SOCIETE CIVILE ET CITOYENNETE CHEZ KANT

ASPECTS ANTHROPOLOGIQUES ET JURIDIQUES DE L’ETAT DE NATURE

    Pour comprendre l’aspect anthropologique de l’état de nature, il convient de faire appel aux écrits historiques de Kant, notamment aux conjectures sur les débuts de l’histoire de l’humanité. L’état de nature y est décrit d’un point de vue empirique et comporte une réalité historique incontestable. C’est dire donc que le contenu de cet état empirique, ou du moins les « conjectures » sur cet état sont tirés de l’expérience. Comment se présente cet état de nature historique ? L’existence de l’homme, considérée même à un stade assez avancé, celui du couple monogamique, n’est pas un état conflictuel. L’homme, étant guidé par l’instinct, ne pouvant donc franchir les bornes dans lesquels le maintenait celui-ci, mènerait une vie tranquille : « l’instinct, cette voix de Dieu, à laquelle tous les animaux obéissent, devait seul d’abord conduire notre nouvelle créature. IL lui permettait certaines choses pour sa nourriture, lui en interdisant d’autres (…). Tant que l’homme inexpérimenté obéit à cet appel de la nature, il s’en trouva bien» Etre solitaire à l’abri de tout danger, l’homme disposerait ainsi des faveurs de la nature : nourriture abondante, climat toujours agréable. Cela reviendrait à affirmer qu’au début de son histoire, étant sous le joug de l’instinct donc de la nature, l’homme menait une vie animale et que cet instinct lui garantissait une existence paradisiaque. Cependant, des changements vont intervenir, surtout au niveau du mode de production, mettant ainsi fin au calme primitif. Kant note ces transformations en ces termes : « Ici nous devons faire encore un grand saut, et transporter l’homme d’un seul coup à la période où il est en possession de bêtes domestiques et de plantes que pour se nourrir, il a pu lui-même multiplier par les semailles et les plantations. Toutefois, le passage de la vie de capture rudimentaire du gibier à ce premier stade, puis de la récolte aléatoire de racines ou de fruits, à ce deuxième stade, a dû se produire assez lentement. Et c’est alors que dut commencer la discorde entre les hommes qui vivaient jusque là en paisible voisinage ; cela eut pour conséquence qu’ils se distinguèrent selon différents modes de vie et s’éparpillèrent sur la terre». Ainsi, à la vie paisible que menait l’homme jusque la succède un état conflictuel, opposant dès lors les différents groupes désormais mis en place : les agriculteurs et les pâtres. Ne pouvant pas coexister avec les pâtres en ce sens que l’agriculture nécessite non seulement la propriété du sol, mais aussi, la capacité de la défendre (chose qui n’est guère aisée avec la cohabitation avec les pasteurs et leur bétail), les agriculteurs vont s’éloigner et s’installer dans des agglomérations. Là commence une nouvelle époque marquée surtout par les débuts de la constitution civile et de la justice publique : c’est la naissance «d’une sorte de gouvernement, au-dessus duquel on n’exerçait plus les pratiques de violence». Ainsi, au sein de l’état de nature, apparaît un appareil ayant une forme étatique, dont le but réside dans la garantie de l’harmonie. Bientôt le luxe attira les pâtres dans les villes, avec comme conséquence, la réunion des deux peuplades (dont les relations furent jusque là conflictuelles), laquelle va engendrer le despotisme de quelques puissants tyrans. Que pouvons-nous tirer de cette présentation de l’état de nature ? Cette description historique révèle que si l’état de nature est un état d’insociabilité, celle-ci n’est pas un fait primitif. L’état de nature primitif n’est pas, comme chez Hobbes un état de « guerre de tous contre tous ». Les conflits inter-individuels, la méchanceté humaine, la corruption n’ont pris une ampleur qu’après une évolution correspondant à l’éveil de la raison et à son opposition avec l’instinct. Cependant, même si la méchanceté n’est pas originelle, il n’en demeure pas moins qu’elle est naturelle car ne résultant pas de causes extérieures. Sur ce point, il existe une nette opposition entre notre auteur et Jean Jacques Rousseau, celui-ci considérant que l’individu n’est pas mauvais par nature, mais qu’il le devient sous l’action des circonstances extérieures : « il me reste à considérer et à rapprocher les différents hasards qui ont pu perfectionner la raison humaine, en détériorant l’espèce, rendre un être méchant en le rendant sociable». Selon Rousseau, sous les causes extérieures, l’homme aurait toujours vécu dans l’innocence primitive : il ne serait jamais devenu méchant. Contrairement à cette conception optimiste de l’anthropologie, Kant considère que « l’homme à cause de son caractère sensible peut être considéré comme méchant par nature si on parle du caractère