ne suis pas occupé à faire quelque chose, j’y pense tout le temps, c’est vraiment contrariant. » Ainsi, la pratique sportive de nature constituerait dans certains cas une échappatoire aux difficultés relationnelles et aux émotions fortes, une manière de les endiguer et de les canaliser. L’évacuation d’un affect associé à une relation à l’autre trop compliquée semble être parfois recherchée dans les conduites sportives.
À partir de ces observations et de mon propre vécu et en m’appuyant sur la littérature scientifique en psychomotricité je propose à présent une lecture psychomotrice des sports de nature.

Afférences sensorielles proprioceptives

La proprioception est la sensibilité qui renseigne sur la position et le mouvement du corps et des membres dans l’espace. Dans le champ de la neurophysiologie, ce concept, proposé en au début du XXe siècle par Sherrington, est encore discuté aujourd’hui. En me référant à l’enseignement de Guillaume (2013), chercheur en neurosciences cognitives, je propose de décliner la proprioception en sensibilité musculo-tendineuse et en sensibilité vestibulaire.

La sensibilité musculo-tendineuse

La sensibilité musculo-tendineuse est assurée par les mécanorécepteurs musculaires (fuseaux neuro-musculaires), tendineux (organes tendineux de Golgi), ligamentaires et articulaires et elle permet la perception des différentes parties du corps dans l’espace et de la force musculaire impliquée dans le mouvement du corps.
Que ce soit à l’intérieur d’une grotte, le long d’une falaise ou d’une piste, chaque parcours que le sportif de nature effectue l’invite à réaliser des mouvements et à prendre des postures toujours nouvelles et inédites, les milieux explorés étant toujours différents. La topographie de ces milieux pousse le sportif à contrôler sa force musculaire, sa respiration, la précision de ses mouvements pour adapter sa vitesse de déplacement, ses rotations, trouver des appuis stables et ainsi s’ajuster aux éléments naturels qui l’entourent. Ces variations d’accélérations, de mouvements et de positions, associées au plaisir qu’elles lui procurent, lui permettent de percevoir son corps et de se le représenter dans des situations riches et variées.

La sensibilité vestibulaire

La sensibilité vestibulaire contribue au sens de l’équilibre. Elle est assurée par les organes de l’oreille interne : les canaux semi-circulaires détectent les accélérations rotatoires de la tête dans les trois plans de l’espace et le vestibule détecte les accélérations linéaires du corps.
Le relief des milieux explorés par le sportif de nature est bien marqué, ce qui le place en situation constante de déséquilibre et le confronte à de possibles chutes. En VTT, en ski ou en surf, il s’agit de garder son équilibre avec la vitesse de progression. En escalade, il s’agit de retrouver cet équilibre à chaque fois qu’un appui est quitté pour en retrouver un autre.
Les sports de nature mettent ainsi constamment en jeu le rapport à la gravité. De plus, le poids effectif du sportif peut subir certaines variations. En effet, en montagne ou sous terre, l’alpiniste, le grimpeur ou le spéléologue porte un équipement qui pèse parfois plusieurs dizaines de kilos. Casques, mousquetons, baudriers* et autres systèmes métalliques sont nécessaires pour assurer son déplacement et sa sécurité. Ce matériel l’alourdit énormément et modifie ses appuis au sol et sur les parois. Les charges, réparties sur son dos et autour de son baudrier*, le contraignent à réajuster constamment sa posture et à adapter ses déplacements. Le canyoniste, lui aussi lourdement chargé en plus de sa combinaison en néoprène*, passe régulièrement d’une sensation de lourdeur à une sensation de légèreté, par exemple lorsqu’il se retrouve dans une vasque, l’eau le délestant d’une partie de son poids. Le plongeur, soumis à la gravité et à la poussée d’Archimède, peut contrôler son poids et donc sa profondeur en faisant passer l’air de ses bouteilles à son gilet. Pour le parapentiste, c’est le gradient de température de l’air qui lui impose son altitude. Son poids est soutenu par sa voile, il a la même sensation que lorsqu’il est assis. Ces variations de poids modifient donc le rapport à la gravité du sujet, ce qui l’oblige à se positionner et à se déplacer différemment afin d’ajuster son équilibre.
Ainsi, les expériences vécues à travers les sports de nature mettent en jeu les différents systèmes sensoriels du sujet de manière soutenue : sensibilité extéroceptive (visuelle, auditive et tactile, cf. supra Partie 1.1) et sensibilité proprioceptive (musculo-tendineuse et vestibulaire, cf. supra Partie 1.2).

