SENEGAL-MAURITANIE : LA QUESTION FRONTALIERE

Les difficultés liées à la création de la frontière

   Chargées de rétablir l’ordre dans les territoires conquis, les autorités coloniales françaises, pour faire face à la situation d’insécurité qui prévaut dans la région de la vallée du fleuve Sénégal, trouvent comme solution la création d’une frontière, le fleuve Sénégal. Ainsi on assiste à la division de la région en deux : la rive sénégalaise à gauche et celle mauritanienne à droite. Cette frontière conçue pour plusieurs raisons et modifiée selon les intérêts du colonisateur du moment, provoqua de grands bouleversements chez les populations locales et des difficultés chez l’administration coloniale qui cherchait pourtant une meilleure gestion de la région afin d’y asseoir son emprise coloniale. Même si les deux parties sénégalaise et mauritanienne sont naturellement séparées par le fleuve, pour les populations locales, cette frontière au vrai sens du terme n’avait jamais existé au point qu’il n’y aurait pas de relations entre les communautés installées sur les deux parties du fleuve. En revanche, ce fleuve favorisait les contacts entre ces communautés. Ces relations remontent à une époque très lointaine et sont de plusieurs ordres. Même si elles ont été marquées par des conflits liés notamment à la culture des terres de la rive droite, elles sont également des relations de complémentarité, de dépendance… C’est ce que Christian Santoir nous fait comprendre à travers ces termes : « Il serait trop systématique de traduire les relations entre peuls et Maures, uniquement en termes d’affrontement. Des alliances entre certaines tribus et certaines provinces excluaient tout pillage ».41A côté de ces alliances politiques, il existait des alliances matrimoniales, militaires… Les relations de complémentarité et de dépendance s’expliquent par le fait que les deux communautés ne pratiquaient pas les mêmes activités. En effet, les populations noires, leur principale activité reste l’agriculture et les Maures quant à eux c’est l’élevage. Donc chaque communauté a besoin de l’autre, les Maures (pasteurs et commerçants) pour s’approvisionner en produits agricoles (mil, sorgho…) et les populations noires en produits d’élevage et en sel. En outre, il faut noter que « la vallée était une région de confluence sans que le fleuve marque une frontière.»42 Ce qui montre que le fleuve n’était pas un obstacle infranchissable mais une voie de passage pour les populations de la région de la vallée de part et d’autre du fleuve. En effet, on notait les déplacements des maures vers la rive gauche pour la recherche de pâturages et ceux des populations de la rive gauche vers la rive opposée pour cultiver leurs terres. La création de la frontière bouleversa ces relations de complémentarité qui liaient les deux communautés séparées par le colonisateur motivé par plusieurs raisons. En effet, ces deux communautés sont « imbriquées et liées » par ces relations, donc les séparer, c’est compliquer davantage les difficultés dans cette vallée, notamment le contrôle de cet espace entre ces deux communautés. En séparant les deux communautés par le fleuve, les autorités coloniales intensifient les conflits fonciers car les populations de la rive gauche n’ont jamais considéré ce fleuve comme frontière. Pour elles, toute la région de la vallée, rives droite et gauche, est un même espace que partagent toutes les deux communautés des deux rives. C’est pourquoi, avec le décret du 25 février 1905 fixant la frontière au milieu du fleuve, « un problème se posa pour les habitants de la rive gauche qui cultivaient sur la rive droite ».44 En effet, avec la création officielle de la frontière après la création du Territoire Civil de la Mauritanie et avec la paix instaurée sur la rive droite, les déplacements vers cette rive deviennent de plus en plus nombreux. Ce qui explique dès lors la fréquence des conflits fonciers entre les communautés des deux rives. Pour faire face à ces conflits d’ordre fonciers, la France entreprend des mesures en janvier 1905, à propos de la question des terres fertiles de la rive droite réclamées par les indigènes de la rive gauche qui pratiquent la culture transfrontalière. Il s’agit de l’arrêté du 10 janvier 1905 qui indique dans son article 3 que ces cultivateurs transfrontaliers doivent se faire livrer des autorisations : « Les indigènes de la rive gauche désirant cultiver des terrains de la rive droite autres que ceux spécifiés au paragraphe précédent45, devraient obtenir l’autorisation préalable des autorités de la Mauritanie et seront soumis au paiement des taxes propres à la Mauritanie ». Les traversées massives de la frontière pour la rive droite provoquèrent également d’énormes difficultés pour l’administration coloniale française installée sur la région de la vallée du fleuve Sénégal. La frontière rend donc compliquée la tâche des autorités françaises dans cette région alors qu’elle était conçue pour assurer la sécurité et permettre à la France de bien gérer cette région. En effet, elle provoqua des difficultés entre les deux administrations qui sont installées sur les deux rives ainsi qu’entre les chefs locaux. Ces difficultés semèrent un désordre total dans cet espace et bouleversèrent l’ordre politique. Elles s’expliquent par le fait que les déplacements massifs vers la rive droite encouragés par les autorités coloniales installées sur la rive droite après la délimitation entre les deux territoires en 1905, ont entrainé un dépeuplement de la rive gauche au profit de l’autre rive où l’impôt est moins élevé ; ce qui constitue une perte considérable pour la perception de l’impôt sur cette rive. Les autorités coloniales de la rive gauche voient de mauvais œil cette politique de leurs collègues de l’autre rive. Quant aux conflits entre les chefs locaux, ils sont liés à la perte de certains droits (judiciaires, administratifs, domaniaux…) dont disposaient les chefs de la rive gauche au profit de ceux de la rive droite. En outre, à l’image des autorités coloniales de la rive gauche, ils sont aussi touchés par la baisse de la perception de l’impôt liée aux départs massifs vers l’autre rive. Cette situation provoque un grand malaise dans les relations entre les autorités coloniales françaises installées de part et d’autre du fleuve. Pour faire face à cette situation et améliorer les relations entre les autorités de la région et les rapports entre les chefs locaux des deux rives, la France entreprend des réformes fiscales qui font soumettre un même régime fiscal les deux rives afin de limiter les départs, qui s’expliquent notamment par la souplesse de l’impôt, à partir de la rive gauche vers la rive opposée.