de l’espèce». Cette méchanceté, si elle n’est pas originelle se développe pourtant d’elle-même, sans le concours des circonstances extérieures à la suite du développement de la raison, et par delà, de l’opposition entre l’individu et l’espèce. C’est tout ce qui fait dire à Georges Vlachos que « la méchanceté commence sous l’action d’un penchant puissant, qui n’est pas à proprement parler naturel puisqu’il ne se développe pas avant que la conscience ne soit elle-même développée, mais qui est néanmoins « inné » (…), dans la mesure où il est engendré avec nécessité aussitôt que la raison se répare de l’instinct pour entreprendre sa marche ascensionnelle7 ». Ce penchant dont il est question paraît être l’unique penchant inné, à savoir la liberté. C’est dire que le développement de la conscience finit par, engendrer la liberté qui, par son caractère illimité et indiscipliné va donner naissance à la méchanceté humaine dont « l’insociable – sociabilité est l’une des caractéristiques fondamentales». Mais, si du point de vue anthropologique la pensée Kantienne est marquée par un pessimisme, force est de constater que cette attitude fait place à un optimisme s’agissant de la question de l’histoire. En effet, si au sortir de l’étude historique de l’état de nature la conclusion semble être défavorable pour l’individu dont la caractère fondamental demeure la méchanceté, relativement à l’espèce, la conclusion est tout autre : « En ce qui concerne l’individu qui faisant usage de sa liberté, ne songe qu’à soi-même, il y eut perte lors de ce changement ; en ce qui concerne la nature, soucieuse d’orienter la fin qu’elle réserve à l’homme en vue de son espèce, ce fut un gain8 ». perte pour l’individu, gain pour l’espèce, tel est le résultat auquel a abouti le développement de la raison et l’éveil de la liberté. En effet, si cette nouvelle situation dans laquelle est tombée l’homme finit par faire de lui un être foncièrement mauvais, donc forcément insociable, cette insociabilité sera à tout point de vue favorable au développement de la sociabilité et mieux, elle en sera l’origine. C’est dire que sur le plan individuel, la situation fut tellement conflictuelle qu’elle n’eût d’autre issue que la constitution d’une société civile seule habilitée à mettre fin à la guerre de tous contre tous, c’est à dire, à préserver l’espèce. Ce qui donc est considéré comme une chute pour l’individu est plutôt un progrès pour l’espèce, raison pour laquelle, l’on ne peut s’empêcher de se poser cette question : la constitution de la société civile, par delà, de la société juste relève t-elle de la téléologie ou est-elle plutôt l’œuvre de la volonté conscience des hommes ? A première vue, les tentatives de résolution de ce problème semblent soulever des contradictions de la part de notre auteur. Mais, au-delà de ces apparences, la pensée Kantienne s’inscrit dans une unité théorique fondamentale. Essayons d’abord de voir à quel niveau paraît résider ces contradictions. Si l’on se réfère à l’idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, l’on semble déceler une absence de logique, Kant affirmant tantôt que la société civile est l’œuvre d’un «dessein de la nature» indépendamment de la volonté consciente des hommes, tantôt qu’elle nécessite pour se constituer, le libre consentement de ceux-ci. En effet, dans les cinq premières propositions de cet ouvrage, se dégage l’idée d’une téléologie de la nature qui conduit les hommes inconsciemment à former une société civile, un tel fait ne pouvant se réaliser que par le jeu des penchants égoïstes, donc de « l’insociable sociabilité » c’est dire que la nature se sert de la méchanceté humaine comme d’un moyen peu accéder à un ordre civil. En d’autres termes, si l’homme, pris isolément, est un être égoïste qui ne cherche que son intérêt particulier, il y a à chercher à travers ce « tissu de folie », la finalité de la nature : « le philosophe ne peut tirer de là aucune autre indication que la suivante : puisqu’il lui est impossible de présupposer dans l’ensemble chez les hommes et dans ce jeu de leur conduite de moindre dessein raisonnable personnel, il lui faut rechercher du moins si l’on ne peut pas découvrir dans ce cours absurde des choses humaines un dessein de la nature9 ». Ainsi, par le jeu des penchants égoïstes, la nature réalise son but à savoir la formation d’une société civile et par delà, d’une société juste. Commentant cette phase, Luc Ferry considère que la philosophie Kantienne de l’histoire est une « théorie de la ruse de la nature », mettant en exergue l’intervention inconsciente et involontaire de l’homme, qui ne suit en cela que le dessein de la nature. L’histoire serait ainsi purement mécaniste et naturaliste, la participation humaine, uniquement physique.

