Révéler la chimie des préparations antiques, à usage cosmétique ou médical, impliquant des sels de métaux lourds

Dans l’Antiquité romaine, les oculistes, médecins spécialisés dans le soin des yeux, utilisaient des collyres composés de substances d’origine minérale, végétale et parfois animale. Il s’agissait de médicaments solides, souvent estampillés avec des renseignements sur le médecin et le médicament qui sont parfois retrouvés en contexte archéologique.

Cette thèse a pour objectif de révéler la composition chimique et les structures des phases inorganiques, ainsi que les procédés de fabrication de ces collyres. Cette recherche est développée en chimie mais elle s’inscrit plus largement dans un projet interdisciplinaire à l’interface entre chimie et histoire de la médecine. Elle résulte de la collaboration de deux laboratoires de l’Université Pierre et Marie Curie Paris 6 et du CNRS : le laboratoire « de la Molécule aux Nano-Objets : Réactivité, Interactions et Spectroscopies » (MONARIS, UMR 8233) et le Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale (LAMS, UMR 8220). Ce travail de recherche s’articule autour de trois axes principaux : l’étude des textes antiques décrivant les collyres, la réplication de certains procédés de préparation des constituants mentionnés dans ces textes et l’analyse physico-chimique non-invasive de collections archéologiques de collyres.

Histoire de la médecine antique

La médecine égyptienne

Développement de la médecine et des savoir-faire chimiques

L’histoire égyptienne est riche en témoignages sur la pratique de la médecine. Les campagnes de fouilles archéologiques en Egypte ont mis au jour des papyrus, des épitaphes et de simples inscriptions consacrés à la médecine et à ses praticiens. Dans l’Antiquité égyptienne, la médecine s’associait parfois à la magie. Les praticiens exerçaient en même temps les fonctions de médecins, de sages et de prêtres. L’apaisement de l’esprit accompagnait la guérison du corps selon le principe de la médecine allopathique (Schuster, 2014). Il ne s’agissait pas d’une médecine de charlatans et de médicastres, bien au contraire. Moins connue que la médecine grecque, la médecine égyptienne englobait des connaissances à la fois théoriques et pratiques. Les médecins égyptiens maîtrisaient déjà différentes spécialités telles que la chirurgie, la gynécologie et l’ophtalmologie. De toutes les pratiques égyptiennes liées au corps, la momification reste à ce jour la plus connue. Bien sûr, il n’existait pas un seul et unique procédé de momification. Le développement de cette technique de conservation des morts s’est étalé sur trois millénaires d’histoire pharaonique. Cependant, quelle que fut la méthode employée, l’objectif restait le même : lutter contre la putréfaction du corps du défunt et pour le préserver à long terme. Arriver à maîtriser l’art de la momification requérait des connaissances en anatomie et en chimie. Vernus décrit les différentes étapes dans son Dictionnaire amoureux de l’Egypte pharaonique (Vernus, 2009). Les parties les plus putrescibles étaient extraites du corps pour faciliter sa conservation. Venait ensuite le procédé de dessiccation du corps par contact avec du natron sec à plusieurs reprises. Le natron correspond à un mélange de carbonate et de bicarbonate de sodium parfois associé à du sulfate de sodium. Sa composition exacte dépend des gisements d’extraction. Ses vertus étaient d’abord testées sur des cadavres d’animaux avant d’être utilisées sur des corps humains. L’embaumement se poursuivait par l’application d’onguents et d’huiles parfumés, de myrrhe, de poix et de résines. Enfin, les prêtres enroulaient le corps dans de fines bandelettes afin qu’il conserve son intégralité. La momification ne constituait pas seulement un simple rituel d’aide au passage vers le royaume des morts, elle illustrait également les savoirs scientifiques et techniques maîtrisés par les Egyptiens dans l’Antiquité. La momie était disposée dans un tombeau en présence de tous les objets dont elle aurait besoin dans l’au-delà. Ainsi, les archéologues ont découvert dans ces contextes funéraires de nombreux flacons à parfums, des cosmétiques, des onguents ou des médicaments. Martinetto et al. ont analysé le contenu de plusieurs de ces flacons vieux de 3200 à 4000 ans et conservés au Musée du Louvre (Martinetto P., 2000 ; Martinetto P. et al., 2003). Dans ces études du sulfure de plomb noir (appelé galène) et de la cérusite (un carbonate de plomb blanc) ont été identifiés dans la majorité des cas. L’usage de ces composés était commun dans l’Antiquité, en particulier pour les cosmétiques. Mais les analyses effectuées ont révélé la présence de deux autres composés : la laurionite (PbOHCl) et la phosgénite (Pb2Cl2CO3). La rareté de ces composés à l’état naturel rend leur usage peu commun. Les flacons étant toujours scellés etintacts lors de leur découverte, l’hypothèse d’une  transformation chimique au cours du temps a été exclue. Walter et al. ont donc conclu qu’il s’agissait de produits synthétiques (Walter et al., 1999). A l’époque romaine, les textes nous expliquent que ces composés étaient synthétisés à partir des déchets miniers issus de l’extraction de l’argent comprenant principalement d’oxyde de plomb (PbO). En présence de sel marin, source de chlorure, l’oxyde de plomb se transforme en laurionite si le pH de la solution reste neutre. Il était donc nécessaire de contrôler le pH de la réaction, à l’évidence par des changements d’eau réguliers. Lorsque l’eau réactionnelle contenait à la fois du sel marin et des carbonates, une partie de la réaction conduisait à la synthèse de la phosgénite. Cette étude a permis d’établir que les Anciens, en chimistes expérimentés, accomplissaient des synthèses avec un contrôle approximatif du pH.

