Saint-Denis aux débuts de la IIIe République 

Bibliothèque et affirmation municipale

Si les années de la décennie 1890 correspondent à l’acte de naissance de la bibliothèque municipale de Saint-Denis, la figure qui incarne le mieux cette institution est sans conteste Fernand Bournon. Tout à la fois historien, professionnel du livre et citoyen engagé, Fernand Bournon n’a jamais eu l’honneur d’accueillir les lecteurs entre les murs de la bibliothèque. Il est pourtant celui qui, par son action et ses idées, a impulsé l’élan qui a transformé un encombrant dépôt de confiscations révolutionnaires en une administration de la mémoire au service de l’affirmation municipale de Saint-Denis.

Du dépôt littéraire à la bibliothèque communale, 1790 – 1889

La bibliothèque communale trouve son origine dans la Révolution française. Après la dissolution des communautés religieuses, leurs biens sont saisis. L’abbé Grégoire évalue à près de 10 millions le nombre de volumes confisqués en France, dont environ 2 millions à Paris . Les livres confisqués à l’abbaye et dans d’autres lieux religieux du district : couvents du Mont-Valérien ou des Minimes de Passy, des Vertus d’Aubervilliers, des Génovéfains de Nanterre, des Pénitents de Belleville sont centralisés en 1790 à Saint-Denis, le chef-lieu, rebaptisé Franciade. Les livres les plus précieux sont rapidement triés et emmenés pour être déposés à Paris. Les doubles sont laissés sur place, mais ils appartiennent à la nation depuis le décret sur la constitution civile du clergé. La ville réclame en 1797 « la formation à Franciade d’une bibliothèque à prendre dans le dépôt littéraire établi en cette commune » et obtient l’autorisation du ministère de l’intérieur . Les sources divergent sur le nombre de volumes déposés : alors qu’à la fin du XVIIIe siècle, les contemporains évoquaient 6 à 7 000 volumes, Fernand Bournon n’en trouve que 4 000 à 5 000 cent ans plus tard . Les livres sont installés à partir de 1799 à l’Hospice devenu l’Hôtel de ville où ils se trouvent toujours en 1886, sans que le dépôt ait d’ailleurs beaucoup évolué : « Depuis ce moment la bibliothèque ne s’est enrichie que d’un très petit nombre de volume » affirme Fernand Bournon.
À l’instar de nombreuses villes du pays, le budget que la commune consacre à la bibliothèque jusqu’en 1886 est dérisoire. Sous le Second Empire, seules les villes d’importance consacrent un budget à la conservation des livres et à l’enrichissement des collections. Marseille, Bordeaux, Lyon, dépensent environ 7 000 francs par an pour leurs bibliothèques. Leurs collections sont bien sûr beaucoup plus riches que celles de SaintDenis. Le bulletin municipal officiel de 1887 fait mention pour la première fois d’un budget pour l’entretien de la bibliothèque communale : il est de 17 francs en 1886, 100 francs en 1887 ! Il consiste principalement en des frais de reliure pour maintenir les ouvrages dans un état de conservation correct. La bibliothèque communale existe de fait, mais son statut est ambigu : la municipalité a la responsabilité d’ouvrages qui appartiennent à l’Etat. Avant 1889 elle ne constitue pas un service communal destiné à mettre la grande littérature et les humanités à la disposition du plus grand nombre. Elle représente tout au plus un faire-valoir pour la ville qui peut, à travers les collections anciennes conservées entre les murs de l’Hôtel de ville, s’enorgueillir d’un prestigieux passé.
Le développement des bibliothèques publiques a été rendu possible par une conjonction de facteurs issus d’un contexte administratif et politique favorable pendant le Second Empire et la IIIe République. La charte communale du 5 avril 1884 qui attribue aux communes une clause générale de compétence et fait désigner les conseillers municipaux par le suffrage universel complète la loi de 1882 autorisant l’élection du maire par les conseillers municipaux . Ces décisions « consacrent l’autorité, une et irréductible, des maires » pour administrer, au nom de la République, les territoires communaux. Toujours présente, la tutelle exercée par l’Etat, via la préfecture, se traduit par le contrôle de la légalité des décisions des conseils municipaux, mais le pouvoir édilitaire acquiert une légitimité démocratique nouvelle, basée sur la volonté du corps électoral de la commune. La situation contraste avec le statut du maire sous le Second Empire, en général considéré comme un factotum du préfet.
Cette évolution majeure s’accompagne, dans les années qui suivent, d’une série de circulaires et de décrets qui précisent, dans l’esprit de la charte municipale de 1884, les missions qui incombent aux municipalités pour la conservation et le développement des collections de livres.
Ces textes réglementaires témoignent d’une continuité dans l’intérêt porté au développement de l’instruction et des bibliothèques. Ils font suite au projet initié par la monarchie de Juillet de faire un inventaire précis des collections des bibliothèques communales et de mettre à profit ces fonds pour favoriser l’instruction du peuple. « Les bibliothèques furent considérées, du moins en théorie, comme partie intégrante de l’éducation, aidant à compléter l’instruction des citoyens au sortir de leur scolarité ; le regain d’intérêt pour les bibliothèques sous le règne de Louis-Philippe peut être considéré comme une reprise de l’action des révolutionnaires, qui avaient aussi souhaité mettre les bibliothèques au service de l’instruction et avaient voulu les rendre accessibles à tous » souligne l’historien des bi 109 -bliothèques Graham Barnett. L’ensemble de ces décrets vise la constitution de comités d’inspection et d’achat des bibliothèques dont la mission est de contrôler la bonne conservation par les communes des ouvrages appartenant à l’État, mais aussi de mettre en valeur les collections des villes. Or ces collections, héritées de l’ancien régimes, sont inadaptées par leur forme et par leur destination à un usage large. Outre que les sujets des ouvrages ne couvrent pas les besoins de formation de la population, les livres sont souvent écrits en latin, en grec, et rares sont ceux qui peuvent les déchiffrer. Si l’État sous Louis Philippe envisage une enrichissement des collections, il ne précise pas qui aura la charge d’acquérir les nouveaux ouvrages. Ainsi, l’ordonnance royale du 22 février 1839 précise dans son article 38.

