Sexe et laïcité. L’égalité sexuelle comme critère fondamental de laïcité du droit

Concevoir la laïcité

Questionner philosophiquement la laïcité est déjà en soi un problème. Cette notion n’apparaît avec clarté qu’au cours de l’histoire française récente, sculptée peu à peu autant par les nécessités de l’action politique que par la pensée abstraite. Les facettes de la statue sont variées, la clarté est donc toute relative. Aussi les combats sont-ils toujours vifs sur son interprétation, selon le poids qu’on accorde à la liberté de conscience face à la liberté de penser dans une démarche critique, ou encore au pouvoir clérical face à l’institution républicaine. Mais la statue demeure, imposante, mimant peut-être la solennité marmoréenne de la religion qu’elle a contribué à détrôner. Est-elle bien évidée de tout contenu obligatoire, de toute « religion d’Etat»? Quels sont ses contours ?

Notion politique, principe de droit fondamental, la laïcité est présente dans nombre d’écrits philosophiques, mais rarement sous la forme du concept. Le mot même n’apparaît qu’en 1871 dans la langue française , au moment où la République ose explicitement la séparation de l’Eglise catholique et de l’Etat (art. 1 du décret du 2 avril 1871), et la suppression du budget des cultes (art. 2), pendant la brève et exemplaire période de la Commune. Mais il y avait eu, parmi les grands penseurs des fondements de l’Etat moderne, des sculpteurs pour dégrossir la matière de la statue laïque. Quand Machiavel, au début du XVIe siècle, définit l’Etat comme institution autonome, libérée de toute tutelle religieuse, il opère la rupture la plus radicale avec la tradition, donnant à l’homme tout pouvoir sur le destin politique. Le Prince va d’ailleurs être bien vite mis à l’index, le 30 décembre 1559, et de même que tous les autres livres de Machiavel, censuré en Italie sitôt l’index entériné par le Concile de Trente. Spinoza, quant à lui, eut à subir, jusque dans sa chair, l’intolérance d’une communauté juive d’Amsterdam qu’insupportait toute approche réflexive des Ecritures, et notamment la remise en question de leur caractère anhistorique et sacré et de la notion de « Peuple élu ». En 1656, il fut excommunié par la Synagogue par une sentence rabbinique libellée en ces termes : « Par décret des Anges, par les mots des Saints, nous bannissons, écartons, maudissons et déclarons anathème Baruch de Spinoza avec toutes les malédictions écrites dans la Loi. Maudit soit-il le jour, et maudit soit-il la nuit, maudit soit-il à son coucher et maudit soit-il à son lever, en sortant et en entrant » . Et en 1661, les autorités calvinistes prirent le relais en lui interdisant publication et résidence. Cela le conduisit à publier, en 1670, dans l’anonymat, son Traité théologicopolitique tant haï, afin de constituer la protection de la liberté rationnelle contre l’obéissance exigée par les théologiens et les autorités absolutistes. Kant, peu suspect d’athéisme ou même d’esprit de désordre, sera protégé par le despote éclairé Frédéric II dans lequel il voyait incarné l’idéal de la souveraineté, mais sera réprimandé et menacé dans une lettre du 12 octobre 1794 par son successeur, FrédéricGuillaume de Prusse, pour sa critique de l’Eglise institutionnelle : « Notre suprême Personne a déjà depuis longtemps remarqué avec grand déplaisir la façon dont vous abusez de votre philosophie pour déformer et abaisser maints dogmes capitaux et fondamentaux des Saintes Ecritures et du christianisme ; elle a remarqué la façon dont vous l’avez fait dans votre livre : La Religion dans les limites de la simple raison […]. Nous nous attendions à mieux de votre part […] Nous exigeons au plus tôt votre justification la plus scrupuleuse et attendons de vous, pour vous soustraire à Notre suprême disgrâce, qu’à l’avenir vous ne vous rendiez coupable d’aucune faute de ce genre […] dans le cas contraire, si vous continuez à vous montrer récalcitrant, vous devez immanquablement vous attendre à des décisions désagréables…» . Remettre la religion à sa place, pour dégager le fondement libéral et égalitaire de l’Etat moderne, exigeait de la détermination et du courage.

Chez Locke, Bayle ou Voltaire, la tolérance devient un concept pensé pour lui-même et se dessine ce que l’historien et sociologue des religions, Jean Baubérot , appelle le premier  seuil historique de la laïcité : la distanciation des liens entre Eglise catholique et Etat mise en œuvre avec la Révolution française, autrement dit la tolérance des options minoritaires et l’égalité des citoyens. L’expression du nouvel état d’esprit est formulée avec talent le 23 décembre 1789 par le Comte de Clermont-Tonnerre lors du débat préparatoire à la citoyenneté des juifs : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation ; il faut tout accorder leur accorder comme individus ; il faut qu’ils soient citoyens ». Elle est saisissante d’universalisme et la leçon menace aujourd’hui d’être oubliée.

