Représentation et théorisation de la noblesse dans les traités castillans du XVe siècle

À l’aube du XVe siècle, le tout jeune roi Jean II monte sur le trône de Castille : il n’a que deux ans lorsqu’il est proclamé roi le 25 décembre 1406. Commence alors un long règne qui durera jusqu’en 1454. Très mouvementée sur le plan politique (le roi eut à se confronter à de nombreux épisodes de guerre civile et de rébellion nobiliaire), cette période est cependant restée célèbre pour son exceptionnel développement culturel, grâce notamment au rayonnement de la « cour littéraire » du roi Jean II. À sa mort, l’essor littéraire se poursuit et s’amplifie malgré la poursuite de guerres civiles endémiques qui marquent durablement le règne de son successeur Henri IV, puis la guerre de succession qui voit finalement Isabelle accéder au trône. À la fin de la période, le développement de l’imprimerie permet finalement un véritable essor de la littérature.

Les textes qui nous sont parvenus de cette époque sont de nature très variée : poésie religieuse ou palatine, traductions d’œuvres antiques, traités en tous genre, correspondances, romans de chevalerie et recueils de lois offrent une vision de la culture castillane de la fin du Moyen Âge. Or, à cette époque, production et réception de l’écrit sont l’apanage des catégories sociales les plus élevées, noblesse et clergé ; cette culture à laquelle nous avons accès grâce à ces textes est donc essentiellement d’ordre religieux et nobiliaire. C’est à cette deuxième catégorie de textes que nous nous sommes intéressée.

Tout au long du Moyen Âge, noblesse et chevalerie sont inextricablement liées. Cette relation est restée dans l’imaginaire populaire qui confond régulièrement les deux. La théorie des trois ordres imaginée par les évêques Adalbéron de Laon et Géraud de Cambrai au début du XIe siècle fait de la société médiévale un monde régi par une distinction stricte entre trois groupes de population peu perméables, les oratores, les bellatores et les laboratores. Celui qui nous intéresse ici est celui des bellatores, des guerriers, aussi appelés milites ou nobiles, milites désignant plutôt la fonction et nobiles le statut.

À la fin du XIIIe siècle, le roi Alphonse X tente de réunir chevalerie et noblesse en créant un rapport durable entre le métier des armes et la noblesse. Dans la deuxième Partida, il définit ainsi la chevalerie comme un groupe de militaires nobles liés au roi par un lien de nature . Ce faisant, il tente d’assujettir la chevalerie, et donc la noblesse, au pouvoir royal.

Avec les guerres de reconquête, la nécessité d’enrôler de nouveaux guerriers auprès des chevaliers se fait sentir. Des combattants non nobles, mais néanmoins à cheval rejoignent les rangs de la chevalerie pour faire face aux adversaires maures. Avec le temps, ceux-ci tentent de l’intégrer afin de profiter des privilèges afférents. Dès lors, le roi Alphonse XI se voit obligé de créer des restrictions à la chevalerie. Il crée ainsi en 1332 le premier ordre de chevaliers laïques, l’ordre de la Banda, qui fonctionne tel une chevalerie dans la chevalerie avec à sa tête le roi . Les Partidas et l’Ordenamiento de la Banda naissent ainsi d’une volonté politique d’assujettissement de l’aristocratie castillane au pouvoir royal. Avec la reconquête, celle-ci gagne en effet en terres et en pouvoir, et peut à terme menacer la souveraineté du roi.

La deuxième partie du XIVe siècle est marquée par une guerre de succession entre le fils légitime d’Alphonse XI, Pierre Ier et son frère bâtard, Henri de Trastamare. C’est ce dernier qui gagne la couronne après avoir assassiné son demifrère. Il fonde alors une nouvelle dynastie, celle des Trastamare, qui durera jusqu’à la mort des Rois Catholiques. Les premiers souverains de cette dynastie doivent faire face à un problème majeur, celui de leur légitimité puisqu’ils sont descendants d’un bâtard, fratricide qui plus est. Henri II fait preuve de largesses  , et achète littéralement une partie de la chevalerie pour la rallier à sa cause. De leur côté, les partisans du frère déchu, la vieille noblesse pétriste, continuent de résister au nouveau souverain.

À partir de la deuxième moitié du XIVe siècle et jusqu’à la fin du Moyen Âge, la chevalerie gagne en diversité ce qui la rend de plus en plus difficile à cerner et marque un début de séparation d’avec la noblesse. À cette période, la chevalerie est au moins triple : la chevalerie type « de la Banda » qui correspond à la haute noblesse de lignage et qui ne conserve de chevalerie que le nom, une chevalerie moyenne, de petite noblesse, qui cherche à s’élever au service du roi, et une petite chevalerie non noble, des villes, qui tente d’intégrer les rangs de la noblesse. Tout au long de cette période, on assiste ainsi à un ballet incessant de déclassement et reclassement des chevaliers et des nobles au sein d’un de ces groupes. La chevalerie des villes tente d’intégrer la noblesse par le service au roi, les chevaliers petits nobles qui sont déjà à son service s’évertuent à gagner des faveurs et des dignités afin de rejoindre les rangs de la très haute noblesse. Le point commun entre tous ces groupes est la culture chevaleresque, un idéal de vie puisé dans la fiction chevaleresque.

