Santé développementale et vulnérabilités familiales

Pourquoi s’approprier des connaissances scientifiques ? 

Cette expertise pluridisciplinaire s’inscrit dans le cadre d’une collaboration entre la Protection Maternelle Infantile du département de la Moselle et la plateforme d’expertise Aapriss IFERISS FED 4142  . L’objectif est d’apporter aux professionnels de la PMI des connaissances scientifiques. L’appropriation et l’adoption de ces apports scientifiques dans la pratique professionnelle représentent des enjeux majeurs du rapprochement des espaces de la recherche et de l’action publique. La création et la mise en place de programmes d’action en santé constituent une part importante du travail des professionnels de la PMI. Ces programmes soulèvent des attentes fortes en termes d’efficacité de prise en charge des publics et de résolution de leurs problématiques. Toutefois, la réussite d’un programme tient à divers facteurs. Tout d’abord, le manque de ressources matérielles et humaines peut empêcher la réalisation d’un programme ou sa pérennisation. Mais au-delà des contraintes de moyens, il existe aussi des freins théoriques, qui, lorsqu’ils sont peu visibles, peuvent faire échouer une action en santé. Le public ne répond pas présent ou très peu, voire n’a pas accès à l’information, la lassitude gagne des professionnels qui se sont investis fortement… Les espoirs qui ont réuni et mobilisé tout une équipe s’évanouissent.

L’objectif de cette expertise pluridisciplinaire est de rendre plus visible certains de ces obstacles théoriques, en apportant aux professionnels de la PMI des éléments d’explication scientifique quant à la production des vulnérabilités qui touchent les plus jeunes enfants et leur entourage.

Les professionnels se trouveront ainsi plus armés pour la création de dispositifs innovants, leur évaluation et leur éventuelle transférabilité. En effet, un autre obstacle apparaît ici : l’échec de dispositifs tient pour une part à leur impossible transférabilité. Malgré l’espoir que suscitent les réussites de certains, la prudence est requise quand il s’agit de les appliquer en dehors du contexte qui les a vus naître, car les caractéristiques économiques, sociales, culturelles, psychologiques des publics et des professionnels travaillant auprès d’eux restent singulières. Cela signifie que si un dispositif a réussi dans un territoire, il ne pourra pas nécessairement être reproduit dans un autre dans la mesure où les caractéristiques de la population seront différentes (par exemple des habitudes de vie liées à un mode plus citadin ou rural, des dispositifs nécessitant des supports lettrés pour une population qui aurait un faible niveau de diplôme, des dispositifs principalement en ligne…).

L’apport de connaissance scientifique permet d’aiguiser sa vigilance et prévenir, autant que faire se peut, ces risques d’échec. En comprenant comment se construisent les vulnérabilités, on peut plus judicieusement trouver les moyens de les réduire et observer les pièges implicites de programmes voisins qui, bien qu’efficaces dans leur contexte, pourraient rapidement s’avérer inopérants dans un autre. À l’inverse, l’insuccès d’un programme pourrait se révéler fructueux ailleurs.

Les références scientifiques qui seront présentées dans ce rapport visent à apporter des connaissances sur les mécanismes biopsychosociaux à l’œuvre dans la production des vulnérabilités. Certaines références pourront paraître anciennes ou a priori éloignées de l’action des PMI. Mais leur intérêt ne réside pas tant dans leur utilisation directe que dans la mise au jour de mécanismes qui, eux, sont toujours d’actualité pour comprendre les liens entre le développement de l’enfant et son environnement psycho-social, autrement dit, la santé développementale.

Inégalités sociales de santé et universalisme proportionné 

Cette expertise interroge donc les liens entre le développement de l’enfant et son environnement psycho-social et les vulnérabilités pouvant l’affecter. Il convient avant d’aller plus loin de définir provisoirement cet environnement et ce que l’on entend par « vulnérabilité ». L’environnement dans lequel se déroule le développement de l’enfant, ce sont les personnes qui l’entourent, auprès desquelles il grandit et l’influencent. Ce cercle de relations est selon les cas plus ou moins favorable à son développement, son épanouissement et sa santé, à court et à long terme. Ces personnes de ce cercle sont, la plupart du temps et dans les premiers temps de la vie, des membres de sa famille parmi lesquels les parents jouent un rôle prépondérant.

Si l’environnement de l’enfant peut être défini de manière assez simple, la « vulnérabilité », quant à elle suscite de nombreux débats en sciences humaines et sociales (Brodiez-Dolino, 2006). Nous n’entrerons pas ici dans le détail de ces débats mais en présenterons un aperçu. La vulnérabilité c’est, étymologiquement le « fait de pouvoir être blessé » (Soulet, 2005, p. 55). Elle est donc universelle. Tout un chacun est potentiellement exposé à des risques de nature diverse (maladie et mort de soi-même ou de ses proches, perte d’un travail, d’un statut social, d’un logement…). Toutefois, les individus n’y répondront pas de manière égale car tous ne possèdent pas les mêmes protections (soutien familial et plus largement ressources sociales, revenus suffisants pour vivre dans des conditions décentes…). La vulnérabilité est donc fondamentalement contextuelle et ne dépend pas seulement de la volonté individuelle à se protéger face aux différents risques (maladie, mort, pertes de revenus, accidents, traumatismes…). Elle dépend des différents supports collectifs permettant l’intégration sociale (famille, école, travail, protections étatiques, groupements collectifs divers…) (Soulet, 2005).