Enrichissement du schéma corporel

Le processus neurophysiologique du traitement des informations sensorielles, décrit par Miller et Lane (2000), est assuré par les systèmes nerveux périphérique (nerfs crâniens et rachidiens) et central (encéphale et moelle épinière). Il comporte plusieurs étapes : la conversion de l’information sensorielle en message nerveux par le système nerveux périphérique, la détection du message nerveux par le système nerveux central puis la discrimination des différentes informations nerveuses. À partir de cette intégration sensorielle, le système nerveux central module et trie ces informations afin d’organiser une réponse motrice adaptée. Le traitement combiné des informations sensorielles de natures différentes permet ainsi une bonne perception de son corps.
Le schéma corporel correspond à la représentation que chacun a de son corps dans l’espace, en statique ou en dynamique. Ajuriaguerra (1970) le définit de la manière suivante : « édifié sur les impressions tactiles, kinesthésiques, labyrinthiques et visuelles, le schéma corporel réalise dans une construction active constamment remaniée des données actuelles et du passé, la synthèse dynamique, qui fournit à nos actes, comme à nos perceptions, le cadre spatial de référence où ils prennent leur signification » (p. 239). Le schéma corporel se met en place dans l’enfance notamment grâce à la maturation du système nerveux et est remanié tout au long de la vie en fonction des expériences corporelles de chacun.
Dans les expériences des sports de nature, l’engagement corporel est intense et implique fortement les systèmes sensoriels du sujet. Le système de traitement des informations est donc lui aussi sollicité en permanence. La diversité des expériences sensorielles traversées* enrichit donc le schéma corporel du sportif de nature.
Le traitement des informations sensorielles permettant une réponse motrice adaptée, cet enrichissement du schéma corporel, sensoriel d’une part, l’est également sur le plan moteur.

Une motricité spécifique

Appuis : de la bipédie, à la quadrupédie, à la « multipédie »

Dans la plupart des situations des activités sportives de nature, il est rare que le sujet adopte une posture uniquement bipède.
En alpinisme, pieds et mains sont en contact direct avec la paroi puisque le plan d’appui est vertical ou, du moins, il possède une déclivité et une rugosité qui ne permet pas de rester en équilibre sur les deux jambes. C’est également le cas en escalade. D’ailleurs, plus le niveau de pratique est élevé, plus les extrémités distales des membres, doigts et orteils, sont sollicitées, comme le précisent le psychomotricien Garrone et le psychologue Puricelli : « surtout au niveau des mains mais aussi au niveau des pieds, a lieu un fin travail d’appréciation de la qualité des prises destiné à éprouver leur sûreté : celle-ci est-elle profonde, large, combien de doigts y insère-t-on ? Est-elle “crochetante”, quelle est sa rugosité, le rocher est-il blessant, etc. … ? » (Garrone & Puricelli, 1996, p. 67). En spéléologie, les configurations spatiales des cavités et l’aspect glissant des parois recouvertes de glaise ne permettent pas cette finesse gestuelle. Genoux, coudes, jambes, bras et parfois torse et dos sont utilisés pour se repousser des parois et continuer l’exploration.
Les quatre membres, le dos et le torse sont alors engagés dans la progression du sportif. Leur implication est répartie de manière plus ou moins homogène en fonction du sport pratiqué ou du terrain exploré, et ce, toujours dans le but d’optimiser la progression. La station bipède se transforme alors en station quadrupède. Le polygone restreint de sustentation initialement assuré par les pieds devient un quadrilatère dont les extrémités sont formées par les pieds et les mains ou bien il devient un polygone très élargi de sustentation assuré par d’autres parties du corps. Les membres supérieurs redeviennent des membres de locomotion, comme chez les jeunes enfants qui progressent sur les fessiers et les deux mains ou à quatre pattes.
Et si les extrémités distales des deux membres supérieurs ne sont pas en contact immédiat avec le plan d’appui, ils le sont néanmoins par l’intermédiaire d’outils : bâtons de skis ou de marche nordique, piolets en alpinisme sur glacier, pagaie en canoë-kayak, etc. Le sujet prolonge en quelque sorte ses membres supérieurs à travers cet outil ou en modifie ses caractéristiques physiques (objets pouvant être plantés dans la glace ou immergés dans l’eau).
Par ailleurs, dans certains sports comme la plongée sous-marine, la nage en eaux vives ou le parapente, le déplacement ne se fait pas sur une surface d’appui mais sur un « volume d’appui ». C’est le cas des milieux aériens et aquatiques où les éléments constituants ne sont pas solides mais fluides. Le plongeur, le nageur ou le parapentiste se retrouve alors dans des postures « multipédiques » où l’ensemble de son corps lui permet de « tenir en appui » sur l’eau ou sur l’air (le parapentiste est bien évidemment retenu par sa voile, c’est elle qui est en appui sur l’air par les principes de mécanique des fluides).
Ces configurations posturales auxquelles le sujet est soumis engendrent dès lors une motricité particulière.