Ce savoir-faire se retrouve dans les écrits médicaux antiques. Le papyrus Ebers est l’un des plus anciens textes médicaux qui nous soient parvenu et surtout le plus complet. Il daterait du XVIe siècle avant notre ère. Il s’intéresse à un très grand nombre de maladies et regroupe les traitements recommandés (Bardinet, 1995). Traduit au XIXe siècle par l’allemand Georg Moritz Ebers, il contient des savoirs médicaux égyptiens en gynécologie, gastro-entérologie, chirurgie et ophtalmologie. Le grand nombre de maladies oculaires sévissant en Egypte à cette époque ont conduit à considérer l’ophtalmologie comme une spécialité médicale. Elle occupe une place prépondérante dans le papyrus Ebers. Nous nous focaliserons sur cette branche de la médecine dans l’ensemble de ce travail.

Attention particulière au soin des yeux

D’après la légende, Horus, fils d’Isis et d’Osiris, menait un combat contre son oncle Seth pour venger l’assassinat de son père et régner sur la Terre d’Egypte. Lors de ce combat, Seth lui arracha l’œil gauche, puis le découpa en plusieurs morceaux. Thot, dieu de la sagesse, de l’écriture et de la médecine, rassembla les morceaux et grâce à ses pouvoirs rendit au dieu faucon son intégrité originelle. Le mythe d’Horus, et en particulier la guérison de son œil, était à l’origine de nombreuses croyances et symboles. Cet œil se nommait oudjat ce qui signifie « qui est dans l’intégrité de ses capacités » (Vernus, 2009). Il était représenté par un œil humain cerné de khôl et entouré des marques oculaires du faucon. Il est l’un des symboles les plus présents dans la civilisation égyptienne antique (figure I-1).

L’oudjat avait une fonction magique et protectrice (Reboul, 1994). Il défendait notamment son porteur contre les maladies oculaires. Les Égyptiens l’utilisaient également pour indiquer les fractions du héqat, unité de mesure volumique utilisée pour quantifier les céréales (Vernus, 2009). Chaque partie de l’oudjat correspondait à une fraction du héqat dont la somme équivaut à 4,785 litres. La découverte de nombreux instruments médicaux destinés au soin des yeux témoigne de la présence et de la nocuité des maladies oculaires de l’Antiquité égyptienne (Jackson, 2011). Le papyrus Ebers comporte une partie intitulée Traité des maladies des yeux. Les mesures de l’œil oudjat étaient souvent utilisées pour quantifier les différents ingrédients des remèdes décrits dans ce papyrus. Voici en exemple une recette du papyrus Ebers traduite par Thierry Bardinet (Bardinet, 1995) :

« Autre [remède], pour ouvrir la vue : galène (1/8) ; bois pourri (1/4) ; suc du baumier (1/4) ; ocre rouge (1/64) ; minéral-sia du Sud (1/64) ; oliban (1/64). [Ce] sera préparé en une masse homogène. Farder les yeux avec cela. » Papyrus Ebers, Eb. 377 (60, 163)

D’autres papyrus médicaux ne sont consacrés qu’aux maladies oculaires . Les oculistes égyptiens se nommaient sounoun irty. Les patronymes de plusieurs oculistes égyptiens nous sont même parvenus. Pepi-Ankh-Iry, par exemple, remplissait les fonctions de directeur et doyen des médecins royaux, d’ophtalmologiste du palais et de mage. Il exerçait ses talents il y a environ 4600 ans (Reboul, 1994).