À partir du moment où la haute noblesse commence à s’écarter de la chevalerie de fait, le pouvoir royal se retrouve dans une position délicate à cause de son isolement face à un groupe de grands nobles, plus puissants que lui dans les faits. Par ailleurs, au XVe siècle, Jean II, se désintéresse particulièrement de la vie politique et laisse le gouvernement du royaume à son favori, Álvaro de Luna, tandis qu’il se consacre à la culture. La grande noblesse castillane ne peut que réagir violemment face à cette situation qu’elle considère comme injuste puisque c’est son rôle, et non celui d’un bâtard aragonais, d’aider le roi dans les affaires de l’état. Commence alors une période de rébellions épisodiques de cette noblesse contre Jean II d’abord, puis contre son successeur, le roi Henri IV . Le mécontentement est d’autant plus fort qu’à chaque fois, les rois choisissent comme favoris de petits nobles aux origines obscures auxquels la grande noblesse ne peut se résoudre à obéir.

Ainsi, c’est à l’époque qui nous intéresse, la fin du XVe siècle, que chevalerie et noblesse commencent à diverger et que l’on voit progressivement se dissocier ces deux réalités. Ailleurs en Europe aussi, le lien entre les deux commence à s’étioler et ce, depuis l’apparition d’une bourgeoisie puissante et fortunée dans les villes du nord de l’Italie au XIVe siècle. Mais cette distinction est encore nouvelle pour la société castillane qui ne l’a pas encore totalement admise ; elle est, de fait, l’objet de moult débats. L’obstacle sémantique induit par le manque de précision dans la terminologie employée (noble, caballero, hijodalgo) a été la première difficulté à laquelle nous avons dû nous confronter. Celle-ci nous a d’ailleurs accompagnée tout au long de nos travaux de recherches dans nos lectures non seulement de textes médiévaux, mais aussi de productions de chercheurs contemporains. La méprise est prompte et l’écueil parfois difficile à éviter.

La grande confusion dans la terminologie qui entoure la définition d’une noblesse castillane qui se métamorphose au cours du XVe siècle est à l’origne de l’accroissement de la production de textes en tous genre (poèmes, traités, chroniques, lettres, biographies …) sur la noblesse. Ces textes sont l’occasion pour leurs auteurs de mettre en avant et défendre leurs idéaux et leurs aspirations pour cette noblesse qui est en train de se redessiner. Chacun, selon sa situation personnelle et politique particulière, tente de faire entendre durablement sa voix dans cette profusion de textes sur la noblesse du XVe siècle.

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Table des matières

Introduction
I. Noblesse et chevalerie
II. Les enjeux du débat
III. Représentation et théorisation
Première partie Le débat sur la noblesse dans la Castille du bas Moyen Âge
I. Approche historique de la noblesse castillane médiévale
A. Les structures de la noblesse
1. Les structures socio-économiques
Nobleza
Hidalguía
Caballería
2. Les structures politiques de la noblesse
Bandos et clientèles
Le lignage
La noblesse et le pouvoir royal : le système de la privanza
B. Une noblesse en mutation
1. De la nobleza vieja a la nobleza nueva
2. Répartition de la noblesse sur le territoire
II. Approches juridiques de la noblesse
A. Les Partidas d’Alphonse X
1. Monarchie et chevalerie
2. Chevalerie et noblesse
3. Noblesse et royauté
4. La grande noblesse et les titres
5. Hidalgos et infanzones
6. letrados et doctores
B. Modèle italien de la « noblesse du droit »
III. Définition et représentation de la noblesse dans les traités du xve siècle
A. Les traités sur la noblesse
1. Typologie
2. Textes et contextes
Les textes d’Alonso de Cartagena
La Cadira de honor et l’Espejo de verdadera nobleza
Le Tratado sobre el título del duque
Les Generaciones y semblanzas et les Claros varones de Castilla
La Definición de nobleza
Le Blasón general y nobleza del universo
B. Noblesse, hidalguía, chevalerie
1. Noblesse et hidalguía
Noblesse et hidalguía sont synonymes
Noblesse et hidalguía sont deux réalités distinctes
2. La chevalerie
C. Origines de la noblesse
1. Le lignage
2. Le roi
D. Conclusion
Deuxième partie. Ferrán Mexía et son Nobiliario Vero
I. Ferrán Mexía
A. Données biographiques
1. L’ascendance noble de Ferrán Mexía
2. Mariages et descendance
B. Ferrán Mexía, caballero veinticuatro de Jaén
1. Pas d’armes
2. Conspiration
3. Sous les Rois Catholiques
C. Ferrán Mexía, homme de lettres
1. Poésie
2. Prose
II. Le Nobiliario Vero
A. Les exemplaires
1. Les manuscrits de Salamanque
Le manuscrit Bus. 2414
Le manuscrit Bus. 2428
2. Le manuscrit de Madrid
3. Manuscrits fragmentaires
4. L’incunable
B. Les conditions de rédaction de l’œuvre
1. Étude des différents colophons et généalogie de l’œuvre
2. Situation politique et écriture du Nobiliario Vero
C. La structure du texte
1. Première partie
2. Deuxième partie
3. Troisième partie
D. Les sources et leur utilisation
1. Les sources principales
Bartole
Tite-Live
L’importance des Partidas
La Bible et Godefroi de Viterbe
Boèce
Duarte et Honoré Bouvet
2. Autres sources
3. Répartition des sources
E. Choix éditoriaux
Conclusion

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