Sanctions et portée de l’obligation de minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale

L’extension de l’obligation de minimiser le préjudice symétriquement à l’extension du champ d’application ratione personae de la convention d’arbitrage

En raison du principe d’effet relatif des conventions, la convention d’arbitrage ne devrait pas avoir d’effet sur les tiers au contrat.
Ainsi, il aurait été légitime de penser que le professionnel n’ayant ni proposé, ni accepté un contrat contenant une clause compromissoire ne puisse pas être contraint à avoir recours à une procédure d’arbitrage international, et, à plus forte raison, ne puisse se voir opposer l’obligation de minimiser son préjudice résultant de celle-ci.
Le droit français de l’arbitrage a pourtant développé, dans le cadre de la jurisprudence favorable au principe de validité de la clause compromissoire, une « règle matérielle retenant un principe général d’extension de la convention d’arbitrage au tiers non signataire simplement fondé sur l’implication volontaire du tiers dans l’exécution du contrat pour lequel la convention d’arbitrage a été stipulée » .Cette règle matérielle s’est notamment illustrée dans un arrêt Alcatel Business Systems, s’agissant d’une chaine de contrats translatifs de propriété, ainsi que dans un arrêt Société des Ciments d’Abidjan, s’agissant d’une cession de contrat.
Les acquéreurs successifs (ou le cessionnaire) ne sont pas nécessairement au courant de l’existence d’une clause compromissoire. Or, lorsque l’un d’eux voyant ses intérêts lésés par une inexécution contractuelle agira aux fins de voir ce dernier réparé, l’auteur du dommage lui opposera l’incompétence de la juridiction saisie au profit de la juridiction arbitrale, qui risque de relever, le cas échéant, des manquements par la partie lésée à son obligation de minimiser.
Dans son commentaire de l’arrêt Alcatel Business Systems, Eric LOQUIN écrivait très justement que « la transmission de la clause compromissoire est la conséquence d’un double rapport d’accessoire à principal ».
Il apparait qu’en raison du lien entre clause compromissoire et sujétion à l’obligation de minimiser son préjudice, il est possible d’affirmer que l’extension et la transmission de l’obligation de minimiser le préjudice sont les conséquences d’un rapport d’accessoire à principal, au troisième degré, l’obligation suivant la clause compromissoire, laquelle suit le droit d’action attaché au droit transmis.

Le risque de pénétration de l’obligation de minimiser le préjudice dans les litiges de
consommation en raison de leur arbitrabilité

En la matière, l’affaire la plus mentionnée s’agissant d’illustrer l’arbitrabilité des litiges de consommation est l’affaire Rado, dans laquelle un particulier non-professionnel (et, en l’occurrence, d’un certain âge) avait été démarché à son domicile pour se voir proposer des placements financiers (risqués, ce qui ne lui avait pas été exposé de manière intelligible compte tenu de ses connaissances et de ses facultés), le contrat comportant une clause compromissoire prévoyant un arbitrage devant un tribunal arbitral dont le siège était situé à New York. Informé par la suite du fait que le compte était devenu débiteur, le particulier démarché avait agi en nullité de la convention d’ouverture du compte, la société défenderesse lui opposant la clause compromissoire.
La Cour de Cassation avait alors confirmé la solution de la Cour d’Appel, retenant la compétence de la juridiction arbitrale, aux motifs que « la Cour d’Appel a retenu le caractère international de l’opération économique litigieuse  peu important, dans ces conditions que l’une des parties ne soit pas commerçantes ».
Une telle formulation est ennuyeuse s’agissant de l’obligation de minimiser le dommage : en effet, celle-ci découle de la qualité d’acteur du commerce international, ainsi que du constat de l’existence d’une l’opération économique qui « met en jeu les intérêts du commerce international ». Ce faisant, il y a lieu de soumettre les deux parties à cette obligation, sans égard à leur qualités respectives (et donc sans égard particulier pour le non-professionnel profane). Cette solution pose un problème d’équité majeur : la demanderesse, si elle dispose des moyens (financiers principalement) pour assurer la défense de ses intérêts devant la juridiction arbitrale, devient alors un sujet potentiel de l’obligation de minimiser le dommage, alors qu’il s’agit d’une règle de la lex mercatoria, qu’un consommateur est précisément censé ignorer en sa qualité de profane.

