Shimao Toshio et la méthode du rêve

Né en 1917 à Yokohama et décédé à Kagoshima en 1986, Shimao Toshio 島尾敏雄 est encore considéré au Japon comme une énigme littéraire. Son œuvre a traversé le XXe siècle dans un étrange état d’isolement, hautement estimée, mais restant méconnue et mal comprise. Yoshimoto Takaaki 吉本隆明, pour ne citer que le cas d’un des critiques contemporains les plus éminents du Japon, a dit de Shimao qu’il était, à égalité avec son confrère de la même génération Kojima Nobuo, le plus grand écrivain japonais d’après-guerre . Pourtant l’image de Shimao reste largement celle d’un écrivain obscur, marginal, nimbé de mystère et à la prose volontiers hermétique – un « writer’s writer » comme disent les Anglosaxons .

A la base de l’identité littéraire de Shimao, il y a une expérience de vie qui paraît s’écrire d’elle-même comme un roman et dont il est difficile de se dégager quand on commence à aborder l’écrivain. Le premier élément de ce « roman » est la particularité de son expérience de guerre. Après une préparation à l’école navale, Shimao a servi dans l’armée japonaise à la fin de la guerre du Pacifique en tant que commandant d’un escadron de kamikaze tokkôtai. Mobilisé sur une île dans l’archipel d’Amami Ôshima, il n’est jamais parti en mission : il reçoit son ordre de mission le 13 août 1945 et la guerre s’achève deux jours plus tard par la capitulation du Japon, sans que l’ordre de départ n’eut été donné. Cette expérience de guerre ratée sera, à bien des égards, le socle de sa littérature et de sa vie. Elle fournira pendant une dizaine d’années (puis de manière plus sporadique) la matière principale de ses romans, et constituera longtemps un modèle narratif qu’il aura bien du mal à dépasser. Elle lui a de plus permis de rencontrer sa femme Miho, originaire des lieux, puis plus tard de nouer avec la culture des îles Ryûkyû un rapport étroit et passionnel.

Approche de la « méthode »

A travers ces éléments de comparaison, et les deux essais de Mukikubo et de Karatani cités plus haut, on comprend que l’imbrication du rêve et de la réalité chez Shimao doit d’abord être mise en relation avec les autres composantes de son existence, et ensuite nécessairement assujettie à la question du roman, c’est-à-dire, dans le cadre de la modernité japonaise, à celle du shishôsetsu. Ce genre littéraire apparu au Japon au début du XXe siècle vient à l’origine d’une interprétation nationale du naturalisme occidental et vise à travers le portrait psychologique que l’écrivain fait de lui-même à la confession ou à la recherche de soi. Le shishôsetsu occupe encore, à l’époque où Shimao écrit, une place dominante dans la littérature japonaise, et c’est, de manière presque exclusive, de cette forme narrative dont Shimao s’inspire dans l’ensemble de son œuvre. Cependant, ce n’est pas, là aussi, pour autant que l’auteur entretient avec elle des rapports stables et que ses intentions en la matière soient claires.

Autour de l’expérience de guerre

La question de la perception de l’expérience de guerre comme base de l’écriture onirique : sur Tokunoshima kôkai-ki et Shutsukotô-ki

L’une des particularités les plus marquantes de l’œuvre de Shimao Toshio est d’avoir laissé à la littérature japonaise et mondiale un témoignage littéraire unique de l’expérience de guerre des tokkôtai ( 特 攻 隊 « forces d’attaque spéciales », plus communément connues en Occident sous le nom de kamikaze). Shimao fut lieutenant d’un escadron naval au sein des forces d’attaques spéciales, et sa mission fut de conduire des barques en bois chargées d’explosifs, appelées shin.yô 震 洋 (littéralement, « séisme de mer »), à l’assaut des vaisseaux américains. Il intégra l’école militaire en 1943, fut accepté en tant que « candidat à l’attaque spéciale » (ce qui était en réalité son troisième vœu d’affectation) puis affecté en octobre 1944 sur  une petite île au sud de l’archipel d’Amami, Kakeromajima (加計呂麻島), après un an d’entraînement. Au bout de dix mois d’attente, il reçut son ordre de mission le 13 août 1945. Il se tint prêt à partir pendant deux jours, avant d’apprendre l’annulation de l’ordre et, simultanément, la capitulation sans condition du Japon au matin du 15 août. Dans cette expérience de soldat, qui fut aussi à l’origine de sa vie conjugale puisqu’il rencontra sa future femme Miho pendant sa période de stationnement sur l’île, Shimao Toshio trouva un thème fécond d’inspiration littéraire, et ceci surtout, à l’instar d’autres auteurs entrés en littérature à la même époque, dans les premières années de l’aprèsguerre.

Sa narration des événements présente toutefois un aspect éclaté, disparate et parcellaire qui la rend atypique au sein de la littérature japonaise de la guerre du Pacifique. A titre d’exemple, Shimao commence le récit réaliste et autobiographique de son déploiement sur Kakeromajima par Shutsukotô-ki 出孤島 記 (Récit de la sortie de l’île) en 1949, qui parcourt la journée du 13 août 1945 jusqu’à l’aube du 14 août. Il l’interrompt ensuite jusqu’en 1962 et l’écriture de Shuppatsu wa tsui ni otozurezu 出発は遂に訪れず(Le départ n’est jamais venu) qui relate les 14 et 15 août, suivi en 1966 par Sono natsu no ima wa その夏の今は (Le présent de cet été-là) consacré aux jours qui suivent la capitulation du Japon. Shimao tentera ensuite dans les années 80 de compléter l’examen de son passé de soldat par le récit de sa période d’entraînement Gyoraitei gakusei 魚雷艇学生 (A l’école des hommes torpilles, 1985) et par l’inachevé Fukuin 復 員 (Les démobilisés) qui traite de son retour sur le continent.