SOCIETE CIVILE ET REPRESENTATION POLITIQUE

      Traiter des fondements de la société civile juste ce n’est pas s’intéresser à ce qui donne naissance historiquement à cette société c’est plutôt montrer l’ensemble des postulats, des principes premiers, indémontrables de cet Etat. Chez Kant, le problème des fondements de l’Etat de droit s’intègre dans sa philosophie transcendantale. Si l’explication de l’origine de la société civile ne requiert pas chez Kant le recours à un contrat historique conclu entre les hommes celui-ci, en tant qu’idée de la raison trouve une importance capitale s’agissant de la question du fondement de l’Etat. L’état de nature nous a révélé un trait fondamental de l’homme : sa méchanceté, c’est à dire son égoïsme, sa propension à poursuivre l’intérêt personnel. Une telle attitude fait d’un tel état de guerre permanente, virtuelle ou effective. Sur le plan juridique, nous avons vu que cette situation conflictuelle se traduit par la précarité du droit naturel. Dès lors, l’institution d’une société civile ayant pour vocation d’endiguer les élans anarchiques de la liberté naturelle devient un impératif. Ainsi, par la ruse de la nature, les hommes en viennent-ils à former un ordre juridique. En outre, puisque l’Etat de droit est synonyme de république, la manière de gouverner prime sur la forme de l’Etat. Et la république, parce qu’elle s’approche davantage de l’esprit de la république nouménale est la seule manière de gouverner conforme aux droits de l’homme, la seule qui puisse garantir péremptoirement le droit naturel. Les deux éléments fondamentaux qui la constituent, à savoir la représentation et la publicité permettent de faire la synthèse entre la liberté et l’ordre, en mettant en exergue l’accord entre l’obéissance à la loi et la liberté, la première n’étant que l’expression de la volonté générale. En effet, le système représentatif, avec la distinction des pouvoirs qu’il implique, constitue le meilleur garant des libertés humaines, le meilleur rempart contre le despotisme. Certes les lois sont en vigueur, mais les trois pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, bien qu’étant indissociables, y sont agencés de telle sorte que la volonté générale s’y exprime. Nous y reviendrons dans les pages suivantes.
La Société Civile : Parlons maintenant de la société civile. Essayons de la définir. D’aborder ses contours selon l’approche Kantienne. Définir, c’est tracer les limites et les contours de quelque chose qu’est ce que la société civile ? La société civile « dit Larousse est », le corps social, par opposition à la chose politique ». Ainsi, pour que la société civile existe, il faut que deux conditions préalables soient remplies : il faut d’abord supposer la présence d’un ensemble de personnes qui sont à l’écart du champ politique, du moins, qui n’y sont pas engagés et une catégorie de personnes qui forme la classe politique. La deuxième condition consiste à ce que ces deux groupes de personnes coexistent dans un rapport d’opposition. Ce concept de société civile ainsi perçu, il faut le préciser, n’a commencé à faire jour qu’à une époque récente où les citoyens ont commencé à remettre en cause l’hégémonie de l’Etat et à ressentir la nécessité de mettre en place des institutions civiles autonomes et responsables vis à vis de l’Etat. En d’autres termes, il s’agit d’une certaine autonomisation du domaine privé limitant ainsi le monopole étatique. Disons plutôt que désormais la satisfaction des biens collectifs et le commerce inter-sociétaire échappent au contrôle de l’Etat ce qui s’accompagne comme conséquence la fin du règne de l’Etat-Providence que Kant appelle gouvernement paternel c’est à dire un gouvernement qui décide du bonheur à la place du peuple. « Ce qui est en jeu en effet derrière ce concept, écrit le Professeur S. P. GUEYE, c’est la conception d’un espace public autonome, réellement indépendant du pouvoir politique (tel qu’il est incarné par l’Etat) et à l’intérieur duquel les individus et les groupes particuliers, dans la diversité de leurs intérêts, aspirations et buts spécifiques, peuvent coexister harmonieusement et, surtout vivre cette coexistence