L’exécution du contrat par le cocontractant initial aux conditions contractuelles révisées

Une sentence CCI n°2478 datée de 1974 a en effet sanctionné le créancier lésé pour manquement à son obligation de minimiser son préjudice en constatant que ce dernier n’avait pas accepté une offre de révision du prix contractuel proposée par l’auteur du dommage.
Cette solution s’explique en ce que l’acceptation par le créancier lésé de l’exécution du contrat dans des conditions différentes ne fait pas obstacle à son droit de demander ensuite la réparation du préjudice né de la non-exécution du contrat tel que prévus initialement (ce qui permet de mettre en échec les affirmations selon lesquelles cette solution constituerait une admission de la possibilité pour l’arbitre de réviser le contrat).
Cette solution a été confirmée par plusieurs affaires tranchées devant la CCI, qui ont notamment posé des limites à cette obligation, tenant au caractère raisonnable de l’offre : la CCI parle en 1986 d’offre « raisonnable et faite de bonne foi », s’agissant en l’espèce pour le créancier lésé d’acquérir des marchandises plus cher que le contrat ne le prévoyait, tout en demeurant moins onéreux que le cours du marché, ce qui aurait rendu l’approvisionnement auprès d’un tiers plus cher, et donc limité la modération du préjudice.
Ce caractère raisonnable tient également à l’économie du contrat, qui ne doit pas être bouleversée par la modification des stipulations contractuelles, ainsi qu’à la nécessité, évidente, que la proposition faite par l’auteur du dommage ne constitue pas une aggravation du préjudice du créancier (puisque l’acceptation d‘une telle offre constituerait, en soi, la violation de l’obligation de minimiser le préjudice). De ces développements, il nous semble qu’il ressort que l’obligation pour le créancier de minimiser son préjudice a pour substance de contraindre le créancier à mettre ses capacités d’adaptation à l’épreuve : au créancier lésé d’entreprendre les démarches pour trouver satisfaction auprès d’un tiers, ou de faire preuve de souplesse s’agissant d’accepter des modifications du contrat par l’auteur du dommage, tout en voyant ses intérêts protégés par la possibilité de saisir la juridiction arbitrale par la suite pour obtenir le remboursement de ses frais.

La sanction de droit commun : la réduction des dommages-intérêts dus par l’auteur du dommage au créancier lésé

Pour sanctionner la violation par le créancier lésé de son obligation de modérer son préjudice, les tribunaux arbitraux procèdent en premier lieu à l’évaluation du préjudice allégué par le créancier lésé.
En second lieu, la juridiction arbitrale procède à l’examen de la fraction du préjudice qui, bien qu’étant imputable à l’auteur du dommage (puisqu’elle est une conséquence de son inexécution), aurait été évitée si le créancier avait entrepris, immédiatement ou dans un délai raisonnable, de trouver une solution de substitution.
Cette fraction de préjudice sera déduite de l’évaluation totale du préjudice : c’est le montant obtenu à l’aide de cette soustraction qui sera attribué au créancier lésé.
Dans l’hypothèse où le créancier lésé, bien qu’ayant agi et ayant agi dans les délais exigés, a mis en œuvre des moyens déraisonnables pour minimiser son préjudice, voire a aggravé celui-ci, la juridiction arbitrale ne devrait pas lui permettre de récupérer ces sommes auprès de l’auteur du dommage.
Ainsi qu’évoqué en introduction, l’obligation de minimiser le dommage ne saurait être qu’une obligation de moyens : le créancier qui a mis en œuvre des moyens raisonnables pour prévenir l’aggravation du dommage, mais qui n’y est pas parvenu, ne devrait pas être sanctionné pour manquement à son obligation de minimiser le préjudice, et devrait être indemnisé de la totalité du préjudice.
Cette hypothèse recouvre par exemple les situations dans lesquelles le créancier a entrepris d’obtenir satisfaction auprès de tiers au contrat initial proposant les même biens ou services, mais que cette démarche n’a pu aboutir en raison d’un coût excessif. La solution serait d’ailleurs identique si le coût du contrat passé avec le tiers n’était pas disproportionné, mais que le créancier lésé est en mesure d’apporter la preuve que ses facultés financières ne lui permettent pas de conclure de tels contrats.
De la même manière, lorsque le créancier lésé était dans l’impossibilité d’agir, par exemple en raison de l’absence de marché, d’une situation de force majeure, ou encore lorsque l’exécution du contrat ne pouvait être assurée que par le débiteur (pour illustrer cette exception, Pauline RÉMY-CORLAY fait référence à l’hypothèse d’une commande passée auprès d’un artiste, l’œuvre demandée ne pouvant irrémédiablement ni être exécutée par un tiers, ni exécutée de force par celui qui devait la réaliser), son droit à réparation ne doit pas être limité.

