Sociolinguistique, (socio)didactique et contextualisation

Sociolinguistique, (socio)didactique et contextualisation

Cette partie présente un bref historique expliquant comment l’arrivée de la notion de contextualisation didactique dans le domaine de la didactique des langues a été facilitée principalement par la sociolinguistique. Il est pertinent de rappeler que l’un des grands changements dans le domaine de la didactique des langues, et particulièrement dans la didactique du FLE, a été l’arrivée de l’approche communicative dans les années 1970, car elle a succédé progressivement à la linguistique interne d’inspiration structuraliste-générativiste qui régnait à l’époque en imposant une vision cloisonnée de la langue (Blanchet & Asselah-Rahal, 2009). C’est ainsi que la compétence de communication a convoqué les travaux de Hymes (1984) sur la compétence communicative et les rapports entre langage et société, d’Austin (1970) et de Searle (1982) sur les objectifs pragmatiques de la communication, ainsi que les premiers grands travaux de Labov (1976, 1978) et de Bernstein (1975) sur la variation linguistique et son lien avec l’école et la société. Ce mouvement a été accompagné par l’apparition de la sociolinguistique en France au cours des années 1970, période qui a fécondé la notion de variation langagière dans l’enseignement des langues à travers la didactique plurinormaliste du groupe Varia de l’Institut National de Recherche Pédagogique (Marcellesi, Romian & Treignier, 1985). Ainsi, les travaux de la sociolinguistique et du groupe Varia ont mis en cause l’approche mono normative de la langue et se sont centrés sur la notion de variation pour la décrire, l’observer et l’expliquer comme un élément intrinsèque à la situation de classe (Jeannot-Fourcaut et al., 2014). Cela a permis de s’intéresser « aux rapports entre langage et l’école, entre le langage et le milieu familial, aux pratiques langagières des sujets apprenants, aux problèmes de l’identité culturelle et linguistique, en intégrant langues régionales, étrangères et langues de l’immigration» (Cortier & Puren, 2008, p. 70). En conséquence, les approches didactiques cohérentes avec ce postulat ont adopté une perspective plurinormaliste de la langue et ont visé à « faire prendre conscience à tous les élèves de la réalité de la langue dans la diversité de ses formes, de ses usages et de ses fonctions » (Vargas, 2006, p. 5). Autrement dit, les apports de la sociolinguistique, avec les travaux de Labov, Berstein et du groupe Varia ont prôné l’introduction et la prise en compte de la diversité langagière dans la salle de classe. Au cours des années 80 et 90, la sociolinguistique s’établit comme un cadre théorique qui pose comme objet prioritaire des sciences du langage les pratiques linguistiques comme pratiques sociales hétérogènes contextualisées. De son côté, et en adoptant la sociolinguistique comme cadre théorique, la didactique des langues bascule « de la didactique du code vers celle des usages des codes » (Blanchet & Asselah-Rahal, 2009, p. 11). Ce basculement a conduit la didactique des langues à modifier son rapport avec la notion de situation et à privilégier la notion de contexte qui élargit son champ de réflexion et d’intervention en considérant des paramètres sociaux plus larges que ceux considérés dans une situation de communication, de classe ou d’apprentissage. Pour synthétiser les mots de Porquier et Py (2004), ces changements dans le domaine de la didactique ont conduit à l’évolution de la notion de situation, qui faisait référence en principe soit à une situation de communication (dans une approche communicative), soit à une situation d’apprentissage ou de classe (d’un point de vue didactique), vers la notion contexte. Cette évolution élargit la problématique au-delà de l’espace didactique et pédagogique (la méthode, la séance ou séquence d’apprentissage, la relation enseignantenseigné, la classe, l’institution éducative…) vers l’environnement sociolinguistique, culturel, social, voire économique ou politique, tout en incluant les paramètres plus étroitement didactiques dès lors indissociablement intriqués dans l’ensemble du contexte global (Blanchet & Asselah-Rahal, 2009, p. 12).