non pas comme une perte d’identité, mais plutôt comme une conduction de leur enrichissement mutuel33 » La société est un domaine de l’activité privée des groupes économiques, des associations, des institutions de socialisation mais exclut les partis politiques. Ce domine réserve des libertés mène d’ailleurs continuellement une lutte contre l’intrusion et la volonté dominatrice de l’Etat. Cependant, il convient de savoir que dans l’histoire de la philosophie, du moins jusqu’à Rousseau la société civile n’était pas définie comme un concept distinct de l’Etat mais au contraire il désignait simplement un état civil c’est à dire un Etat organisé sous des lois publiques admettant un souverain législateur et détenteur d’une force publique nécessaire pour contraindre tous les membres du corps social au respect de l’ordre public. A proprement parler, la société civile est ce qui s’oppose à l’état de nature. Aussi faut il le rappeler, Hegel reste le philosophe qui, de façon incontestable, lui a donné sa formulation la plus achevée. Analysé par celui-ci là comme intermédiaire entre la famille et l’Etat, le concept de société résume en lui tout le système de besoins c’est à dire qu’il est le lieu par excellence où se réalisent les échanges et les productions des biens matériels à la survie des individus. Cependant, Hegel est resté conscient que si la sphère de la société civile se constitue en s’opposant à l’Etat, leur rapport exige tout de même une certaine influence réciproque, une interpénétration, une coopération. En effet, il a compris que dans tous les cas, la société civile ne peut jamais naître et se développer que dans et par l’Etat qui incarne l’intérêt général. Au regard de ce qui est sus-dit, celui qui entreprend de s’interroger sur le concept de société civile chez Kant ne peut s’empêcher de se demander si son entreprise n’est pas anachronique et par conséquent une perte de temps. A vrai dire, dans l’œuvre de la philosophie, on n’en trouve pas un développement systématique. Ainsi, pour s’autoriser à le placer parmi les pères de ce concept, la lecture de l’esprit de ses textes s’impose. C’est en ce sens que nous pouvons lire dans la doctrine du droit, une séparation de l’Etat et de la société civile (première condition de possibilité du concept) « l’union civile elle-même (unio civilis), écrit Kant peut à peine s’appeler une société ; car entre le souverain (imperans) et le sujet (subditus) il n’y a pas de communauté (Mitgenossenchaft), il ne sont pas associés : ils sont subordonnés l’un à l’autre et non coordonnés, et ceux qui sont coordonnés entre eux doivent, à cause de cela, se considérer comme égaux pour autant qu’ils sont soumis à des lois communes. Cette union est donc moins une société que ce qui produit une société » Dans la communauté humaine existent deux types de rapports un rapport horizontal où tous ceux qui s’y trouvent sont égaux : c’est la société égalitaire ou société civile. Un rapport vertical où ceux qui s’y trouvent sont dans un rapport de subordination : c’est l’Etat et la société civile. Kant entreprend dans théorie et pratique d’analyser la nature du rapport qui doit exister entre l’Etat et la société et cela avec la volonté manifeste de condamner l’Etat Providence. C’est ainsi qu’il affirme que l’Etat ne doit pas se proposer comme but de garantir le bonheur des citoyens mais il doit uniquement prendre le droit comme principe suprême duquel doivent découler toutes ses maximes. En effet, le bonheur consistant dans la satisfaction des besoins, il ne peut y avoir un principe universel (celui-ci devant toujours être celui de l’Etat) dans sa détermination. Mieux, le bonheur résidant dans l’inconstant en nous (nos illusoires passions) et dans la variabilité des circonstances, nulle personne ne peut prescrire à une autre où il doit placer ou rechercher sa félicité. Conséquemment, tout Etat devant se borner à garantir une constitution légale où des libertés cohabitent harmonieusement, liberté doit être laissée à chacun (membre de la société) de mettre son bonheur où bon lui semble à cette seule condition cependant qu’il s’astreigne à tout ce qui protége la liberté légale générale.