Les schèmes moteurs impliqués dans les sports de nature

La notion de « schème », utilisée dans un premier temps par Kant au XVIIIe siècle, a été principalement reprise et développée par Piaget dans les années 1970 d’un point de vue psychologique (Piaget & Inhelder, 1966). Elle correspond à « la structure ou l’organisation des actions telles qu’elles se transfèrent ou se généralisent lors de la répétition de cette action en des circonstances semblables ou analogues » (p. 11). Il s’agit en quelque sorte de « briques élémentaires » d’actions et de mouvements, qui, à force de répétitions, s’automatisent et permettent de soutenir des actes moteurs plus complexes. Plus récemment, les études neurologiques ont mis en évidence les circuits neuromoteurs à l’origine de cette automatisation. Ces circuits sont précâblés à la naissance. Comme le rappelle et le précise Lesage (2012) : « il existe en effet tout un répertoire de coordinations innées, une motricité précablée, qui va des réflexes les plus élémentaires à des organisations neuromotrices complexes » (p. 182). Il ajoute « le morcellement sensori-moteur des débuts laisse place à une unification progressive selon une maturation céphalo-caudale et proximo-distale, au cours de laquelle les réponses motrices se fédèrent et s’intègrent peu à peu » (Lesage, 2012, p. 183). Ainsi, les circuits précâblés sont renforcés par les expériences sensori-motrices du bébé et par sa maturation neurologique. D’abord regroupés autour des réflexes de succion et de déglutition, les schèmes évoluent en schèmes de locomotion.
Dans les expériences des sports de nature, certains schèmes moteurs peuvent être dégagés et retrouvés dans plusieurs pratiques sportives. Je propose de les étudier ici à travers le prisme de Bartenieff (1980). Danseuse chorégraphe et kinésithérapeute, Bartenieff met en évidence des schèmes moteurs caractéristiques à travers sa pratique corporelle qui, d’après Lesage (2012), correspondent à des « des rassemblements du corps dans une forme de motricité intégrant les réflexes, les réactions d’équilibration et de redressement, les chaînes kinétiques » (p. 190). Étonnamment, les mouvements dans les sports de nature, disciplines bien éloignées de prime abord de l’univers de la danse, évoquent ceux de Bartenieff. Le point commun serait alors les différentes étapes de développement de l’enfant, l’amenant de la position allongée à debout, que ces schèmes sous-tendent.

Le schème de la respiration

La respiration, fonction physiologique élémentaire et vitale propre à tout être vivant, est au coeur de l’activité sportive. C’est une activité automatique, contrôlée par les centres intégrateurs du système nerveux autonome dans le tronc cérébral. Mais elle peut être conduite de façon consciente grâce à la commande volontaire du cortex cérébral : son rythme et son amplitude peuvent être modifiés volontairement. Sa régulation est un enjeu majeur pour le sportif, notamment pour celui qui traverse des milieux privés ou réduits en oxygène. C’est le cas du plongeur en scaphandre autonome (assistance respiratoire assurée par les bouteilles de plongée), de l’alpiniste et du parapentiste (la pression inspirée de dioxygène diminue avec l’altitude), ou encore du spéléologue (certaines cavités ont un facteur de renouvellement d’air limité). En fonction du milieu exploré, une attention particulière est donc portée sur la respiration. Dans les environnements où la pression inspirée de dioxygène est constante, elle s’ajuste également en fonction de l’effort fourni. Une respiration ample et régulière permet au kayakiste ou au traileur d’effectuer un mouvement cadencé et un effort continu. Le grimpeur confirmé, quant à lui, utilise le rythme de sa respiration pour accompagner ses gestes. Il indiquera d’ailleurs souvent au débutant de « bien souffler » car celui-ci, dans la majorité des cas, a tendance à retenir sa respiration.

Le schème centre-périphérie

C’est le schème connectant le noyau, c’est-à-dire le centre du corps selon Bartenieff, et les extrémités distales : « [l]’organisation générale rappelle celle de l’étoile de mer qui déplie ses tentacules dans un mouvement centrifuge et centripète de déploiement/rassemblement » (Lesage, 2012, p. 192). Les six extrémités du corps (mains, pieds, tête et coccyx) se rapprochent et s’éloignent successivement du noyau. Les sauts groupés du canyoniste dans les vasques pour amortir la chute et protéger les membres, ainsi que le regroupement en flexion du skieur pour prendre de la vitesse sont des situations de densification et de rassemblement qui évoquent ce schème. De même, en escalade, cette alternance de mouvements centrifuges (déployer ses membres pour atteindre les prises) et centripètes (saisir les prises et fléchir les membres pour se regrouper) est typique de la progression dans cette pratique.

