Savoirs et pratique en médecine

Savoirs et pratique en médecine

Quelles que soient les définitions de la médecine auxquelles on se réfère, elles se retrouvent sur deux constantes : la médecine est une science, position bien affirmée aujourd’hui, mais également une pratique ou un art pour reprendre une expression courante. L’art médical a toujours été de pair avec la démarche scientifique et nosologique. L’édification théorique de la médecine a longtemps reposé sur des bases empiriques. Elle s’est constituée à partir de descriptions et d’observations élémentaires, au plus près du patient, de la clinique. C’est à partir de cet effort de longue haleine que le savoir médical, de la clinique à la thérapeutique, s’est constitué. Dès les origines, les tenants d’une méthode empirique, privilégiant l’expérience sensible comme source première de connaissance, se sont opposés aux dogmatiques rationalistes pour lesquelles la théorie de la connaissance primait. C’est dans le contexte de ce débat originel, forte des révolutions scientifiques des Lumières, qu’advient la médecine expérimentale. Elle invite les médecins à user d’un savoir issu d’expérimentations de laboratoire. Seul ce savoir serait à même de donner sa légitimité scientifique à la médecine et la faire accéder à un degré de rationalité devenu indispensable. Ce souci de la primauté de la science et de l’expérimentation ne naît pas avec Claude Bernard (1813 – 1878) qui en est certainement l’un des plus illustres théoriciens. Il remonte à l’antiquité ou, plus récemment, à W. Harvey (1578 – 1657), découvreur de la circulation sanguine et fondateur de la physiologie, ou encore à François Magendie (1783 – 1855). Claude Bernard, lui, l’instaure en tant que méthode systématique d’accès à une connaissance fiable, reproductible, falsifiable et scientifique.

Toutefois, la biologie et la physiologie appliquées au corps humain, après sa compartimentation en laboratoire, ont toujours peiné à se superposer parfaitement à la pratique clinique. Cette dernière fait face à des organismes entiers, dont les parties ne sont jamais isolables du tout et dont le « fonctionnement pathologique globale n’obéit pas au même règles qu’un corps sain ». Ces critiques proviennent des tenants du médecine clinique. Ils ne s’opposent pas tous à l’expérimentation mais mettent en place une méthode clinique expérimentale. Les premières tentatives d’évaluation numérique d’une thérapeutique remonte au XIIIe siècle et la tentative de démontrer le rôle des agrumes dans la prévention du scorbut des marins par James Lind (1716 – 1794)  . Cette clinique expérimentale fait appel à une méthode quantitative basée sur les statistiques. Après un temps de rodage, elle prendra définitivement son essor au sortir de la seconde guerre mondiale et la définition des essais cliniques contrôlés randomisés. Cette dernière évolution de la clinique expérimentale vise à évaluer mathématiquement et rationnellement le bénéfice d’un traitement en éliminant les artefacts de subjectivité dans la relation médecin – patient.

Depuis le tournant positiviste, expérimental et statistique qui a eu lieu au XIXe siècle, il y a désormais une forte tendance, si ce n’est une injonction à la rationalité. Dans ce renversement de perspective, tant souhaité semble t-il par le corps médical et la société, les sciences naturelles prennent largement le pas sur les sciences humaines et sociales. Les données empiriques, issues de l’expérience et de la pratique seraient vouées à disparaître. Sans juger de l’opportunité ou non d’une telle évolution, ni de ses bénéfices, il semble qu’elle repose sur le présupposé que la rationalité est un objectif en soi, nécessairement bon.

Ce souci de rationalité, de « scientificité » est aujourd’hui incarné par le concept d’évidence-based-médicine  (EBM). Cette approche permettrait de fonder la pratique médicale sur les seules données médicales validées scientifiquement par la méthode expérimentale. Elle répond, en partie, à l’obligation faites aux médecins d’ « assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science »  . Cependant, pour le code de déontologie médical, il s’agit d’encadrer une pratique professionnelle sans privilégier une épistémologie du soin sur une autre. Charge à la profession d’établir ses standards. L’EBM, quant à elle, ne proposerait rien d’autre que de mettre à la disposition du corps médical les meilleures données actuelles de la science dans le but d’une meilleure prise en charge des patients grâce au haut niveau de preuve fourni. Cependant, sa conception même, la méthode statistique qui la détermine et le cadre méthodologique nécessaire à sa mise en œuvre, tend à donner une place centrale et incontournable au modèle biomédical. En effet, la rigueur de la méthode nécessite, à un moment de la démarche, de pouvoir isoler des entités pathologiques et des méthodes de prise en charge parfaitement définies et identifiables et le plus objectivement possible. L’expérience sensible et subjective du clinicien, le savoir émergent de la rencontre avec le patient sont, de fait, exclues. Ces limites sont régulièrement soulignées et enseignées  .