Les sécheresses

   Au lendemain des indépendances, le Sénégal et la Mauritanie, à l’instar de plusieurs pays situés au Sud du Sahara, ont été victimes d’une sécheresse de grande ampleur. Il s’agit de la sécheresse 1968-1973. Cet intervalle d’années constitue une période pendant laquelle ont été enregistrés de grands déficits pluviométriques dans la région de la vallée du fleuve Sénégal. La baisse des pluviométries a été estimée jusqu’à 50 % dans cette région. Cette sécheresse, par « sa rigueur, son extension et surtout sa persistance pendant plusieurs années consécutives »48 fut à l’origine de graves conséquences. Cette sécheresse a gravement affecté l’environnement de la région de la vallée du fleuve : diminution voire disparition du couvert végétal dans certains endroits, l’assèchement des points d’eau, l’absence de tapis herbacé ou disparition de l’herbe dans les premiers mois de la saison sèche… A cause de cette situation, cette région a été confrontée à de sérieuses difficultés sur les plans social et économique. En effet, les principales activités de la région de la vallée restent l’agriculture et l’élevage essentiellement tributaires des conditions climatiques assez favorables. Sur le plan agricole, les populations de la vallée s’adonnant aux cultures de jeeri c’est à-dire les cultures pluviales ont vécu des moments difficiles pendant cette période de sécheresse à cause d’importants déficits pluviométriques. Ceux-ci ont été estimés dans certaines localités de la vallée du fleuve (sur la rive gauche et sur la rive droite) en 1972 l’année de sécheresse considérée la plus sévère, à un niveau très élevé : Dagana 75%, Podor 68%, Bogué 65%, Kaédi 68%, Matam 67%, Bakel 48%, Sélibabi 53%.49 Avec ce déficit important il est évidemment impossible que les récoltes soient bonnes car la bonne croissance des plantes dépend essentiellement, en plus de la lumière, d’un bon arrosage d’eau de pluies. Concernant les cultures du Walo, c’est-à-dire les cultures de décrue, elles-aussi pour qu’elles soient bonnes, il faut une crue importante du Sénégal car ce fleuve est essentiellement alimenté par les précipitations qui tombent sur ses cours supérieurs. Ce qui veut dire que s’il y a un déficit pluviométrique, le fleuve lui-aussi connaitra à son tour un déficit. Ce qui explique les grands déficits annuels enregistrés pendant cette période de sécheresse. Une étude sur l’évolution du déficit annuel en pourcentage (%) du fleuve au niveau de Bakel confirme effectivement ce déficit du fleuve pendant les années de sécheresse citées en haut : 1968 (- 45%), 1969 (-2%), 1970 (-28%), 1971 (-22%), 1972 (-66%), et 1973 (-54%). Les données sur le débit du fleuve au niveau de Bakel en 1972 indiquent également que des perturbations provoquées par des déficits pluviométriques ont été aussi ressenties au niveau de l’écoulement du fleuve : en 1972, le débit « atteint en moyenne au mois d’août, à Bakel, 4700 m3/s., est tombé cette année-là à 1428 m3/s. ». Cette situation est à l’origine d’une grande pénurie vivrière dans la région de la vallée du fleuve Sénégal, notamment dans les villages, à cause de la baisse ou l’absence des récoltes céréalières comme le mil, le maïs, le sorgho… venant des cultures du djeeri et du walo.