La sociolinguistique et l’introduction de la notion de contexte dans la didactique des langues ont ainsi encouragé un rapprochement de plus en plus étroit entre la sociolinguistique et la didactique, en permettant la constitution d’« une didactique qui se préoccupe davantage du contexte social et [d’]une sociolinguistique qui cherche à envisager les implications didactiques des données qu’elle met au jour » (Jeannot Fourcaut et al., 2014, p. 17). C’est ainsi qu’en 1990 Louise Dabène propose pour la première fois une didactique de la variation qui vise à rapprocher la didactique des « réalités concrètes du terrain pédagogique » pour rendre compte de la diversification des situations d’apprentissage des langues étrangères (Dabène, 1990, p. 7). Pour Dabène (1990), la didactique doit donner un statut à la variation des situations d’enseignement-apprentissage de la même manière que la linguistique a intégré dans son champ d’analyse les conditions des productions du langage. Ainsi, la didactique devrait intégrer à son champ d’analyse les conditions des situations d’apprentissage à travers l’étude d’au moins trois facteurs (sociolinguistiques) : le contexte où se déroule l’enseignement/apprentissage, la situation sociolinguistique de l’apprenant et de l’enseignant et le mode de transmission du savoir (la méthodologie d’enseignement). Dabène (1990) liste et développe ces trois facteurs qui déterminent la situation d’apprentissage, en rappelant qu’ils sont souvent les plus négligés et qu’il existe bien d’autres facteurs qui pourraient être considérés. Dans son article, Dabène (1990) insiste sur la nécessité de déboucher sur une typologie des situations d’apprentissage et montre que l’analyse des facteurs sociolinguistiques caractérisant la situation d’apprentissage doit avoir une place dans la réflexion didactique.

Des années plus tard, le terme de sociodidactique a été développé dans certains travaux, dont ceux de Marielle Rispail, qui le définit comme une « (sous)discipline affirmée, (socio)linguistique et didactique mêlées » (2005, p. 100, cité dans Jeannot-Fourcaut et al., 2014, p. 18). D’autres auteurs ont, à l’instar de Rispail, prôné une sociolinguistique à visée didactique (Gadet & Guérin, 2008) ou une écodidactique (Wharton, 2007). Dans le cas de la première et par rapport au sujet que Gadet et Guérin traitent dans leur article de 2008, il s’agit d’articuler la réflexion sociolinguistique (le rapport entre l’oral et l’écrit et leurs usages effectifs dans la vie de tous les jours) et la perspective didactique (l’enseignement de l’écrit dans le cadre du Français Langue Maternelle), en intégrant ainsi les paramètres sociolinguistiques. Dans le cas de la deuxième, il s’agit pour Wharton (2007) d’intégrer, à part les paramètres sociolinguistiques, des paramètres psycholinguistiques et d’« intégrer tous les paramètres du contexte jouant de près ou de loin un rôle dans le processus d’enseignement » des langues (Wharton, 2007, p. 122). En s’inscrivant dans le champ de la didactique de langues, la sociodidactique se présente comme une

didactique articulée à la variété des contextes dans leurs aspects politiques, institutionnels, socioculturels et sociolinguistiques d’une part, mais aussi à la variété et la variation langagière, linguistique et sociale, interlectale et interdialectale, d’autre part, […] pour l’élaboration de politiques linguistiques et éducatives cohérentes et de propositions didactiques concrètes » (Cortier & Puren, 2008, p. 76) .

Nous remarquerons ici que la sociodidactique, et comme le proposait Dabène dès 1990, « accorde […] au(x) contexte(s), et particulièrement au contexte social, une place centrale et ce, dans la lignée des travaux amorcés par les chercheurs du groupe Varia » (JeannotFourcaut et al., 2014, p. 19). En partant de l’idée que le champ d’action de cette « sociodidactique » se construit à la rencontre entre didactique et sociolinguistique et que la notion de contexte est le cœur de ses travaux (Jeannot-Fourcaut et al., 2014), on assiste à un glissement vers la notion de contextualisation didactique qui tente de rendre compte d’une attention particulière au contexte avant et pendant toute intervention didactique et « qui poursuit et complète en le transformant une dynamique ouverte par la ‘révolution communicative’ des années 1970-80 » (Rispail & Blanchet, 2011, p. 68).

Contextualisation didactique et contexte(s)