Le schème spinal

Le schème spinal correspond au redressement de la colonne vertébrale. Il se met en place chez le nourrisson entre deux et six mois, lorsque celui-ci pousse dans ses deux avant-bras pour relever son buste. S’extrayant du sol, surface bidimensionnelle, il donne ainsi accès à la tridimensionnalité. Typiquement, le grimpeur qui s’écarte de la paroi pour observer ses prochaines prises tout en maintenant son équilibre met en jeu ce schème. Par ailleurs, ce schème met en connexion dynamique la tête et le coccyx et « polarise l’axe longitudinal du corps » (Lesage, 2012, p. 193) d’avant en arrière. Il fait intervenir les chaines musculaires Antéro-Postérieure (AP) et Postéro-Antérieure (PA) telles que Struyf-Denys, kinésithérapeute et ostéopathe, les a décrites, la chaine AP étant associée à la délordose et au grandissement, la chaine PA étant associée à la lordose et l’adaptabilité. Ce schème est à l’origine des deux types d’actions complémentaires : le « céder-pousser » et le « atteindre-tirer » comme l’explique Lesage (2012, p. 195).
– Dans le céder-pousser, le sujet tantôt abandonne son poids, tantôt repousse le sol « ainsi, avant de se séparer du support en prenant appui, intervient un temps d’adhérence, un lien intime avec lui, une sorte de lâchage du poids qui permet à la réponse antigravitaire de se construire » (Lesage, 2012, p. 196). Les descentes en rappel* en canyonisme ou spéléologie et les descentes en moulinette* en escalade font spécifiquement intervenir ce schème : il faut abandonner son poids dans le baudrier* et repousser la paroi avec ses pieds, non pas verticalement comme au sol, mais horizontalement, le plan d’appui horizontal étant transposé à la verticale.
– Dans le atteindre-tirer, le sujet est dans une volonté d’aller vers quelque chose, d’explorer, ce qui lui permet de s’orienter et de déployer ainsi le mouvement. C’est l’action typique du grimpeur : il tend la main, atteint les prises et tire sur ses bras pour se hisser. Dans un plan plus horizontal, le spéléoplongeur se déplace le long d’une main courante à la force de ses bras en tirant dessus. Par ailleurs, ces doubles actions de céder-pousser et d’atteindre-tirer qui constituent les principaux mouvements permettant la progression notamment en escalade, en canyonisme et en spéléologie, peuvent être entravées par l’apparition d’angoisses qui figent le corps dans l’espace. C’est le cas du grimpeur débutant qui se retrouve bloqué sur la paroi par peur de tomber et qui se cramponne aux prises environnantes. C’est aussi le cas du débutant en canyonisme lorsqu’il s’engage dans une descente en rappel* en haut d’une cascade : la perception de la hauteur provoque, dans un élan vital, une crispation intense et un agrippement à la corde du système d’assurage. En spéléologie, le sujet débutant qui ne peut voir le fond du puits dans lequel il s’aventure peut présenter le même état de panique. S’agripper est une action de la motricité volontaire. Elle est contrôlée par un circuit neuromoteur intégré dans l’enfance. Elle est issue de l’évolution du réflexe archaïque d’agrippement ou grasping présent in utero et qui persiste chez le nourrisson jusqu’à l’âge de trois mois. Ce réflexe fondamental lui permet de lutter contre des angoisses de chute. La maturation corticale et la baisse d’excitabilité des neurones du bébé qui grandit permet d’inhiber ses réponses réflexes. Le statut de réflexe disparait alors mais « [l]e circuit neuromoteur quant à lui persiste et s’intègre à la motricité globale, restant donc disponible pour soutenir une éventuelle intention motrice » (Lesage, 2012, p. 183). La situation de paralysie et de tétanie que peut traverser le débutant peut évoquer symboliquement ce réflexe de grapsing du nourrisson (mais d’un point de vue neurophysiologique, c’est bien l’action d’agripper, modulée par le circuit neuromoteur mature du sujet, qui est mise en jeu).

Le schème homologue

Dans ce schème, les membres sont utilisés de façon symétrique comme chez la grenouille ou le lapin. Il correspond au premier rampé du nourrisson entre huit et dix mois : « [l]e mouvement homologue entraine une propulsion sagittale qui peut se faire selon les deux modalités “céder et pousser” et “atteindre et tirer” précisées dans le schème spinal » (Lesage, 2012, p. 197). Il assure la connexion haut-bas du corps.
Les mouvements de brasse du nageur évoquent en premier lieu ce schème. Mais il est également identifiable dans les manipulations complexes de remontée sur corde, le spéléologue, par exemple, est amené à remonter d’un puits* le long de la corde qui lui a servi précédemment à la descente en rappel*. Dans cette situation, le corps n’a qu’une seule « courbe d’appui » pour se hisser jusqu’en haut car les parois sont trop éloignées (cf. infra Figure 1 en Annexe).
Le nourrisson, en acquérant peu à peu ce schème, différencie le haut et le bas de son corps. Il peut alors effectuer des mouvements avec ses membres supérieurs indépendamment de ses membres inférieurs : « le bas du corps se spécialise dans une fonction d’appui et de propulsion, qui libère les potentialités du haut » (Lesage, 2012, p. 197). Dans cette coordination haut/bas du corps dans un plan horizontal, il peut alors saisir et manipuler des objets beaucoup plus aisément.
À même la paroi, soutenu par son baudrier* attaché à l’amarrage*, il est fréquent que le grimpeur de grande voie*, le canyoniste ou encore le spéléologue se retrouve « assis » dans son baudrier*, les deux pieds repoussant la paroi ou dans le vide. Peu ordinaire dans la vie quotidienne, cet appui lui permet de libérer complétement ses membres supérieurs. Il peut alors effectuer les manipulations techniques de mise en sécurité nécessaires pour continuer son exploration. La dissociation haut/bas du corps est ainsi mise en jeu : le schème homologue est sollicité dans cette situation.