Les réformes foncières

   Au Sénégal, en juin 1964, pour bien mener sa politique de développement dont l’agriculture irriguée occupe une place importante, l’Etat entreprend une réforme foncière. Il s’agit de l’adoption de la loi no 64-46 du 17 juin 196464 relative au Domaine national qui régit le foncier sur le territoire sénégalais. A travers cette loi, l’Etat divise son domaine en quatre catégories (article 4) : « zones urbaines », zones classées », « zones des terroirs » et « zones pionnières » et se fait attribuer le droit de propriété de toutes les terres du territoire. En effet, l’Etat, dès le premier article de ladite loi se fait « propriétaire de plein droit » de « toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées… ». Puis Il range les terres de vallée dans la zone pionnière et assigne leur gestion à la SAED. Ainsi cette loi modifie les systèmes fonciers régissant les terres des différentes régions du Sénégal, notamment la vallée du fleuve Sénégal. Dans cette région, cette loi, comme à l’époque coloniale, est fortement rejetée par les populations. Cette contestation contre cette loi s’explique par le fait qu’elle s’oppose à la gestion coutumière du foncier chez les populations de la rive gauche, notamment chez les Halpualaaren. En effet, dans la société halpulaar qui est très hiérarchisée (divisée en trois grandes catégories : les hommes libres, les hommes de castes et les esclaves), le droit de propriété de la terre dépend du statut social et familial. Dans cette organisation sociale, la terre constitue le socle de la cohésion sociale. Mais avec cette loi, on note la suppression de ce droit (les populations n’ont plus de réel droit sur leurs terres) ainsi que les principes de transmissibilité et de l’aliénabilité de la terre qui est dans le système foncier traditionnel une propriété de la collectivité ou de la famille. L’Etat réagit, face aux contestations des populations à l’expropriation de leurs terres en vertu de la loi de 1964, en adoptant en 1972 la loi sur la décentralisation administrative et territoriale visant à attribuer plus de pouvoirs aux collectivités, les communautés rurales, et le décret no87. 720 du 4 juin 1987 relatif à la gestion locale des terres. A travers ces dispositions, l’Etat donne la responsabilité de la gestion et de la distribution des terres du domaine national aux élus des communautés rurales (le conseil rural) qui étaient assignées à la SAED. Ce qui constitue désormais un moyen « de fermer l’accès à la terre aménageable de la rive sénégalaise aux non ressortissants de la communauté rurale65 ». En renforçant le pouvoir des communautés rurales, l’Etat vise à protéger les terres de la vallée de l’accaparement mais aussi à faire face aux réformes foncières entreprises en Mauritanie qui ne profitent nullement aux agriculteurs transfrontaliers Sénégalais. Les quelques cultivateurs transfrontaliers mauritaniens ont été donc victimes de ces dispositions car elles menacent leurs droits sur leurs terres situées sur le sol sénégalais. En effet, le décret 1987 confiant la gestion des terres de la vallée du fleuve aux conseillers ruraux « se présente comme un geste en faveur des propriétaires de la rive gauche » au détriment des cultivateurs transfrontaliers mauritaniens. En Mauritanie, à la veille de l’indépendance, on met en place la loi du 2 août 1960 relative au régime foncier, confirmant le système foncier traditionnel qui régit les terres de la rive droite de la vallée du fleuve Sénégal, hérité de la colonisation. On voit que dès son premier article, cette loi donne la possibilité à l’Etat d’accéder aux terres car indiquant que : « Les terres vacantes et sans maîtres appartiennent à l’Etat, il en est de même des terres non immatriculées ou non concédées en vertu d’un acte de concession régulier qui sont exploitées ou inoccupées depuis plus de dix ans ». Cependant à travers les articles 3 et 4, cette loi foncière confirme les droits coutumiers sur la terre car stipulant respectivement :
-« les droits fonciers coutumiers [sont maintenus s’ils] comport[ent] une emprise évidente et permanente sur le sol ».
-« les droits coutumiers individuels peuvent faire l’objet d’immatriculation et de publicité »
Dans cette nouvelle foncière mauritanienne, on retient que l’Etat cherche à avoir des droits sur les terres et en même temps faire coexister cette loi avec le système traditionnel.