Cette dualité entre médecine rationnelle et médecine empirique (ou encore expérientielle) chemine depuis les origines de la discipline. Il est indéniable que l’une comme l’autre ont apporté de nombreux bienfaits et qu’il serait vain de chercher à désigner un vainqueur sur le plan épistémologique. Nous ne reviendrons donc pas sur les nombreuses critiques qui leurs sont faites dans l’unique but de voir triompher une des approches. Ce bref cheminement nous permet simplement de rappeler que, de la science à l’art d’exercer, de la connaissance théorique à la pratique au lit du malade, il existe un gouffre à combler .

C’est précisément à cette tâche que s’attelle le raisonnement médical « dont les composantes pourraient être appliquées indistinctement pour établir les règles du général ou cerner le singulier ». C’est une démarche intellectuelle qui provient de la médecine hippocratique. Hippocrate rejette l’origine sacrée de la maladie. Son approche se veut rationnelle, logique et causale. « La méthode causale » serait « la condition nécessaire d’un art médical véritable »  . Ainsi, les succès de l’anatomoclinique ou de la méthode expérimentale ou encore des concepts pastoriens et de la médecine infectieuse, résident dans leur capacité à établir des liens de causalité, objectivement pertinents et évaluables, entre des syndromes cliniques observés et la physiologie humaine en suivant une histoire naturelle des maladies. Depuis, les connaissances auxquelles se référent majoritairement les médecins se trouvent essentiellement dans le champ de la biologie et des sciences naturelles. Si la perspective scientifique n’exclut, a priori, aucun régime de scientificité, ce sont bien les dernières citées qui répondent le plus directement à ce modèle de connaissance. De nombreuses théories et cadres paradigmatiques ont existé, parfois co-existé dans l’histoire de la médecine. Pourtant il semble que jamais aucun n’ait su expliquer à lui seul la totalité des situations auxquelles la médecine est confrontée. La biomédecine que nous venons de présenter, évolution ultime d’une médecine scientifique n’est, en réalité, que partiellement valable. Claude Bernard lui-même en était d’ailleurs parfaitement conscient  qui pointait qu’un organisme vivant était d’abord une totalité et une individualité, seule échelle de signification d’une propriété physiologique.

Ainsi, le virage et la montée en régime du discours scientifique de la médecine occidentale n’ont toujours pas permis de combler l’abîme épistémologique entre la théorie et la pratique. Il est toujours légitime de considérer la médecine d’abord comme une pratique, aux prises avec la souffrance et la quotidienneté de la personne souffrante. De fait,les médecins restent essentiellement des praticiens chargés de mettre au service d’une personne, de sa plainte,les soins médicaux éprouvés ou à leur disposition. Le patient, dans sa globalité, reste le point de départ et d’arrivée du raisonnement et des pratiques.

Certaines spécialités sont plus particulièrement soumises à ces tensions. Comme la psychiatrie, spécialité du « psychisme », du « mental » ou encore des « maladies de l’âme », pour reprendre un terme de J. Pigeaud, a toujours été particulièrement critiquée au sein même de la médecine. Sa légitimité en tant que science est régulièrement mise en doute. Elle a toujours été accusé d’être trop normative des comportements, soupçonnée d’être au service de l’ordre social  , de ne reposer que sur des présupposés.

Le psychisme, ce « système », cet autre « appareil » du corps humain est l’un des plus controversé. D’ailleurs dans quelle mesure peut-on considérer la psyché, le mental, comme un « appareil » au même titre que le système cardiovasculaire ou endocrinien ? Sans chercher à résoudre cette question, relevons que la la tension entre théorie et pratique médicale est particulièrement forte en psychiatrie. Elle est probablement l’une des branches de la médecine où le débat est le plus vif et le plus fécond. Dès ses origines, ce sont les théories de l’homme qui semblent avoir indiquées la voie à la pratique.

Elle naît dans le champ de la médecine à la fin du XVIIIe siècle. C’est une époque où les idéaux révolutionnaires embrasent l’Europe et les théories humanistes incitent à porter un nouveau regard sur l’homme .

Bref retour sur le savoir psychiatrique 

Il est intéressant, pour comprendre les enjeux spécifiques, de retracer très succinctement l’histoire de la psychiatrie. Nous ne l’aborderons que très brièvement pour ne pas alourdir le propos. Celle-ci a déjà fait l’objet de nombreux travaux. La plupart, comme nombre de travaux d’histoire de la médecine, ont été réalisé par des médecins et ont une tendance hagiographique. Certains sont devenus célèbres et influents sur la discipline malgré les polémiques  , tandis que d’autres se présentent comme historiquement plus rigoureux  . Nous n’y reviendrons pas, nous nous intéresserons pour l’instant au récit historique le plus courant, le plus répandu.