Pour la fabrication des médicaments, la pharmacopée égyptienne utilisait des produits de diverses origines, minérale, végétale et animale. Les minéraux et les plantes étaient très largement utilisés. Parmi les ingrédients d’origine minérale, on retrouve très souvent des composés du plomb, principalement du plomb métallique, mais aussi de l’oxyde de plomb (PbO), de la galène (PbS) et de la céruse (PbCO3). Sont aussi mentionnés des composés de cuivre comme le sulfate de cuivre (CuSO4), le minerai de cuivre appelé sory, la malachite (Cu2CO3(OH)2) et les oxydes de cuivre (CuO et Cu2O). Les Egyptiens utilisaient également des composés de zinc comme la calamine. Il s’agit d’un minerai de carbonate et silicate de zinc dont la composition varie avec ses lieux d’extraction. Les papyrus médicaux citent d’autres minerais et d’autres sels métalliques : le sulfure d’arsenic (orpiment ou réalgar), l’alun, les oxydes de fer et le sel marin (Nielsen, 1987 ; Reboul, 1994). Enfin, les substances d’origine animale étaient aussi très présentes dans la pharmacopée égyptienne. Tous ces composés étaient broyés puis mélangés avec des substances grasses afin d’être appliqués plus aisément. Les préparations médicinales et cosmétiques ainsi faites se conservaient dans des flacons prévus à cet effet.

La médecine gréco-romaine

Culture de l’esthétisme

La culture greco-romaine, reposait sur le principe d’« un esprit sain dans un corps sain » (mens sana in corpore sano). L’activité physique faisait partie du quotidien des citoyens. La bonne santé était considérée comme un atout majeur dans l’esthétisme du corps. Cependant tout le monde ne venait pas au monde avec les mêmes atouts physiques. Ce que la médecine ne pouvait arranger, une de ses branches, la cosmétique tentait de le réparer. Le mot « cosmétique » provient du grec cosmèticon (κοσμητικóν) lui-même dérivé de cosmos (« l’ordre »). Il désignait la technique d’entretien de la beauté naturelle. La signification antique de ce terme diffère légèrement de son sens moderne. L’art de se farder était peu appréciable pour les philosophes et savants antiques. Ces derniers désignaient cet art sous l’appellation commôticon (κομμωτικóν) traduit par « commôtique » (Boudon-Millot, 2011). Galien de Pergame, médecin grec du IIe siècle de notre ère et praticien à Rome, nous explique la différence :

« Le but de la commôtique est de produire une beauté acquise, tandis que celui de la partie de la médecine dite cosmétique est de conserver tout ce qui est naturel dans le corps, d’où s’ensuit également la beauté naturelle. Il est de fait inconvenant de voir une tête souffrant d’alopécie, de même que des yeux dont les cils ou les poils des sourcils sont tombés, car ces poils ne contribuent pas seulement à la beauté, mais bien plus prioritairement à la santé des parties comme cela a été montré dans mon livre sur l’Utilité des parties […] User de médicaments pour rendre la peau du visage plus blanche ou plus rouge, les cheveux frisés, de couleur rousse ou noire, ou pour augmenter leur longueur comme le font les femmes, ces pratiques et d’autres semblables sont l’œuvre du vice commôtique et non de l’art médical. »

Galien, De comp. Med. Sec. loc, 1, 2, (K 12, 434,4-435,1), traduit par V. Boudon-Millot

Dans cet extrait, Galien décrit la commôtique comme un « vice », qui ne sert qu’à masquer et mentir. Comme Platon, il n’approuve pas l’utilisation d’artifices pour s’embellir. Grâce à la commôtique, l’individu triche pour produire une beauté factice. A l’opposé, la cosmétique ne fait que rendre sa beauté originelle à la personne. Galien présente la cosmétique comme un « art médical » qui a tout à fait légitime. En des termes plus modernes, la cosmèticon s’apparenterait à ce qu’on appelle aujourd’hui la « parapharmacie ». Ce domaine n’est pas considéré comme une spécialité médicale bien qu’il soit souvent associé à la pharmacie. La parapharmacie désigne « tous les produits d’hygiène et de soins autorisés à être vendus sans prescription médicale » .