La sanction d’exception : l’écartement de la réparation du préjudice

L’idée même de cette sanction est de nature à faire frémir toute personne qui pourrait s’engager à l’arbitrage. Dans cette situation, le manquement à l’obligation de minimiser le préjudice est tel que la limitation de la réparation atteint le montant du préjudice, ce qui prive intégralement le créancier de son droit à réparation.
En raison de sa gravité, cette sanction n’est naturellement réservée qu’à un nombre restreint d’hypothèses caractérisées par le comportement fautif du créancier lésé.
La Society of Maritime Arbitrators, en 1987, a rendu une sentence n°2373, dans laquelle elle exclue intégralement la réparation du préjudice subi par l’affréteur d’un navire du fait de la défaillance du fréteur. Dans cette espèce, le tribunal arbitral souligne le fait que si l’affréteur avait entrepris de trouver un fréteur pour remplacer son cocontractant défaillant, il aurait purement et simplement évité la survenance du dommage, cette circonstance ne l’empêchant pas, en tout état de cause de saisir la juridiction arbitrale pour faire condamner le fréteur à des dommages-intérêts en raison des frais engagés et du non-respect des stipulations contractuelles.
Il faut observer que dans cette hypothèse, l’obligation de minimiser le dommage est poussée à son paroxysme, puisque l’on exige du créancier non pas qu’il modère le préjudice, mais qu’il le prévienne purement et simplement. Il faut toutefois limiter cette affirmation au regard de de deux considérations :
D’abord, il faut conserver à l’esprit que l’obligation de modérer le dommage n’est qu’une obligation de moyen. Le tribunal arbitral ne sanctionne donc pas le créancier pour n’avoir pas évité le dommage, mais pour n’avoir pas tenté de l’éviter.
Ensuite, il faut garder en mémoire le fait que la non-survenance du préjudice du fait du créancier, lorsque celui-ci trouve une solution alternative dans les délais, ne fait pas obstacle à ce que ce dernier puisse quand même agir à l’encontre de son cocontractant. Le dommage ne résulte cependant plus des conséquences de l’inexécution contractuelle, mais du non-respect par le cocontractant de ses engagements.47. L’aspect exceptionnel de cette sanction est soulevé par Jérôme ORTSCHEIDT dans sa thèse, qui remarque à juste titre « l’indulgence dont font preuve les arbitres vis-à-vis de la partie lésée ».
En effet, la vindicte des juridictions arbitrales à l’encontre du comportement passif du créancier lésé doit demeurer ciblée sur ceux qui tentent de profiter d’une situation de force qui leur confère des droits. Elle ne doit à l’inverse pas faire oublier que, dans la majeure partie des situations, les inexécutions contractuelles sont source de difficultés pour le créancier lésé, qui doit s’adapter à une situation qu’il n’a pu prévoir, et doit engager des frais importants.

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Table des matières

NTRODUCTION
Section I. Sujets et objet de l’obligation de minimiser le préjudice
§1. Les sujets de l’obligation de minimiser le préjudice
A. L’obligation de minimiser le préjudice s’impose aux professionnels signataires d’un contrat international, et aux professionnels impliqués dans l’exécution d’une opération économique internationale contenant une clause compromissoire
1. Le professionnel proposant ou acceptant l’insertion de la clause compromissoire est le sujet de plein droit de l’obligation de minimiser le préjudice
2. L’extension de l’obligation de minimiser le préjudice symétriquement à l’extension du champ
d’application ratione personae de la convention d’arbitrage
B. Vers une extension de l’obligation de minimiser le dommage aux acteurs du commerce international agissant en dehors de la sphère professionnelle ?
1. Le risque de pénétration de l’obligation de minimiser le préjudice dans les litiges de consommation en raison de leur arbitrabilité
2. Le droit d’option du salarié en matière d’arbitrage internationale légitimant l’existence de l’obligation de minimiser le préjudice
§2. L’objet de l’obligation de minimiser le dommage
A. Le créancier lésé est tenu d’un devoir de substitution
1. L’exécution du contrat par un tiers au contrat initial
2. L’exécution du contrat par le cocontractant initial aux conditions contractuelles révisées
B. Le créancier lésé est tenu d’un devoir de célérité
1. Le principe : la réaction doit être immédiate
2. Tempérament : la réaction doit avoir lieu dans un délai raisonnable
Section II. Sanctions et portée de l’obligation de minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale
§1. Les sanctions des manquements à l’obligation de minimiser le dommage
A. La sanction de droit commun : la réduction des dommages-intérêts dus par l’auteur du dommage au créancier lésé
B. La sanction d’exception : l’écartement de la réparation du préjudice
§2. La portée de l’obligation de minimiser le préjudice
A. La charge de la preuve de l’exécution de l’obligation de modérer le préjudice
1. La charge de la preuve de la tentative de modérer le préjudice incombe au créancier lésé
2. La charge de la preuve du caractère déraisonnable des mesures employées pour modérer le
dommage incombe à l’auteur du dommage
B. Les conséquences de l’obligation de modérer le dommage sur l’ensemble des acteurs du commerce international
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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