Recherche d’équilibre et régulation tonique

La motricité spécifique de la plupart des sports de nature, étudiée précédemment, se construit essentiellement autour d’un même but : celui de garder l’équilibre face aux forces de la pesanteur qui tendent à projeter constamment le sujet au sol. Dans les environnements sauvages, montagnards, forestiers, souterrains en encore sus-aquatiques, le sportif de nature expérimente « des limites physiques dans un équilibre toujours prêt à se rompre » (Le Breton, 2017, p. 115). L’équilibre peut se définir comme l’état de stabilité du sujet dont le poids est réparti de part et d’autre d’un « espace d’appui ». Cet espace varie d’un sport à l’autre : en escalade, le grimpeur passe d’une posture à une autre en prenant appui sur des surfaces restreintes, non planes et non-horizontales. En canyonisme, en spéléologie ou en alpinisme, cette surface est souvent plus large mais parfois bien plus glissante (à cause de l’eau, de la glaise ou du gel) ; le sujet doit également faire face aux forces de l’eau et du vent qui le projettent horizontalement. Ces situations proposent des alternances d’équilibre statique – le sujet est dans une posture d’arrêt – et dynamique. Dans les sports de glisse, c’est l’équilibre dynamique qui est constamment recherché. Dans tous les cas, le sujet joue en permanence avec cette recherche d’appuis et de situation d’équilibre/déséquilibre. Il s’agit donc de mettre en place des forces antigravitaires permettant de lutter contre la pesanteur : c’est le travail musculaire qui en est à l’origine. La proprioception et la régulation tonique sont les composantes clés permettant au sujet le maintien de la posture qui lui assure son équilibre. Par l’intégration des nombreuses informations sensorielles, le sujet ajuste le degré de tonicité de ses muscles. Il arrive que la configuration du milieu lui demande de maintenir une posture peu habituelle (par exemple un passage délicat à franchir en escalade ou en spéléologie). Son tonus postural est dès lors davantage sollicité mais pour résoudre la situation, il ne doit pas être trop élevé : une marge tonique doit être conservée pour que le tonus d’action prépare et effectue le geste dynamique permettant de franchir l’obstacle.
Cette recherche constante d’équilibre et la nécessité de réguler son tonus permettent d’enrichir du vécu proprioceptif et du schéma corporel (cf. supra Partie 1.3) Dans la théorie du développement sensori-moteur, Bullinger (2007) explique le lien entre « flux sensoriels » (p. 70), régulation tonique et motricité.

De la sensori-motricité à la cognition

La période sensori-motrice, décrite initialement par Piaget (1966), se situe entre la naissance et dix-huit et vingt-quatre mois. Il est évident que le sportif adulte traite les signaux sensori-moteurs d’une manière beaucoup plus complexe qu’au cours de cette période. Cependant « lorsque des actions matérielles nouvelles sont à former ou lorsque le milieu résiste aux actions du sujet, les aspects sensori-moteurs peuvent regagner en importance » (Bullinger, 2007, p. 70). Dans les sports de nature, le sujet se confronte à des situations toujours nouvelles car les environnements explorés sont souvent différents, tout comme leurs caractéristiques (météorologiques, physiques et structurelles). Les conduites sensori-motrices du sujet sont donc fortement impliquées dans ces situations : le sujet capte et traite les flux sensoriels, ici d’ordre gravitaires, visuels, tactiles et sonores et, à travers sa « fonction proprioceptive », il adopte une réaction tonico-posturale et motrice en rapport à cette situation.
L’intelligence et l’activité psychique, pour Piaget (1966) et Bullinger (2007), trouve ses racines dans le mouvement, grâce aux matériaux « de nature sensorielle et motrice » (Bullinger, 2007, p. 70). J’avance ici que la sensori-motricité du sujet sportif de nature, activée dans ses expériences, continuerait à soutenir le développement de ses fonctions exécutives, qui font partie des processus cognitifs. De toute évidence, les situations des sports de nature font intervenir des facultés exécutives : vigilance, attention ou encore concentration. Les capacités d’inhibition ont aussi une forte importance lorsqu’il s’agit, par exemple, de se focaliser sur ses mouvements dans une descente en rappel* dans une cascade, tout en minimisant l’impact sensoriel de l’eau projetée à grand débit sur soi. Certains sportifs rencontrés m’affirment d’ailleurs qu’ils aiment mettre à profit ces aptitudes, ces capacités de « sang-froid » que ces activités requièrent.
Par la multiplicité et la diversité de ses expériences sensori-motrices renforcées par ses capacités cognitives, le sportif de nature enrichit son vécu corporel et alimente son schéma corporel.