Fernand Bournon, archiviste-bibliothécaire

Parallèlement à la prise en compte des bibliothèques publiques par le législateur, les Instructions relatives à la conservation et à la mise en ordre des archives des communes du 16 juin 1842 et les Instructions pour le classement et l’inventaire sommaire des archives communales antérieures à 1790du 25 août 1857 définissent le cadre général de conservation des archives des communes et donnent des instructions précises sur l’organisation de leur classement. Dans une ville comme Saint-Denis, dont la démographie a connu un accroissement considérable pendant le XIXe siècle, la question est particulièrement sensible : en plus d’assurer le classement et la conservation des archives anciennes héritées des confiscations révolutionnaires, la municipalité doit aussi traiter une quantité toujours plus importante de documents récents en raison de sa croissance soutenue et du développement de son administration. C’est d’ailleurs pour assurer cette mission réglementaire que la ville fait appel à Fernand Bournon à partir de 1886.
Pourtant, en dépit de ce fait, c’est presque forcés que les élus de Saint-Denis font appel à un professionnel à partir de 1886. L’affaire commence avec une lettre de délation écrite par Etienne Bruel dans laquelle il dénonce à la préfecture de la Seine le vol de livres précieux issus de la bibliothèque ancienne . Le scandale n’en est pas un : les livres ont été empruntés à la va-vite, pour des raisons professionnelles, en passant par un élu. Le responsable reconnait publiquement son erreur et les livres empruntés sont restitués rapidement. Mais le préfet de la Seine, par l’intermédiaire de son directeur de cabinet, profite de cette affaire pour donner quelques conseils au maire de Saint-Denis en matière de conservation des précieux ouvrages et de « confier à un bibliothécaire la garde des précieux documents historiques conservés dans la bibliothèque de Saint-Denis et de n’en donner communication que sur place, dans une salle surveillée, à des personnes munies d’autorisations spéciales . » La lettre revient par la suite sur la question d’une bibliothèque communale à Saint-Denis : « il est regrettable que la ville de Saint-Denis ne soit pas pourvue d’un bibliothèque communale publique, sur le modèle de celles qui existent dans tous les quartiers de Paris et dans presque toutes les communes du département ; je ne doute pas que la création d’un établissement de ce genre ne fût accueillie avec ferveur par la population si intelligente et si laborieuse de Saint-Denis, à laquelle il rendrait assurément de grands services. » C’est donc semble-t-il à la demande appuyée de la préfecture de la Seine que le conseil municipal de Saint-Denis a pris la décision de recruter un archiviste pour s’occuper des collections anciennes. Ce sera Fernand Bournon.
Né en octobre 1857, Fernand Bournon est un intellectuel engagé, un historien et un journaliste. Arrière petit-fils d’esclave, petit-fils d’un député de la Martinique sous la Seconde République, il grandit entre Paris et Blois, où son père, capitaine, est en garnison.