Evolution politique dans les deux Etats

   Au lendemain de son indépendance, en 1962, le Sénégal connaît une crise politique au sommet de l’Etat. Elle est liée à l’accusation de tentative de coup d’Etat par le Président Léopold Sédar Senghor à l’encontre du vice-président Mamadou Dia. Cette situation entraine la destitution de Dia de ses fonctions. Ainsi Senghor instaure un régime présidentiel qui lui permet de se donner les pleins pouvoirs, et de mettre en place un parti unique. En 1968, le régime de Senghor devait faire face à une situation très difficile liée à la vive protestation des ruraux à cause de mauvaises récoltes, des troubles estudiantines de mai 1968 soutenues par l’opposition qui est de plus en plus déterminée dans sa lutte contre le parti au pouvoir qui met en place le monopartisme. Ainsi le gouvernement procède à des emprisonnements des militants ou des opposants qu’ils qualifient de fauteurs de trouble et entreprend des réformes constitutionnelles visant à renforcer son emprise. En outre, le  en place qui cherche à mettre fin à la situation politique du pays très agitée, autorise le principal opposant, Abdoulaye Wade, à créer son parti, le PDS (parti démocratique sénégalais) en 1974. Toutefois, il reste dans la logique de la limitation des partis. Ainsi l’opposition continue ses protestations contre le gouvernement qu’elle ne cesse de critiquer et de qualifier d’autoritaire. En plus de cette agitation politique, le Sénégal était secoué par une crise économique vers la fin des années 1970 et presque tout au long des années 1980, poussant l’Etat à adopter en novembre 1979 « un programme à moyen terme de redressement économique et financier pour la période 1979-1984 avec l’assistance financière du FMI » et à signer en 1980 « un accord de prêt d’ajustement structurel (…) avec la Banque mondiale». Cependant cette politique d’ajustement ne résout pas la situation économique difficile du pays car elle entraîne de graves conséquences : augmentation du chômage, l’endettement, réduction du nombre de fonctionnaires etc. C’est dans le contexte marqué par une vive agitation politique et tensions sociales liées à la crise économique, que le président Léopold Sédar Senghor trop critiqué se retire du pouvoir en décembre 1980 en faveur de son premier ministre Abdou Diouf qui accède officiellement au pouvoir en janvier 1981.

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Table des matières

Introduction
Première partie : La délimitation entre le Sénégal et la Mauritanie: des origines aux indépendances
Chapitre I : Les tentatives d’établissement de la frontière entre les deux territoires
Chapitre II : Les enjeux et les problèmes de délimitation de la frontière entre les colonies du Sénégal et de la Mauritanie
Deuxième partie : Sources du conflit sénégalo-mauritanien : des indépendances à 1989
Chapitre I : Les aléas climatiques et l’aménagement de la vallée du fleuve Sénégal par l’OMVS
Chapitre II : Evolution foncière et politique dans les deux Etats
Troisième partie : Evolution de la question frontalière depuis 1989
Chapitre I : La question des réfugiés
Chapitre II : Les récurrents incidents frontaliers
CONCLUSION

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