Contextualisation didactique : des repères théoriques

Même si une certaine réflexion sur la contextualisation dans le domaine de la didactique des langues a commencé autour de la notion de contexte et de la « révolution communicative » des années 70 et 80 (Rispail & Blanchet, 2011, p. 68), les premiers apports sur la contextualisation de l’intervention didactique pourraient être attribués à Francis Debyser (1982) et à Robert Galisson (1994). Le premier a posé le problème des transferts pédagogiques en définissant le « transfert de pédagogie » comme « l’introduction, l’exportation, dans un pays quelconque, de savoir-faire et de techniques pédagogiques venues d’ailleurs » (Debyser, 1982, p. 25). Il s’est interrogé plus particulièrement sur les problèmes posés par les transferts de pédagogie au plan éducatif et culturel et a affirmé que « l’étrangeté » de la pédagogie transférée d’un pays à un autre pouvait affecter différents niveaux (que je présenterai dans partie 1.2.3, car ces niveaux peuvent être interprétés comme des « niveaux de contexte »). Le deuxième a introduit, dans son texte sur la conformation d’une didactique/didactologie des langues-cultures en tant que discipline autonome d’autres disciplines, la notion de « contextualisation » de l’enseignement apprentissage de langues (Galisson, 1994). Dans sa publication, Galisson (1994) est persuadé que l’application de méthodologies incompatibles avec les valeurs, les coutumes et le mode du fonctionnement du système scolaire d’accueil entraine l’échec des enseignants et par voie de conséquence des apprenants. Pour illustrer son propos, Galisson (1994) cite l’exemple d’un enseignant français de FLE qui tente de mettre en œuvre l’approche communicative dans un pays d’Extrême Orient où la parole est régie par des conventions sociales strictes. Cette expérience a permis à l’enseignant en question, et à l’auteur, de confirmer que les méthodologies « nouvelles » (comme l’a été l’approche communicative à l’époque) ne sont pas automatiquement exportables ou importables et que leur mise à l’épreuve nécessite d’une « étude approfondie du contexte potentiel d’emploi » (Galisson, 1994, p. 26). Par contexte, Galisson (1994) entend les huit catégories éducatives (sujet, objet, agent, groupe, milieu institué, milieu instituant, espace et temps) que je présenterai aussi dans partie 1.2.3 dédiée à la notion de contexte. Il ajoute également que l’étude de ces catégories éducatives doit avoir lieu in situ, sous forme d’une ethnologie scolaire comme preuve d’une « contextualisation sérieuse » qui mettrait de côté les ambitions universelles des méthodologies au bénéfice des ambitions locales. Pour cet auteur, « c’est le sujet dans son environnement, donc dans sa spécificité culturelle, qui conditionne le choix de la méthode à mettre en œuvre » (Galisson, 1994, p. 26). Jusqu’ici, les apports de Debyser (1982) et Galisson (1994) se joignent pour évoquer le problème des transferts de pédagogies et de méthodologies « venues d’ailleurs ». Plus concrètement, Galisson (1994) apporte le premier pas à suivre pour une « contextualisation sérieuse » de l’enseignement apprentissage des langues, que je retiendrai comme élément à la fois méthodologique et définitoire de la notion de contextualisation : une étude approfondie in situ du contexte du sujet (apprenant), c’est-à-dire des huit catégories éducatives, à travers une démarche d’ethnologie scolaire qui conditionnerait le choix de la méthodologie à mettre en place (Galisson, 1994).

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Table des matières

Introduction
PARTIE 1 – CONTEXTE ET CONTEXTUALISATION : DES REPÈRES HISTORIQUES ET THÉORIQUES
Chapitre 1 : De la contextualisation didactique aux questionnements
1.1 Sociolinguistique, (socio)didactique et contextualisation
1.2 Contextualisation didactique et contexte(s)
1.3 Quelques travaux sur contexte et contextualisation
1.4 Les questionnements de cette recherche
PARTIE 2 – UNE RECHERCHE ET UNE MÉTHODOLOGIE DE TERRAIN
Chapitre 2 : Le terrain de cette recherche
2.1 L’association Paroles Vives
2.2 Le projet « Conception et expérimentation d’un apprentissage intégré du Français Langue Étrangère (FLE) »
2.3 Ma participation au projet en tant que stagiaire
Chapitre 3 : Un contexte didactique précaire et complexe
3.1 Les ateliers d’expérimentation FLE
3.2 Un aperçu des Roms migrants en France et dans le Bouches-du-Rhône
Chapitre 4 : Une méthodologie ethnographique et qualitative
4.1 Type d’étude
4.2 Présentation de l’étude : question, intérêt et objectifs
4.3 Techniques de construction des observables
4.4 Corpus d’analyse
4.5 Grilles d’analyse de contextualisation didactique
PARTIE 3 – À LA RECHERCHE DE TRACES DE CONTEXTUALISATION DIDACTIQUE
Chapitre 5 : Procédés de contextualisation, catégories et effets de contexte
5.1 Traces de contextualisation didactique dans la démarche générale du projet
5.2 Traces de contextualisation didactique dans les outils pédagogiques produits
Chapitre 6 : Pas à pas vers une démarche de contextualisation
6.1 La démarche de contextualisation et les catégories et effets de contexte pris en compte tout au long du projet (phases 1 et 2)
6.2 Vers une démarche générale de contextualisation didactique
Conclusions
Bibliographie

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