Admis à l’école des Chartes à l’occasion du concours du 13 novembre 1875, il en sort diplômé le 20 janvier 1879 en tant qu’archiviste-paléographe, avec une thèse remarquée sur l’Hôtel Royal de Saint-Pol. Nommé à Blois en 1879, il travaille au classement des archives tout en prenant rapidement une part active dans la vie locale. Il se distingue déjà par ses prises de positions et reproduit en 1882 « La misère dans le Blésois en 1664 » un rapport qui décrit la banalité de la famine à l’époque moderne sous un jour particulièrement cru . Cependant, impatient de retrouver Paris, son terrain d’études privilégié, Fernand Bournon accepte à partir de 1886 un poste d’archiviste à Saint-Denis qui le rapproche de la capitale. Sa force de travail considérable de lui permet, tout en travaillant pour la ville de Saint-Denis, de rédiger de nombreuses études sur l’histoire de Paris, comme une histoire de la Bastille pour laquelle il reçoit, en 1893, le prix Thérouanne de l’Académie Française . En 1896, il dirige la rédaction des Etats des communes, une somme de 70 monographies communale du département de la Seine compilant données historiques, géographiques, sociales et politiques. Ce travail reste à ce jour une source incontournable d’informations sur Paris et sa région à la Belle Époque. La nouvelle majorité municipale élu en 1896 met définitivement fin à son traitement, vraisemblablement en raison de sa proximité avec les édiles socialistes. C’est le dernier poste de Fernand Bournon en tant qu’archiviste. Il se consacre à partir de cette date à la collaboration commen-cée en 1894 avec le Journal des Débats Politiques et Littéraires. Pour le journal, il suit l’actualité de l’archéologie, rédige la chronique « Il y a cent ans » et continue à titre personnel ses recherches sur l’histoire de Paris . Volontiers vulgarisateur, Fernand Bournon est aussi un professionnel témoignant d’une conception engagée du rôle de l’historien dans la république. Signataire du manifeste des intellectuels en 1898, il participe en tant qu’expert au procès Zola, dans le cadre de l’affaire Dreyfus, au service d’un impératif de vérité . Mais à l’image de nombreux contemporains, Bournon restera, jusqu’à sa mort soudaine en 1909, un patriote profondément attaché à la mission que la République a assigné à l’histoire et aux historiens : celle d’édifier la nation en la légitimant par le passé.
Il semble que Fernand Bournon a été appelé pour classer les archives en remplacement de son confrère Cécile pendant la mandature Leroy. L’Hôtel de ville de Saint Denis récemment construit inclut une salle spécialement aménagée pour l’accueil des archives. Celles-ci étaient auparavant stockées dans les locaux de l’ancien Hôtel-Dieu, dans d’assez mauvaises conditions. Le bâtiment, menacé par la ruine, sera d’ailleurs démoli au tournant du nouveau siècle. La délibération du conseil municipal fait en outre mention de la déception des élus. Le décalage entre les efforts financiers consentis par la commune (près de 2 000 francs) et les résultats produits par Cécile est important. L’arrivée de Fernand Bournon semble donc attendue par les représentants élus de l’Hôtel de ville de Saint-Denis, soucieux d’afficher l’excellence de leur gestion administrative et de montrer à travers la conservation d’un patrimoine d’importance l’éminence de leur cité. Indemnisé par la commune à hauteur de 1 800 francs annuels, pour un travail ponctuel mais régulier de mise en ordre des archives, Fernand Bournon est recruté en 1886 . Il ne faut donc pas l’imaginer travaillant à la mairie à temps complet : de tels statuts n’existaient pas à cette époque pour les archivistes municipaux. Il est en outre accaparé par d’autres fonds dont il a la charge, ainsi que par ses travaux personnels de recherche historique. Il s’attelle à la tâche dans la foulée de la décision municipale et travaille pendant deux années consécutives ; par conséquent le bulletin officiel municipal faitpeu référence aux travaux de classement de l’archiviste avant 1889.