La relativité des repères spatio-temporels

Les repères spatio-temporels sont intégrés grâce aux expériences corporelles : « [l]e corps va représenter le point de référence et le moyen de créer cet espace orienté : point de référence grâce au tronc, véritable “ici” » (Ajuriaguerra, 1962, p. 175). Le tronc fait également référence à l’axe corporel qui se définit anatomiquement comme « une ligne virtuelle passant par le sommet du crâne et le centre du périnée » (Lesage, 2012, p. 149).
L’axe corporel est grandement sollicité dans les sports de nature. Véritable « boussole corporelle », il permet au sujet, par l’intermédiaire de sa sensibilité proprioceptive, de s’orienter dans des espaces aux reliefs atypiques : souterrains étroits et coudés empêchant de voir son corps en entier, sentiers abrupts et parois verticales dont la surface d’appui devient parallèle à l’axe corporel, milieu aquatique qui réduit le flux gravitaire, etc. Sur le plan tonique, l’axe corporel est particulièrement engagé dans la manipulation de remontée sur corde en spéléologie (cf. infra Figure 1 en Annexe). Cette capacité à s’orienter spatialement, associée aux processus cognitifs d’adaptation et d’attention, permet l’intégration des dimensions spatiales et la construction d’un espace propre. L’exploration sensori-motrice des environnements de pleine nature propose de réinterroger les relations à l’espace : dans les explorations ascendantes (escalade, alpinisme), le haut devient l’avant, le bas devient l’arrière. Au contraire, dans les explorations descendantes (spéléologie), le bas devient l’avant et le haut devient l’arrière. Quant aux explorations tridimensionnelles (parapente, plongée sous-marine), la surface de déplacement est transposée en volume de déplacement : le corps peut atteindre des points de l’espace, dans la hauteur, la largeur et la profondeur. Le repère cartésien se transpose alors en repère sphérique, où les coordonnées deviennent des angles et des rayons d’exploration.
Les relations au temps sont également modifiées. Pour les sports terrestres tels que les grandes voies en escalade, la durée de l’activité est soumise à l’heure du lever et du coucher du soleil, des températures saisonnières et des conditions météorologiques, qui deviennent les principaux indicateurs temporels. Pour les sports en eaux vives et aquatiques, c’est le débit et la quantité d’eau de la rivière ou l’agitation de la mer qui dicte en partie la progression du sujet et la durée de son parcours. Dans le milieu souterrain, sans montre, la privation de lumière du soleil ne permet pas de se repérer temporellement. L’expérience de Siffre (2017) le prouve : spéléologue aventurier et scientifique, il a passé deux mois sous terre, sans moyen de mesure du temps. Son « horloge biologique interne » s’est naturellement allongée : le temps perçu s’écoulait presque deux fois moins vite que le temps réel. Le sujet ajuste sa temporalité à celui des éléments naturels.
Dans cette perspective, la pratique des sports de nature permet un vécu corporel inédit, inhabituel, riche et intense. Elle invite à requestionner son rapport au temps, à l’espace et à son propre corps. Mais ces éprouvés corporels ne se résument pas uniquement à des sensations et des praxies spécifiques. La dimension émotionnelle est partie intégrante au processus.

