Représentation thermodynamique d’un milieu à deux phases en mouvement

Les ouvrages hydrauliques en terre, tels que les digues ou les barrages, sont assujettis à l’érosion (qualifiée de progressive), pouvant provoquer leur rupture complète. Suivant le phénomène responsable de l’initiation de l’érosion, qui va créer une brèche se développant dans le corps de l’ouvrage, on distingue une érosion externe et une interne à l’ouvrage. Nous nous focaliserons sur le premier type d’érosion (érosion externe), apparaissant principalement lors de surverses, c’est-à dire quand la hauteur d’eau dépasse la crête de l’ouvrage, provoquant ainsi un écoulement sur le parement aval, qui va initier l’érosion.

Les phénomènes impliqués dans une surverse sont complexes, variés, et instationnaires. On peut en effet distinguer, principalement, une érosion due à l’écoulement d’eau lui-même, qui va détacher des particules du sol, une érosion due à des glissements de pente devenues instables, et les effets des infiltrations d’eau dans le corps de l’ouvrage.

Les modèles actuels de simulation numérique de l’érosion progressive des ouvrages en terre, des plus simples aux plus sophistiqués, sont basés sur le couplage d’un modèle hydraulique et d’un modèle de transport solide issu de l’hydraulique fluviale. Ces modèles n’ont aucun caractère prédictif. Des erreurs de l’ordre de 50% sur les débits déversés à l’aval sont couramment rencontrées. La cinétique de rupture ne peut pas être appréhendée par ces modèles. Leur faiblesse tient d’une part aux modèles hydrauliques, beaucoup trop simples, ainsi qu’à l’utilisation, des formules de transport solide, hors de leur cadre d’application.

Erosion, transport, sédimentation

Généralités 

L’érosion en milieu naturel est représentée par l’évolution du relief. Les actions exercées par les écoulements d’eau gravitaires, les glaciers, les différents agents atmosphériques, ont façonnées sur des temps géologiques très longs la croûte terrestre telle que nous la connaissons aujourd’hui. On parle aussi souvent d’érosion et de sédimentation comme l’ensemble des processus d’érosion, de transport, et de dépôts de particules solides. Les phénomènes naturels impliquant ces actions complémentaires sont très nombreux. Les particules solides peuvent aussi bien être des grains de sables, transportés par le vent (déplacement de dunes), ou par l’eau (dunes sur les plages, dunes sous-marines, lit d’une rivière, d’un fleuve), que des flocons de neige (formation de congères), des aérosols, des particules de polluant, voir de gouttelettes d’eau arrachées aux vagues par le vent. Remarquons que pour les exemples cités précédemment les phénomènes d’érosion prennent place sur des temps courts, comparés aux temps géologiques. Outre cet aspect de modelage du relief, aujourd’hui, les phénomènes d’érosion, de transport, et de dépôt de matières solides peuvent être à l’origine de désordres technologiques ou environnementaux.

L’activité humaine a en effet fortement modifiée son milieu naturel (déforestation, contrôle des cours d’eau, terrassement, routes, ponts, tunnels), et sous certaines circonstances, la plupart du temps liées à un excédent d’eau (crues), des taux d’érosion cent fois supérieurs aux taux normaux (ou géologiques) peuvent apparaître et causer d’importants dégâts. C’est ce qui peut arriver, dans le cas qui nous intéresse, pendant une rupture progressive de barrage ou de digue, lors d’une surverse (quand la hauteur d’eau dépasse la crête de l’ouvrage et s’écoule sur son parement aval).

Erosion des sols par l’eau : principes de base

La plupart des modèles de description et de quantification de l’érosion des sols par l’eau sont issus de l’hydraulique fluviale. Dans ces conditions de faibles pentes et de faibles vitesses du fluide, plusieurs modes de transport solide sont différenciés.

Notion de transport solide en hydraulique fluviale : charriage et suspension
Dans tous les cours d’eau à fond naturel, sauf en cas de fond rocheux, les sédiments constitutifs du lit sont susceptibles d’être mis en mouvement sous l’action des forces hydrodynamiques exercées par l’écoulement d’eau. Dans les cours d’eau fluviaux, à faible pente, deux modes de transport de sédiments sont rencontrés, suivant la taille des particules : le charriage et la suspension.

