Séquestration des éléments mobiles durant la serpentinisation expérimentale en condition alcaline

La serpentinisation : des dorsales aux zones de subduction

    C’est en période de guerre froide, au milieu du XXème siècle, que, dans une course à l’exploration des océans, la cartographie des fonds sous-marin par sonar met au jour la présence de grandes chaînes de montagne scindant les océans du globe en deux : les dorsales océaniques sont découvertes (Heezen et al., 1959). Elles sont dès lors considérées comme le lieu où l’accrétion océanique a lieu (Pitman and Talwani, 1972) et constituent un élément central pour expliquer la théorie de la tectonique des plaques. Cette théorie géologique avait été proposée dès le début du XXème siècle par Alfred Wegener mais n’avait pu se développer durant près de 50 ans faute de preuves, les océans restant un vaste mystère. Dès lors les campagnes exploratrices se multiplient et la connaissance des fonds océaniques se précise avec les premières imageries et les premiers échantillonnages du fonds des océans. Ces études révèlent un environnement magmatique parsemé de sources hydrothermales chaudes (Corliss, 1971; Fouquet et al., 1997). Le plancher océanique est en effet dominé par la présence de basalte et de gabbro mais également de roches mantelliques riches en minéraux ferromagnésiens (ultramafiques). Les sources hydrothermales sont le témoin de la circulation d’eau de mer à travers le plancher océanique. Ces circulations, formant des cellules hydrothermales (McCaig and Harris, 2012), sont favorisées par la présence de failles et de fractures. Les roches mantelliques affleurant au fond de l’océan ou impliquées dans ces cellules hydrothermales sont sujettes à une réaction chimique au contact de l’eau de mer ou des fluides hydrothermaux. Cette réaction qui va transformer les minéraux primaires des péridotites mantelliques (olivine et pyroxène essentiellement) est appelée serpentinisation (Moody, 1976). La serpentinite est la roche résultant de la réaction de serpentinisation. Elle tire son nom du latin serpentinus, qui se réfère à sa couleur verte et son aspect parfois proche d’écailles de serpent. Elle est principalement formée par un minéral appelé serpentine. La serpentinisation intervient principalement dans deux grands types d’environnement sur terre : en contexte divergent au niveau des dorsales océaniques et au niveau des zones de convergence (Kerrick, 2002). Dans ces deux environnements, la lithosphère est la plus déformée et elle est donc la plus sujette aux circulations de fluides (Figure I.1). Les zones de subduction constituent le lieu de recyclage de la croûte océanique serpentinisée. Elles sont principalement localisées autour de l’océan Pacifique qui est de ce fait bordé par une frange où l’activité volcanique est très intense appelée « ceinture de feu » (Figure I.2). En outre, la déshydration des serpentines joue un grand rôle dans l’activité volcanique observée dans ces environnements (voir section I.D).

