Rentes, corruption et lobbying politique

La plupart des grands périmètres irrigués du Moyen Orient et d’Asie ont une histoire vieille de plusieurs millénaires au cours desquels différents modes de gestion ont été mis en place, permettant à ces systèmes de s’adapter aux changements de l’environnement technologique, économique, social et politique. Au cours de l’histoire récente, c’est-à-dire à partir de l’ère coloniale, la plupart des responsabilités liées à la gestion de ces grands périmètres irrigués a progressivement été prise en charge par un pouvoir centralisateur fort. Ainsi, l’allocation des terres, la maintenance de l’infrastructure, le partage de la ressource en eau, l’exercice de la police de l’eau et, dans certains cas la planification de la production agricole sont successivement venus s’ajouter à la liste des prérogatives de puissantes administrations publiques, réduisant d’autant le rôle des usagers dans la gestion de l’eau. Cette tendance s’est poursuivie après l’indépendance des anciennes colonies, l’Etat jouant alors un rôle majeur dans le développement de nouvelles ressources (en particulier avec la construction de grands barrages) et dans l’extension et la modernisation de ces périmètres. Les institutions financières bilatérales et internationales ont également joué un rôle moteur au cours de cette période en finançant la plupart des grands projets d’irrigation. La Banque Mondiale à elle seule a ainsi financé plus de 600 projets ayant une composante irrigation au cours des quarante dernières années, dont l’essentiel en Asie (World Bank, 1994c).

Aujourd’hui, ces mêmes institutions s’accordent sur le fait que, dans la plupart des pays en développement, l’Etat ne peut plus assumer l’ensemble de ces responsabilités, principalement du fait de contraintes budgétaires croissantes. Un mouvement de désengagement de la puissance publique du secteur irrigué se met donc progressivement en place. On assiste à un retour vers des formes de gestion collective des périmètres irrigués, dans lesquels les usagers reprennent le contrôle de la maintenance, de l’allocation de l’eau et du financement du fonctionnement des périmètres. Ce mouvement, qui s’accompagne d’une réforme des principales institutions du secteur irrigué, est fortement encouragé, sinon provoqué, par les institutions financières internationales comme la Banque Mondiale. Il s’inscrit entièrement dans la logique des programmes d’ajustement structurel dans lequel la plupart de ces pays se sont engagés dès les années 1980 .

Le Pakistan, qui possède l’un des plus grands périmètres irrigués du monde, n’échappe pas à cette tendance. Autrefois constitués d’une multitude de canaux indépendants, ne fonctionnant que pendant les périodes de crues et gérés par des seigneurs féodaux, les périmètres de l’Indus se sont progressivement étendus, modernisés et complexifiés pour devenir, au cours de la période coloniale, le plus grand réseau de canaux interdépendants au monde. Cette évolution a été permise à la fois par des innovations technologiques (Gilmartin, 1994) et par la création d’une administration centralisée et bureaucratique. Après l’indépendance du Pakistan en 1947, le rôle de l’Etat a continué de s’accroître avec une phase de développement de la ressource et des surfaces irrigués (World Bank, 1986). Ce mode de gestion administré et centralisé commence cependant à montrer ses limites. L’administration gestionnaire des périmètres dépend de plus en plus de subventions publiques, en partie parce qu’elle ne parvient plus à collecter les redevances auprès des usagers. Dans un contexte d’ajustement structurel, ces subventions sont remises en question par l’Etat qui cherche à réduire son déficit budgétaire. Du fait de cette contrainte budgétaire croissante, la maintenance de l’infrastructure n’est plus assurée correctement et cette dernière commence à se dégrader, perturbant le fonctionnement hydraulique des canaux et accentuant le caractère inéquitable de la distribution de l’eau entre les usagers. Enfin, la discipline administrative, qui permettait d’assurer un fonctionnement cohérent de cette immense réseau hydraulique, s’érode rapidement, laissant s’épanouir la corruption à tous les niveaux hiérarchiques de l’administration gestionnaire.

C’est dans ce contexte que, après avoir financé des projets de développement et de modernisation des périmètres irrigués publics pendant près de quatre décennies en étroite collaboration avec cette administration publique, la Banque Mondiale remet en cause le rôle du secteur public dans le secteur irrigué et recommande au gouvernement pakistanais de réformer sa politique de gestion de l’eau. La Banque préconise une décentralisation de la gestion et le retour vers une gestion collective par les usagers de l’infrastructure et de la ressource elle-même (World Bank, 1994b).