Dans un transport par charriage, l’effet des forces hydrodynamiques exercées par l’écoulement d’eau se traduit sur les particules sédimentaires par un mouvement de roulement, ou de glissement sur le fond du cours d’eau, ou encore de saltation, c’est à dire de succession de petits sauts au cours desquels les particules se séparent du lit durant de très courtes périodes. Dans un transport par suspension, les particules fines peuvent être maintenues dans le corps de l’écoulement sur de longues distances, sans reprendre contact avec le lit, notamment sous l’effet des fluctuations verticales de la vitesse. La séparation entre charriage et suspension dépend donc de la taille des particules, et de l’écoulement : une particule charriée dans un écoulement peut être en suspension dans un autre.

Les modes de transport solide présentés ci-dessus ont été observés dans des conditions d’hydraulique fluviale. Dans le cas qui nous intéresse, d’un écoulement au dessus d’une digue, caractérisé par des pentes et des vitesses fortes, nous ne savons pas si il est significatif de différencier ces différents modes de transport (charriage, saltation, reptation…). Il existe en effet relativement peu d’informations sur ces types d’écoulements dans la littérature. La seule chose que l’on puisse dire, quant à ces écoulements à fortes pentes, comparés à des écoulements fluviaux, est relative aux valeurs maximales de concentrations en sédiments qui peuvent être atteintes. Ainsi, pour fixer les idées, alors qu’à 1% de pente les concentrations solides maximales possibles sont de l’ordre de 0.1%, à 10% de pente, ces concentrations peuvent atteindre des valeurs de l’ordre de 10% (Ildefonse et al. (1997)).

Effets du transport solide
Dès lors qu’il y a transport de sédiments, il existe des interactions entre la phase liquide et la phase solide. Ces interactions sont décrites par la figure précédente (Figure 1.2) : (1) Action de l’eau sur le matériau, provoquant un transport de sédiments. (2) Effet du transport de sédiments sur la morphologie par dépôt ou érosion, entraînant enfoncement, élargissement ou rétrécissement, voire changement radical du lit d’écoulement. (3) Ces modifications morphologiques s’accompagnent de modifications de la rugosité, de la pente, de la géométrie de la section en travers, lesquelles entraînent une modification du régime d’écoulement (4), et une modification de la quantité de matériaux transportés (5).

Perturbation plus ou moins forte de l’écoulement liquide par la présence de la phase solide en transport.

Si les phénomènes liés au transport solide (érosion, dépôt, glissement…) sont suffisamment faibles, les variations de la morphologie ou leur influence sur l’hydraulique seront elles-mêmes suffisamment faibles pour que l’on puisse négliger le transport solide dans les calculs hydrauliques, et ainsi assimiler l’écoulement à un écoulement sur fond fixe, à l’échelle de la crue. En revanche, plus le transport solide est intense, ou plus la concentration solide est importante, moins il est admissible de négliger la phase solide, ou même de traiter phase liquide et phase solide de façon indépendante. Smart et Jaeggi, (dans Ildefonse et al. (1997)) ont mis en évidence qu’à partir d’une pente de 7 %, la hauteur d’écoulement, pour un débit liquide donné s’écoulant sur un lit affouillable, devient significativement supérieure à ce qu’elle devrait être si de l’eau seule s’écoulait. Le supplément de hauteur est à attribuer à la présence de sédiment dans l’eau, qui ne peut donc plus être négligée dans le calcul de la hauteur d’écoulement. Pour leur part, Graf et Altinakar (Ildefonse et al. (1997)) considèrent que si pour des concentrations volumiques très inférieures à 1 %, un écoulement gravitaire eausédiment constitue un mélange newtonien, en revanche cela n’est plus le cas pour des concentrations volumiques supérieures à 8 %.

Modélisation de l’érosion et du transport 

Seuil de contrainte critique 

Shields fut le premier à décrire le seuil de contrainte de cisaillement, à partir duquel des particules individuelles (non cohésives), posées sur un lit sédimentaire composé de particules sphériques et de même taille, se mettent en mouvement sous un écoulement d’eau unidirectionnel (Brunone (1997)). Pour cela, il considéra la particule soumise à deux forces : la force d’entraînement due à l’écoulement, proportionnelle à sa section, et son poids déjaugé. Il en déduisit expérimentalement la valeur du seuil de contrainte en fonction du nombre de Reynolds de la particule.