Vers une bibliothèque populaire publique : les débuts d’une administration municipale de la lecture

À l’été 1889, Eugène Rémy, un conseiller municipal radical, par ailleurs membre de la loge l’Union philanthropique, fait un important rapport à ses pairs sur l’ « état d’avancement d’un classement des archives de la ville ». Après des éloges sur les ouvrages entreposées depuis la Révolution « richesse scientifique », « petit trésor », il insiste sur l’intérêt politique de la mise en valeur d’un tel fonds pour la commune qui y trouverait l’occasion de « montrer sa vitalité ». Eugène Rémy souligne l’« urgence » à entreprendre ce chantier.
Les nombreuses interventions de Rémy en conseil municipal montrent un intérêt vif pour les objets se rattachant à la sphère culturelle : livres, histoire, archéologie, musée.
Mais son discours de 1889 porte l’empreinte évidente de Fernand Bournon, fin connaisseur du contexte législatif et des techniques de conservation en tant qu’archiviste-paléographe formé à l’Ecole des Chartes. Le rapport repose en effet sur une série de propositions qui constituent un vade mecum des démarches à entreprendre pour la transformation de la bibliothèque publique en bibliothèque populaire publique. Ce changement de statut est fondamental : il introduit la notion d’un service public de bibliothèque rendu à la population de Saint-Denis par l’administration de la commune. Il marque la naissance de la bibliothèque municipale.
Il existe en effet deux statuts différents pour les bibliothèques populaires. Celles dites libres trouvent leur origines et leur administration par des associations, c’est le statut des bibliothèques de la Ligue de l’Enseignement ou de l’Association philotechnique, tandis que les bibliothèques populaires publiques sont administrées par les communes. En terme de fonctionnement, les deux entités impliquent les mêmes contraintes sur le plan réglementaire et sont soumises aux mêmes inspections. Les mesures proposées comprennent : le vote annuel d’une somme au budget pour l’édition du catalogue et pour l’achat de livres ; la prise en charge du traitement de l’archiviste-bibliothécaire ; la constitution d’une commission de surveillance et d’achat qui contrôlera la probité des ouvrages ; l’agrément des crédits votés par l’administration préfectorale et la nomination des membres par mêmes arrêtés ; la transmission des différents actes au ministère de l’Instruction publique. En contrepartie de la réalisation de l’ensemble de ces conditions, l’État, via le ministère, reconnait dès lors l’existence légale de la bibliothèque et autorise le classement du dépôt littéraire comme bibliothèque publique. Ce statut permet de recevoir du public ; d’obtenir de la part de la préfecture et du ministère des dons d’ouvrages, issus de dépôts en double ou des expositions universelles ; de bénéficier de subventions du Conseil général.. Bibliothèque et politique Alors que dans les premières années le travail de Fernand Bournon s’est focalisé sur le classement du fonds ancien de la bibliothèque et les recherches nécessaire à l’édition de son histoire de Saint-Denis, son travail connait une inflexion sensible après l’élection d’une équipe socialiste-révolutionnaire à l’Hôtel de Ville. Sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude les convictions politiques de Fernand Bournon, sa production éditoriale dans le bulletin municipal officiel va croissant et son orientation politique, à défaut d’être ouvertement socialiste, fait néanmoins la part belle à la critique de la religion, au progrès social et au peuple de Saint-Denis.