Depuis 1993, le gouvernement pakistanais s’est progressivement engagé sur la voie des réformes préconisées par la Banque Mondiale. Cependant, ce renversement de tendance n’est pas sans se heurter à des résistances de la part des acteurs qui ont bénéficié pendant des décennies de la forte implication de l’Etat dans la gestion des périmètres irrigués. L’administration gestionnaire, dont l’existence même est soudainement remise en cause, est la première à s’y opposer. Elle est suivie par les représentants de la profession agricole au sens large qui bénéficie, dans la situation actuelle, d’une rente considérable liée à la politique de subvention de l’irrigation. Ces résistances génèrent non seulement des risques de déstabilisation politique pour le gouvernement qui les entreprend mais aussi des risques de dérapage lors de l’application de la réforme. Ainsi la question de savoir si des dirigeants politiques seront effectivement capables de neutraliser les groupes d’intérêts opposés à la réforme reste ouverte. Son succès en dépend pourtant entièrement.

Une analyse des débats ayant eu lieu dans l’arène politique nationale depuis le début de la réforme suggère que des groupes de pression bien organisés sont capables d’influencer efficacement le processus de réforme et de le détourner de ses objectifs initiaux afin de protéger leurs propres intérêts. Dans ce travail de recherche, qui s’inscrit dans la lignée des études de la faisabilité politique de l’ajustement structurel (Haggard et al., 1995), nous défendons la thèse suivante :

Compte tenu de l’importance des intérêts économiques menacés et des efforts de lobbying politique consentis par les groupes de pression opposés à la réforme envisagée, celle-ci a peu de chances d’être effectivement appliquée et de conduire aux résultats attendus, si aucune mesure d’accompagnement n’est mise en œuvre.

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Table des matières

INTRODUCTION
DES PERIMÈTRES IRRIGUÉS EN MUTATION
UN PROBLÈME DE FAISABILITÉ POLITIQUE DES RÉFORMES
DEUX ÉCHELLES D’ANALYSE
UNE DESCRIPTION ANALYTIQUE
ORGANISATION DU MÉMOIRE
CHAPITRE 1. LE DÉSENGAGEMENT DE L’ETAT DE LA GESTION DES GRANDS PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS
INTRODUCTION
1.1 UN VENT DE RÉFORME DANS LES PÉRIMÈTRES IRRIGUÉS PUBLICS
1.1.1 L’irrigation publique, un outil de développement agraire
1.1.2 La gestion administrée des périmètres irrigués
1.1.3 Les dysfonctionnements des périmètres irrigués publics
1.1.4 Les propositions de réforme des politiques de gestion de l’irrigation
1.1.5 La mise en œuvre des réformes proposées
1.2 UN PROBLÈME D’ACCEPTABILITÉ DES RÉFORMES PROPOSÉES
1.2.1 Les causes de résistance des agriculteurs
1.2.2 Les causes de résistance de la bureaucratie
1.2.3 Conclusion : la dimension politique des réformes
1.3 PAKISTAN : UNE AGRICULTURE IRRIGUÉE EN TRANSITION
1.3.1 L’ajustement structurel dans le secteur agricole
1.3.2 Les problèmes justifiant une réforme de la gestion des périmètres irrigués
1.3.3 Le scénario de réforme proposé
1.3.4 La faisabilité politique des réformes proposées
1.3.5 Conclusion
1.4 CONCLUSION
CHAPITRE 2. L’ÉCONOMIE POLITIQUE DU SECTEUR AGRICOLE IRRIGUÉ AU PAKISTAN : MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE
2.1 LES GRANDES LIGNES DE LA POLITIQUE AGRICOLE AU PAKISTAN
2.1.1 Le rôle de l’agriculture dans la stratégie de développement économique
2.1.2 Les politiques de prix
2.1.3 Les politiques de structure
2.1.4 Le cas particulier des politiques d’irrigation
2.1.5 Conclusion
2.2 LES BÉNÉFICIAIRES DES POLITIQUES AGRICOLES
2.2.1 Les bénéficiaires des politiques de prix et de subventions
2.2.2 Les bénéficiaires des politiques structurelles
2.2.3 Conclusion
2.3 L’INFLUENCE DE L’ÉLITE RURALE SUR LA POLITIQUE AGRICOLE
2.3.1 Définition de l’élite rurale
2.3.2 L’influence de l’élite rurale sur la formulation des politiques publiques
2.3.3 L’influence de l’élite rurale sur la mise en œuvre et l’application des politiques agricoles
2.3.4 Conclusion
2.4 L’ÈRE DE L’AJUSTEMENT STRUCTUREL
2.4.1 L’évolution du contexte général et l’ajustement structurel
2.4.2 Objectifs, modalités et bilan de l’ajustement structurel
2.4.3 Economie politique de l’ajustement structurel
2.5 CONCLUSION
CONCLUSION

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