DU DROIT DE LA FEMME, DE L’ENFANT ET REPUBLICANISME

      Un état républicain est celui qui fait du respect et de la défense des droits de l’homme le socle de sa constitution. Aussi la raison fait elle un devoir des hommes la réalisation d’un tel Etat de droit. Le corollaire d’un tel état de choses est qu’aucune catégorie sociale ne sera laissée en reste. Les êtres humains étant égaux en dignité, il le sont aussi en droit. Cela revient à dire qu’ignorer qu’il échet aux femmes et aux enfants des droits originaires qui les égalent aux hommes adultes, ce serait se méprendre du droit de l’humanité qu’ils portent en eux. Mais poser aussi la question des droits de la femme et de l’enfant ouvre à un soupçon du moins à quelque chose qui semble paradoxal. Définissant l’homme par la seule qualité d’être raisonnable, ne sommes-nous pas en droit de dire que Kant se contredit en voulant traiter spécifiquement du droit de ces catégories sociales ? Ne doit-on pas lire dans cette tentative une volonté sournoise de donner à ces catégories un statut inférieur ou dans les cas, qui les met quelque peu dans une position différente de celle l’homme ? Seule une analyse des textes de Kant lui-même nous permettra de répondre à ces questions. Mais il convient d’ores et déjà de préciser que Kant aborde la question du droit de la femme et de l’enfant à travers ce qu’il appelle le droit personnel selon une modalité réelle et le droit de vote. Le premier droit « est celui de la possession d’un objet extérieur comme étant une chose et d’en faire usage comme d’une personne ». Il s‘agit de la nature du droit que les membres d’une famille ont les uns à l’égard des autres, et pour notre préoccupation, celui qui doit exister entre le mari et femme ou les parents et leurs enfants. Le mariage est ce qui établi une communauté légale de l’usage réciproque des organes et des facultés sexuelles par deux personnes de sexe différent. Ou comme le dit Kant lui-même, le mariage est « la liaison de deux personnes de sexes différents, qui veulent, pour toute leur vie, la possession réciproque de leurs facultés sexuelles. »115 Cet acte n’est jamais arbitraire mais le fait d’un contrat « nécessaire selon la loi de l’humanité », une exigence de la raison pure pratique juridique. Cela nous permet de dire :
1) Tout commerce sexuel en dehors du mariage est illégitime ;
2) le mariage étant un contrat, les deux membres du couple doivent être libres et égaux ;
3) on ne dira pas que l’un des membres possède l’autre comme un objet privé, mais les deux se possèdent réciproquement. « Tandis qu’une personne est acquise par l’autre comme une chose, la première acquiert aussi l’autre à son tour réciproquement, en effet, elle se reconquiert ainsi elle-même et rétablit sa personnalité.»116
Ainsi, avec Kant, chaque membre du couple a un droit égal sur l’autre et de ce rapport d’égalité de possession, le philosophe tire une conséquence qui ne manque pas de forcer l’adhésion de plus d’un féministe : « c’est là, dit-il, ce qui se fonde sur ce que, si l’un des époux s’est échappé ou s’est mis en la possession d’une autre personne, l’autre époux a toujours et incontestablement la faculté de le ramener en sa puissance comme si c’était une chose.117 » Pour ce qui précède, Kant pose des exigences du mariage pour préserver l’égalité de l’homme et de son épouse. Seule la monogamie est autorisée par la raison car, elle permet à chacun de se donner sans restriction à l’autre alors que « dans la polygamie la personne qui se donne ne conquiert qu’une partie de celle à laquelle elle se livre tout entière, faisant ainsi d’elle même une simple chose »118 . Le contrat de mariage n’est accompli que par la cohabitation conjugale. Il faut bien qu’entre les personnes mariées existe la communauté corporelle. Tout contrat fondé sur l’idée secrète que l’une des parties ou les deux sont impuissantes ne possède aucune validité juridique (raison pratique). Aussi Kant rejette-t-il le concubinage ou l’homosexualité. Le premier ne repose pas sur un contrat valable en droit, le second est une union contre nature. Mais cette égalité entre l’époux et l’épouse prônée par Kant ne rend-t-elle pas contradictoire l’idée que l’un des deux membres du couple doit être le chef de famille ? Pour le philosophe, il ne saurait exister ici de contradiction car c’est même une exigence de la raison pratique que, pour le bien commun, un membre doive être présenté comme le maître du foyer : « On posera sans doute, dit Kant, la question de savoir si contradiction il y a en