C’est là que réside le principal achoppement dans les débats scientifiques. Ceux qui considèrent que la vulnérabilité relève uniquement d’une caractéristique individuelle (être plus prévoyant, plus fort…) nient les inégalités sociales. Autrement dit, ils oublient que les ressources dont disposent un individu ne sont pas le seul fruit de ses capacités, comme si elles reposaient sur la volonté individuelle mais, que ses capacités dépendent elles-mêmes des contextes dans lequel il évolue (famille unie, travail stable, pays prenant en charge les principaux risques sociaux tels que la maladie par exemple). La vulnérabilité relève donc d’une multiplicité de facteurs collectifs. Ainsi, peut-on conclure que « l’exposition [à la vulnérabilité] est […] commune à tous les individus, mais non égale » (BrodiezDolino, 2016, p. 6). Maintenant que nous avons défini succinctement l’environnement dans lequel se déroule le développement de l’enfant et ce que recouvre le terme de vulnérabilité (la potentialité à être blessé et les ressources, socialement conditionnées, d’y répondre), nous pouvons préciser le cœur de cette expertise pluridisciplinaire. En effet, il s’agit d’étudier les mécanismes par lesquels des vulnérabilités psychiques et sociales auxquels peuvent être exposés les acteurs de la famille, particulièrement les parents, sont susceptibles d’influencer le développement de l’enfant.

Comme nous venons de le voir, les vulnérabilités dépendent, pour une large part, des conditions de vie. Les vulnérabilités psychiques et sociales ne sont donc pas réparties au hasard dans la population. La réflexion sur les inégalités sociales de santé, sur laquelle nous nous appuierons ici, s’inscrit en effet à rebours de l’idée selon laquelle les vulnérabilités, et plus largement les maladies, ne seraient que la conséquence de prédispositions génétiques, donc d’inégalités naturelles ou «innées». La mise au jour d’inégalités sociales de santé montre que « si certains ont plus de risques de développer certaines affections ou une probabilité plus élevée de mourir jeunes, ce n’est pas seulement le fruit du hasard ou de l’hérédité, mais bien également le résultat d’une production par la société. » (Fassin, Grandjean, Kaminski, Lang, Leclerc, 2004, p. 14). Autrement dit, les maladies et les vulnérabilités ne sont pas seulement les conséquences de facteurs génétiques mais aussi les répercussions y compris biologiques de facteurs sociaux : conditions matérielles d’existence, rythmes de vie, pratiques corporelles associées (sommeil, alimentation, activité physique). Certains enfants seront par conséquent plus favorisés que d’autres au regard des contextes de vie dans lesquels ils évoluent.

Et c’est bel et bien sur ces contextes de vie et auprès des parents que les PMI opèrent. Pluriels, ces contextes requièrent une adaptation importante de la part des professionnels de la PMI. C’est pourquoi leur action s’inscrit dans une démarche d’universalisme proportionné. Si les messages et les interventions de prévention s’adressent à tous, ils touchent de manière différenciée les milieux sociaux et les individus (Affeltranger, Potvin, Ferron, Vandevalle, Vallé, 2018 ; Taranti C., Vergelys C., PerettiWatel P., 2014 ; Moleux, Shaetzel, Scotton, 2011 ; Flajolet, 2008). Ainsi et paradoxalement, celles et ceux qui en auraient le plus besoin, les personnes en mauvaise santé ou cumulant des facteurs de risque, ne sont pas toujours celles et ceux qui en bénéficient effectivement. La démarche d’universalisme proportionné vise donc à redoubler d’attention concernant les publics n’ayant pas accès aux messages de prévention ou ne parvenant pas à se les approprier. Le défi de la prévention santé est alors de ne pas manquer les publics les plus vulnérables, sans toutefois les spécifier comme fondamentalement à part et les stigmatiser (Réseau des Villes-santé de l’OMS, 2017). C’est pourquoi la prévention santé dans une démarche d’universalisme proportionnée s’adresse d’abord à tous : « Pour réduire la pente du gradient social de santé, les actions doivent être universelles, mais avec une ampleur et une intensité proportionnelles au niveau de défaveur sociale. C’est ce que nous appelons universalisme proportionné. Une plus grande intensité d’action sera probablement nécessaire pour ceux qui ont un plus grand désavantage social et économique, mais se concentrer uniquement sur les plus défavorisés ne réduira pas le gradient de santé et ne s’attaquera qu’à une petite partie du problème » (Marmot, 2010).

L’apport de connaissances scientifiques contribue à relever ce défi.

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Table des matières

Introduction
Pourquoi s’approprier des connaissances scientifiques ?
Inégalités sociales de santé et universalisme proportionné
Programme de l’expertise
1. Parentalité et vulnérabilités en question
L’anthropologie de la parenté
La parentalité
Vulnérables ou populaires ? Le poids des inégalités sociales sur les pratiques parentales
2. Adversités précoces et développement de l’enfant
L’influence des adversités parentales et enfantines : la recherche internationale
Références supplémentaires en psychologie du développement
Références supplémentaires en épidémiologie sociale
3. L’approche épigénétique
Définition de l’épigénétique
Dangers d’une mauvaise interprétation de l’épigénétique
Évidences chez les animaux
Évidences chez les humains
Conclusion : déterminants sociaux de santé, vulnérabilités et enjeux de santé publique
Des pistes pour la recherche interventionnelle

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