Le deuxième seuil que Baubérot met en évidence est la période combative, animée par les débats autour de l’école publique (Loi de 1882) et la séparation radicale des Eglises et de l’Etat (Loi de 1905). Il s’agit non seulement de protéger l’expression des idées, mais de créer les conditions du progrès de la rationalité de l’individu. Pour être citoyen, l’individu doit commencer par être élève, c’est-à-dire aussi élevé au-dessus des limites que pose tout pouvoir spirituel, et orienté par la seule audace de penser. Condorcet, Zola, Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Jean Jaurès, ont constitué cette tradition républicaine qui accorde une place à part à l’instruction publique, et à une spiritualité affranchie, et la flamme est reprise aujourd’hui, dans un contexte plus libéral, par Guy Coq , Henri Pena-Ruiz, déjà cité, ou Catherine Kintzler. Dans Qu’est-ce que la laïcité ?, et antérieurement dans son article sur les fondements de la laïcité scolaire repris dans La République en questions , celle-ci procède à une analyse très éclairante de la laïcité en distinguant trois composantes qui se conjuguent pour former le concept de laïcité. « La société civile est le lieu de coexistence des libertés, ce qui suppose la tolérance. Personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’aucune, personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre, personne enfin n’est tenu de n’avoir aucune religion ». Cette première formule emprunte à Locke et Bayle pour définir la tolérance. « La puissance publique est garante de la tolérance civile : c’est justement pour cette raison qu’on ne peut pas lui appliquer cette même tolérance. On ne peut pas accorder à la puissance publique le droit de jouir de la liberté religieuse dont jouissent les citoyens. En effet, si l’Etat et ses représentants avaient le droit de manifester une ou des croyances, ils feraient de cette ou de ces croyances une affaire publique ». Celle-ci emprunte à Condorcet pour penser la liberté du sujet comme membre du souverain. Ces deux composantes, société civile et Etat, ont des exigences en miroir et se répondent l’une à l’autre. La troisième composante s’applique à l’école républicaine. Elle est présentée comme problématique ; « [elle] suppose, pour être fondée, que l’on sorte du champ strictement juridique », et qu’on introduise « une théorie qui engage à la fois la question du savoir et un concept de l’autorité ». Les élèves, dont par définition le jugement n’est pas formé, doivent être protégés de la manifestation « ostensible » et « prosélyte » des spiritualités diverses de ceux qu’ils sont contraints de côtoyer, du fait de l’obligation scolaire. Inversement, l’Ecole, qui vise l’instruction, se doit de donner les outils d’une formation du jugement, par la rationalité du savoir qu’elle dispense. La liberté ne doit pas être première, à l’école, si elle veut être finale.

Si des philosophes s’engagent ainsi, en remettant la statue sur le métier, c’est que les contours de la laïcité ne sont pas encore tout à fait dessinés. Notion politique, principe du droit, récemment concept philosophique, comme on a pu le voir, mais toujours historiquement située, car liée à l’action politique et donc en proie aux combats idéologiques et sociaux. Or, actuellement, l’idéal de liberté individuelle dans une organisation pensée en commun, paraît en crise. Jean Baubérot en fait d’ailleurs son troisième seuil historique, un seuil dont il n’est pas exclu qu’il débouche sur le deuil pur et simple de la laïcité. Il est vrai que la notion de République peine à convaincre nombre d’individus. Les uns, portés par leur bonne fortune, s’en tiennent à leurs intérêts privés. Les autres, laissés pour compte de l’intégration économique et sociale, misent sur des solidarités plus locales. La laïcité est donc confrontée à l’individualisme comme au communautarisme. Et l’un des paradoxes, c’est que la notion de laïcité semble pouvoir survivre à la mort de la démocratie républicaine qui l’a fait naître, mais comme une vague référence, ouvrant sur une tolérance sans limite ou plutôt sur des tolérances croissantes qui autoriseraient l’accès au pouvoir des croyances : ce qu’on appelle la laïcité ouverte ou plurielle. L’actualité de la laïcité s’est ainsi focalisée en France ces dernières années sur « l’affaire du voile islamique» qui a concentré tous les ingrédients : revendication religieuse dans le sanctuaire républicain qu’est l’Ecole, bien sûr, mais aussi exclusion sociale, sur fond de postcolonialisme, de mondialisation économique et d’influences communautaires islamistes et de terrorisme suite au 11 septembre 2001. Elle a nécessité la mise en place d’une commission d’Etat et abouti à instituer le 15 mars 2004 la Loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. De toutes parts, on parlait au nom de la laïcité, ou plus exactement de formes contradictoires de laïcité/s.

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Table des matières

Introduction générale
1. Comment unir les hommes ?
1.1. La conclusion du contrat
1.2. Les finalités du contrat
1.3. La dissolubilité du contrat
2. La Législatrice est-elle possible ?
2.1. Institutrices du peuple, de l’école à la cité
2.2. Analyse laïque de quatre législations sexuelles
2.3. Coutumières de l’injure
3. Faut-il s’identifier ?
3.1. La nature du sexe
3.2. Identité civile et existence
3.3. Le droit peut-il être laïque ?
Conclusion
Bibliographie
Index

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