La serpentinisation océanique

   Les dorsales médio-océaniques sont le lieu privilégié où se forme la croûte océanique. L’ensemble des dorsales constitue la plus longue chaîne de montagne du globe, longue de près de 60000 km, avec des altitudes sous le niveau marin comprises entre -2000 m et -3000 m. Au niveau de cette chaîne de montagne, les remontées de magma mantellique, associées à du volcanisme plus ou moins intense, engendrent ce que nous avons précédemment nommé l’accrétion de plancher océanique. Ce mécanisme d’accrétion se traduit par un écartement de la lithosphère de part et d’autre de l’axe de la dorsale océanique, processus appelé divergence océanique. En fonction de l’activité magmatique, la vitesse d’écartement peut être de quelques millimètres à une dizaine de centimètres par an (Dick et al., 2003; Haymon et al., 1991; Pitman and Talwani, 1972). On peut alors distinguer les dorsales dites rapides (vitesse d’expansion > 5 cm.an-1) ou lentes (vitesse d’expansion < 5 cm.an-1 Figure I.2). Cette qualification est directement associée à la production de matière qui les caractérise. Selon Dick et al. (2003), près d’un tiers des dorsales sur Terre ont une vitesse les caractérisant comme « lentes », par exemple la ride médio-atlantique et sud-ouest indienne. Dans certains cas, la vitesse d’expansion est très faible (< 2 cm an-1), on parle dans ce cas de dorsale « ultra-lente ». Cette caractéristique est observable sur certains segments de la ride sud-ouest indienne (Dick et al., 2003; Ligi et al., 1999; Mitchell et al., 2000) ou de la dorsale nord-atlantique au nord de l’Islande. La biomasse que constitue l’activité microbienne chimio-synthétique allimante une comunauté de crevettes inféodées à ce milieu à plus de 2500 m de profondeur. Crédit photo: NOAA Okeanos explorer program, Mid Cayman Rise expedition (2011), d’après McCollom and Seewald, (2013). La vitesse d’expansion contrôle la morphologie de la dorsale, la proportion et l’organisation des unités géologiques qui la compose. L’écartement des deux blocs océaniques, associé à la remontée de matériel magmatique, est accommodé par un jeu complexe de failles normales et de failles d’échelle crustale. Les dorsales peuvent être très irrégulièrement découpées par des failles transformantes, ayant pour effet de la segmenter. Dans le cas de la ride médio-atlantique (MAR), les segments peuvent atteindre une centaine de kilomètres et sont reliés entre eux par de grandes failles transformantes, avec un décalage longitudinal qui peut également atteindre la centaine de kilomètres. Chaque segment présente une hétérogénéité structurale suivant l’axe du segment ou longitudinalement. Ces hétérogénéités sont détectées par la gravimétrie, des anomalies gravimétrique de Bouguer négatives sont observées au cœur des segments et très positives au niveau des zones transformantes (Cannat et al., 1991; Mamaloukas-Frangoulis et al., 1991). Ces résultats indiquent de fortes différences de lithologie le long d’un segment. L’accrétion est en effet plus importante au centre du segment et l’épaisseur de la croûte formée est ainsi plus grande qu’à l’approche des deux failles l’encadrant. Dans ce contexte divergent, la serpentinisation est le plus souvent associée aux rides lentes, où le manteau supérieur est très proche de la surface voir même affleure. Les études réalisées sur des roches draguées au niveau de dorsales lentes ont conduit Hess (1962) à imaginer une couche mantellique partiellement serpentinisée, faisant partie intégrante de la croûte océanique. Il proposa l’isotherme 500 °C comme limite entre la croûte et le manteau. Ainsi, les roches refroidies en dessous de cette température sont intégrées à la croute océanique. La mise à l’affleurement de roches ultrabasiques peut se faire suivant deux processus distincts au niveau des rides lentes : soit tectoniquement, soit en raison de l’activité magmatique. Dans le premier cas, les roches, initialement sous la croûte gabbroïque, sont mises en contact avec l’eau de mer grâce au jeu de failles normales et transformantes (Figure I.4a). Ce cas est souvent observé le long des grandes failles transformantes au niveau de bassins nodaux (Aumento and Loubat, 2011; Bonatti, 1976; Bonatti et al., 1983; Cannat et al., 1991, 2003; Kelley et al., 2001). Le deuxième mécanisme, associé à l’activité volcanique, résulte du fait que si le volcanisme demeure faible au niveau de la dorsale, la couche de basalte et de gabbro formée sur le manteau lithosphérique est discontinue (Lagabrielle and Cannat, 1990) (Figure I.4 b). De larges portions mantelliques se retrouvent ainsi à l’affleurement sur le fond océanique (Dick et al., 2003; Tucholke and Lin, 1994), ce qui est souvent le cas au niveau des dorsales lentes.

La serpentine polygonale

    Des études précurseurs ont mis en évidence la présence d’une variété de serpentine fibreuse caractérisée par une structure polygonale. Cette variété est peu décrite et rarement différenciée comme une variété à part entière dans les études d’échantillons naturels. De plus, ces études n’ont souvent pas une résolution suiffisante pour la différencier du chrysotile ou de la lizardite. En effet, sa structure est caractérisée par des alternances de feuillets octaédriques et tétraédriques proches de celle de la lizardite et agencés en secteurs (15 ou 30) induisant une morphologie proche de celle du chrysotile (Cressey et al., 2010; Devouard, 1995; Zussman et al., 1957, Figure I.12). Les fibres formées ont donc des propriétés intermédiaires entre le chrysotile et la lizardite lors d’analyses en diffraction des rayons X ou spectroscopie infrarouge. La serpentine polygonale semble être la serpentine stable faisant suite au chrysotile lorsque le diamètre des fibres de chrysotile excède 100 nm. Notons que la serpentine polygonale, peut avoir un diamètre inférieur à 100 nm (Yada and Liu, 1987).

