Rupture et fusion d’un cristal bidimensionnel

Quelques exemples de cristaux bidimensionnels

   La plupart des cristaux bidimensionnels sont formés à la surface d’un liquide ou d’un cristal. Les systèmes cristallins qualifiés de cristaux bidimensionnels peuvent être réduits en deux groupes inégaux. Le premier groupe est constitué de cristaux bidimensionnels dont les propriétés sont affectées par le substrat (base tridimensionnelle). Ces solides 2D, ayant pour substrat une structure cristalline, sont eux-mêmes divisées en deux catégories. La première rassemble les structures commensurables, c’est-à-dire dont la périodicité du réseau 2D est multiple de celle du substrat ; la seconde est composée des structures incommensurables avec au moins une période non multiple de celle du substrat. Les atomes adsorbés à la surface d’un substrat cristallin (adatomes), en une ou plusieurs couches d’un système ordonné, constituent un exemple d’une telle structure affectée par une base tridimensionnelle [8,9]. Le second groupe est constitué des cristaux bidimensionnels dont les propriétés de corrélation ne sont pas influencées par le substrat ou bien des cristaux qualifiés de « libres ». Les films de Langmuir, constitués d’une couche de molécules amphiphiles insolubles à la surface d’un liquide, constituent un cas où le substrat n’exerce aucune périodicité sur le système bidimensionnel. Un exemple moins évident, caractéristique d’un cristal bidimensionnel « libre », est un réseau d’électrons, piégés à une hauteur de l’ordre de 100 Å au dessus d’une surface d’ hélium liquide, et correspondant à la cristallisation de Wigner. Cette possibilité de cristallisation est reliée aux propriétés uniques de l’hélium liquide [5]. Un autre exemple de cristal bidimensionnel est un film smectique d’un cristal-liquide, de quelques molécules d’épaisseur, suspendu librement dans un cadre, comme un film de savon ; les molécules du cristal-liquide forme un réseau hexagonal dans un film plan qui fond lorsque la température augmente. L’existence d’un module de cisaillement de valeur finie a été prouvée expérimentalement dans ces films smectique par Moncton et al. [10] dans les années soixante dix (de telles mesures d’élasticité caractérisant une structure cristalline ont été aussi révélées dans les films d’acide gras insolubles constituant les films de Langmuir présentés dans le chapitre II et qui sont le lieu des études des chapitres III et IV).

Elasticité et plasticité

   Considérons un corps solide en l’absence totale de toutes forces extérieures. Dans ce corps, non déformé, l’arrangement des molécules correspond à son état d’équilibre thermodynamique. Si l’on s’intéresse à un volume quelconque intérieur au corps en question, la somme des forces qui s’exercent sur ce volume, de la part des autres parties, est nulle. En appliquant maintenant une force extérieure à ce solide, celui-ci subit une déformation entraînant un changement plus ou moins grand de son volume et de sa forme. Cette déformation est dictée par la modification des positions relatives des éléments du solide. Celui-ci se trouve alors écarté de son état d’équilibre initial, ce qui a pour conséquence l’apparition de forces qui tendent à le faire revenir dans son état primitif. Ces force internes qui sont le résultat de la déformation, sont les contraintes internes. Celles-ci sont dues aux interactions des molécules du corps entre elles. Cette déformation est qualifiée de réversible si elle disparaît lorsque l’on  supprime la force externe. Cette réversibilité correspond à l’élasticité en mécanique. Aux faibles déformations, on a alors une relation linéaire entre la contrainte et la déformation, ce qui correspond à la droite OA sur la figure I.2; si la force externe est supprimée, le retour à l’état initial du solide s’effectue selon la même droite OA. Cette linéarité entre la contrainte et la déformation constitue la loi de Hooke [11] qui sera précisée dans le paragraphe I.2.b.i . Au-delà d’une certaine limite, appelée seuil élastique, la déformation devient irréversible et la relation entre contrainte et déformation est non linéaire. Nous rentrons alors dans le régime plastique (courbe AB). La suppression de la contrainte extérieure ne conduit pas à un état final identique à l’état initial. Une baisse de la rigidité est observée (marquée par une pente BC plus faible que OA). L’écart OC du diagramme correspond à l’existence d’une déformation résiduelle.