La psychiatrie naît, dès l’origine, comme discipline médicale. La personne qui est considérée à l’origine de cette spécialité , est Philippe Pinel, médecin – philosophe. L’inventeur du terme « psychiatrie » est Johan Christian Reil  , médecin anatomiste, physiologiste. Dès l’origine, on constate une aspiration scientifique, voire naturaliste, à la psychiatrie. A cet effet, comme l’écrit Pinel, le concept d’ « aliénation mentale » doit remplacer la trop vague « folie » :

« L’heureuse influence exercée dans ces derniers temps sur la médecine par l’étude des autres sciences, ne peut plus permettre aussi de donner à l’aliénation le nom général de folie, qui peut avoir une latitude indéterminée et s’étendre sur toutes les erreurs et les travers dont l’espèce humaine est susceptible, ce qui, grâce à la faiblesse de l’homme et à sa dépravation n’aurait plus de limites. Ne faudrait-il point alors comprendre dans cette division toutes les idées fausses et inexactes qu’on se forme des objets, toutes les erreurs saillantes de l’imagination et du jugement, tout ce qui irrite ou provoque des désirs fantastiques ? Ce serait alors s’ériger en censeur suprême de la vie privée et publique des hommes, embrasser dans ses vues l’histoire, la morale, la politique et même les sciences physiques dont le domaine a été si souvent infecté par des subtilités brillantes et des rêveries » .

Le même Pinel, représentant finalement assez bien les aspirations de la psychiatrie naissante, a le souci d’établir une nosographie médicale sur le modèle des naturalistes : « Une maladie étant donnée, déterminer son vrai caractère et le rang qu’elle doit occuper dans un tableau nosologique [. . . ] il faut distribuer toutes les maladies connues en classes, en ordres, en genres, en espèces, à l’exemple des botanistes ».

Cette entreprise de classification sans précédent, que la création des asiles permettra de poursuivre, Foucault la décrit dans son chapitre sur le « fou aux jardin des espèces »  . Ainsi, on peut affirmer que la psychiatrie des origines se conçoit aux côtés de la médecine rationaliste scientifique. Cependant, elle ne présage pas encore du caractère organique de l’aliénation. Le tournant organiciste, à la recherche de l’origine anatomique et lésionelle des troubles mentaux à lieu dans un second temps, au milieu du XIXe siècle, suite à la mise en évidence d’une étiologie pour la paralysie générale par Bayle. Il s’agit alors du premier trouble psychiatrique décrit qui trouve son origine dans une lésion cérébrale identifiée dûe la syphilis. Les classifications et les traités, l’édification de théorie reprennent de plus belle, le concept de maladie mental est adopté.

Suivant cette voie ouverte depuis les temps révolutionnaires, de fausses pistes en succès [de la monomanie à la paralysie générale de Bayle], d’errances qui seraient aujourd’hui mal acceptées, à des concepts cliniques encore clefs de nos jours [du concept de dégénérescence de Morel à l’automatisme mental de Clérambault], cette quête scientifique nosologique aboutit à la classification d’E. Kraepelin à la fin du siècle  . Il est considéré comme le «fondateur de la psychiatrie scientifique moderne» par nombre de ses pairs. Son approche des troubles mentaux est encore régulièrement citée en exemple. Son travail est l’inspiration principale de la méthodologie utilisée pour la construction du Diagnostic and Statistical Manual III (DSM III).  Cette nosographie américaine en est aujourd’hui a sa cinquième version actualisée et fait toujours référence au côté de la Classification Internationale des Maladies (CIM) établit par l’OMS (qui suit, à peu de choses près, les mêmes principes de classifications).

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Savoirs et pratique en médecine
1.2 Bref retour sur le savoir psychiatrique
1.3 La psychiatrie en pratique
2 État de la question
2.1 La psychiatrie en médecine
2.1.1 Devenir psychiatre
2.1.2 Du diagnostic à l’étiquetage
2.1.3 Pratiquer sans causalités
2.2 La psychiatrie et les sciences
2.2.1 Le corpus de connaissances
2.2.2 Démarche scientifique et catégorisation
2.2.3 Pratiques cliniques et objectivité
2.2.4 Pratiques cliniques et subjectivité
2.3 Une psychiatrie critique ?
2.3.1 La maladie et le modèle bio-psycho-social
2.3.2 Psychiatrie critique
2.3.3 Psychiatrie et anthropologie
2.3.4 Le cas Agnès
2.4 Pour une épistémologie des pratiques
3 Terrain étudié
4 Résultats et analyse
4.1 Un savoir in situ et en pratique
4.1.1 Savoirs professionnels
4.1.2 Savoir pouvoir médical
4.1.3 Savoirs personnels
4.1.4 Savoirs situés
4.1.5 Savoirs co-construits
4.2 Les catégorisations du savoir
4.2.1 Catégorisations empiriques : les interactions
4.2.2 Catégorisations empiriques et description
4.2.3 Catégorisations empiriques et interprétation
4.2.4 Catégorisation scientifique : le diagnostic
4.3 “Aller mieux”
4.3.1 La guérison ?
4.3.2 Le socio-médical
4.3.3 “Aller mieux”
4.4 Définir le bien pour autrui
5 Discussion
5.1 Une causalité non linéaire
5.2 L’ajustement de mondes différenciés comme projet de soins
5.3 Une épistémologie des savoirs pratiques
5.4 Le risque du culturalisme
6 Conclusion
Bibliographie

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