Le seuil de contrainte défini par Shields correspond en fait à l’initiation de l’érosion. Mais d’autres concepts de seuil de contrainte critique existent (Dey (1999)) : l’USWES propose un seuil de contrainte pour lequel une mise en mouvement général des particules du lit est observée ; pour des sédiments de petites tailles, le concept de mouvement général fut remplacé par une valeur minimum du flux érodé. Un autre type de concept est basé sur le mouvement des particules du lit. Kramer (dans Dey (1999)) définit ainsi quatre configurations différentes de contraintes agissant sur le lit de sédiments : (1) aucune particule ne bouge, pas de transport ; (2) quelques unes des plus petites particules sont en mouvement dans des zones isolées, transport faible ; (3) quelques particules de tailles moyennes sont en mouvement, transport moyen ; (4) des particules de toutes tailles sont en mouvement, transport général. Kramer souligne la difficulté de délimiter clairement ces différents régimes, mais définit le seuil de contrainte comme la contrainte qui initie le transport général. MacEwan et Heald (2001) préconise plutôt la représentation du seuil de contrainte par une distribution de valeurs et non une valeur unique (qui n’existe pas en tant que seuil distinct pour l’initiation de l’érosion). Ils soulignent aussi l’importance de l’arrangement des grains de sédiments dans le lit. Un grain protégé par d’autres nécessitera une contrainte de mise en mouvement supérieure.

De nombreuses études numériques et expérimentales existent quand à la force nécessaire pour initier le mouvement d’une particule sous un écoulement permanent uniforme unidirectionnel. Selon les auteurs, les forces prises en compte sont :
– la force de traînée (dans le sens de l’écoulement), le poids déjaugé (orienté suivant la verticale descendante), la force de portance (due aux effets de cisaillement de l’écoulement, et à la rotation de la particule (effet Magnus)) pour Dey (1999) ;
– la force de portance et le poids déjaugé pour MacEwan et Heald (2001). Ils négligent les forces de portance car elles sont, pour les tailles de particules qu’ils considèrent du second ordre, comparées aux forces de traînée. Les valeurs obtenues l’ont été dans des configurations particulières (taille de grains uniforme, arrangement spécial des grains), qui sont souvent très éloignées des conditions réels du milieu naturel. Pour tous les travaux présentés ici (numériques ou expérimentaux), le sol n’est pratiquement pas incliné. Les effets de la pente ne sont pas pris en compte.

La valeur de la contrainte critique de Shields correspond à la contrainte nécessaire à la mise en mouvement d’une particule sphérique, ayant un certain diamètre, posée sur des particules identiques disposées horizontalement. Dans les situations naturelles les conditions sont beaucoup plus complexes. Les digues sont constituées de matériaux empruntés dans les environs de l’ouvrage. Une digue est donc généralement composée de matériaux très différents aussi bien en taille, en masse volumique qu’en structure (cohésifs ou non). Il apparaît donc difficile d’utiliser la valeur seuil de contrainte d’une taille de particule pour un tel matériau. De plus lors de la construction d’une digue, le sol est compacté, donc les différents grains de sédiments constituant le sol ont subi de nombreux réarrangements. On peut trouver dans la littérature quelques exemples d’études de situations plus complexes ou plus réalistes. L’augmentation de l’inclinaison du sol semble diminuer la contrainte de cisaillement critique nécessaire au décollement d’une particule (Meunier (1991)). A l’inverse Mitchener et Torfs (1996) ont montré que l’ajout de matériaux cohésifs à du sable augmente la résistance du sol à l’érosion et réduit les quantités érodées. Les réarrangements entre grains de différentes tailles ont tendance à augmenter la résistance du sol à l’érosion, MacEwan et Heald (2001).

On peut donc déjà s’interroger à ce niveau sur la pertinence de la valeur de la contrainte critique de Shields, donnée en (1.1), quant à son utilisation pour des matériaux réels, tels que ceux rencontrés dans une digue ou un barrage en terre. Par analogie avec les matériaux non cohésifs, on définit pour un matériau cohésif une contrainte critique τc à partir de laquelle l’érosion se produit (Partheniades (1965)). Celle-ci n’est pas reliée de manière simple aux caractéristiques géomécaniques du sol (angle de frottement interne, cohésion), voir par exemple El Ganaoui (2002).