Les Variétés de Fernand Bournon

En plus de son travail sur l’histoire de Saint-Denis, Fernand Bournon offre de publier régulièrement dans le bulletin officiel municipal des notices historiographiques sur l’histoire locale dans une rubrique intitulée Variétés. L’archiviste reprendra la forme expérimentée à Saint-Denis dans le Journal des Débats Politiques et Littéraires à partir de 1903, d’abord avec le même titre, puis en la nommantIl y a cent ans. Entre 1891 et 1896, Fernand Bournon va donc exploiter et trier les archives de la ville, compulser les ouvrages du dépôt littéraire pour en tirer des chroniques, parfois en plusieurs épisodes. Les Variétés ne sont pas de simples récits des grandes heures de Saint-Denis, une histoire des monuments ou des institutions de la cité. Dès les premières publications et à l’instar de son manuel d’histoire municipale, Fernand Bournon y affirme la communauté de destin des Dionysiens, l’unité du corps municipal. La plupart des chroniques est introduite par des propos cherchant une mise en perspective avec les enjeux politiques, géographiques, locaux mais aussi nationaux auxquels est confrontée Saint-Denis vers 1890.
Si, entre 1889 et 1891, les publications des Variétés sont plutôt épisodiques (6 parutions, toutes pendant l’année 1891), elles se font plus nombreuses par la suite : 7 pour l’année 1892, 14 pour 1893, 8 pour 1894, 16 en 1895 et 9 en 1896). Plutôt que de chercher à épouser les tendances des majorités politiques instables qui contrôlent successivement la ville, l’archiviste opte manifestement pour une optique plus large, à la fois républicaine, progressiste et optimiste, à l’image de sa trajectoire personnelle. Publiées dans le bulletin municipal, elles d’adressent en premier lieu aux lecteurs instruits, aux classes moyennes et supérieures que les comptes rendus des débats de la ville intéressent. Le peuple de Saint-Denis en est le protagoniste principal mais pas le destinataire

Fernand Bournon, un « intellectuel » en banlieue

Dans les chroniques de Fernand Bournon, une place centrale est accordée au tournant révolutionnaire. 1789 sépare deux temps, deux logiques que tout semble opposer. Indifférent aux importantes continuités qui relient XVIIIeet XIXe siècles, Fernand Bournon décrit un temps d’ancien régime, archaïque, injuste, limitant, pour mieux faire saisir la période de progrès économique et social entamé par la victoire de la bourgeoisie sur la noblesse et l’essor du capitalisme industriel. Le fait de faire situer les origines de la municipalité de Saint-Denis en 1789 obéit à une logique à la fois savante et politique. Politique parce qu’en établissant une filiation entre les républiques, elle contribue à légitimer le nouveau régime. Savante par qu’elle défend il s’agit d’une nouveauté – l’expertise de l’analyse de l’historien pour produire, à partir des sources d’archives, une vérité scientifique. Cette démarche, initiée dans les années 1870, est décrite par Christophe Charle dans Naissance des intellectuels et trouve son origine dans les évènements de 1871 . Dernier avatar des vives tensions internes de la société française, le sens donné à la Commune, et plus largement, le sens de l’évolution politique de la France de 1789 à 1871 oppose en effet trois camps : la tentation monarchiste, le parti républicain et les socialistes révolutionnaires.
Traumatisé par l’insurrection parisienne, Hippolyte Taine, que Gérard Noiriel décrit comme un des derniers « hommes complets » à la fois savant, homme politique et journaliste, commence en 1875 la rédaction de son livre Les origines de la France contemporaine. Taine y attaque l’héritage révolutionnaire dans une perspective naturaliste et conservatrice. Il y affirme la quasi éternité de l’esprit français, dénonce la violence populaire, l’impréparation des pauvres à assumer la charge politique nouvelle de la conduite de l’Etat et la volonté de revanche qui déboucheront, de manière presque téléologique, sur la Terreur mais aussi sur le drame de 1871. Ce discours séduit en priorité les anciennes élites, autrefois favorisées par le suffrage censitaire, et dont le pouvoir de décision se trouve de fait largement amoindri par les réformes électorales républicaines des années 1880.
Presqu’en symétrie, l’élargissement du corps électoral permet aussi aux partis situés les plus à gauche d’incarner politiquement des revendications ouvrières restées jusque là sans possibilités politiques d’expression démocratique. Or celles-ci se réclament largement d’une tradition basée sur la république sociale, sur le fait que la Révolution, confisquée par les élites bourgeoises, n’a pas été menée à son terme. Ce courant assume une politique partisane de soutien aux plus faibles, dût-elle passer par des formes de contestation violente comme l’épisode communard. Ce courant est exacerbé par le contexte de la Grande Dépression qui touche en priorité les ouvriers les moins qualifiés, comme ceux de la grande industrie qu’on rencontre précisément à Saint-Denis.