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre I. Introduction au soin des yeux
I.1. Histoire de la médecine
I.1.1. La médecine égyptienne
I.1.1.1. Développement de la médecine et des savoir-faire chimiques
I.1.1.2. Attention particulière au soin des yeux
I.1.2. La médecine gréco-romaine
I.1.2.1. Culture de l’esthétisme
I.1.2.2. De la médecine générale aux médecines de spécialité
I.1.2.3. Symbolisme de l’œil et du regard
I.1.2.4. Le soin des yeux : religion, médication et chirurgie
I.2. Les médicaments ophtalmiques à l’époque romaine
I.2.1. Les collyres
I.2.1.1. Définition : de l’étymologie à l’usage du terme
I.2.1.2. Procédés de fabrication et utilisation des collyres antiques
I.2.1.3. L’estampillage des collyres
I.2.2. Textes et recettes antiques de collyres
I.2.2.1. La transmission du savoir antique
I.2.2.2. Auteurs étudiés
I.2.2.3. L’étude des recettes antiques : travail interdisciplinaire
I.2.2.4. Composition théorique des collyres antiques
I.2.2.5. Focus sur la partie inorganique des collyres
I.2.3. Inventaire des recettes antiques de collyres
I.2.4. Métaux lourds : thérapeutique et toxicité
I.2.4.1. Usage des métaux dans la pharmacie et la cosmétique
I.2.4.2. Le plomb : médicament ou poison ?
I.3. Les collyres retrouvés en contexte archéologique
I.3.1. Les collyres retrouvés en France
I.3.1.1. Les collyres de Lyon
I.3.1.2. Les collyres retrouvés à Reims
I.3.2. Les collyres retrouvés dans le reste du monde romain
I.3.2.1. Les collyres retrouvés à Viminacium (Serbie)
I.3.2.2. Le collyre conservé au Musée Romain-Germanique de Cologne (Allemagne)
I.3.2.3. Les collyres conservés au Musée National Atestino d’Este (Italie)
I.3.2.4. Pompéi : des collyres retrouvés ?
I.3.3. Accessibilité des collections muséales de collyres antiques
I.3.3.1. Collections étudiées
I.3.3.2. Contraintes des analyses muséales
Références bibliographiques du chapitre I
Liste des figures du chapitre I
Liste des tableaux du chapitre I
Chapitre II. Stratégie analytique et dispositifs expérimentaux
II.1. Introduction aux problématiques d’analyses d’objets du patrimoine culturel
II.1.1. Préciosité et complexité des objets muséaux
II.1.2. Développement de techniques non-invasives et non-destructives
II.1.3. Développement de techniques portables
II.2. Présentation des techniques analytiques mises en œuvre
II.2.1. Spectroscopie Raman
II.2.1.1. Principe
II.2.1.2. Instrumentation utilisée : spectroscopie Raman
II.2.1.3. Apports de la spectroscopie Raman à notre étude
II.2.2. Diffraction des rayons X couplée à la spectrométrie de fluorescence des rayons X
II.2.2.1. Principes
II.2.2.2. Instrumentation : XRF et XRD
II.2.2.3. Mise en forme et analyse des données XRD et XRF
II.3. Développement d’une méthode de quantification des phases minérales par XRD-XRF
II.3.1. Quantification des éléments
II.3.2. Combinaison des données XRF-XRD
Références bibliographiques du chapitre II
Liste des figures du chapitre II
Liste des tableaux du chapitre II
Chapitre III. Les réplications des systèmes chimiques inorganiques
III.1. Etude de la transformation thermique des sels de métaux
III.1.1. Transformation thermique des composés de zinc et de cuivre
III.1.1.1. Composés du cuivre
III.1.1.2. Composés du zinc
III.1.2. Transformation thermique des carbonates de plomb
III.1.2.1. Les carbonates de plomb : cérusite et hydrocérusite
III.1.2.2. Méthodologie suivie pour les traitements thermiques
III.1.2.3. Résultats
III.2. Stabilité des phases minérales
III.2.1. Simulation des systèmes chimiques supposés (MEDUSA)
III.2.2. Réplication en phase aqueuse des systèmes chimiques des phases minérales
III.2.2.1. Le vert-de-gris
III.2.3. Réplication des systèmes chimiques des collyres
Références bibliographiques du chapitre III
Liste des figures du chapitre III
Liste des tableaux du chapitre III
Conclusion générale

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