« Cocktail » tonico-émotionnel

Vertige, peur et hypertonicité

Si les situations des sports de nature mettent en jeu la recherche d’équilibre, c’est bien parce qu’elles confrontent le sujet au vide. À flanc de falaise, le grimpeur observe le vide sous ses pieds ; en haut d’un puits*, le spéléologue s’engage dans le vide sans pour autant percevoir la profondeur ; le parapentiste, en décollant du sol, se jette dans le vide. Cette confrontation au vide peut générer la peur et le risque de chuter, de tomber au sol et de se blesser. Par ailleurs, dans certaines configurations, le sujet peut éprouver la crainte de rester bloqué, en s’engageant par exemple dans un laminoir*, ou d’être aspiré et noyé : en bas d’une cascade, après sa descente en rappel*, le canyoniste peut être aspiré par un phénomène de ressac*. De plus, le fantasme sur le plan corporel de se faire arracher un membre peut être présent, notamment en spéléologie, dans le passage de boyaux* étroits ou en imaginant être entravé par le noeud d’une corde suite à une mauvaise utilisation du matériel.
À propos du vertige, Winnicott (1952) reprend les écrits de Rycroft « [l]e vertige est l’impression qu’on éprouve lorsque le sens de l’équilibre est menacé. Pour l’adulte, cette sensation est associée en général – sans l’être toujours – à tout ce qui menace le maintien de la station debout » (Winnicott, L’angoisse liée à l’insécurité, 1952, pp. 232-233). Les enfants expérimentent cette menace de perte d’équilibre bien avant de se mettre debout. D’après Winnicott (1952), le phénomène de vertige pour le nourrisson n’est pas uniquement physiologique. Il s’accompagne d’angoisses d’insécurité massives lorsque les soins maternels n’assurent pas un soutien suffisant. Ces « angoisses disséquantes primitives » (Winnicott, s.d.) sont de différentes natures : angoisse de retour à un stade de non-intégration, angoisse de tomber à jamais, angoisse de perte de la complicité psychosomatique ou encore angoisse de perte du sens réel (p. 208). Elles provoquent une « crainte d’effondrement », c’est-à-dire une crainte de mort, que tout individu expérimente bébé.
La sensation de vertige et les angoisses éprouvées dans les expériences des sports de nature peuvent faire écho à ces angoisses primitives, les réactiver et les raviver. La peur intense chez le débutant peut le paralyser et entraver son mouvement, traduisant alors un état d’hypertonie massive invalidante. Pour le sportif expérimenté, ces angoisses sont la plupart du temps beaucoup moins présentes ou du moins, elles sont contenues. Dans ce cas, son tonus est vecteur de mouvement, le geste peut se déployer librement et l’hypertonie associée à son effort physique est source de plaisir. La maîtrise de sa peur génère de la satisfaction.

Équilibre tonico-émotionnel

L’enjeu pour le sportif de nature est donc de se confronter à des situations qui le mettent suffisamment en tension corporelle et émotionnelle afin d’éprouver des sensations vives, mêlées à la fois de plaisir et de peur, tout en préservant sa sécurité (cf. infra Figure 3 en Annexe). L’environnement doit être suffisamment sécurisé et sécurisant pour minimiser l’angoisse et garantir l’intégrité du sujet.
Cela évoque les « états primaires toniques » (Robert-Ouvray, 2007, p. 77) éprouvés par le bébé : « l’hypotonie [provoquée par la satisfaction des besoins] vécue par l’enfant est ressentie dans le passage d’une position tonique contracturante [due aux besoins] à une autre position tonique moins active. L’enfant vit la perte d’une sensation désagréable et l’advenue d’une sensation agréable » (pp. 77-78).
Ici le sujet, choisit consciemment et volontairement de se mettre dans des états hypertoniques afin d’en ressentir la limite et d’éprouver par la suite un état hypotonique.

Détente et hypotonicité

Après l’état d’hypertonie et de vigilance constante une détente émotionnelle et musculaire s’installe. Cet état de relâchement tonico-émotionnel et de soulagement suite à une contraction ou un effort intense est un mécanisme neurophysiologique bien connu. Ce principe a été mis en évidence par Jacobson (1974), qui l’a utilisé pour développer sa méthode de relaxation progressive (augmentation volontaire de la tension musculaire d’un muscle par sa contraction pour mieux ressentir sa décontraction et la détente psychique qui l’accompagne). Dans les explorations inédites des sports de nature, le sujet est amené à ressentir des éprouvés corporels et émotionnels intenses et pas toujours prévisibles. L’état hypotonique de détente et de plaisir qui s’ensuit, s’accompagne de la fierté d’avoir été confronté à des situations symboliquement risquées et de les avoir surmontées.
Les pôles hypotoniques et hypertoniques du sujet sont donc éprouvés, expérimentés à travers ces situations ainsi que toutes les nuances sensori-toniques intermédiaires. Les sports de nature mettent ainsi en lien les sphères motrice, tonique et émotionnelle du sujet à travers les jeux des équilibres/déséquilibres du corps dans l’espace mais également sur le plan tonico-émotionnel. J’étudie à présent l’importance du milieu humain et des interactions relationnelles dans ces expériences singulières.