Fernand Bournon bibliothécaire

À son arrivée, Fernand Bournon se voit assigner la mission d’éditer un catalogue de la bibliothèque. Permettant de « passer de la collection d’objets au signe irrécusable de la condition scientifique , le catalogue est la trace tangible du travail de classement mené par le professionnel. Il conditionne le classement par le ministère de l’instruction publique de la bibliothèque comme bibliothèque municipale. Il ouvre également le droit de recevoir des dons du ministère et de la préfecture de la Seine, donc d’enrichir facilement les collections dans un contexte financier toujours difficile pour les communes. Le catalogue est terminé en 1893 . Il est publié l’année suivante . Ce document, dont la préface nous donne de précieuses indications sur les intentions des élus, nous renseigne aussi sur la nature des ouvrages acquis à cette période et sur le public auxquels ils étaient destinés.
La volonté municipale est très claire : « La bibliothèque de l’Hôtel de Ville va être prochainement ouverte au public » écrit Bournon. S’il souligne la relative stagnation du fonds au cours du siècle qui s’achève, c’est pour mieux annoncer la rupture avec l’ancien ordre des choses : « […] jusqu’à ce que l’administration municipale alors en fonction obtint du Conseil le vote d’un crédit annuel de 1 000 francs pour acquisition de livres et de frais de reliure, grâce auquel on put rajeunir, moderniser en quelque sorte, le fonds ancien ».
Pour ce qui est de la sélection des ouvrages, « […] on s’est toujours préoccupé de choisir des ouvrages d’un caractère très général, encyclopédique et autant que possible en rapport avec les tendances de la population appelée à les consulter », précise Fernand Bournon. Présenté par « facultés », reprenant la classification proposée par le Ministère de l’Instruction publique, il est facile de repérer dans le catalogue les nouvelles acquisitions . Parmi les livres achetés grâce à la dotation, on trouve une importante quantité d’ouvrages d’histoire locale, régionale ou nationale, des livres de littérature classique ; de géographie et de voyage ; de sciences et de sciences appliquées à l’industrie, ainsi que quatre livres d’art ou de musique. La nature des ouvrages achetés par la municipalité invite à plusieurs remarques. Les ouvrages sont en tout point conformes aux recommandations de la commission des bibliothèques populaires. Il ne s’agit pas là de livres grand public, mais bien plutôt d’ouvrages sérieux, faisant autorité, à destination d’un public instruit ou qu’on cherche à instruire par son contact avec la grande littérature. L’historien Christophe Granger constate : « les goûts populaires vont en particulier aux explorations, grandes pourvoyeuses des frissons coloniaux, aux actualités, aux découvertes scientifiques et à l’inépuisable fonds des conseils pratiques (hygiène, plantes médicinales, etc. ) ». Les romans sont rares, à peine y trouve-t-on un Fenimore Cooper ou un Walter Scott, contrairement à ce qui est pratiqué dans les bibliothèques populaires. Les fictions romanesques représentent en effet en 1901 près de 40 % du fonds de la bibliothèque de l’Association Philotechnique et60 % du fonds de la Ligue dionysienne de l’Enseignement Laïc . La volonté municipale d’ouverture au public doit être ici relativisée. Elle s’appuie sur une conception de la culture que Sylvie Rab définit dans sa thèse comme « une volonté philanthropique d’aider le peuple à se hisser jusqu’aux formes prétendues supérieures de la culture » plutôt que comme une pratique d’appropriation par les classes populaires de connaissances accaparées par les classes supérieures.