Modèle de Barenblatt

  Une approche différente a été donnée par Barenblatt pour caractériser une fissure [19,15]. Nous avons vu précédemment que le modèle purement élastique prédisait, à la pointe d’une fissure, l’existence de contraintes infinies auxquelles le solide ne peut résister. Prenant acte de ce fait, Barenblatt a considéré un milieu infini contenant une fissure soumise au même type de contrainte que celle décrite à la figure I.12-a, et a émis l’hypothèse que la ligne de cette fissure était divisée en deux parties distinctes (figure I.13). Dans la région interne (1), les lèvres constituant la fissure sont assez éloignées pour ne pas entrer en interactions. Par contre, dans la région (2) c’est-à-dire en amont de la pointe de la fissure, il existe une « zone de transition » en cours de rupture le long de laquelle interagissent les deux bords de la fissure. Les forces de cohésion existant dans cette zone s’annulent lorsque l’écartement atteint une valeur limite δ (figure I.13). Le comportement du matériau est toujours supposé élastique sauf en ce qui concerne l’existence des forces de cohésion, c’est-à-dire la zone (2). Un calcul qui ne sera pas explicité ici permet d’obtenir la longueur l de la zone de transition en fonction de la contrainte appliquée au matériau et de δ. Typiquement, δ est de l’ordre de 1,5 à 2 fois la distance interatomique du matériau.

Transition du premier ordre ou transitions continues ?

   Selon Kosterlitz et Thouless, la fusion peut donc résulter de deux transitions du second ordre qui délimitent une zone de stabilité d’une phase hexatique. L’existence de la phase hexatique a généré de nombreuses controverses résultant d’études expérimentales ou de simulations numériques. Cette théorie n’exclut cependant pas l’éventualité où Tm=Ti , la transition étant alors du premier ordre (indétermination notée par Nelson et Halperin [3]). Notons d’autre part, qu’un résultat essentiel donné par cette théorie, est la valeur critique du module d’Young E2D (T m ) (expression I.26) au-dessus de la laquelle une phase solide bidimensionnelle peut-être définie. Les deux aspects de la fusion 2D sont mis en évidence sur le diagramme de phase pression-température représenté sur la figure I.16. Ce diagramme a été obtenu pour un système de molécules à symétrie de révolution dans un potentiel attractif. La fusion par une transition du premier ordre (traits épais) est en accord avec une simulation effectuée sur un modèle de disques durs pour les fortes pressions [25]. Il existe beaucoup d’autres diagrammes de phase possibles, ne faisant pas appel aux transitions du second ordre.