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 Le contexte
1.1 Erosion, transport, sédimentation
1.1.1 Généralités
1.1.2 Erosion des sols par l’eau : principes de base
1.2 Modélisation de l’érosion et du transport
1.2.1 Seuil de contrainte critique
1.2.2 Quantification des quantités érodées
1.2.3 Comportement, rhéologie
1.2.3.1 Ecoulements à faible concentration en sédiments
1.2.3.2 Ecoulements à forte concentration en sédiments
1.3 Modélisation de la rupture progressive d’une digue par surverse
1.3.1 Erosion des ouvrages en terre
1.3.2 Etat de l’art
1.3.2.1 Modèle 1 : Brèche considérée comme un seuil avec une loi donnée d’élargissement
1.3.2.2 Modèle 2 : Brèche considérée comme un seuil avec élargissement modélisé de la brèche
1.3.2.3 Modèle 3 : Brèche considérée comme un seuil avec chenal érodable à l’aval
1.3.2.4 Modèle 4 : Brèche entière considérée comme un chenal érodable
1.3.2.5 Modèle 5 : Ouverture d’une brèche dans un barrage en remblai, considérée comme un processus par étapes : érosion, rupture et transport des matériaux du barrage
Ouverture de brèche suivant deux phases : 1.Brèche initiale 2.Erosion latérale
1.3.3 Discussion et propositions
Chapitre 2 Représentation thermodynamique d’un milieu à deux phases en mouvement
2.1 Equations de bilans instantanées d’un milieu continu par morceaux
2.1.1 Equations instantanées de chaque phase
2.1.2 Equations instantanées du mélange
2.2 Equations de bilan moyennées du fluide à deux phases
2.2.1 Equations moyennées de chaque phase
2.2.1.1 Définitions des valeurs moyennes
2.2.1.2 Equations moyennées de chaque phase
2.2.2 Equations moyennées du mélange
2.3 Choix de la modélisation du milieu diphasique
2.3.1 Choix des équations
2.3.2 Choix des lois pour les flux
2.3.2.1 La viscosité effective
2.3.2.2 Le coefficient de diffusion effectif
2.3.3 Conclusion
Chapitre 3 Conditions à l’interface liquide / solide, et modèle d’érosion
3.1 Principe
3.2 Conditions à l’interface
3.3 Loi d’érosion
3.3.1 Loi linéaire
3.3.2 Loi implicite
3.3.3 Loi d’érosion « chimique »
Chapitre 4 Cas particulier : Ecoulement permanent, bidimensionnel, parabolique
4.1 Les équations parabolisées de Navier-Stokes
4.1.1 Le système d’équations
4.1.2 Ecoulement bidimensionnel parabolique
4.2 Conditions aux limites
4.2.1 Conditions communes aux deux types d’écoulement considérés
4.2.1.1 A l’entrée
4.2.1.2 A l’interface
4.2.2 Ecoulement à hauteur d’eau infinie
4.2.3 Ecoulement à surface libre
4.3 Lois de comportement
4.3.1 Coefficient de viscosité
4.3.1.1 Viscosité constante
4.3.1.2 Longueur de mélange de Prandtl
4.3.2 Coefficient de diffusion
4.3.2.1 Diffusion constante
4.3.2.2 Loi différentielle de diffusion
Chapitre 5 Résolution numérique
5.1 Choix du système de coordonnées
5.2 Résolution du système d’équation
5.2.1 Schéma numérique
5.2.2 Résolution
5.3 Modifications importantes apportées au code de calcul
5.3.1 Profils d’entrée
5.3.2 Calcul du débit érodé
5.3.2.1 K fini
5.3.2.2 K infini
5.3.3 Calcul du gradient de pression et du terme source
5.3.3.1 Hauteur infinie
5.3.3.2 Surface libre
5.3.3.3 Contribution de la turbulence au gradient de pression
Chapitre 6 Résultats à hauteur d’eau infinie dans un écoulement à vitesse constante
6.1 Résultats à viscosité effective constante
6.1.1 Sans érosion
6.1.2 Erosion de sédiments de même masse volumique que l’eau sur un sol horizontal
6.1.3 Erosion avec sédiments plus lourds que l’eau sur sol horizontal
6.1.4 Erosion avec sédiments plus lourds que l’eau sur sol incliné
6.1.4.1 Etude des phénomènes
6.1.4.2 Etude de l’angle critique
6.2 Résultats du modèle à longueur de mélange
6.2.1 Sans érosion
6.2.2 Erosion de sédiments de même masse volumique que l’eau sur un sol horizontal
6.2.3 Erosion avec sédiments plus lourds que l’eau sur sol horizontal
6.2.4 Erosion de sédiments plus lourds que l’eau sur sol incliné
6.2.5 Influence de la rugosité du sol
6.2.6 Etude du modèle turbulent à diffusion différentielle
6.2.6.1 Variation du diamètre des sédiments
6.2.6.2 Variation de la constante A’
6.3 Conclusion
Conclusion

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