ce qui concerne l’égalité des époux, lorsque la loi dit à propos du rapport de l’homme et de la femme : il sera ton maître (il commandera tandis que tu seras la partie obéissante) ? Cette loi ne saurait être considérée comme contredisant l’égalité du couple, dès lors que cette domination a pour unique but de faire valoir dans la réalisation de l’intérêt commun de la famille la naturelle supériorité de l’homme sur la femme, et le droit à commander qui y trouve son fondement, droit qui d’ailleurs peut être dérivé du devoir de l’unité et de l’égalité au point de vue de la fin »119 Il faut plutôt dire que c’est pour une question de commodité, d’harmonie dans la gestion de la chose familiale que l’un des membres doit se placer dans la position de celui qui commande. Chez Kant, disons-nous alors, l’homme et la femme jouissent d’une même liberté et des mêmes droits. Qu’en est-il alors du droit de vote ? De toutes les façons à l’arrière –plan du Kantisme se lit la défense ; d’une société paternaliste. Kant, certainement victime ou aveuglé ici par le contexte de son époque, commet-il le sacrilège de refuser à la femme le droit de vote, c’est-à-dire le droit de citoyenneté. « la seule qualité, qui soit nécessaire pour cela » c’est-à-dire pour être citoyen de l’Etat, « hormis de la qualité naturelle (n’être ni femme, ni enfant), c’est d’être son propre maître »120. Pour le philosophe allemand, si l’homme dépend de la femme par ses désirs, celle-ci dépend de celui-là et par ses désirs et par ses besoins (nourriture, habillement, etc.). Ainsi la femme ne peut être libre, ne peut exprimer librement ses opinions dans l’opération du vote pour cette simple raison que pour pourvoir à ses besoins matériels, elle ne dépend pas d’elle-même mais de la volonté d’un autre, mari ou parent. Le vote étant l’expression par excellence de la liberté, c’està-dire l’acte par lequel l’homme s’affirme auteur des lois auxquelles il se soumet, toute influence extérieure souille sa « sacralité ». Peut-on d’ailleurs jamais penser que celui qui voit son existence biologique dépendre de quelqu’un d’autre puisse agir et même contre la volonté de ce tuteur ? Tâche difficile dans les faits et c’est ce qui inquiète Kant. Mais cet auteur n’a-t-il pas lui même répété qu’on ne doit pas prendre le fait comme moyen de justification du principe ? n’a-t-il pas toujours soutenu que l’expérience ne saurait valoir contre la raison ? Ainsi, que la femme vive des moyens que lui donne son mari, cela ne doit pas conduire à lui retirer ce droit humain (de vote), ce droit sans lequel elle resterait dans une éternelle minorité politique. Ce qui contredit la philosophie même des lumières : « oser penser par soi-même ». De toute façon, aujourd’hui, il est incontestable que l’argument de la possession de biens matériels, est démenti. Les femmes ne présentent plus d’infériorité par rapport aux hommes dans la production et même dans les sciences. Kant aurait alors sauvé la femme d’un préjugé social s’il avait profité de l’opportunité que lui offrait sa propre théorie : voir au-delà des choix d’organisation sociale, la nature de l’homme dans la raison. Et celle-ci rend l’homme et la femme égaux et libres. On dira ainsi que replacée dans l’idée ou l’esprit même de la théorie de Kant la question du jeune reçoit cette solution : rien ne permet de dire qu’il existe quelque inégalité naturelle entre l’homme et la femme. Les différences constatées par-ci et par-là ne sont que le fait de la culture, le fait de la société. L’homme et la femme sont deux hémisphères nécessaires pour former un tout.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : FONDEMENT ETHICO-JURIDIQUE DE L’ETAT-CIVIL
CHAPITRE 1 : ORIGINE DE L’ETAT
Section 1 : Aspects anthropologiques et juridiques de l’E.N
Section 2 : Contrat social et droit public
CHAPITRE 2 : L’ETAT DU DROIT
Section 1 : De la société civile et représentation politique
Section 2 : Droit de résistance et conscience citoyenne
CHAPITRE 3 : LOI MORALE GUIDE NORMATIF DE L’ETAT DU DROIT
Section 1 : Droit originaire de liberté
Section2 : Du droit de la femme, de l’enfant et républicanisme
DEUXIEME PARTIE : DE LA CITOYENNETE CHEZ KANT
CHAPITRE 1 : LA CITOYENNETE EN QUESTION
Section 1 : La citoyenneté : une longue généalogie
Section 2 : La position Kantienne : citoyens actifs, citoyens passifs
CHAPITRE 2 : LA CITOYENNETE A VOCATION UNIVERSELLE
Section 1 : La citoyenneté mondiale
Section 2 : Le citoyen dans la république universelle
CONCLUSION

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