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Table des matières

Introduction
1) Présentation
2) Approches du rêve
3) Approche de la « méthode »
I Le rêve comme expérience (1945-1952) : guerre et après guerre
A) Autour de l’expérience de guerre
1) La question de la perception de l’expérience de guerre comme base de l’écriture onirique : sur Tokunoshima kôkai-ki et Shutsukotô-ki
1.1) Un demi-mort dans une île en guerre
1.2) L’attente dans l’inconnu
2) La guerre comme fiction : sur Shima no hate (1946) et Yoru no nioi (1952)
2.1) Shima no hate : la fiction du moment critique
2.2) Yoru no nioi : la fiction du quotidien de guerre
3) L’écriture onirique de l’expérience de guerre : Kotômu (1946) et Asufaruto to kumo no kora (1949)
3.1) Kotômu (1946) : l’enregistrement du rêve entre mythe et démythification
3.2) Asufaruto to kumo no kora (1949) : écriture ou réécriture de la fin de la guerre
B) L’ « étude des rêves » : reconstruire, décrire, puis déconstruire
1) De l’avant-guerre à l’après-guerre, la naissance contrariée d’un rêveur
1.1) Imagination frustrée et condensation rêvée : les influences de jeunesse de Shimao
1.2) L’effondrement de la fiction
2) Matenrô (1946) et Sekizô arukidasu (1947) : l’ascension du rêve, la descente du réel
2.1) Matenrô (1946)
2.2) Sekizô arukidasu (1946)
3) Yume no naka de no nichijô (1948) et Kizashi (1952) : le rêve contre le roman
3.1) Yume no naka de no nichijô (1948)
3.2) Kizashi (1952)
II Le rêve comme entrecroisement (1954-1976) : Shi no toge et les « récits de la femme malade »
A) La fusion comme objectif : sur le processus d’écriture des byôsaimono
1) Les byôin-ki (chroniques de l’hôpital)
2) De Ie no naka (1959) au début de Shi no toge (1960)
2.1) Le regard qui s’inverse
2.2) La parole qui se libère
2.3) A la charnière de la méthode du rêve
3) Autour de trois rêves de Miho
3.1) La veille sans se réveiller
3.2) La cascade du sens
3.3) La vérité au fond du « trou »
B) Le roman de la répudiation du romancier ? Sur le méta-romanesque de Shi no toge
1) Pour un nouveau roman ?
1.1) De Tetsuro ni chikaku (1956) à Shi no toge (1962) : l’imagination en procès
1.2) L’épreuve Nise gakusei (1950)
1.3) A la recherche de l’ « effet de rêve »
2) L’écrivain du « chaos » et l’écrivaine de la « vérité humaine »
2.1) Un « faux romancier »
2.2) Celle qui décrit tout et qui n’oublie rien
2.3) Toshio et le fantôme de Tanaka Hidemitsu
2.4) Le fragile équilibre du doute et de la certitude : autour du motif des lettres de Miho
3) Aitsu ou le péché littéraire
3.1) Le romancier, Dieu, et le Diable ?
3.2) La confrontation du dixième chapitre : sur un « rêve » accompli en commun
3.3) La certitude dans le rêve
C) Le temps comme acteur : vers un récit sans fin ?
1) Au carrefour de la construction de Shi no toge
1.1) Les méandres de l’écriture du quotidien : sur la composition de Hi wa hi ni
1.2) Vers l’île, hors de l’île : sur la trajectoire avortée de 1961
1.3) L’aiguillon du texte : de Shuppatsu wa tsui ni otozurezu à Ryûki
1.4) Le départ inachevé
1.5) Sur la « fin » du roman
2) L’inachèvement du rêve
2.1) A propos du temps interne du récit
2.2) Du temps du rêve au « rêve » d’un autre « temps »
2.3) Un roman de la totalité
Annexe : chronologie des récits de la femme malade
III Le rêve comme réminiscence : le cas des nikki (1972-1984)
A) Hi no utsuroi ou la thérapeutique du temps
1) Une littérature pour guérir ?
2) A la recherche de la « continuité » perdue
3) Une « thérapeutique » à double tranchant
4) La dépression comme « situation littéraire »
5) Le propre de la réminiscence chez Shimao
B) Le passé, le présent, et le futur dans le rêve
1) La réminiscence par le rêve dans Hi no utsuroi
2) Le rêve en journal : souvenir et réactualisation du passé
2.1) Kimushi et Yume nikki
2.2) L’expérience de guerre dans les yume nikki
3) D’une méthode de croisement à l’autre : passé et présent, rêve et réalité
3.1) Chassé-croisé d’un nikki à l’autre
3.2) L’entre-deux des « bêtes »
4) Au-delà du journal : Yume kuzu
5) La généalogie de l’apocalypse : jusqu’à Katei et Aza (1979)
5.1) Sur le motif eschatologique dans l’œuvre de Shimao
5.2) Katei (1979) ou le jugement de la fiction
5.3) Aza (1979), le « processus » à l’envers
C) De Yaponeshia à Sôma : d’un voyage à l’autre vers le pays du passé
1) Les nantô-ron : à la recherche des traces du Japon originel
2) La « souche » et la « queue » de Yaponeshia
3) La conclusion de Hi no utsuroi : autour d’un double voyage vers le « pays natal »
4) L’éternel retour du faux départ
Conclusion
Repères biographiques
Résumé des principales œuvres citées
Bibliographie

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