Elasticité des films de Langmuir

   La rhéologie des monocouches a été l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années du fait des nombreuses applications qui peuvent en découler: étude des mousses, stabilité des émulsions, déposition des films de LangmuirBlodgett, entre autres. Compte tenu de la résistance qu’exerce une monocouche en réponse à des déformations de surface de différents types, l’étude de la viscosité et de l’élasticité des films monomoléculaire a pris différentes formes. L’élasticité des couches solides qui intéressent ici se caractérise par des paramètres élastiques tels que les coefficient de Lamé présentés dans le chapitre I. Récemment, trois méthodes ont été utilisées pour connaître le module de cisaillement d’une monocouche de Langmuir. La première méthode, due à Abraham et al. [11,12], a permis de mesurer un coefficient de cisaillement d’une phase solide, a priori homogène, d’acide stéarique en enregistrant le couple nécessaire pour maintenir à l’équilibre le système en torsion: les valeurs typiques obtenues sont de l’ordre de 10-3mN/m à pH acide. L’inconvénient est que l’on ne sait pas si le module de cisaillement mesuré correspond à un solide homogène ou à un ensemble de cristallites séparés par du liquide. La deuxième mesure, que nous allons détailler dans la suite, a été effectuée par H. Bercegol et al. [13] sur un bâtonnet de phase solide d’une monocouche d’acide NBD-stéarique. La mesure du module d’Young E de la phase solide donne une valeur de l’ordre de 3660 mN/m à pH acide, ce qui est sans doute le premier paramètre élastique déterminé précisément dans un film monomoléculaire. D’autre part, rappelons que dans le cas isotrope, le module de cisaillement µ vérifie µ>E/4 (voir expression I.16), ce qui est beaucoup plus grand que la valeur donnée ci-dessus. Une troisième méthode, effectuée récemment par B. Berge et al. [14], a permis de déterminer les modules d’élasticité d’une monocouche de decanol à l’interface eau-air, utilisant la diffraction de rayons X d’un faisceau suffisamment puissant à l’E.S.R.F. (European Synchrotron Radiation Facilities, Grenoble). Etudiant en effet la forme (décroissance des « ailes ») des pics de Bragg, il est possible de remonter aux coefficients de Lamé et au module de compression de la monocouche. Cette méthode donne un module d’Young, pour la monocouche de decanol, du même ordre de grandeur que celui obtenu pour les cristaux d’acide NBD-stéarique.

Remarque sur les fibres de verre utilisées comme points d’appui

   Si les fibres de verre ne sont pas rigoureusement perpendiculaires au plan de la monocouche, il existe des forces capillaires résiduelles qui ne perturbent cependant pas le système car les fibres courtes ne fléchissent pas. D’autre part, les observations sur une lame de verre silanisée montrent que l’angle de contact est d’environ 90 degrés quand on plonge la lame vers le bas (avancée du liquide) et est plutôt de 60-70 degrés quand on lève la lame (recul du liquide). Ce procédé s’est avéré très efficace pour ajuster l’angle de mouillage et donc s’affranchir des ménisques sur les fibres de verre utilisées comme points d’appui de la flexion.