Etude du domaine de stabilité de la serpentine

    La serpentine existe à l’état naturel sous plusieurs variétés (Chapitre I). L’expérience en laboratoire permet d’étudier et donc de mieux connaître le domaine de stabilité des grandes variétés de serpentine (chrysotile, lizardite et antigorite) en fonction de la pression et de la température. En combinant les données thermodynamiques et les observations naturelles, les auteurs ont défini des champs de stabilité des polymorphes de la serpentine (Figure I.7) dans le domaine MgO-SiO2 -H2O et les ont affinés au cours du temps (Berman et al., 1986; Bowen and Tuttle, 1949; Evans, 2004; Evans et al., 1976; Ulmer and Trommsdorff, 1995). Dans ce système, il n’est pas rare que seulement deux pôles (lizardite et antigorite ou chrysotile et antigorite) soient considérés dès que le système est complexe, les variations dans la composition chimique du milieu étant évoquées pour favoriser la stabilisation ou la déstabilisation d’une phase. En effet, certaines substitutions cationiques peuvent favoriser la précipitation de serpentine planaire (Mellini, 1982 et Chapitre I). Partie ) Résultats sur la serpentinisation en condition alcaline Une chose marquante que montrent les études expérimentales est la faible dépendance de la serpentine aux variations de pression. Cependant, l’antigorite n’a pu pour l’instant être synthétisée qu’à haute pression (20-50 kbar 500-600 °C). À une température de 500°C l’antigorite naturelle resterait stable jusqu’à une pression de 50 à 70 kbars (Caruso and Chernosky, 1979; O’Hanley et al., 1989; Ulmer and Trommsdorff, 1995; Wunder and Schreyer, 1997; Wunder et al., 2001). En revanche, comme cela avait été supposé par les observations d’assemblages minéralogiques dans la nature, la dépendance en température de la stabilité des différentes phases de serpentine est grande et les données expérimentales ne permettent pas encore de définir des limites précises entre les différents polymorphes. Le chrysotile et la lizardite semblent avoir un champ de stabilité qui se superpose et sont souvent observés associés dans la nature mais rarement expérimentalement. Les données sur les observations de terrain s’accordent toutefois pour dire que la lizardite est stable à plus basse température puis remplacée par le chrysotile au-dessus de 180 °C (Caruso and Chernosky, 1979; O’Hanley and Wicks, 1995; O’Hanley et al., 1989). Expérimentalement, la physico-chimie du milieu mais également la cinétique de réaction semblent être des points importants contrôlant la stabilité respective du chrysotile et de la lizardite (Grauby et al., 1998; Malvoisin et al., 2012a). Le chrysotile est sans doute la variété de serpentine stabilisée par des cinétiques rapides et la lizardite plus stable pour des cinétiques lentes.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I. ETAT DE L’ART : SERPENTINISATION, SERPENTINE ET ELEMENTS MOBILES 
I.A. LA SERPENTINISATION : DES DORSALES AUX ZONES DE SUBDUCTION
I.A.1. La serpentinisation océanique
I.A.2. La serpentinisation en contexte convergent
I.B. VARIETES DE SERPENTINE
I.C. REACTION DE SERPENTINISATION
I.D. ROLE DE LA SERPENTINE DANS LES CIRCULATIONS DE FLUIDES : CYCLE DES ELEMENTS MOBILES
PARTIE.I. SYNTHESE DE CHRYSOTILE ET SERPENTINISATION EN CONDITION D’ALCALINITE ELEVEE L’APPROCHE EXPERIMENTALE LIEE A LA SERPENTINE
CHAPITRE II. RESULTATS SUR LA NUCLEATION ET LA CROISSANCE DE CHRYSOTILE EN CONDITION ALCALINE
II.A. ARTICLE: NUCLEATION AND GROWTH OF CHRYSOTILE NANOTUBES FROM H2SIO3‐MGCL2‐NAOH MEDIUM UNDER MODERATE TEMPERATURE (FROM 90 TO 300°C)
II.A.1. Introduction
II.A.2. Expérimental section
II.A.2.a. Reactants
II.A.2.b. Batch experiments
II.A.2.c. Semi‐continuous experiments
II.A.2.d. Solid characterization