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Table des matières

Introduction 
1886 – 1901: naissance de la bibliothèque municipale de Saint-Denis 
Chapitre 1 : Saint-Denis aux débuts de la IIIe République 
1. Saint-Denis, une centralité historique, économique, et administrative de la Seine banlieue
2. Un creuset de l’idéologie républicaine
3. Le rôle de la presse et la prise de conscience d’une appartenance à la banlieue
Chapitre 2. L’instruction populaire à Saint-Denis : de « la moralisation par la science » à « l’autonomie ouvrière » 
1. Le développement des mouvements d’éducation populaire
2. L’éducation : une priorité municipale de Saint-Denis
3. Les sociétés d’éducation populaire à Saint-Denis
4. Les cours de la Bourse du Travail : « instruire pour révolter » ?
Chapitre 3. Bibliothèque et affirmation municipale 
1. Du dépôt littéraire à la bibliothèque communale, 1790 – 1889
2. Fernand Bournon, archiviste-bibliothécaire
3. Vers une bibliothèque populaire publique : les débuts d’une administration municipale de la lecture
4. Une histoire municipale de Saint-Denis ?
Chapitre 4. Bibliothèque et politique 
1. Les Variétés de Fernand Bournon
2. Fernand Bournon, un « intellectuel » en banlieue
3. Les Variétés et la politique municipale : une fonction de mise en perspective
4. Fernand Bournon bibliothécaire
5. L’après Fernand Bournon
Conclusion
Partie 2. 1900-1914 : l’histoire lue et l’histoire vue : vers une politique municipale de la culture à Saint-Denis 
Chapitre 1. 1900-1904 : la mandature Thivet-Hanctin, un âge d’or des sociétés d’éducation populaire ? 
1. L’ouverture au public des collections municipales : des murs, un bibliothécaire et un catalogue
2. La naissance d’un musée local
3. Assistance, éducation et patrimoine : les ambitions de la municipalité de Saint-Denis
Chapitre 2. 1904-1912 : la culture au caveau ? Les mandatures d’Alexandre Adam 
1. « Des livres qui s’imposent » : la lecture et les milieux catholiques à la Belle Époque
2. Le patrimoine en question
3. « L’interruption de la vie publique » du musée et de la bibliothèque
Chapitre 3. 1912-1914 : Gaston Philippe et le socialisme municipal 
1. La lecture et l’histoire comme outils sociaux d’émancipation : le projet socialiste
2. La mandature socialiste de 1912 : un tournant décisif pour les institutions culturelles municipales?
3. Le catalogue de 1914 : un bilan de 30 ans de politique municipale de la lecture ?
Conclusion
Partie 3. 1919-1935 : le musée-bibliothèque de Saint-Denis, un laboratoire des politiques culturelles municipales ? 
Chapitre 1. La construction d’un service municipal de la lecture 
1. Le Parti communiste et la lecture
2. André Barroux : l’homme et l’œuvre
3. Naissance d’un service public de la lecture : 1923-1925
Chapitre 2. Le musée-bibliothèque : état des lieux d’une institution pionnière 
1. « Une formule vraiment moderne » : modernisation et professionnalisation de la bibliothèque
2.« Aller au devant des lecteurs »
3. Le musée-bibliothèque : un outil de propagande ?
Chapitre 3. L’exposition sur la Commune de Paris 
1. L’exposition : objet politique ou objet scientifique ?
2. 1871 – 1935 : Paris et les stigmates de la Commune
3. L’exposition et le contexte de Saint-Denis
4. Après l’exposition de 1935
Conclusion 
Conclusion générale 
Annexes 
Bibliographie et sources 

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