Dimension relationnelle et affective

Une communication singulière

Dans les environnements sauvages, escarpés ou confinés, les configurations spatiales et les manipulations de mise en sécurité contraignent les sujets à adopter des distances interpersonnelles inhabituelles. Hall (1978) nomme « proxémie » la distance physique qui s’établit entre les corps de deux personnes en interaction de manière inconsciente et déterminée par la culture des sujets et du lien plus ou moins intime qu’il les relie. Parfois très réduites (deux personnes côte à côte suspendues au même point de relais* en escalade) en canyonisme ou en spéléologie, parfois très grandes (progression d’un sujet jusqu’au point de sécurité suivant tandis que l’autre conserve sa position), les proxémies culturelles traditionnelles sont brouillées dans les sports de nature. Ces situations demandent donc aux sujets d’inventer, d’établir de nouveaux codes proxémiques pour trouver l’entente nécessaire et assurer la protection et la progression de chacun.
Par ailleurs, dans certains cas, les systèmes sensoriels ne peuvent plus rendre compte de la situation du partenaire alpiniste, canyoniste ou spéléologue. Le relief de la montagne, de la rivière ou l’obscurité du souterrain empêchent de le voir, ou le vent sur la falaise ou le bruit puissant de la cascade couvre sa voix. Impossible de communiquer visuellement ou verbalement avec lui. Il faut inventer, développer, affiner un langage infra-verbal, rustique et élémentaire pour rester en connexion : des à-coups successifs dans la corde qui relie les deux partenaires, des signes de bras nets, précis, sans fioriture permettent de conserver ce lien vital. Dans ce contexte, le corps entier devient organe de relation et un « dialogue tonico-émotionnel » (Ajuriaguerra, 1962) s’installe et prend le pas sur l’interaction verbale. Le vécu tonique de l’un influence celui de l’autre : à travers des indications précises, verbales ou non, et des encouragements, le guidant peut rassurer son partenaire en situation délicate. La peur maitrisée, le tonus abaissé, le sujet peut de nouveau déployer son mouvement et reprendre sa progression. La qualité de la relation à l’autre influence donc la vitesse de progression de l’aventure et sa réussite.

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Table des matières

Chapitre I. À la rencontre des sujets sportifs de nature
1. Présentation historique et culturelle des sports de nature
1.1. Origines et évolutions communes
1.2. Nomenclature des sports de nature aujourd’hui
1.3. Zoom sur l’escalade
2. Profil singulier des sujets sportifs de nature
2.1. Motivations conscientes
2.2. Processus latents
Chapitre II. Lecture psychomotrice des sports de nature
1. Des sensations inhabituelles
1.1. Afférences sensorielles extéroceptives
1.2. Afférences sensorielles proprioceptives
1.3. Enrichissement du schéma corporel
2. Une motricité spécifique
2.1. Appuis : de la bipédie, à la quadrupédie, à la « multipédie »
2.2. Les schèmes moteurs impliqués dans les sports de nature
3. Un vécu corporel unique
3.1. Recherche d’équilibre et régulation tonique
3.2. De la sensori-motricité à la cognition
3.3. La relativité des repères spatio-temporels
4. « Cocktail » tonico-émotionnel
4.1. Vertige, peur et hypertonicité
4.2. Équilibre tonico-émotionnel
4.3. Détente et hypotonicité
5. Dimension relationnelle et affective
5.1. Une communication singulière
5.2. La place de l’autre
Conclusion et problématique intermédiaires
Chapitre III. Recherche d’unité psychocorporelle
1. Résolution du paradoxe du vertige
2. Éprouver son unité psychocorporelle
2.1. Une enveloppe psychocorporelle bien délimitée
2.2. Contribution au sentiment continu d’existence
2.3. Une unité psychocorporelle stable
3. Biais à la quête de l’unité psychocorporelle
3.1. Conduites à risques chez les adolescents
3.2. La pratique sportive comme procédés auto-calmants
3.3. L’unité psychocorporelle compromise ?
Conclusion et problématique intermédiaires
Chapitre IV. Médiation escalade en psychiatrie adulte
1. Présentation de l’institution
1.1. Contexte général
1.2. Son fonctionnement
1.3. La place de la psychomotricité
2. Le groupe thérapeutique d’escalade
2.1. L’escalade : une médiation appropriée en psychiatrie adulte ?
2.2. Déroulement du cycle escalade dans le cadre du stage
2.3. Ma fonction de stagiaire
3. Thérapie psychomotrice pour Arthur et Sylvie
3.1. Arthur : entre préhension et appréhension
3.2. Sylvie : des appuis à tout prix
Chapitre V. Soin en psychomotricité et pratique des sports de nature : analyses et perspectives
1. Les vécus psychocorporels dans la schizophrénie
1.1. La schizophrénie aujourd’hui
1.2. Problématiques psychocorporelles
1.3. Le cas d’Arthur et de Sylvie
2. La médiation escalade en psychomotricité : une thérapeutique
2.1. Une diversité d’éprouvés psychocorporels dans un cadre contenant
2.2. Symbolisation dans le dispositif thérapeutique en psychomotricité
2.3. Contre-transfert corporel
3. Psychomotricité, médiation et sports de nature
3.1. Un engagement psychocorporel en commun
3.2. Des spécificités propres
3.3. La psychomotricité, l’escalade… et les autres sports de nature ?
Conclusion
Bibliographie

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