II.A.3. Results and discussion
II.A.3.a. Reaction steps and kinetics of chrysotile precipitation
II.A.3.b. Formation of proto‐serpentine precursor
II.A.3.c. Nucleation and growth of chrysotile
II.A.3.d. Ostwald ripening growth of chrysotile
II.A.3.e. Influence of the temperature
II.A.3.f. Influence of the Si/Mg ratio
II.A.4. Conclusion
CHAPITRE III. CINETIQUE DE SERPENTINISATION EN PRESENCE D’UN FLUIDE A ALCALINITE ELEVEE
III.A. ARTICLE: MINERAL REPLACEMENT RATE OF OLIVINE BY CHRYSOTILE AND BRUCITE UNDER HIGH ALKALINE CONDITIONS
III.A.1. Introduction
III.A.2. Materials and Methods
III.A.2.a. Alteration experiments
III.A.2.b. X‐Ray diffraction measurements
III.A.2.c. FESEM observations
III.A.2.d. Thermogravimetric analyses (TGA)
III.A.2.e. FTIR measurements
III.A.3. Results and discussion
III.A.3.a. Serpentinization reaction under alkaline conditions
III.A.3.b. Determination of serpentinization rate
III.A.3.c. Serpentinization steps and reaction mechanism
III.A.4. Conclusion
III.B. ARTICLE: SIMULTANEOUS PRECIPITATION OF MAGNESITE AND LIZARDITE FROM HYDROTHERMAL ALTERATION OF OLIVINE UNDER HIGH‐CARBONATE ALKALINITY
III.B.1. Introduction
III.B.2. Materials and Methods
III.B.2.a. Solid reactants
III.B.2.b. Preparation of reacting solutions
III.B.2.c. Serpentinization‐Carbonation experiments
III.B.2.d. Serpentinization in initial acid pH
III.B.2.e. Characterization of solid products
III.B.3. Results
III.B.3.a. Mineral composition of products
III.B.3.b. Reaction steps
III.B.3.c. Kinetics
III.B.4. Discussion
III.B.4.a. Role of pH and fluid chemistry
III.B.4.b. Role of the formation of a silica passivating layer during olivine alteration
III.B.4.c. Coexistence of carbonation and serpentinization processes: from experimentation to natural systems
III.B.4.d. Implications for in‐situ carbonation of peridotite for CO2 storage
III.B.5. Conclusion
SYNTHESE DE LA PARTIE I
PARTIE.II. SEQUESTRATION DES ELEMENTS MOBILES DURANT LES PROCESSUS DE SERPENTINISATION.129
CHAPITRE IV. SEQUESTRATION DES ELEMENTS MOBILES DURANT LA SYNTHESE DE SERPENTINE
IV.A. OBJECTIFS
IV.B. ARTICLE: INFLUENCE OF TRACE ELEMENTS ON THE TEXTURAL PROPERTIES OF SYNTHETIC CHRYSOTILE: COMPLEMENTARY INSIGHTS FROM MACROSCOPIC AND NANOSCOPIC MEASUREMENTS
IV.B.1. Introduction
IV.B.2. Methods
IV.B.2.a. Chrysotile synthesis
IV.B.2.b. Analytical Procedure
N2 sorption isotherm
FESEM and TEM observations
Thermogravimetric analyses (TGA)
Trace element concentrations measurements
IV.B.3. Results and Discussion
IV.B.3.a. Chrysotile textural properties
IV.B.3.b. Partitioning of trace elements
IV.B.4. Conclusion
CHAPITRE V. SEQUESTRATION DES ELEMENTS MOBILES DURANT L’ALTERATION D’OLIVINE
V.A. OBJECTIFS
V.B. ARTICLE: SEQUESTRATION OF FLUID‐MOBILE ELEMENTS DURING EXPERIMENTAL SERPENTINIZATION OF OLIVINE UNDER HIGH ALKALINE HYDROTHERMAL CONDITIONS
V.B.1. Introduction
V.B.2. Methods
V.B.2.a. Hydrothermal alteration
V.B.2.b. Analytical Procedure
X‐Ray diffraction measurements
Fourier Transform Infrared Spectroscopy (FTIR)
FESEM and TEM observations
Thermogravimetric analyses (TGA)
Trace element concentrations measurements
Microprobe measurements
Mössbauer measurements
V.B.1. Results
V.B.1.a. Olivine replacement by serpentine and brucite
V.B.1.b. Bulk rock chemistry
V.B.1.c. Microprobe analyses
V.B.1.d. Oxidation state of iron
V.B.1. Discussion
V.B.1.a. FME sequestration during olivine serpentinization
V.B.1.b. Effect of grain size on sequestration of FME
V.B.1.c. Lithium control on olivine serpentinisation kinetic
V.B.1.d. Comparison with literature data
V.B.2. Conclusions
SYNTHESE DE LA PARTIE II
Système d’analyse synchrotron et absorption des rayons X
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES

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