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Table des matières

Introduction
Chapitre I
I.1- Etat solide bidimensionnel
I.1.a- Ordre en dimension deux
I.1.a.i- Caractérisation des états de la matière
I.1.a.ii- Ordre à quasi-longue portée
I.1.a.iii- Ordre orientationnel
I.1.b- Quelques exemples de cristaux bidimensionnels
I.2- Eléments d’élasticité d’un solide
I.2.a- Elasticité et plasticité
I.2.b- Déformation réversible
I.2.b.i- Eléments d’élasticité 2D dans le cas isotrope
I.2.b.ii- Cas anisotrope
I.2.c- Application à la flexion d’une barre « mince »
I.2.c.i- Eléments de Résistance des Matériaux appliqués à la flexion
I.2.c.ii- Champ des contraintes dans une barre fléchie
I.2.c.iii- Déformée d’un solide fléchi
I.3- Rupture
I.3.a- Rupture fragile
I.3.b- Mécanique de la rupture
I.3.b.i- Généralités sur les fissures
I.3.b.iii- Critère de Griffith
I.3.b.iv- Paramètres influents la rupture fragile
I.4- Fusion d’un cristal bidimensionnel
I.4.a- Réseau harmonique et rôle des défauts dans la fusion 2D
I.4.b- Mécanisme de fusion lié aux dislocations
I.4.c- Transition du premier ordre ou transitions continues ?
I.4.d- Systèmes anisotropes
Chapitre II
II.1- Généralités sur les molécules amphiphiles
II.2- Les couches de Langmuir à l’interface eau-air
II.2.a- Formation des films de Langmuir
II.2.b- Propriétés thermodynamiques des films de Langmuir
II.2.b.i- Grandeurs thermodynamiques
II.2.b.ii- Isotherme
II.2.c- Films de Langmuir et physique en dimension deux
II.2.d- Caractérisation non thermodynamique : quelques techniques d’études à différentes échelles
II.2.d.i- Echelle nanoscopique
II.2.d.ii- Echelle microscopique
II.2.d.ii- Elasticité des films de Langmuir
II.3- Le système étudié
II.3.a- Propriétés physico-chimiques de la molécule étudiée
II.3.a.i- La molécule d’acide NBD-stéarique
II.3.a.ii- Fabrication d’une monocouche
II.3.a.iii- Caractérisation par des méthodes spectrométriques
II.3.a.iv- Isothermes et observations
II.3.b- Propriétés connues des cristaux d’acide NBD-stéarique
II.3.b.i- Morphologie
II.3.b.ii- Propriétés élastiques
II.3.b.iii- Modèles moléculaires
II.3.c- Aspect expérimental
II.3.c.i- Matériel utilisé
II.3.c.ii- Observation de la monocouche
II.3.c.iii- Observation par microscopie de fluorescence
Chapitre III
III.1- Introduction
III.2- Procédure expérimentale
III.2.a- But à atteindre
III.2.b- Montage utilisé
III.2.c- Collage des fibres de verre
III.3- Résultats expérimentaux
III.3.a- Préparation de la mesure
III.3.a.i- Fabrication des cristaux
III.3.a.ii- Capture et flexion d’un cristal
III.3.a.iii- Déformation appliquée
III.3.b- Etude du temps de rupture des cristaux
III.3.b.i- Faibles contraintes
III.3.b.ii- Fortes contraintes
III.3.b.iii- Temps de rupture fonction de la déformation
III.3.b.iv- Mémoire de la déformation
III.3.b.v- Dépendance du temps de rupture avec la température
III.3.b.vi- Flexion à 4 points
III.4- Interprétations des résultats
III.4.a- Une interprétation possible : nucléation de fissures
III.4.b- Comparaison avec la rupture à trois dimensions
III.4.c- Recherche d’une approche pour interpréter la rupture
instantanée
III.5- Conclusion
Chapitre IV
IV.1- Observation de la fusion d’un cristal 2D
IV.1.a- Trois processus distincts conduisant à la fusion
IV.1.a.i- Fusion du solide par décompression de la monocouche
IV.1.a.ii- Fusion par élévation de la température de la monocouche
IV.1.a.iii- Effets de l’éclairage sur la structure solide
IV.1.b- Position du problème et buts de l’étude
IV.2- Effets de la lumière bleue sur le cristal
IV.2.a- Caractérisation du problème
IV.2.a.i- Remarques préliminaires
IV.2.a.ii- Fusion par éclairage et mécanisme thermique
IV.2.b- Interaction lumière-solide
IV.2.b.i- Relaxation d’une excitation lumineuse
IV.2.b.ii- Recouvrement de la fluorescence
IV.2.b.iii- Rôle de l’oxygène dans la fusion par illumination
IV.2.b.iv- Modèle lié à un processus photochimique
IV.2.b.v- Réaction photochimique possible
IV.3- Rôle des défauts dans la fusion du cristal
IV.3.a- Fusion d’un joint de grains
IV.3.b- Fusion photochimique du cristal sous contrainte
IV.3.b.i- Observations
IV.3.b.ii- Comparaison avec la fusion thermodynamique
IV.3.b.iii- Fusion localisée dans un cristal déformé
IV.3.b.iv- Mise en évidence de la migration de défauts
IV.3.b.v- Une explication basée sur la migration de dislocations
IV.4- Propriétés des bords du cristal
IV.4.a- Propriétés
IV.4.b- Possibilité de diffusion de défauts dans le cristal
IV.4.c- Fusion dans un cristal bidimensionnel d’un autre amphiphile
IV.5- Conclusion
Conclusion générale

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